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Bon Weekend

16 juin 2012

Vendredi le 15 juin. Vol. 6, no. 19

labibfranco.canalblog.com

 

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Si les profs pouvaient

Stéphane Laporte, La Presse (19-09-09)

C'est en septembre que ça se décide. Parfois même dès le premier cours. La cloche sonne. Trente élèves s'assoient à leur pupitre. Trente paires d'yeux fixent la porte de la classe. Impatients de savoir de quoi a l'air le prof. Parfois sa réputation le précède et elle entre en premier. Les jeunes ont déjà peur. Les plus vieux leur ont dit qu'ils allaient passer par là. Ça peut aussi être le contraire. Les jeunes sont déjà turbulents. Baveux. Les plus vieux leur ont dit que c'était un mou.

619-7Le professeur arrive, les élèves l'analysent. Ils le scannent de la tête aux pieds. Sa démarche, son habillement, ses cheveux, son poil aux oreilles, son manucure, ses mèches, son parfum, son accent, ses tics. Ils n'ont que ça à faire. Le regarder. Durant toute la période. Alors ils le font. Quand le premier cours est terminé, leur idée est faite. Ils vont aimer ou pas le français, les mathématiques, la chimie, la biologie, la géographie ou l'éducation physique selon qu'ils aiment ou n'aiment pas M. Proulx, Mme Boily, M.Dutil ou Mme Bernier. 

Je me demande à quel point les profs sont conscients que l'école c'est eux. Ce sont eux les stars. Ils sont les Guy A. Lepage, Julie Snyder, Marc Labrèche, Louis-José Houde de leur matière. Ce sont eux qui l'animent. Ce sont eux qui y donnent vie. Qui rendent ça intéressant ou ennuyant. Qui partagent leur passion. Si le prof est sur le pilote automatique, le cours va crasher, c'est sûr. Mais si le prof fait de la haute voltige à la Luchini, en récitant des vers ou en déclamant ses dictées, les élèves seront au septième ciel. Bien sûr, personne n'est condamné à être génial. Les profs sont comme les sportifs, les politiciens, les plombiers, les chroniqueurs, ils font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont. 

Mais on ne devient pas cuisinier si on n'aime pas manger. Alors on ne devient pas professeur si on n'aime pas enseigner. Si on n'aime pas donner un cours. Donner une représentation. Pas besoin que le cours de physique devienne un spectacle du Cirque du Soleil, il faut juste que les élèves sentent que leur maître trippe sur la matière. Ça prend de l'entrain. De l'enthousiasme.

Combien d'heures j'ai passé à dessiner des bonshommes dans mon cahier parce que le prof lisait ses notes sans lever les yeux. Monotone. Fatigué. Résigné. Le courant ne passait pas parce que le prof était en panne. D'inspiration. Il n'y a qu'une seule façon d'apprendre, c'est en aimant. Si on ne fait pas aimer aux élèves ce qu'on leur demande de retenir, ils ne s'en souviendront jamais. L'indifférence n'a pas de mémoire.

Si j'aime autant écrire, c'est beaucoup à cause de Mme Lamoureux au primaire, M. Saint-Germain au secondaire et de M. Parent au cégep. Des profs qui l'avaient. Ce n'était pas des bouffons. Oh que non. Mais leur vocation était sincère et bien visible. Car c'est de cela que l'on parle. Tenir assis sur des sièges une trentaine de ti-culs pendant toute une journée, faut le faire. Même les parents ont de la misère à captiver leurs enfants durant un week-end. Imaginez durant une semaine, des étrangers se relayent pour essayer de transmettre connaissances, culture et savoir-vivre à un auditoire qui ne rêve qu'aux vacances de Noël. Faut le faire.

Et il n'y a qu'une seule façon de le faire. Pour intéresser, il faut être intéressant. Bien sûr, il y aura toujours des cancres qui resteront insensibles à un cours d'anglais même si c'était Angelina Jolie ou Brad Pitt (c'est selon) qui l'enseignait. Mais la grande majorité des élèves ne demandent pas mieux que d'embarquer. Encore faut-il que le monsieur ou la dame en avant veuille les mener plus loin que la fin du cours. Plus loin que la charge de travail imposée.

Le Québec est le royaume du décrochage. C'est peut-être parce que les jeunes ne sont jamais accrochés. C'est plate, mais c'est aux adultes de le faire. Les médecins ont la responsabilité de guérir les patients. Les profs ont le devoir d'intéresser les élèves. C'est bête de même. C'est beau de même.

C'est sûrement la plus noble des tâches. Permettre à un individu de grandir. Dans tous les sens du terme.

Si c'est le devoir des profs de stimuler leurs élèves, c'est le devoir de la société de stimuler les professeurs. En valorisant leur tâche. En structurant les écoles autour de leur talent. En leur permettant d'être imaginatifs.

Un professeur peut changer la vie de quelqu'un. Peu de gens ont ce pouvoir. Il peut être un allumeur de réverbères. Comme il peut être un éteignoir.

C'est en aidant les professeurs à être meilleurs que les élèves le seront. C'est la seule réforme possible.

L'école, qu'elle s'appelle l'école Champlain, l'école Élan ou l'école Sainte-Jeanne-D'arc, c'est l'école Pierre Dubois, c'est l'école Mlle Provencher, c'est l'école Virginie. C'est l'école des professeurs.

Quelqu'un devrait l'apprendre aux directeurs de commissions scolaires et aux sous-ministres.

 


Le dernier BON Weekend ?

Chers collègues

Vous avez en main notre dernière édition de BON Weekend.

Au début, il y a sept ans, il s'agissait de quelques photocopies d'articles pertinents, à la demande de la direction de Franco-Cité.

Très vite le lectorat grandissait; la revue prenait un air professionnel.

Sur invitation, notre publication a dépassé les murs de Franco-Cité.

Depuis un an nous partageons notre publication avec les autres écoles, les membres et personnel de notre Conseil.

BW est devenu un outil en classe, un stimulant de discussion et de partage.

Un ami journaliste, incognito au 4000 Labelle, se trouve dans l'ascenseur à côté de deux personnes.

L'un dit à l'autre: « As-tu lu l'article dans BON Weekend sur... »

Nous en étions fiers et stimulés à la perfection.

Notre travail, notre approche très perfectionniste, le temps qu'on y consacrait toujours avec passion, a fait de BW un instrument indispensable et précieux.

BON Weekend au top niveau, a dépassé le cadre d'une bibliothèque scolaire.

À moins de trouver une autre façon de produire, vous avez le dernier BON Weekend en main.

Merci pour vos mots d'appréciation.

Nous l'avons fait avec passion et fierté.

Paul de Broeck et Marc Robillard.

 


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard.

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité.

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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L'humanité se rapproche de

la capacité limite de la Terre

Pierre Marc Tremblay, Le Devoir(02-06-12)

619-5La science indique que « les pressions exercées sur les écosystèmes terrestres poussent ces derniers vers leurs limites biophysiques et que ces limites sont presque déjà atteintes. Dans certains cas, elles sont déjà dépassées ».

Tel est bilan alarmant que dresse « GEO-5 », le cinquième bilan quinquennal de l’état de la planète du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). « GEO-5 » est publié à deux semaines de l’assemblée générale extraordinaire des Nations unies qui se tiendra à Rio du 20 au 22 juin prochain. Le premier de ces bilans avait été publié avant la conférence de Rio de 1992, qui avait débouché sur les deux conventions internationales sur la protection du climat et de la biodiversité.

« GEO-5 » lance un avertissement très clair : « Si l’humanité ne modifie pas d’urgence ses façons de faire, plusieurs seuils critiques vont être franchis, au-delà desquels des changements abrupts et généralement irréversibles pour les fonctions de base de la vie sur Terre pourraient se produire. »

« Si cette situation perdure, si les structures actuelles de production et de consommation des ressources naturelles continuent de prévaloir et si rien n’est fait pour inverser la tendance, les gouvernements devront assumer la responsabilité d’un niveau de dégradation et de dommages sans précédent », indiquait de son côté Achim Steiner, le directeur général du PNUE.

Le bilan dressé par « GEO-5 » indique sur 90 objectifs majeurs, convenus par la communauté internationale, des progrès significatifs ont été accomplis dans seulement quatre de ces dossiers, soit la protection de la couche d’ozone, l’élimination du plomb dans l’essence, l’accès à une eau de meilleure qualité et l’intensification de la recherche sur la pollution des mers.

Des progrès « mitigés » ont été enregistrés dans l’atteinte de 40 autres objectifs, notamment par l’augmentation des aires protégées, qui couvrent 13 % des terres émergées, et la réduction du taux annuel de déforestation, qui est passé de 16 à 13 millions d’hectares entre 2000 et 2010.

Peu ou pas de progrès du tout caractérisent 24 autres objectifs que s’est aussi donnés la communauté internationale dans les dossiers touchant notamment le climat, les stocks de poissons, la lutte contre la désertification et les sécheresses. Dans huit autres des 90 dossiers prioritaires, « GEO-5 » constate même d’importantes détériorations de la situation, notamment dans le cas des récifs coralliens, pour lesquels il n’existe aucun bilan global. Dans 14 autres dossiers pourtant dotés eux aussi d’objectifs acceptés au niveau international, aucune conclusion n’a été possible faute de données, précise le rapport.

619-8Dans certains domaines comme la très classique pollution chimique, précise « GEO-5 », la possibilité de dresser un bilan réaliste est tout simplement hors de portée parce que le nombre de produits chimiques ne cesse d’augmenter, que les gouvernements nationaux ne dressent aucun bilan pour tous les produits, y compris pour leurs sites les plus contaminés, et aussi parce que de nouveaux contaminants comme les nanoparticules ne font encore l’objet d’aucun bilan.

Bilans sectoriels

« GEO-5 » attribue à l’adoption d’objectifs et d’échéanciers précis les succès remportés dans la lutte contre les substances destructrices de la couche d’ozone et le plomb dans l’essence. Or c’est précisément ce qui manque, selon « GEO-5 », dans la lutte contre les changements climatiques : au rythme actuel et malgré les réductions d’émissions en Europe, la planète se dirige vers une augmentation de 3 °C de sa température moyenne d’ici la fin du siècle, ce qui pourrait lui coûter un peu plus de 2 % du PIB mondial. Et la tendance s’alourdit même : en 2010, le taux d’émissions lié à la combustion de pétrole et de charbon a atteint des records de tous les temps.

La pollution de l’air, un des premiers dossiers attaqués en environnement, continue de faire 2 millions de morts prématurées, dont 900 000 enfants de moins de cinq ans, en raison de l’usage de combustibles impropres dans les maisons. Globalement, les particules fines tuent 3,7 millions de personnes par an et le smog ajoute 700 000 morts pour cause de difficultés respiratoires, dont 75 % en Asie. Les pertes de récoltes agricoles pour cause de pollution de l’air coûteraient entre 14 et 26 milliards $US par année.

Le deuxième problème en importance ciblé en 1992, soit le déclin de la biodiversité, fait aussi l’objet d’un constat d’échec, car malgré l’adoption des Objectifs du millénaire en 2000, aucun ralentissement sensible de ce déclin n’a été atteint en 2010. Une espèce de vertébré sur cinq est actuellement menacée. Les facteurs de survie des récifs coralliens ont diminué de 38 %, le déclin record en matière de biodiversité. Parce que l’agriculture accapare désormais 30 % de la surface terrestre, plusieurs des grands écosystèmes ont perdu jusqu’à 20 % de leurs aires naturelles depuis 1980.

Par contre, les aires protégées par les gouvernements couvrent 13 % des surfaces émergentes, mais seulement 1,6 % des espaces marins. Il faudrait protéger 17 % et 10 % de ses aires naturelles d’ici 2020, selon la récente conférence d’Aicha au Japon.

Quant aux stocks de poissons, les captures ont quadruplé entre 1950 et 1990, mais on commence à les stabiliser, ce qui ne permet pas encore aux stocks de se reconstituer en raison des surpêches commerciales principalement. Plus de 60 % des espèces marines sont exploitées aux seuils de rupture et souvent au-delà.

Partout dans le monde, les nappes souterraines sont surutilisées tout comme les cours d’eau, dont les pollutions sont de moins en moins suivies par les gouvernements, y compris les nanoparticules qui y font leur apparition. Les inondations et les sécheresses extrêmes, qui menacent les réserves en eau, ont augmenté respectivement de 230 % et de 38 % entre 1980 et 2000, exacerbées par le réchauffement du climat.

 


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Petite leçon de

meurtre à l'école

Patrick Lagacé, La Presse (13-06-12)

Dans la catégorie «manque de jugement», un prof d'histoire et éducation à la citoyenneté de l'école secondaire Cavelier-de-LaSalle, dans l'ouest de Montréal, détient une sérieuse option sur le titre. Lundi dernier, à ses élèves de 4e secondaire, il a fait regarder la vidéo sordide du meurtre dont Luka Rocco Magnotta est accusé.

Vous avez bien lu: LA vidéo qui montre les derniers moments de l'étudiant Lin Jun. Oui, celle-là, celle qui donne mal au coeur, celle qui a mené à l'arrestation de Luka Rocco Magnotta en Allemagne, celle qui pourrait lui valoir des accusations de meurtre et d'outrage à un cadavre, une fois qu'il reviendra à Montréal.

Quand j'ai reçu l'information, je n'y croyais pas. Trop gros. Mais vérification faite auprès de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, hier, l'histoire est véridique.

Lundi matin dernier, donc, pour des raisons inconnues, cet enseignant a décidé de faire visionner à ses élèves la vidéo en question, en classe. Plusieurs élèves ont été traumatisés par ce qu'ils ont vu. Évidemment, l'affaire a rapidement fait le tour de l'école. 

C'est un directeur adjoint de l'école qui, sur l'heure du midi, a appris d'un élève que la terrible vidéo avait été montrée à des élèves, pour la plupart âgés de 16 ans. L'enseignant a été suspendu sur-le-champ, avec salaire, conformément à la convention collective.

«Ce n'est pas un moment de gloire, c'est désolant et ça nous dérange énormément, m'a déclaré Diane Lamarche-Venne, présidente de la commission scolaire, hier. C'est une initiative personnelle de ce professeur, une initiative que tout le monde condamne, tant à l'école qu'à la commission scolaire.»

Qui est ce prof? Pourquoi a-t-il pris la décision insensée de montrer à des ados une vidéo unanimement décrite comme insupportable? Y voyait-il une valeur pédagogique?

Mme Lamarche-Venne a été prudente dans ses commentaires, pour ne pas entraver le processus disciplinaire. L'enseignant, que la présidente de la CS Marguerite-Bourgeoys m'a décrit comme n'étant «pas un régulier» de l'école secondaire Cavelier-de-LaSalle, pourra présenter sa version des faits ce matin.

Selon ce que j'ai appris, il a envoyé un courriel à ses collègues de l'école, la semaine dernière, s'excusant de sa décision de montrer ces images épouvantables à ses élèves.

Le lendemain du visionnement, mardi dernier, la CS Marguerite-Bourgeoys a constitué une cellule de crise à l'école, avec un psychologue et des psychoéducateurs, pour permettre aux élèves de s'exprimer. «C'était important qu'ils aient quelqu'un à qui parler de ce qu'ils ont vu, pour rationaliser l'événement.»

Que des psys débarquent dans une école est une procédure normale, un peu partout au Québec, dans les cas d'événements troublants qui perturbent la vie scolaire. La décision de dépêcher à Cavelier-de-LaSalle une cellule de crise tombait sous le sens, dès que la direction de la commission scolaire a eu vent de l'affaire.

«Beaucoup de choses ont été dites sur cette vidéo, relate Diane Lamarche-Venne. Par exemple, le Service de police de la Ville de Montréal a déconseillé aux gens de tenter de la visionner, parce que c'est dérangeant.»

Au téléphone, hier, Mme Lamarche-Venne a fait face aux questions vaillamment, sans se défiler. L'école et la CS n'ont rien à voir avec la décision incroyablement imbécile du prof, mais, pourtant, l'école et la CS se retrouvent dans La Presse sous un éclairage peu flatteur, ce matin. En plus, pour respecter le processus disciplinaire, Mme Lamarche-Venne devait peser chacun de ses mots. Bref, je me sentais mal pour elle...

Au Syndicat de l'enseignement de l'ouest de Montréal, le président, Luc Jacob, a dit vouloir observer un certain devoir de réserve, le temps que la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys finisse son enquête. «Je n'ai pas parlé à cet enseignant, je ne le connais pas. Nous allons aviser quand nous aurons les résultats de l'enquête.»

 


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À l'école de la transparence

Marie-Claude Lortie, La Presse (03-06-12)

Si un écolier fréquentant la même institution que mes enfants était agressé sexuellement dans un véhicule de la STM, près de l'école, j'aimerais le savoir.

Si l'individu était ensuite repéré devant l'école, une de ses victimes l'ayant reconnu, j'aimerais le savoir vite.

J'aimerais le savoir pour pouvoir en parler à mes enfants avant que les rumeurs ne leur fassent peur. Pour leur donner l'heure juste et leur expliquer comment se protéger.

J'aimerais le savoir parce que des pédophiles, ça existe. Ce n'est pas une vue de l'esprit de quelques mères hystériques. Ils sont heureusement rares. Mais éviter d'affronter le problème n'aide rien ni personne. 

Je vous parle de tout ça parce qu'au cours de l'hiver, une situation semblable s'est produite dans la métropole, au Collège de Montréal.

Un après-midi de décembre, après l'école, un jeune de 13 ans attend le bus, le 24, rue Sherbrooke, près d'Atwater. Arrive un homme qui prétend le connaître, veut l'emmener au cinéma. Le garçon le repousse et prend le bus, dans lequel l'homme le suit et éventuellement le coince, le touche et essaie de l'embrasser. L'adolescent réussit à s'enfuir et rentre chez lui en larmes. Il raconte tout à ses parents, qui appellent la police et alertent l'école.

«Pour moi, il était clair que l'école devait être informée. Pour mon fils qui venait de vivre quelque chose de très grave. Mais aussi pour que les autres parents soient au courant», explique la mère.

L'école préfère ne pas en parler aux parents.

«On a choisi l'approche élève», explique le directeur, Jacques Giguère.

On «intervient» donc dans les classes pour «parler» aux jeunes. A-t-on utilisé le mot « pédophile « et a-t-on précisé qu'un crime avait été commis dans l'autobus passant devant l'école? Non.

Selon le directeur, l'école a choisi une approche moins précise. «On ne pensait pas opportun d'ameuter les jeunes. On n'a pas fait ce choix-là.»

Le temps passe, nous voilà rendus le 16 mai, et la jeune victime aperçoit de nouveau son agresseur devant l'école.

Il en parle à sa mère, qui alerte la police et le collège par courriel: «Je vous envoie une description de cet homme. Je crois que vous devriez avertir les élèves et les parents qu'il y a un prédateur dans la région et on devrait rappeler aux enfants ce qu'il faut faire s'ils sont approchés par un tel étranger... L'homme fait environ six pieds, il a une barbe et une moustache grises et des cheveux tirés en queue de cheval... Sa moustache est jaunie... Il portait un trench-coat noir long, et un pantalon rouge et violet qui ressemblait à un pyjama...»

Les jours passent, et toujours pas de courriel de l'école aux parents.

Le 22 mai, la mère réécrit. «Bonjour, je viens de parler au détective du SPVM [...] qui fait une enquête au sujet de l'homme qui a agressé [...]. Il suggère que les parents du collège soient avisés. J'attends toujours votre plan concernant cette situation.»

Puis, le lendemain, les événements prennent une tournure inattendue.

La mère aperçoit quelqu'un devant la station de métro Vendôme. Pantalon qui a l'air d'un pyjama. Queue de cheval, sac à dos, barbe énorme et moustache jaunie... Elle est certaine que c'est lui. Elle suit l'individu et appelle la police, qui arrête l'homme, un récidiviste que la jeune victime identifie sans hésiter.

Le surlendemain, un courriel du collège aux parents des élèves leur apprend qu'un «individu louche» rôdait autour du collège, mais qu'heureusement, il a été arrêté. La lettre invite tout le monde à la prudence.

Lorsque ce message est envoyé, Amir Pourasadi, 56 ans, est déjà entre les mains de la police. Il est toujours détenu. Une évaluation psychiatrique déterminera s'il est apte à son procès. Son dossier criminel, qui remonte à 1992, inclut des voies de fait, des voies de fait armées, des menaces de mort, non-respect de conditions, etc. Il fait aussi l'objet de deux enquêtes pour agressions dans le bus 55 contre des filles.

Hier, après mon entrevue avec M. Giguère, un message a été envoyé aux parents, expliquant qu'un écolier a été victime d'agression sexuelle et qu'un suspect a été arrêté. Cinq mois après le crime, les mots sont finalement écrits en toutes lettres.

Selon le directeur, la discrétion dont l'école a fait preuve s'explique surtout par une volonté de respecter le caractère «délicat» du dossier. «Même les parents sont mitigés sur la nécessité d'informer», dit-il.

Mitigés?

Comme le répète le directeur, l'école ne peut pas surveiller tout le quartier ni tous les bus. Il n'y a qu'une façon de prévenir: parler aux enfants pour qu'ils sachent comment réagir. Et lever les tabous.

Pourquoi, là comme si souvent dans ces histoires, sent-on une crainte de dire les mots? Pourquoi faut-il des arrestations pour admettre publiquement l'existence d'un crime? Est-ce de la gêne? De la peur? De la prudence exagérée? Du déni?

Pourquoi, si souvent, ce terrible ingrédient: le silence?

Pourquoi, si rarement, ce seul début de solution: la transparence?

Une leçon à réviser pendant l'été pour toutes les écoles.

 


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Passer l'été à gauche

Louis Cornellier, Le Devoir (09-06-12) 

Cet été, entre deux séances de martelage de casseroles — ce qui vaut mieux, on en conviendra, que du matraquage de manifestants —, les percussionnistes improvisés qui en ont soupé des politiques de droite qu’on nous impose au nom du réalisme voudront probablement se redonner des forces en lisant des ouvrages qui, au-delà des slogans, expliquent les raisons de leur colère. Voici, pour eux et pour ceux qui ne les comprennent pas encore, un petit programme de lecture orienté à gauche, composé d’essais québécois publiés depuis septembre dernier.

Je l’ai écrit en février dernier et je le répète : si vous n’avez qu’un ouvrage à lire cet été, que ce soit Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments (Stanké, 2012), de l’indispensable Jean-François Lisée. Ce livre est l’essai — clair, polémique et efficace —qu’attendaient tous les sociaux-démocrates du Québec pour pouvoir répliquer à leurs détracteurs. Non, démontre Lisée, le Québec n’est pas un enfer fiscal, n’est pas infesté de fonctionnaires, n’est pas victime de son syndicalisme et n’est pas sur le point de déclarer faillite. Non, continue-t-il, les Québécois n’ont pas un niveau de vie plus faible que leurs voisins et ne sont pas les quêteux de la fédération canadienne. Statistiques à l’appui, Lisée démolit allègrement les allégations chagrines de la droite québécoise et explique, au surplus, pourquoi le mouvement souverainiste n’a pas dit son dernier mot. Tout ça, simplement et lumineusement.

En guise de complément à l’essai de Lisée, il faut lire celui de son ami Stéphane Gobeil, Un gouvernement de trop (VLB, 2012). Conseiller de Pauline Marois, Gobeil s’est livré à un travail de moine en épluchant les comptes publics du Canada de l’année 2010. Sa démonstration manque un peu de fini, mais elle indique néanmoins que l’idée du fédéralisme rentable pour le Québec est bel et bien un mythe. Non seulement, démontre Gobeil, les Québécois ne se reconnaissent plus dans le Canada, mais ils en font les frais sur le plan économique. Pourquoi, dans ces conditions, s’encroûter dans cette union étouffante ?

619-6Françoise David a peut-être hésité il y a plusieurs années, mais elle est partante, aujourd’hui, pour l’aventure du Québec souverain. Dans De colère et d’espoir (Écosociété, 2011), son beau « carnet » publié en novembre dernier, la co-porte-parole de Québec solidaire raconte son parcours de militante et elle redit, surtout, qu’elle « ne supporte plus l’indifférence et le silence des partis politiques face aux inégalités ». Françoise David incarne avec noblesse une gauche québécoise décomplexée qui refuse d’accepter l’injustice au nom d’un supposé réalisme. Un peu comme Madeleine Parent, elle combine la douceur d’expression et la détermination politique pour dire que le mépris n’aura qu’un temps.

Tonitruant sur la place publique, le regretté Pierre Falardeau n’était pas qu’un gueulard, mais aussi un artiste profond et tourmenté. La publication, en novembre dernier, d’Un très mauvais ami (Lux, 2011), sa correspondance avec le peintre néerlandais Léon Spierenburg qui était son ami, offre au lecteur l’occasion d’entrer dans la pensée intime du cinéaste. Viscéralement révolté devant l’injustice, Falardeau a fait de sa vie et de son oeuvre un engagement de tous les instants pour l’indépendance, non seulement celle de son peuple, mais aussi celle de tous les peuples entravés et celle de l’individu face aux pouvoirs écrasants. Dans son dernier scénario, Le jardinier des Molson (Du Québécois, 2012), il met en vedette des soldats québécois et sénégalais, sacrifiés sur le champ de bataille de la Première Guerre mondiale au profit de leurs exploiteurs coloniaux respectifs. S’il fallait résumer en quelques mots l’oeuvre de Falardeau, il faudrait retenir qu’elle fut un rugueux mais beau chant de libération.

On ne peut pas en dire autant de la majorité des films hollywoodiens qui occupent les écrans du monde entier. Dans Hollywood et la politique (Écosociété, 2012), l’écrivain et militant Claude Vaillancourt analyse plus de 150 de ces productions qu’il divise en trois catégories : le cinéma du statu quo, le cinéma du questionnement et le cinéma subversif. Il ne s’agit pas, pour l’essayiste, de rejeter en bloc le cinéma de l’empire, qu’il dit par ailleurs apprécier, mais d’offrir au cinéphile une grille d’analyse lui permettant de séparer le bon grain artistique et politiquement critique de l’ivraie propagandiste. Comme lecture d’été intelligente, cet essai original, solide et accessible est idéal.

Liliane est au lycée (Flammarion, 2011), l’essai de Normand Baillargeon sur la culture générale, l’est tout autant. « Est-il indispensable d’être cultivé ? », demande Baillargeon, quand on considère que la culture qui mérite le statut de « générale » n’est pas à l’abri de la critique ? N’est-elle pas, en effet, affectée de biais élitiste, sexiste et occidentalo-centriste ? C’est pourtant elle, explique Baillargeon, qui fournit les outils nécessaires à sa propre critique. Pour critiquer la culture générale, en d’autres termes, il faut en avoir. C’est elle qui élargit « l’éventail des possibles entre lesquels il nous est possible de choisir et de nous choisir et contribue ainsi à forger à la fois notre identité et notre autonomie » ; c’est elle, encore, dans ses versions artistiques et littéraires, qui contribue, « par la culture de l’imagination, à l’extension de la sympathie et à briser ces barrières qui interdisent de voir l’Autre comme un être humain ». La culture générale, explique simplement et justement Normand Baillargeon, humanise et libère.

Même s’ils se réclament d’un conservatisme plus identifié à la droite qu’à la gauche, l’historien Éric Bédard et le sociologue Mathieu Bock-Côté partagent ce dernier constat. Le premier dans Recours aux sources (Boréal, 2011) et le second dans Fin de cycle (Boréal, 2012) invitent les Québécois à renouer avec leur mémoire longue, c’est-à-dire canadienne-française, pour raffermir leur identité québécoise qui, disent-ils, ne se résume pas au progressisme social-démocrate. Mê-me en faisant le choix de passer l’été à gauche, il n’est pas interdit de lire ces essayistes de haut vol, par ailleurs brillants stylistes, tant il est vrai que le dogmatisme, peu importe sa couleur, demeure détestable.

 


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Un choix douteux

Julie Decoste, René Nault, Nathalie Tremblay

et Stéphane Lance, La Presse(11-06-12)

619-2Les auteurs sont enseignants au secondaire

Sans consultation du milieu scolaire et à la surprise générale, le gouvernement Charest a annoncé lors du discours inaugural de février 2011 qu'il implanterait des tableaux blancs interactifs (TBI) dans toutes les classes du Québec. Ce programme engloutira plus de 240 millions de dollars en cinq ans.

Après une campagne de séduction savamment orchestrée avec dons de matériel à différents intervenants du milieu scolaire, Smart Technologies est le choix des deux tiers des commissions scolaires, dont la CSDM. Pourtant, cette technologie manque de souplesse tout en étant l'une des plus dispendieuses sur le marché. Comme le hasard fait bien les choses, un ex-membre du cabinet du premier ministre avait obtenu en février 2011 le mandat de faire du lobbying pour Smart Technologies!

Nous croyons que d'autres produits devraient nous être offerts et que le fournisseur choisi tente de relancer son entreprise aux frais des contribuables. La valeur en Bourse des actions de Smart Technologies est passée de 17$ à 3,57$ en quelques mois. Des investisseurs ont même déposé une demande de recours collectif de 100 millions contre Smart Technologies, estimant avoir été floués. Nous exigeons un plus grand choix technologique et de la transparence sur l'attribution des contrats.

Sous prétexte d'un retard technologique et pour contrer le décrochage scolaire, on veut nous imposer un outil pédagogique qui n'a aucunement fait ses preuves et qui n'est appuyé par aucune étude indépendante, sinon celles des fabricants. En Angleterre, où toutes les classes sont équipées de TBI depuis 2007, les résultats aux examens internationaux ne sont pas meilleurs que ceux des élèves du Québec, selon des chercheurs de l'Université de Montréal. 

Nous sommes les spécialistes en éducation et pourtant, le gouvernement fait fi de notre expertise et nous impose un choix à prendre ou à laisser. Nous y voyons une attaque directe à notre autonomie professionnelle alors que les outils pédagogiques doivent être choisis par les enseignants, non par le ministère de l'Éducation, influencé par des entreprises privées avides de profits sans égard aux besoins réels.

Nous exigeons le respect de notre profession et nous désirons participer à tout projet de développement des nouvelles technologies.

Soyons clairs: les enseignants ne rejettent pas les nouvelles technologies. Mais l'ingérence abusive du ministère et l'imposition mur à mur de ce programme sont inacceptables. De plus, cette stratégie est vouée à l'échec sans un plan de formation appropriée pour les enseignants et d'un plan d'entretien du matériel.

Nous croyons que le projet d'acquisition des TBI n'est pas motivé par des intérêts pédagogiques et risque d'être un vaste gaspillage.

 


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Violence à la télé:

insensibles, agressifs

Marie-Danielle Lemieux, La Presse(13-06-12)

L'auteure est doctorante à l'Université Laval et professionnelle au services de psychologie dans une commission scolaire. Elle prépare une thèse sur la violence dans les écoles.

J'aimerais bien croire que toutes ces heures consacrées à consommer de la violence sur les619-3 petits ou grands écrans sont sans importance, mais le fait est aujourd'hui avéré: elles augmentent les comportements violents. Pire, elles rendent insensible. De nombreuses études le confirment.

Des enfants exposés à des images violentes n'interviennent pas si un camarade se fait

agresser devant eux, ils l'ignorent. Ils deviennent de moins en moins empathiques, ont moins de compassion et sont davantage dépourvus de jugement. Les images violentes modifient notre représentation du monde.Les mécanismes neurophysiologiques sont aujourd'hui connus grâce à l'imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMF). Les films violents ou d'horreur réduisent l'activité du cortex frontal, impliqué dans le contrôle des conduites agressives comme l'a rapporté une imposante étude transnationale de l'UNESCO.

Mais comment ces images opèrent-elles? Primo, elles augmentent la propension à agir avec violence ou agressivité, c'est ce qu'on appelle l'amorçage. Secundo, elles élèvent notre seuil de tolérance à la violence, c'est l'habituation. Et, finalement, elles augmentent nos sentiments de peur et d'insécurité. Ces mécanismes seraient les mêmes chez les enfants, les adolescents et les adultes. Le cerveau sélectionne souvent à notre insu des réponses cognitives et comportementales. 

Plusieurs études ont confirmé que chaque heure de programmes violents, consommée par des enfants de 2 à 5 ans, multiplie par quatre la probabilité d'observer des troubles du comportement non seulement dans les heures qui suivent, mais aussi dans les cinq prochaines années. Conséquences à court, mais aussi à long terme. À force d'être répétées, ces images finissent par imprégner nos représentations sociales inconscientes.

Le spectateur moyen serait exposé à des dizaines d'actes violents par heure soit près de 2600 crimes et actes violents par année. Soixante pour cent des émissions télévisuelles contiennent des scènes de violence. Ce nombre augmente à 70% quand il s'agit d'émissions pour enfants. Curieusement, ce sont les dessins animés qui en présentent le plus. Pas étonnant que l'on devienne moins enclin à porter secours à un inconnu sur la rue. Toutes ces heures de violence virtuelle amoindrissent nos facultés d'empathie.

Loin de moi l'idée de faire de ceux qui regardent des films d'horreur des psychopathes en puissance. Mais prétendre que l'on peut visionner 50 000 meurtres et avoir toujours le même jugement social me laisse plus que perplexe. Nombre de travaux, études, recherches ont confirmé que la violence est contagieuse.

Nous ne sommes plus à l'heure de nous demander si la violence sur les écrans augmente les comportements violents: le fait a été démontré à maintes reprises et confirmé par la recherche. Grâce au développement des neurosciences, on en connaît aujourd'hui davantage sur le fonctionnement du cerveau humain. La violence comme l'empathie s'apprendraient dès le plus jeune âge. La compassion s'enseigne par les parents d'abord puis par les apprentissages de la socialisation à l'école.

Les troubles de comportement concernent surtout les enfants dont la personnalité est mal structurée et l'identité mal construite. Les adultes ont un rôle prépondérant dans cet exercice. Ceux qui ne reçoivent pas l'attention et l'affection nécessaires à leur développement peuvent développer des problèmes relationnels importants.

Peut-être n'éradiquerons-nous jamais l'existence des «serial killers», mais en parler un peu moins et cesser d'en faire des héros de films, serait déjà un pas dans la bonne direction.

 


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Les souliers de Caballo Blanco

Yves Boisvert, La Presse (11-06-12)

François Bourdeau sort de son sac un t-shirt. «Micah True courait avec ça, c'est sa blonde qui me l'a donné.»

Le Montréalais de 39 ans est ému. Il essaie de résumer pour moi la série chaotique de hasards qui a mené cet ancien fumeur du fond d'un fauteuil à bascule jusque dans les canyons de la Sierra Madre, où il a partagé des heures de course, des repas, plein de silences et une amitié avec le Caballo Blanco.

Le Cheval blanc: c'est ainsi que les Indiens Tarahumaras ont surnommé Micah True, Américain venu s'installer chez ce peuple de

coureurs, dans le Copper Canyon, en bordure de la Sierra Madre, aussi bien dire nulle part.sierra_madre_occidentale

True et les Tarahumaras ont atteint un statut mythique depuis que le journaliste Christopher McDougall en a raconté l'histoire dans le best-seller Born to Run, en 2009. 

True, ancien hippy d'Hawaii devenu boxeur puis ultramarathonien, s'est installé dans cette région désertique. Il y organisait depuis 2006 une course de 80 km qui fait trois boucles autour du village d'Urique, entre des Tarahumaras et des coureurs invités personnellement par le Caballo. Ils étaient 420 Tarahumaras cette année et 80 étrangers, dont François Bourdeau.

***

Le livre de McDougall raconte que ces Indiens du canyon, dont plusieurs vivent dans des villages inaccessibles par la route, sont des coureurs nés. Jeunes ou vieux, ils courent des kilomètres chaque jour. Leurs jeux sont des courses interminables autour d'une balle en bois.

Quelques promoteurs américains avaient recruté des Tarahumaras pour participer à des ultramarathons dans les années 90. Ils ont renversé tous les experts en remportant les épreuves de 100 km en rigolant et, surtout, en courant avec des sandales en cuir.

Après avoir été montrés comme des animaux de cirque, ils sont rentrés dans leurs terres. Et Micah True les y a rejoints. Ce serait au monde extérieur de venir les voir, sur leur terrain, de leur apporter du maïs, d'entrer en contact avec leur culture.

Micah True est mort au cours de l'hiver quelques semaines après la septième présentation de cette course pour initiés.

***

Dans un café du centre-ville, François Bourdeau sort de son sac une paire de sandales. Les fameuses huaraches. J'imaginais de légères galettes de cuir. Tu parles. Elles pèsent une tonne. La surface est en cuir. Mais la semelle est faite d'un morceau de pneu de voiture.

Le livre de McDougall a lancé une controverse autour des souliers et de la manière de courir. Sa thèse centrale est que la capacité de courir de longues distances est un facteur décisif de l'évolution de l'espèce humaine. Ainsi pouvait-on chasser des bêtes qu'on finissait par épuiser.

De même, nul besoin de souliers rembourrés pour courir: le pied et tout le corps en fait sont merveilleusement adaptés à cette activité. Trop de coussins autour du pied endorment les muscles et éventuellement blessent le coureur. Le livre est bourré de références scientifiques, mais la sandale des Tarahumaras est une sorte de preuve: voilà le degré zéro de la protection. Et pourtant ils gagnent des ultramarathons avec ça!

«C'est vrai qu'ils courent avec ça, mais ce n'est pas religieux, faut pas exagérer, dit Bourdeau. Offre-leur une paire de Saucony pour voir... Ils vont la prendre!»

Bourdeau était un sédentaire qui avait 40 livres en trop il y a une dizaine d'années. «J'ai décidé de changer, j'ai mis une paire de souliers et je suis parti courir. J'ai couru... 35 secondes! J'en étais presque malade. Mais j'ai trouvé ça libérateur.»

Seul problème, il se blessait sans arrêt. Il arrêtait. Puis recommençait. Et se blessait. Jusqu'à ce qu'il trouve sur l'internet ce qu'on disait de la course nu-pieds. «Ça m'a forcé à changer ma technique et à courir au bon rythme.»

Depuis ce temps-là, il a augmenté ses distances jusqu'à faire son premier marathon en 2010. Pas particulièrement rapide: 4h15. Mais il ne se blesse plus. Et court des ultramarathons (50, 80 km, etc.). Et il a remis ses souliers. «Au Québec, on n'a pas vraiment le choix.»

Il a commencé à tenir un blogue sur la course (Flintland). Et un beau jour, un certain Micah True a demandé d'être son ami Facbook. Il avait lu Born to Run et n'en revenait pas. True ne répondait jamais à ses questions. Mais un beau jour, l'invitation est arrivée: viens donc courir au Copper Canyon avec nous.

Il est parti cinq semaines d'avance. Avion, train, autobus, le voilà dans Bauichivo, village perdu, au mois de février. Caballo Blanco est dans un ranch des environs, par hasard.

«Tu fais quoi demain? Je vais te montrer les environs.»

«Il m'a dit qu'il allait courir 40 km, je n'étais pas prêt, mais va donc dire non à Caballo Blanco. Il court avec une force incroyable, avec une foulée courte, en lançant sa bouteille d'une main à l'autre. Il ne ralentit jamais dans les montées. Il respire fort comme un train à vapeur.»

Il a vécu cinq semaines avec lui, à ne jamais trop parler. Mais à tout partager. Il lui a présenté les gens des villages, qui l'accueillaient en frère. «Ils jouaient du tambour pour son arrivée. Il n'essayait surtout pas d'être un guide touristique. Il n'amenait jamais personne là-bas.»

Arrivé là avec sa montre GPS, ses gels et ses théories, Bourdeau est revenu avec un bracelet en laine, un esprit libéré des performances et aucune envie de mesurer ses temps.

«Il ne me faisait pas de remarques. Il avait une philosophie qui tenait en deux mots: run free. Cours en liberté. Va dehors. Respire. Fais ce que tu aimes sans compter tout le temps.»

***

Un jour, il aperçoit les vieux Saucony de True dans son camion, troués de partout. «J'ai pris une aiguille, des patchs de matelas gonflable et, pendant une demi-journée, je les ai réparés sans lui dire. Il m'a pris dans ses bras. Le fabricant lui en a envoyé des nouveaux depuis...» Le jour de la course, il faisait 38 degrés. Bourdeau a fini parmi les derniers, en 15 heures (le gagnant fait ça en sept heures 20 minutes). «J'ai juste vécu une journée extraordinaire, dans un endroit où la course est au coeur de la culture depuis toujours.»

Trois semaines plus tard, Micah True est disparu pendant une de ses courses dans le canyon. On l'a retrouvé deux jours plus tard. On suppose qu'il a eu un malaise cardiaque dû à une malformation. Il avait eu le temps de s'étendre sur le dos, les pieds dans la rivière, et regardait le ciel.

Et dans les pieds, au lieu de la nouvelle paire, ses vieux souliers «patchés» par François Bourdeau.

 


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Desjardins :

meilleure entreprise citoyenne du Canada

Isabelle Massé, La Presse(12-06-12)

Parce qu'il offre un rabais de 15% sur les primes d'assurance pour les véhicules hybrides, parce que le ratio de la rémunération de la 619-1présidente (Monique F. Leroux) par rapport au salaire moyen des employés est l'un des plus bas du milieu, en raison de son programme de covoiturage et du programme d'encouragement pour utilisation des vélos BIXI, le Mouvement Desjardins a remporté la première place au classement des 50 meilleures entreprises citoyennes du Canada du magazine Corporate Knights.

«En cette année internationale des coopératives, Desjardins entend garder le cap sur la prospérité durable de ses 5,6 millions de membres et de leurs collectivités, que ce soit en renforçant notre expérience membre, en réduisant notre empreinte écologique ou en innovant dans la gouvernance démocratique de notre réseau de caisses», souligne Monique F. Leroux (notre photo) dans un communiqué.

Les deuxième et troisième positions du classement sont aussi occupées par des coopératives, soit la Vancouver City Savings et Co-operators Groups.

Le CN, la Banque Royale, Mountain Equipment Co-op, Hydro One, Enbridge, First Quantum Minerals et Banque HSBC Canada complètent le tableau des 10 premières positions.

 


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Le capitalisme sauvage existe-t-il?

Claude Chiasson, Le Devoir (09-06-12)

Oui, je vous lis (parfois de biais, lorsque vos chroniques sont trop problématiques et trop techniques pour moi), mais non par besoin, car nous, ma très chère épouse et compagne de vie, Denise, et moi, sommes des gens de conditions matérielles fort modestes. Situation avec laquelle nous composons du mieux que nous pouvons. J’ai une question pour vous.

Est-il exact qu’un capitalisme dit « sauvage » existe ? Si oui, êtes-vous en mesure de nous donner les caractéristiques d’un tel capitalisme ? Et quand un capitalisme dit « sauvage » le devient-il ?

G. B.

Des enfants exploités au travail, des salaires de famine, des journées de travail de 16 heures, des conditions de travail insalubres et dangereuses, tout cela pour que des propriétaires d’entreprise s’en mettent plein les poches, voilà le capitalisme sauvage. Ce type de capitalisme sauvage n’existe plus dans les pays développés.

Chez ces derniers, si capitalisme sauvage il y a, il se trouve essentiellement cantonné dans le secteur de la haute finance. Les marchés financiers sont aujourd’hui complètement dénaturés. Dans ces marchés, les institutions financières créent sans cesse de nouveaux produits dits dérivés de tout acabit, des produits liés à des indices, à des denrées, à la qualité de l’air, à la volatilité des Bourses, à des hypothèques à haut risque, etc.

Des produits conçus pour accroître les volumes de transactions sur lesquelles les institutions financières perçoivent de généreuses commissions pour payer des dizaines de millions de dollars en prime à leurs gestionnaires. Des produits structurés de manière à accroître l’effet de levier à outrance. C’est ainsi que des banques ont pu faire passer leur effet de 10 $ d’actif pour 1 $ de capital à 18 pour 1, à 28 pour 1 (dans le cas des banques américaines avant la crise financière de 2007) et à 40 pour 1 ou plus dans le cas de certaines banques européennes.

Des produits sur lesquels les institutions financières spéculent pour engranger des profits rapides et élevés, mais non sans grands risques. La banque d’affaires américaine JP Morgan nous l’a montré il y a quelques semaines en dévoilant des pertes-surprises de 2,5 milliards $US (qui atteindront probablement 5 milliards) à cause de positions prises sur des produits dérivés.

Certaines banques vont même jusqu’à spéculer tout en mettant en danger l’épargne de leurs clients.

Voilà le genre de capitalisme sauvage que nous vivons depuis maintenant 20 ans. Un capitalisme sauvage certes confiné au marché financier, mais qui a des impacts sur l’économie réelle. D’abord par les iniquités produites en concentrant la richesse dans les mains d’une minorité constituée surtout de financiers, des financiers qui n’ont rien ajouté à l’économie réelle. Car la spéculation ne fait que déplacer l’argent entre les individus. Ce que le spéculateur gagne, il le gagne au détriment d’un autre qui le perd. C’est tout.

Il y a pire. Les produits dérivés créés ne tiennent pas la route. Conséquence : lorsque ces spéculateurs perdent trop, les gouvernements doivent alors intervenir ; et parfois ils se saignent à blanc pour sauver des institutions financières, comme ce fut le cas en Irlande et en Grèce et comme cela est en train de se produire en Espagne. Et cela se fait avec l’argent des contribuables.

Notez que ces contribuables ont aussi profité de cette situation pendant de nombreuses années, en achetant des propriétés qu’ils n’auraient pas pu considérer sans la largesse des institutions financières, en achetant des voitures de luxe à petites mensualités, etc. La récréation s’est terminée pour plusieurs d’entre eux avec la crise financière débutée en août 2007.

Voilà le capitalisme sauvage qui sévit actuellement. Ce capitalisme aboutit à des déséquilibres qui risquent de faire basculer l’économie mondiale dans une profonde récession. En Grèce et en Espagne, ce n’est pas une récession mais une véritable dépression qui sévit actuellement.

À ce capitalisme sauvage de la finance se greffe le courant de la mondialisation porteur du grand choc des mains-d’oeuvre, celle bien payée de l’Occident contre celle au rabais des pays émergents. Ce choc se traduit par la disparition chez nous de centaines de milliers d’emplois manufacturiers, creusant du coup l’écart de richesse entre la classe moyenne et celle des riches.

Pour le moment, les gouvernements ont pu éviter le pire en imprimant directement de l’argent à coup de 1000 milliards de dollars aux États-Unis et en Europe. Espérons qu’ils pourront continuer ainsi le temps de donner le coup de barre nécessaire afin de juguler ce capitalisme sauvage encore très présent dans le secteur financier et de corriger les déséquilibres provoqués par la mondialisation et le choc des mains-d’oeuvre.

619-9619-10

 


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Vousvoulez que BW continue?

Envoyez un courriel à M. Bernard Roy

ROYB@ecolecatholique.ca

Dites simplement

''BON Weekend''

Paul et Marc

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8 juin 2012

Vendredi le 8 juin. Vol. 6, no. 18

labibfranco.canalblog.com

 

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Internet - Sordide 2.0

Marie-Andrée Chouimard, Le Devoir (07-06-12)  

L'horreur en direct, filmée par le présumé tueur Luka Rocco Magnotta, circule encore sur la Toile, et ce, malgré le fait que la distribution de la fin cruelle de l’étudiant Jun Lin contrevienne clairement à l’article 163 du Code criminel portant sur le caractère obscène de l’exploitation de la sexualité, du crime, de l’horreur et de la cruauté. Mais là où elle est espérée, la matraque de la loi et l’ordre s’agite bien mollement.

Les scènes terribles vues par un trop grand nombre nourrissent une curiosité morbide, et par ricochet l’industrie de l’atrocité. La charge virale de la vidéo maudite mêlant décapitation, démembrement et nécrophilie a touché plus vivement que les autres la génération abonnée à cette vie cybernautique. Dans les cours d’école et même le secret de la classe, des yeux mi-fascinés mi-horrifiés ont vu l’indicible, comme en témoignent ces jours-ci des enseignants décontenancés par le « hit » qu’a fait cette morbidité extrême.

 

Paradoxalement, en voulant savoir, les curieux satisfont l’objectif du metteur en scène-acteur-tueur. De multiples empreintes laissées sur ce monde sans frontières qu’est l’Internet le montrent depuis des années superstar de lui-même, avide d’une attention peut-être jamais reçue. Il a éliminé des chatons de manière abjecte sur vidéo, créé de multiples avatars sur autant de pages Facebook, voulu participer à une téléréalité porno, même confié sans ambages un goût pour la mort et l’envie de s’y plonger.

 

 

 

Ces meurtres sordides ne sont pas nés avec l’univers 2.0 ni non plus d’ailleurs la fascination malsaine qui a poussé des consommateurs à appuyer sur le clic diabolique. Mais l’accès facile à ces images, sans effort, sans même la volonté, est nouveau. Combien de jeunes ont vu apparaître sur leur page Facebook la vidéo du meurtre de Jun Lin recommandée par un « ami » ?

 

On peut se désoler de cette vie par procuration sur Internet, mais surtout, ne pas s’en étonner. Avec quel naturel désarmant une portion de la génération Facebook mélange maintenant la vie virtuelle avec le cadre de la réalité ! N’a-t-on pas vu récemment un jeune tabassé être entouré de vidéastes en herbe qui ont songé d’abord à filmer la violence avant de secourir la victime ? Troublant pêle-mêle dans lequel la banalisation du sordide a englouti au passage le bon jugement, celui qui aurait dû empêcher la mise en ligne de cette vidéo dégradante, celui qui aurait dû empêcher l’auditoire d’y succomber.

Cet événement est troublant à plus d’un égard. La nature du crime laisse pantois. La mise en scène orchestrée par le présumé tueur afin de tourner le regard de la planète sur lui est tordue. La « normalité » qui se dégage de l’accès si facile à cette horreur contribue à banaliser le drame. Tant que cela reste impuni, la banalité risque de conduire à l’insensibilité. 


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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En français S.V.P.

Guy Charron, La Presse (04-06-12)618-5

Selon les derniers constats de l'Office québécois de la langue française, 43% des francophones ne demandent pas d'être servis en français lorsqu'on les aborde en anglais dans les commerces.

C'est assez honteux et même incroyable. Mais pour l'avoir constaté souvent à Montréal, je crois malheureusement que cette donnée est véridique.

On ne peut pas blâmer le gouvernement, le maire, les anglophones, le «système» ou sa belle-mère quand on est seul devant ce commis qui nous parle anglais et qu'on poursuit la conversation en anglais pour ne pas lui déplaire, ou comme certains diront timidement, «pour pratiquer mon anglais» !

C'est facile d'être courageux «en gang», mais seul devant un commis, 43% des francophones s'écrasent lâchement et se soumettent de vivre ce moment en anglais.

Ces 43% sont bien braves en groupe, ou dans leur salon avec des amis ou dans leur cuisine en famille, ou sur l'internet de façon anonyme, mais ils sont sans une once de courage et incapables de dire simplement et poliment au commis «parlez-moi en français s.v.p.» ! Ils fondent!

Pourtant, c'est facile, c'est simple et ça marche presque toujours. Et vous prendrez confiance en vous!

Il ne sert à rien d'être agressif et impoli avec le commis. Le simple fait de dire «en français s.v.p.» à ce commis est immensément courageux et important pour le respect de notre langue.

De plus, le commis est là pour vous servir dans votre langue, le français, même si vous parlez les deux langues.

Le bénéfice du bilinguisme n'est pas de se faire servir en anglais chez nous. On n'apprend pas l'anglais pour cela.

Pensez-vous que les Allemands, les Espagnols, les Italiens se font servir chez eux autrement que dans leur langue maternelle pour acheter un journal ou une chemise, même s'ils maîtrisent bien l'anglais?

Le respect commence par soi-même et le respect implique une petite dose de courage individuel.

Ce n'est pas la faute du gouvernement ou du maire Tremblay si vous manquez de courage pour vous faire servir en français. Il suffit de le demander au commis. 

Essayez-le cette semaine, faites le test de vous faire servir en français par ce commis qui vous adresse la parole en anglais et vous grandirez! Montréal et le Québec aussi grandiront avec sagesse et confiance, si tout ce 43% le fait.

La vraie définition du courage est de se faire respecter chez soi dans sa langue.

Sans tambours, ni trompettes, juste un peu de courage personnel, un citoyen averti à la fois!

Soyez un citoyen courageux plutôt que de vous écraser comme un citoyen francophone soumis et inférieur. Le vrai courage d'être francophone au Québec dans cette grande Amérique du Nord, c'est cela!

N'oublions jamais que comme francophones, nous représentons à peine 2% de ce grand continent. Se battre pour notre langue est un peu le devoir de chacun. Je mets ce fameux 43% au défi d'essayer de simplement dire «en français, s.v.p.» très poliment avec le sourire.

On peut déplacer des montagnes avec de l'intelligence et de la courtoisie. La langue des commerçants est l'argent. Achetez seulement en français et ils vendront leurs marchandises en français, c'est la loi du commerce.

Ce contrôle vous appartient, pas au commerçant. 


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Des sondages

contradictoires? 

Bertrand Gagnon, Le Devoir (04-06-12) 

En février, au début du conflit étudiant, les sondages d618-1onnaient une forte majorité en faveur de la hausse des droits de scolarité, soit 68 % contre 32 %. Cela manquait de nuance parce qu’il n’y avait que deux choix proposés, soit la hausse ou le gel des droits de scolarité.

Dans le sondage CROP/Radio-Canada du 25 mai dernier, quatre choix étaient proposés. L’abolition des droits de scolarité obtenait 11 % d’appuis, le gel 13 %, l’indexation au coût de la vie 45 % et l’augmentation 27 %. Une hausse des droits obtenait donc l’appui de 72 % de la population, mais la majorité des gens favorables à la hausse préféraient l’indexation à la hausse prévue par le gouvernement.

Si l’on résume, il y a 27 % de gens favorables au gouvernement (hausse rapide) et 69 % défavorables (gratuité, gel et hausse modérée). Il reste 4 % de gens qui ne savent pas ou ne se prononcent pas.

Le lendemain (samedi 26 mai), La Presse rapportait que la majorité était favorable au gouvernement sur la question des droits de scolarité, soit 64 % contre 36 %. Pourtant, il s’agissait aussi d’un sondage CROP qui semblait contredire un autre sondage CROP. La maison de sondage CROP est sérieuse.

Comment se fait-il que l’appui au gouvernement soit de 64 % dans un sondage et de 27 % dans l’autre ? Le problème vient dans la question qui n’avait que deux volets. Êtes-vous en faveur de la position du gouvernement (hausse des droits de scolarité sur sept ans) ou celle des étudiants (gel des droits de scolarité) ? Ce sondage ne s’adressait qu’à une minorité, soit ceux qui préfèrent un gel (13 %) ou une hausse rapide (27 %). Qu’ont répondu ceux qui sont favorables à la gratuité (11 %) ou à une hausse modérée (45 %) ?

Vision simpliste

La vie n’est pas un western, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. C’est un peu la vision simpliste qu’avait George W. Bush lorsqu’il disait : « Vous êtes avec moi ou contre moi. » La réponse est peut-être simplement ni l’un ni l’autre. Étant favorable à une hausse modérée (indexation au coût de la vie) des droits de scolarité, j’aurais répondu ni l’un ni l’autre à la question telle qu’elle était formulée par La Presse. Pourtant, dans ce sondage, il n’y a aucune abstention.

Durant la crise, plusieurs observateurs ont eu cette vision simpliste. Ainsi, si on n’appuyait pas le gouvernement, on était pour la violence. Certains ont même affirmé que ceux qui portent le carré rouge étaient pour la violence. Personnellement, ce que j’ai vu dans ce conflit, c’est que la très grande majorité est contre la violence. J’ai vu aussi de la violence, mais de chaque côté.

Malheureusement, c’est souvent ce qui arrive lorsque les choses traînent et que des observateurs ont une vision simpliste. Les éléments radicaux en profitent. En suivant cette même logique, certains observateurs ont conclu qu’une minorité (les méchants) avait pris en otage la majorité (les bons) !

C’est avec cette vision simpliste que certains observateurs ont mentionné qu’à l’issue du conflit, il devait y avoir un gagnant et un perdant alors qu’il n’y a pas beaucoup de gagnants lorsque les choses traînent. Pour certains, en négociant, le gouvernement aurait perdu. Le gouvernement a peut-être perdu, mais les étudiants ont beaucoup perdu aussi.

Le malentendu du départ

Depuis le début du conflit, la stratégie du gouvernement semble avoir été de croire qu’il n’y avait rien à négocier puisqu’une forte majorité de la population l’appuyait. Mais 68 % de gens étaient-ils vraiment derrière lui ? On peut en douter.

Mais le gouvernement, se croyant fort de l’appui d’une majorité de la population, n’a pas cru bon de négocier quoi que ce soit. En réalité, il n’avait l’appui que de 27 % de la population.

Induits en erreur par des sondages imprécis, beaucoup de gens ont ainsi, de bonne foi, appuyé le gouvernement en se basant sur le fait que la majorité était favorable à la hausse.

Les fédérations étudiantes veulent la gratuité ou le gel des droits de scolarité, ce qui rejoint environ le quart de la population (11 % pour la gratuité et 13 % pour le gel). De son côté, le gouvernement veut faire du rattrapage avec une hausse rapide, ce qui rejoint aussi environ le quart de la population (27 % pour une augmentation). Chacune des parties ne bénéficiant que de l’appui d’une minorité de la population, elles devront mettre un peu d’eau dans leur vin pour arriver à une entente.

Si les deux parties semblent plus préoccupées du bien paraître que du bien qu’elles devraient apporter à la société en négociant sérieusement, il n’y aura pas de solution. En restant sur leurs positions, elles perdent, à mon avis, bien plus la face que si elles négociaient intelligemment.

Les étudiants, à la rigueur, ont le droit d’être immatures (ce qui ne veut pas dire que l’on doit tout leur passer) car ils sont jeunes et ceci explique peut-être cela, mais on attend alors de nos dirigeants d’agir avec un peu plus de circonspection et d’essayer de trouver des solutions alternatives plutôt que de s’entêter à leur tour en attendant que ça s’arrange tout seul. En fait, c’est même pour cela qu’ils sont élus, essayer de résoudre les problèmes plutôt que de laisser pourrir les choses.

Pour l’année scolaire qui vient, on pourrait résoudre la crise en indexant au coût de la vie les droits de scolarité, ce qui satisferait la majorité de ceux qui sont favorables à une hausse.

Pour les années suivantes, on devrait tenir des états généraux sur la place de l’éducation dans la société et son financement. C’est sans oublier les efforts qui pourraient être consentis pour examiner l’efficacité avec laquelle nos institutions d’enseignement sont dirigées.


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Jack Lang dénonce une

mesure injuste et violente

Christian Rioux, Le Devoir (03-06-12) 

L’ancien ministre français de l’Éducation et de la Culture Jack Lang a dénoncé hier la hausse des droits de scolarité et apporté son soutien au combat des étudiants québécois. Selon l’ancien ministre de François Mitterrand, qui demeure l’une des personnalités politiques les plus populaires de France, cette hausse est une mesure injuste et violente. 

« J’aime beaucoup le Québec. C’est un pays qui a fait tellement de choses pour la langue française et pour la culture. Pour moi, c’est un pays de grande civilisation. Je suis d’autant plus étonné que le gouvernement du Québec ait pris une décision aussi injuste à l’égard des étudiants. Imposer des droits d’inscription aussi élevés, c’est une mesure presque violente. »

L’ancien ministre socialiste, joint hier dans les Vosges, s’en prend aussi à la loi 78 qui limite le droit de manifester. « Le Québec est un pays de liberté. Je ne peux pas comprendre que des mesures répressives aussi draconiennes soient prises contre les étudiants et contre les manifestants. Il semble qu’il y ait aussi eu parfois des actes un peu durs de la part des forces de l’ordre vis-à-vis des étudiants. C’est attristant et je me sens totalement solidaire des étudiants. »

L’ancien ministre de l’Éducation affirme que, lorsqu’il était ministre, jamais il n’aurait adopté de telles mesures. « Je considère que l’on doit favoriser autant que possible l’égalité d’accès au savoir quelle que soit l’origine sociale au lieu d’établir des discriminations par l’argent. » Il se dit d’autant plus déçu que, jusque-là, dit-il, le Québec s’était démarqué du modèle américain. « Ce n’était pas la philosophie du Québec, quels qu’aient été les gouvernements. Dans le passé, le Québec avait mené des politiques exemplaires en matière d’accès à la culture, à l’école, à l’université. Il avait réussi à sauvegarder une identité en Amérique. Il était un modèle de résistance culturelle, intellectuelle et politique. Quand on est un ami du Québec, on est vraiment attristé. »

Lorsqu’on lui demande où il trouverait l’argent pour financer les universités, il répond que « c’est un choix politique, un choix de société. Si l’école, l’université et le savoir sont la base d’une société, il faut un effort national, collectif et assurer l’égalité d’accès des élèves et des familles ». 

Fin connaisseur du Québec, l’ancien ministre semblait à la fois étonné et attristé des événements récents. « Je soutiens les étudiants québécois. Il faut tout faire pour trouver un compromis. J’espère que le gouvernement va entrer dans une vraie négociation avec les étudiants », dit-il.


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Les sacres du printemps

Insultes, injures, et gros mots exultent dans la rue

Catherine Lalonde, Le Devoir (02-06-12)  

Les percussions sur casseroles, qu’on entend depuis les618-2 alentours du 20 mai, n’enterrent pas tout. Depuis le début de la crise fusent des slogans pas piqués des vers : « La loi spéciale / On s’en câlisse », « Charest / Ta yeule / On peut s’crosser tu-seuls » ou « Charest / Salaud / Le peuple aura ta peau ». Sur les pancartes, s’affichent en majuscules et caractères gras des « Charest va chier », « Citoyens en tabarnak », « Fuck la hausse » et autres « Décâlisse ». Insultes, injures, invectives et gros mots exultent, sans que les bouches soient passées au savon. Zoom sur les langues sales des manifestations.

Petit ménage de printemps, pour mieux jongler ensuite dans ces tournures pleines de sève. Dans la rue poussent les insultes « qui disqualifient autrui, comme si on dit, par exemple, « Charest est un dictateur », illustre au hasard la sociolinguiste et spécialiste de l’agression verbale Diane Vincent. L’injure, elle, qualifie négativement l’adversaire. On s’attaque à l’autre plutôt qu’à ses idées, en le traitant de « corrompu » ou de « crosseur ». Finalement, le bon vieux sacre, québécisme hyperconnu : gros mot ou juron, il est nom commun, invective, verbe, adjectif, adverbe, polymorphe selon les besoins, toujours amplificateur d’intensité. 

« Je n’ai pas l’impression que ça sacrait autant pendant les manifs avant Octobre 1970. Le sacre était encore tabou à l’époque », indique la professeure à l’Université Laval. Dans le documentaire Taire des hommes, sur le lundi de la matraque de 1968, Jacques Lanctôt s’étonnait d’ailleurs du langage peu chrétien des policiers. « Le sacre s’est démocratisé après la Révolution tranquille. [Le groupe d’humoristes] Les Cyniques ont été les premiers à utiliser des sacres dans leurs shows, qui n’étaient, pour cette raison, pas diffusés à la radio ni à la télévision », poursuit Mme Vincent. 

Ce serait la première fois au Québec qu’on trouve les sacres si nombreux sur la place publique. « Les voir autant, en grosses lettres, on n’est pas habitué. On continue à les utiliser davantage en privé. Sur les pancartes, c’est comme un cri, ça fait sortir le méchant. On exprime la colère avec tous les moyens dont on dispose, et ces moyens relèvent toujours de la transgression. » 

Dominique Garand est spécialiste des polémiques littéraires. « De la Conquête à aujourd’hui, je n’ai pas trouvé ici beaucoup d’injures équivalentes à ce qu’on peut voir en France, quand Céline traite Sartre de ténia, par exemple. Pierre Falardeau est peut-être celui qui en a joué le plus. » Le professeur à l’UQAM n’est pas étonné de ce souffle de sacres. « La manifestation n’est pas un lieu de discussion : c’est un rassemblement où on cherche à créer une énergie, pas une discussion. Ce langage ne conduit pas à la pensée : on y trouve l’émotion, l’expression d’une humeur, une volonté, un positionnement. En ce sens, c’est une forme d’engagement. Et il ne faut pas oublier la dimension humoristique, libératrice. C’est rigolo. » 

La poésie, toujours comme une scoute prête à varloper la parole, inclut depuis belle lurette sacres et injures à ses vers. Qu’on pense au Mal au pays de Gérald Godin, en 1975, qui chute sur « jériboires d’hosties toastées/de sacraments d’étoles/de crucifix de calvaires/de trous-de-cul/j’ai mal à mon pays/jusqu’à la fin des temps. » Ou à l’Ode à l’ennemi de Claude Gauvreau, déboulant en un « cochons de crosseurs de fréchets de cochons d’huiles de cochons de caïmans de ronfleurs de calices de cochons […] » quasi interminable. 

Aveu d’impuissance

Dans une crise sociale, que signifie le recours à la parole vernaculaire ? « L’injure est un aveu d’impuissance dans la discussion, précise Dominique Garand. Elle peut être symptôme d’une carence d’arguments, d’un déséquilibre dans le rapport de force, d’une agression qui appelle une dénonciation puissante. L’injure signale que la discussion a basculé du côté des rapports de force. Elle est souvent l’arme du faible : le manifeste du Front de libération du Québec injuriait Trudeau, et ce dernier pouvait répliquer avec la Loi sur les mesures de guerre en poursuivant son discours paisible. » 

Arme du faible, l’injure ? Ne voit-on pas en boucle sur les réseaux sociaux certains membres des forces policières en tartiner allégrement leurs interventions, à coups « d’ostie de vidange » et d’antinomique « ti-criss d’obèse » ? (voir la lettre de Benoît Jutras en page B 5) « La société doit refuser qu’en position de pouvoir, on injurie le dominé. Le policier ne devrait pas avoir le droit d’utiliser ce type de langage. Ça ajoute à la force du coup de matraque, ou de l’arrestation, et ça le justifie : l’injure fait partie du processus de déshumanisation de l’autre. Une fois qu’on s’est convaincu qu’il est une larve, le débordement est facile. Certains agents de la paix perdent leur fonction. Sur le plan éthique, le fait de préserver une limite langagière pourrait peut-être, en théorie, limiter les dégâts de force physique. » 

Et les manifestants qui sacrent et injurient ? Ils ne sont pas en position de force. Ils sont en colère et ne sont pas entendus. « Il y a toujours un calcul stratégique dans l’utilisation de l’injure, une question de distance à considérer. Si j’avais à l’époque traité George Bush de trou de cul, ç’aurait eu peu d’impact. » Plus la distance est grande, plus le langage peut gonfler. On peut penser que plus le gouvernement refuse d’entendre le roulis des casseroles, plus la colère risque de s’exprimer par des extrêmes langagiers. Et comme le citoyen qui tape son chaudron n’est pas en dialogue avec Jean Charest, « la fonction de l’injure se limite à créer une communion dans la haine - on le voit aussi sur Facebook - avec le vague espoir que la communauté détestante s’élargira jusqu’à devenir une réelle menace politique. La crise actuelle démontre qu’un rassemblement de 200 000 personnes et plus n’est même pas suffisant pour ébranler le pouvoir. » 


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Les défenseurs des

libertés civiles accentuent

leur opposition

Fabien Deglise, Le Devoir (04-06-12) 618-3

C’était à l’origine un simple traité international visant à unir les États contre le piratage et la contrefaçon. C’est en train de devenir la bête noire des défenseurs des libertés civiles.

Depuis quelques jours, l’opposition a repris de plus belle contre l’Accord commercial relatif à la contrefaçon (connu sous l’acronyme anglo ACTA, pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement), alors que l’Union européenne (UE) poursuit l’examen de ce document en vue de sa prochaine ratification.

Mouvement de foule en ligne, appels lancés à descendre dans les rues des grandes métropoles européennes samedi prochain, duels de députés européens, coup d’éclat dans quelques parlements nationaux, dont celui de la Pologne et des Pays-Bas où le rejet de l’accord signé par l’UE a été évoqué… six mois après son adoption par une trentaine de pays, dont le Canada, les États-Unis, l’Australie et 22 des 27 composantes de l’Union européenne, les craintes face à ce traité, négocié dans l’ombre, peinent toujours à se dissiper malgré les tentatives de réhabilitation du document amorcé en Europe tout comme au Canada. Et les détracteurs d’ici et d’ailleurs comptent désormais sur le poids de l’opposition qui s’organise dans les vieux pays pour faire capoter sa ratification et surtout pour faire émerger le même genre de mouvement en Amérique du Nord.

« L’ACTA soulève des questions importantes sur la question des droits d’auteur, sur la libre circulation du savoir et les libertés individuelles dans les univers numériques », résume Olivier Charbonneau, bibliothécaire à l’Université Concordia qui suit de près l’évolution de ce traité international. Il est également blogueur. Son espace en ligne se nomme Culturelibre.ca. « C’est un sujet complexe, difficile à cerner pour la plupart des gens, mais ce n’est pas une raison pour y être indifférent ».

L’avis est partagé par des centaines de groupes dans le monde versés dans la gestion des archives, dans celui du patrimoine écrit, dans la protection des droits numériques des internautes ou encore dans la défense d’une certaine neutralité de la Toile qui s’inquiètent de la teneur de ce document qui, malgré les appels à la prudence, poursuit sa marche vers une ratification. Six des trente signataires doivent l’adopter pour qu’il entre en vigueur. Aucun ne l’a fait pour le moment.

L’évolution de l’ACTA est pour le moins étonnante. À l’origine, ce traité international, initié par l’administration de George W. Bush en 2007 visait principalement à harmoniser les législations nationales afin de faciliter la lutte contre la contrefaçon et le piratage à des fins de commerciales, une activité en phase ascendante un peu partout sur la planète. Le respect de la propriété intellectuelle, et des produits de consommation y étant assujettis, était alors au coeur de cet exercice législatif mondial, tout comme d’ailleurs, la lutte contre les faux médicaments et les contenus culturels (principalement américains) piratés à la source et distribués sur le Net.Louable au demeurant, l’ACTA, avec ses 45 articles, n’a toutefois jamais réussi à convaincre, en raison entre autres de l’aura de mystère qui a entouré son élaboration. « C’est un traité qui va avoir des incidences sur les législations de chaque État, qui va modifier la vie des gens et qui, pendant trois ans, s’est mis en place dans le plus grand secret, rappelle M. Charbonneau. Quand on parle de modifier le cadre du droit d’auteur, quand on souhaite transformer ce marché qui affecte plusieurs personnes, il faut que cela se fasse dans la plus grande transparence ». Une transparence acquise en octobre dernier dans les pays ayant signé l’accord et où le document s’est alors retrouvé dans l’espace public. Sans finalement rien changer à la méfiance.

La critique reste féroce surtout en raison de la présence de l’article 27 du traité perçu par les détracteurs de l’entente comme une composante liberticide qui va à terme encourager une certaine répression sur le Web en transformant au passage les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en collaborateur du pouvoir, selon eux. On résume : cette disposition ordonne en effet « à un fournisseur de divulguer rapidement au détenteur du droit [de propriété intellectuelle] des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné » que l’on soupçonne d’enfreindre ce droit, peut-on lire. Or, cette notion d’infraction demeure « vague » et « sujette à l’interprétation », disent-ils. Quant à la question du « piratage portant atteinte à un droit d’auteur ou à des droits connexes, commis à l’échelle commerciale », l’absence de précision là aussi ouvrirait la porte aux dérives. 

Bref, le texte serait porteur d’un « grand flou, qui laisse une trop grande marge de manoeuvre aux États membres dans son application », dénonçait en avril dernier dans les pages des Échos en France le député européen François Castex. Marge qui pour Jérémie Zimmermann, du groupe de pression pro-liberté numérique la Quadrature du Net, pourrait se traduire « par des mesures de filtrage » au profit des pouvoirs économiques et aux dépens des utilisateurs. 

« L’influence des lobbies est facilement perceptible derrière ce texte », dit M. Charbonneau, et bien sûr, pour le monde des bibliothèques et des archives [qui ne cesse de sonner l’alarme en évoquant entre autres la criminalisation du contournement des verrous numériques], cela va avoir des conséquences. « L’ACTA pourrait tuer les bibliothèques et les archives tout en mettant un frein à la circulation du savoir. Nous sommes dépositaires d’une quantité phénoménale de contenus dans nos collections, contenus que nous essayons d’inscrire dans les univers numériques, afin d’en faciliter leur diffusion. » Or, si cette diffusion, selon lui, se fait toujours dans le respect de droit d’auteur, elle nécessite aussi des exceptions que l’ACTA n’a pas l’air d’avoir prises en compte. 

Du côté d’Ottawa toutefois, les critiques ne semblent pas émouvoir le gouvernement Harper, qui a indiqué la semaine dernière au Devoir vouloir continuer « d’oeuvrer de concert avec ses partenaires internationaux en vue de la ratification de l’ACTA », a résumé Caitlin Workman, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle rappelle que, pour le Canada, cet accord vise à instaurer un « régime qui va assurer une forte protection des droits de propriété intellectuelle essentiel à toute économie du savoir », et ce, pour « favoriser l’innovation, attirer les nouveaux investissements et stimuler la croissance économique ». 

 


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Ni le savoir, ni le voir

Stéphane Laporte, La Presse (02-06-12)

Je n'ai pas envie de connaître tous les détails de l'affaire Magnotta. Pas envie d'apprendre comment le démembreur a découpé sa victime. Ça m'écoeure. Pas dans le sens de lever le coeur. Au contraire. Ça me le descend au plus bas, au plus sombre de l'âme humaine.  

Le grand Deschamps disait: «On ne veut pas le sawouère, on veut le wouère!» Moi, je ne veux pas le sawouère, et je ne veux surtout pas le wouère!  

Je ne comprends pas les milliers de personnes qui se sont empressées d'aller regarder, sur le Net, la vidéo du sordide meurtre. Ce n'est pas un clip de Marilyn Manson, ce n'est pas Freddy 13e partie, c'est la mort d'un homme. Un vrai homme. Le plaisir du sadique, c'est justement que l'on regarde son film. C'est pour ça qu'il a commis cette ignoble chose. Peut-on se garder une petite gêne? Peut-on faire plaisir à quelqu'un d'autre qui le mérite davantage? 

Je n'ai pas envie de connaître tous les détails de l'affaire Magnotta, mais je vais les connaître quand même. C'est impossible d'y échapper.  

Avant, quand on ne voulait pas entendre parler d'un fait divers, on avait juste à ne pas écouter Claude Poirier; 10-4, c'était réglé. Maintenant tout le monde couvre les chiens et les humains écrasés, c'est la priorité. Le démoniaque Luka Rocco Magnotta a même volé la vedette à l'ange Gabriel Nadeau-Dubois. C'était la manchette principale sur toutes les plates-formes, sur tous les sites d'information.  

On ne nous épargne aucun détail. C'est tout juste si on n'invite pas le propriétaire d'Au pied de cochon pour faire une démonstration. Sur un petit veau, bien sûr.  

Il y a des nouvelles dégueulasses, parfois, auxquelles il faut faire face: les guerres, les famines, les catastrophes naturelles. Ça nous perturbe. Mais ça éveille notre conscience. Ça nous pousse à changer, ça nous pousse à aider. Les comptes rendus des accidents d'autos nous incitent à être plus prudents. Mais la connaissance des horreurs de Magnotta ne nous rendra pas moins susceptibles de nous faire dépecer. Ça ne nous apprend rien, si ce n'est qu'il y a de dangereux maniaques sur cette planète, mais ça, ça fait 4 millions d'années qu'on le sait.  

Admettons que c'est une nouvelle pertinente, parce que hors du commun. C'est faible comme argument, mais acceptons-le, pour l'exercice. Un coup qu'on la sait, est-ce qu'on peut passer à autre chose? Le mort ne peut pas être plus mort. Pas besoin d'en faire un feuilleton. De nous présenter la filmographie complète de Rocco, sa liste des bonnes adresses et ses photos Facebook. Pas besoin, non plus, de nous faire l'inventaire de toutes les autres affaires similaires. Pourquoi vouloir nous faire peur à ce point? Passons à autre chose. 

Je sais bien que si on le fait, si on étire la sauce, c'est parce que, contrairement à moi, il y a plein de gens fascinés par ces histoires d'horreur. Le répugnant est un «gros vendeur». Alors que faire pour protéger les coeurs sensibles comme le mien, sans frustrer les coeurs capables d'en prendre? 

Pourquoi ne pas parler des faits divers à la fin des bulletins? Racontez-moi la politique, racontez-moi le monde, racontez-moi le temps, racontez-moi le sport, et terminez avec la section criminelle. Comme ça je pourrais changer de poste en sachant tout ce que je voulais savoir. Dans la presse écrite, c'est plus simple, quand on veut éviter un sujet, on n'a qu'à tourner la page. Sur le Net, on n'a qu'à cliquer ailleurs. Mais à la télé et à la radio, on n'a pas le choix, il faut suivre l'ordre du bulletin. Et on ne me fera pas croire que les perversions d'un dérangé sont prioritaires. 

Comprenez-moi bien, il y a des faits divers qui deviennent des faits de société. L'affaire Guy Turcotte en est un malheureux exemple. Mais l'affaire Magnotta n'a pas cette portée. En tout cas, pas pour le moment. C'est une nouvelle spécialisée. C'est Allô-Police. Que ceux qui en sont curieux aient accès aux faits, mais que ceux qui ne veulent rien savoir puissent les éviter. 

Parce que lorsque l'on traite les émules d'Hannibal Lecter comme s'ils étaient la personnalité la plus hot de l'heure, tous domaines confondus, on ne fait que jouer leur jeu. On leur donne l'importance qu'ils recherchent en commettant ces actes. C'est malsain. 

Un peu moins de spectaculaire, un peu plus de pudeur s'imposent. 

Je sais qu'on est tannés d'entendre parler du conflit étudiant, mais il y a sûrement d'autres sujets moins désespérants... 

Qu'attend le Canadien pour nommer Patrick Roy? Et que ma ville retrouve, enfin, son sourire. 


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Écoutons-les!

Pierre Marc Tremblay, La Presse (02-06-12) 

618-4Plus le conflit étudiant s'est prolongé, plus on a entendu parler d'enfants-rois, égoïstes et trop gâtés, qui veulent tout et tout de suite. Leurs revendications n'ont aucune crédibilité, elles ne sont que l'expression d'une attitude «je, me, moi». 

Si là est la vérité, alors mea culpa. Je suis l'un des parents irresponsables qui ont formé ces enfants à qui tout est dû. Mais en réalité, je crois qu'il est plus que temps de s'élever au-dessus de ces clichés et de ces étiquettes superficielles. En persistant dans cette voie, on ne règle rien et on ne fait que renforcer les barrières générationnelles. 

Moi, je vois des jeunes qui ont des valeurs et qui les défendent avec conviction. Des jeunes qui s'insurgent contre le gâchis actuel. Bien au-delà de la hausse des droits de scolarité, ils dénoncent un monde aux inégalités grandissantes, dans lequel les institutions et les politiciens sont corrompus.  Ils sont révoltés par les activités antisociales et antienvironnementales, les crises économiques à répétition et les crises financières scandaleuses. Ils réclament une redéfinition des règles de notre communauté, une plus grande justice sociale, une meilleure répartition de la richesse collective, la fin du gaspillage, des mensonges et des demi-vérités. Ils remettent en question la société dans laquelle ils ont grandi. Ils ont des rêves et des ambitions. Peut-on vraiment les blâmer? N'avons-nous pas été jeunes nous aussi? Chaque nouvelle génération ne cherche-t-elle pas à corriger les erreurs de la précédente, tout en profitant de ses bons coups? 

Dans nos restaurants, dont certains souffrent davantage du conflit, nous employons beaucoup d'étudiants. Nous n'avons jamais été surpris de leurs exigences. Avant eux, nous avons prôné un meilleur équilibre entre le travail et le plaisir, les horaires flexibles et la possibilité de travailler à l'extérieur du bureau. 

Il n'est donc pas étonnant que pour ces jeunes branchés sur la technologie, complètement ouverts sur le monde, indépendants et libres d'esprit, ces valeurs soient plus pertinentes que jamais. Ils ne peuvent plus se contenter du statu quo et de la routine. Ils refusent les structures archaïques et l'autorité hiérarchique rigide. Ils exigent plutôt un leadership inspirant, mouvant, organique, basé sur la compétence et l'ouverture. Et quand on le leur procure, ils s'épanouissent et développent rapidement leur autonomie. 

Au lieu de les juger, nous devrions nous réjouir. Nous les avons mieux élevés que nous le croyons et aujourd'hui, ils sont porteurs d'un changement qui est plus que nécessaire. Au lieu de les traiter avec condescendance, nous devrions être fiers d'eux. Ils sont en train de nous sortir de notre torpeur collective. Au cours des dernières années, nous sommes restés plutôt passifs devant l'inacceptable. Aujourd'hui, les étudiants nous donnent le goût et l'énergie de faire ce qui doit être fait. 

L'heure est à la recherche du bien commun. Je dis au gouvernement et à tous les adultes que l'arrogance et le paternalisme ne devraient plus en aucun temps dicter notre comportement. 

Plus que jamais, il faut se parler et s'écouter, dans l'espace public et dans chacune des familles. Comme l'écrivait tout récemment l'auteur Stéphane Laporte, «un gouvernement a le devoir d'aimer sa jeunesse comme les parents ont le devoir d'aimer leurs enfants». Aimons cette nouvelle génération comme nous avons nous-mêmes souhaité être aimés de la génération qui nous a précédés.


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Lettre sur la philosophie

au collégial

Louis Cornellier, Le Devoir (02-06-12)

Cher Sébastien Mussi, Ayant moi-même rédigé, il y a quelques années, une Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial (Nota bene, 2006), j’ai lu avec intérêt votre ouvrage Dans la classe. Essai sur l’enseignement à l’heure de la réforme. 

Les réflexions et discussions sur ce que devrait être un bon enseignement de ces matières sont au coeur de ma vie. Je crois profondément à la nécessité de fréquenter la littérature et la philosophie pour mener une vie bonne. « On peut vivre sans philosophie, écrivait Jankélévitch, mais on vit moins bien. » Je fais mien ce credo. Or, sans l’école, sans les cégeps plus spécifiquement au Québec, la littérature et la philosophie demeureraient l’apanage de quelques privilégiés. Votre livre, que vous présentez comme celui d’un praticien sans prétention, aborde ces questions. Il était donc pour moi et pour tous ceux qui partagent le souci d’une vie vécue avec la culture. 

J’ai d’abord lu, dans vos pages, une grande inquiétude. Les cégeps, écrivez-vous, depuis quelques années, subissent une alarmante mutation. Sous la pression des forces du marché, ces établissements, conçus pour permettre « l’accès à une éducation supérieure de qualité égale pour tous » et à une culture générale, seraient devenus des structures « dont les objectifs principaux sont la rentabilité et la production de main-d’oeuvre pour des entreprises spécifiques […] aussi bien que pour ce qu’on appelle en général l’“ économie du savoir ”». Les cégeps, en d’autres termes, se seraient mis au service exclusif de l’économie, au détriment de leur mission culturelle. 

Je partage en partie votre inquiétude. Enseignant moi aussi dans un cégep, je constate la tendance au virage entrepreneurial dans ces établissements. Ils continuent, comme vous le notez, de se réclamer de la pédagogie humaniste, mais ils sont devenus obsédés par des principes de standardisation empruntés au monde de l’entreprise et par une logique de concurrence entre les établissements. Dans ces conditions, l’enseignement de la littérature et de la philosophie est soumis à une injonction à laquelle il ne peut se soumettre sans se trahir. Enseigner ces matières dans le but d’améliorer l’employabilité des étudiants n’a, en effet, pas de sens. Là-dessus, nous sommes d’accord. 

Pour illustrer la gravité de cette mutation que vous dénoncez, vous vous en prenez à ce que vous appelez « la réforme », qui a imposé, dans les cégeps, à partir de 1994, l’approche par compétences et l’approche dite « programme » (qui consiste à relier tous les cours suivis par un étudiant à son programme spécifique, c’est-à-dire, par exemple, à adapter les cours de philo pour infirmières en se centrant sur l’éthique de la santé). Même la littérature et la philosophie dans cette conception de l’enseignement, doivent s’inscrire dans une stricte logique utilitaire. Il y a là, c’est vrai, un danger. 

 Votre démonstration, toutefois, manque de rigueur, en ce qu’elle applique à l’univers collégial des critiques, souvent outrancières, formulées à l’encontre de la réforme du primaire et du secondaire. La vaste majorité des enseignants, au cégep, sont issus des filières disciplinaires (littérature, philosophie, mathématiques, etc.) et non de la filière pédagogique. Presque 20 ans après la réforme du collégial, la théorie socioconstructiviste (selon laquelle il revient à l’étudiant de construire lui-même son propre savoir dans une logique relativiste) ne trouve aucun défenseur dans le corps enseignant et l’approche par compétences n’a incité aucun professeur de littérature ou de philosophie à délaisser les connaissances et à s’enfermer dans le seul présent. La réforme, c’est vrai, visait à techniciser nos cours, mais, parce que nos matières ne se prêtent pas à cette manoeuvre sans mourir, nous avons résisté en rusant, en mettant, pour ainsi dire, l’approche par compétences à notre main. 

Vous avez donc raison, cher Sébastien Mussi, d’être inquiet du virage économiste entrepris par les cégeps, mais vous avez tort de croire qu’il a réussi dans les classes de philosophie. Vos collègues, la plupart d’entre eux à tout le moins, ne se contentent pas « de fournir aux étudiants un métier ou des compétences, des moyens de survie pour ce présent ». Ils continuent d’enseigner pour, comme vous le souhaitez, les « initier à un monde déjà vieux, à ce monde que les adultes actuels ont contribué à former et que nous allons laisser en héritage à ces jeunes à qui nous enseignons ». Tant que la littérature et la philosophie auront une place dans le cursus collégial - c’est la raison pour laquelle le vrai combat est là, dans la place qui leur est faite -, cette mission essentielle sera sauvegardée puisqu’elle constitue l’esprit même de ces matières, malgré l’air du temps. 

Vous écrivez de fort belles et justes choses sur l’acte d’enseigner, qui « ne consiste pas en premier lieu à « faire apprendre », mais à tenir […] une parole dont la fonction est de transmettre, c’est-à-dire de faire récit, de raconter ». Ce qui importe, précisez-vous, c’est moins le contenu spécifique de ce qui est transmis qu’un « rapport à la connaissance », « un certain regard sur le monde ». 

Aussi, je comprends mal l’injuste sort que vous réservez à ma proposition de mettre au programme surtout des oeuvres récentes (XXe et XXIe siècles) et relativement accessibles. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans le présent et la facilité. Il s’agit plutôt de montrer que les penseurs d’aujourd’hui, pour réfléchir au présent, ont besoin du passé. On ébranle ainsi le préjugé de nos étudiants et de l’époque, qui croient trop souvent que la philosophie est une vieille chose dépassée. On montre que la philosophie tire sa pertinence actuelle d’un rapport profond et critique à la tradition, que sa « contemporanéité », pour reprendre un de vos termes qui résume ce qui fait la valeur de la philosophie, a nécessairement une épaisseur historique. 

Vous mentionnez qu’on enseigne à partir de notre propre expérience d’élève. La vôtre, notez-vous, n’a pas été particulièrement heureuse avant l’université. La mienne le fut, du début à la fin. Cela explique peut-être votre ton dramatique et mon approche joyeuse. Amis de la philosophie et professeurs dans l’âme, nous demeurons des alliés.

 


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Attache-toi, mon fils

Diane Gariépy, La Presse (04-06-12)618-6

Mon fils, je t'écris parce que j'ai besoin de temps pour trouver les bons mots pour ce que j'ai à te dire. Je voudrais très fort que tu lises ce message jusqu'au bout. Que tu le relises encore après, pour bien saisir mes intentions.

Je t'aime. Cette réalité est indéniable. Tu es, toi, ton frère et ta soeur les êtres pour qui je ferais tout. C'est pour ça que je t'écris. 

J'ai vu une publicité à la télévision. Pour la première fois, j'ai compris qu'elle s'adressait aux personnes qui deviennent d'innocentes victimes. Nous les parents, ta famille élargie, ton entourage, tous ceux qui t'aiment et que tu aimes. 

Dans cette pub, il y a deux personnes assises l'une en face de l'autre. Deux frères. L'un parle à l'autre et l'autre lui pose toujours la même question. Il a, depuis plusieurs années, perdu l'usage de sa mémoire à court terme... À très court terme. Il ne retient aucune information plus de 30 secondes. Et dans son cas, c'est une grande amélioration. Durant quelques années, il ne se souvenait pas de ce qu'on venait tout juste de lui dire. Cette partie de son cerveau a gravement été affectée par un accident de voiture. Il n'a aucune autonomie, il ne peut même plus rêver. Il n'a plus d'avenir. À 20 ans, le reste de sa vie va être bien long. 

Il roulait trop vite, sans s'attacher. 

Continue à lire, je t'en prie. Fais ça pour moi. 

Je ne vais pas te parler de statistiques puisque nous les connaissons tous. Non plus du développement du cerveau qui se fait plus lentement chez les garçons. Les derniers réseaux finissent de se tisser vers l'âge de 25 ans. Cela veut dire que, souvent, ce sont les impulsions qui mènent à des comportements irrationnels. C'est de ça dont je vais te parler. 

Pense à nous, à ta famille, mais surtout à toi. À la fragilité de la vie. 

Ta soeur m'a dit qu'elle était inquiète de la façon dont tu comportes au volant. Tu roules vite, sans respecter les limites de vitesse, sans ceinture attachée... Elle est inquiète parce qu'elle t'aime. 

Je t'ai souvent fait part de mes craintes. Je ne veux pas te perdre. Pense à ton frère qui aurait pu perdre la vie en 2008. C'est presque un miracle qu'il n'ait pas eu de conséquence grave à la suite de cet accident. 

Perdre la vie, c'est définitif et dévastateur pour ceux qui restent. Mais demeurer handicapé pour la plus grande partie de ta vie, ça l'est pour toi aussi. Essaie juste de t'imaginer cloué dans un corps qui ne répond plus, abandonné par la vie... par ta propre faute. 

Pense à tes amis qui te font confiance, qui ont eux aussi confiance en la vie qui s'ouvre devant vous. Imagine ta vie, si tes amis perdent la leur, en montant dans ta voiture... Tu as la responsabilité de leur sécurité. Pense aux remords que tu devras porter sur tes épaules pour le reste de tes jours. Ça te sera tellement insupportable. 

Attachez votre ceinture de sécurité... de grâce. Un simple clic. Deux secondes de votre temps. 

Ça ne sauve pas toutes les vies. La vitesse, l'alcool et bien d'autres causes encore ont fait bien des ravages, mais ça en préserve plus que moins. 

Je ne sais pas ce qu'il adviendrait si la route t'arrachait à moi. Je veux vraiment que tu comprennes que la vie est bien fragile, mais elle peut être magnifique quand on a encore tout ce qu'il faut pour en faire ce qu'on veut. 

La décision t'appartient. Je ne vais pas te rappeler constamment d'être prudent. C'est à toi de le faire, de te conduire comme un être qui réfléchit aux conséquences de ses actes.


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Décès de Ray Bradbury

Agence France-Presse, Le Devoir (07-06-12)618-7

L’écrivain Ray Bradbury, l’un des maîtres américains de la science-fiction, est mort à l’âge de 91 ans, a annoncé sa famille. Il était un poète inquiet de la survie spirituelle de l’humanité face au matérialisme de la société.

Il est notamment le père de classiques du genre comme Fahrenheit 451 (1953), inspiré par les autodafés nazis de livres écrits par des juifs, ou encore Chroniques martiennes (1950), sur les risques de déshumanisation par rapport à l’avancée des sciences.

Interrogé sur son processus créatif, il répondait que « l’écriture s’apparente à un noyau de passion enrobé d’une coquille d’intelligence », celle-ci ne devant « servir qu’à s’assurer qu’on ne fait pas de grosses bêtises ». « Dans la vie, comme dans l’écriture, il faut agir par passion : les gens voient que vous êtes honnête et vous pardonnent beaucoup », soulignait-il.

En 2010, dans un entretien accordé au Los Angeles Times, l’auteur réputé618-8 pour son franc-parler estimait que les États-Unis auraient bien besoin d’une « révolution » pour mettre fin au pouvoir trop important du « gouvernement ».

Il affirmait également que les États-Unis devraient absolument « retourner sur la Lune » : « Nous devrions aller sur la Lune et y installer une base, pour y lancer une fusée à destination de Mars, puis aller sur Mars et la coloniser. »

Presque paradoxalement, il se révélait aussi dans cet entretien peu féru de technologie : « Nous avons trop de téléphones portables, trop d’Internet. On devrait se débarrasser de ces machines, il y en a trop aujourd’hui », déclarait-il, se félicitant d’avoir refusé de faire publier ses livres sur des supports électroniques.

Auteur prolifique - 500 nouvelles, une trentaine de romans, des contes, des poèmes -, on lui doit aussi de nombreuses pièces de théâtre et des scénarios pour le cinéma et la télévision.

« La chose la plus amusante dans ma vie, c’était de me réveiller chaque matin et de courir jusqu’à la machine à écrire parce que j’avais eu une nouvelle idée », se félicitait-il en 2000. 

Rat de bibliothèque

Né le 22 août 1920 à Waukegan en Illinois, Raymond Douglas Bradbury découvre la littérature à l’âge de sept ans avec Edgar Poe. Fils d’un père technicien et d’une mère d’origine suédoise, il a 14 ans lorsque ses parents s’installent à Los Angeles. Il y devient un rat de bibliothèque et s’adonne à l’écriture. Il a 17 ans lorsque sa nouvelle Script est publiée dans une revue de science-fiction. 

Après un recueil de nouvelles de terreur Dark Carnival (1947), il devient célèbre avec Chroniques martiennes ou encore Fahrenheit 451, adapté au cinéma par François Truffaut en 1966.

C’est dans la bibliothèque de l’Université de Californie, racontait-il, qu’il a écrit Fahrenheit 451, sur une machine à écrire dans laquelle il fallait introduire une pièce de monnaie.

En 1963-1964, il écrit La foire des ténèbres, puis ses premières pièces, Café irlandais (1963), Théâtre pour demain… et après (1972), La colonne de feu (1975).

En 1986, après une interruption de 23 ans, Bradbury revient au roman avec La solitude est un cercueil de verre, suivi notamment de Fantôme d’Hollywood (1990) et La baleine de Dublin (1993).

Victime d’une attaque cérébrale en 1999, il est parvenu à reprendre son travail, dictant à sa fille De la poussière à la chair (2001). Plusieurs autres livres ont suivi, comme Les garçons de l’été (2002), Il faut tuer Constance (2003).

« Le plus important est de consacrer son temps à devenir soi-même », estimait Ray Bradbury, qui aimait à citer ses deux principes philosophiques de base : « To hell with it ! » (« La barbe ! ») et « Fais ce que tu as à faire ». 

Hommages

Son éditeur HarperCollins a confirmé que le prolifique auteur était décédé mardi dans sa maison de Los Angeles après une « longue maladie », alors que les hommages de sa famille et de ses admirateurs commençaient à affluer.

Le président Barack Obama a salué pour sa part un écrivain qui « continuera sans aucun doute à inspirer de nombreuses générations ». « Son talent de conteur a redessiné notre culture et élargi les frontières de notre monde, souligne M. Obama dans un communiqué. Mais Ray a aussi compris que notre imagination pouvait améliorer la compréhension entre les hommes, être un outil de changement et une expression de nos valeurs les plus précieuses. »

Des fleurs ont été déposées à la mi-journée sur son étoile, sur le Hollywood Walk of Fame, à Hollywood.


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Les commissions scolaires

se disent étranglées

Isabelle Porter, Le Devoir (02-06-12)

Les commissions scolaires risquent « d’imploser » en raison des compressions de plus de 300 millions de dollars que leur a prescrites le gouvernement Charest depuis deux ans, plaide la présidente de leur Fédération, Josée Bouchard.

« Les commissions scolaires en ont fait énormément, mais là, on est en train de les faire imploser », a-t-elle laissé tomber hier en marge de leur sommet sur l’éducation publique à Québec.

Le gouvernement Charest avait imposé une première tranche de compressions de 170 millions en 2011, à laquelle s’est ajouté un deuxième effort de 150 millions dans le dernier budget. « Ce n’est pas sur les 10 milliards de budget de l’éducation qu’on nous demande de faire des coupes, mais sur les 550 millions de l’enveloppe administrative, plaide Mme Bouchard. On a fait croire à la population que ces gens-là sont des brasseux de papier, alors que ce sont des gens qui s’occupent d’organiser le transport, qui gèrent des conventions collectives, qui font les paies de nos milliers d’employés, qui organisent les services éducatifs, gèrent l’inscription, l’informatique et réparent les écoles. »

Les commissions scolaires sont sur la défensive depuis que des partis politiques ont mis au programme leur abolition. Selon la présidente, le réseau est d’ailleurs inondé de demandes d’accès à l’information sur ses dépenses.

« On a des demandes d’accès pour savoir si on a demandé à quelqu’un d’aller nous représenter dans un salon funéraire, combien ça a coûté en kilométrage… Moi je suis tannée de ça, dit-elle. C’est incroyable, à la CSDM [Commission scolaire de Montréal], ils ont une personne à temps plein qui s’occupe de ça. Ça vous donne une idée ! »

La Fédération ne compte pas moins de 4000 employés répartis dans 60 commissions scolaires francophones. Plusieurs centaines de ses membres étaient réunis au Centre des congrès de Québec pour un sommet sur l’éducation publique.

Les organisateurs avaient invité des jeunes à commenter les échanges. Le père du système d’éducation, Paul Gérin-Lajoie, et la jeune Léa Clermont-Dion - qui milite pour une meilleure image des femmes dans les médias notamment - coprésidaient l’événement.

Des carrés rouges aux enfants ?

Tout avait été mis en oeuvre pour écarter les sujets désagréables des coupes et du projet qu’ont certains d’abolir les commissions scolaires, mais ces enjeux ont souvent été rappelés.

Lors d’une plénière, un participant s’est présenté au micro pour dire qu’au rythme où allaient les compressions, il ne faudrait pas se surprendre de voir « nos enfants avec un petit carré rouge à l’automne ».

D’autres sont venus dire qu’il vaudrait mieux couper dans les subventions aux écoles privées que dans le réseau public. « On est la seule province au monde qui subventionne autant son réseau privé ! » a lancé la directrice de la Fédération, Pâquerette Gagnon.

Ironiquement, l’un des défenseurs les plus acharnés du réseau public est venu mettre des bémols sur l’économie qui pourrait être réalisée en coupant là. En cessant de subventionner les écoles privées, on pousserait vers le public la moitié de leurs élèves, mais cela entraîne des coûts, observe Réjean Parent de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). « Ils vont coûter plus cher parce qu’on va les subventionner à 100 % plutôt qu’à 60 % », dit-il.

La CSQ dénonçait par ailleurs les compressions imposées aux commissions scolaires hier. Dans un communiqué, elle dit appréhender « l’impact évident qu’elles auront sur les services aux élèves » et donne des exemples comme celui de la Commission scolaire de Laval, où l’on prévoit l’abolition « d’au moins 50 postes, principalement des techniciens en éducation spécialisée ».

La CSQ cite aussi en exemple la disparition de 40 postes d’enseignants à la commission scolaire Marie-Victorin, les fermetures de classe pour les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à Jonquière et l’abolition de 13 postes d’enseignants au Lac-Saint-Jean.


4 juin 2012

Vendredi le 1er juin. Vol. 6, no. 17

labibfranco.canalblog.com

 

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La pauvreté a le visage

d'un enfant

Éric Desrosiers, Le Devoir (30-05-12)  617-5

Vingt ans après ses belles promesses, le Canada est au même point en matière de lutte contre la pauvreté des enfants.

Le Canada fait piètre figure parmi les pays riches en matière de lutte contre la pauvreté des enfants, déplorent les Nations unies. Il arrive au 24e rang sur les 35 pays étudiés par l’UNICEF dans un rapport qui rappelle aux gouvernements que ce problème grave n’est pas une fatalité.

En 2009, 13,3 % des Canadiens âgés de moins de 18 ans vivaient dans une famille dont les revenus étaient inférieurs à la moitié du revenu médian national, dit le rapport dévoilé hier et intitulé « Mesurer la pauvreté des enfants ». Cette proportion est pratiquement identique à ce qu’elle était en 1989 (13,7 %) lorsque le Canada s’était engagé à éradiquer ce mal avant l’an 2000, et se révèle supérieure au taux de pauvreté dans l’ensemble de la population (11,4 %). Ce résultat permet au pays de se classer devant des nations comme le Japon (27e avec 14,9 %), l’Italie (29e avec 15,9 %) et les États-Unis (avant-dernier avec 23,1 %). Il le laisse toutefois bien en dessous de la moyenne des pays étudiés (11,5 %) et à des années-lumière des meilleurs, comme l’Islande (1er avec 4,7 %), la Finlande (5,3 %) et tous les autres pays d’Europe du Nord (7,3 % ou moins). L’Allemagne (8,4 %), la France (8,8 %), l’Australie (10,9 %) ou encore le Royaume-Uni (12,1 %) font aussi tous mieux que lui.

« Au Canada, la pauvreté a le visage d’un enfant, a déclaré David Morley, président et chef de la direction d’UNICEF Canada. Cette situation est inacceptable. Il est grand temps pour le Canada de faire des enfants une priorité lors de la planification des budgets et de l’utilisation des ressources nationales, et ce, même en périodes économiques difficiles. »  Le portrait de la situation, ici comme ailleurs, serait probablement plus sombre encore si les données les plus récentes ne remontaient pas à 2009, a remarqué en entretien téléphonique au Devoir Lisa Wolff, l’une des expertes de l’UNICEF au Canada, la crise économique ayant fait son œuvre. « Cette absence de statistiques récentes est un signe de notre manque d’intérêt pour ce problème. On mesure l’économie chaque trimestre, on pourrait bien en faire de même avec la pauvreté au moins une fois l’an. »

Il n’en va pas seulement d’une question de justice et de solidarité, rappelle l’organisation internationale. La pauvreté des enfants se traduit entre autres par une baisse des compétences et de la productivité, une dégradation des niveaux de santé et d’instruction, une augmentation du risque de chômage et de dépendance à l’égard de l’aide sociale, de l’élévation des coûts de la protection sociale et des systèmes judiciaires, ainsi que par une érosion de la cohésion sociale.

Or, on sait que les politiques publiques peuvent avoir un impact important sur sa prévalence et sa gravité. C’est d’ailleurs le cas au Canada, où la fiscalité, les prestations pour enfants et autres services aux familles permettent de réduire le taux de pauvreté des enfants de 25,1 % à 13,3 % une fois passés les impôts et transferts. Aux États-Unis, l’action timide de l’État ne permet de diminuer le taux de pauvreté que de deux petits points de pourcentage (de 25,1 % à 23,1 %). En Irlande — qui a fait de la lutte contre la pauvreté des enfants une priorité absolue —, on parvient, au contraire, à faire tomber le taux de pauvreté de plus de 40 % à seulement 8,4 %.

Ces plus ou moins grands succès dépendent de l’efficacité des moyens adoptés, mais aussi des ressources financières qui y sont consacrées, note l’UNICEF. Or, avec l’équivalent de seulement 1,4 % de son produit intérieur brut (PIB), les dépenses publiques canadiennes en faveur des familles apparaissent bien chiches en comparaison de la moyenne de 2,2 % dans les 35 pays étudiés et les 3,7 % consacrés par la France.

« Le Canada fait très bien ce qu’il fait, résume Lisa Wolff. Le problème est qu’il n’en fait pas assez. »

S’inspirer du Québec

Certaines provinces canadiennes font mieux que les autres, précise-t-elle, bien que le rapport n’entre pas dans ces détails. C’est le cas notamment du Québec, qui a été l’un des premiers au pays à se fixer des objectifs en la matière. Cette approche donne d’ailleurs des résultats. Selon les statistiques officielles, la proportion de la population québécoise vivant avec moins de 50 % du revenu médian s’élevait à 9,5 % en 2009. Ce taux de pauvreté était encore plus bas pour les Québécois de moins de 18 ans, avec 8,9 %.

Ottawa devrait s’inspirer d’un tel genre de stratégie, dit Lisa Wolff. « Les plus grands manques se trouvent au niveau fédéral. » Le gouvernement de Stephen Harper doit être salué pour avoir relevé le niveau des prestations pour enfants et les avoir maintenues à ce niveau dans son dernier budget, en dépit de ses mesures de réduction de déficit.

Il faudrait toutefois se montrer plus ambitieux, selon elle. Ottawa devrait commencer par se donner une stratégie nationale de réduction de la pauvreté. « Pourquoi ne pas se fixer comme objectif à court terme de ramener le taux de pauvreté des enfants sous la barre des 10 % ? Pourquoi ne pourrions-nous pas, ensuite, viser à rejoindre les meilleurs pays en la matière ? Il me semble que ce serait un bel objectif et un bel accomplissement national. »


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Vivre sans Facebook

Kathleen Jones, La Presse (28-05-12)

Avec l'arrivée de l'internet et des réseaux sociaux, les normes sur la vie privée et l'in617-1timité ont complètement changé, et elles sont maintenant ancrées dans la vie des jeunes de nos sociétés technologiques. 

Facebook, comme n'importe quel réseau social, peut certainement être utile: retrouver d'anciens amis, garder contact avec la famille, organiser des événements, etc. Le problème: il est beaucoup trop présent dans nos vies. Depuis la création du site, en 2004, nous avons pu voir une évolution phénoménale du nombre d'utilisateurs qui dépasse les 810 millions aujourd'hui. 

Au Québec, près des trois quarts des jeunes âgés de 15 ans et plus possèdent un compte Facebook. Ils passent en moyenne 12 heures en ligne par semaine. Mais qu'est-ce que cette vie virtuelle? Où sont passés les contacts réels et sincères en face à face? 

Ayant moi-même déjà possédé un compte d'utilisateur Facebook pendant quatre ans, je connais le sentiment d'avoir «besoin» d'aller voir ma page, de vérifier qui a commenté mes photos ou qui a écrit sur mon mur. C'est une sorte de curiosité qui nous envahit, et plus on a d'informations sur ce qui se passe, plus on risque de découvrir des choses que nous ne voulons pas savoir. 

Avec le temps, en abusant toujours de plus en plus de Facebook, j'ai réalisé à quel point nous, jeunes adultes, perdons notre temps à aller écrire ce que nous faisons, pensons, ou voir ce qui se passe dans la vie des autres. 

Depuis que j'ai supprimé ma page Facebook, j'ai réalisé que les nombreuses heures que j'y consacrais n'étaient qu'une perte de temps, des heures que je consacre maintenant à faire des choses plus pertinentes et constructives. D'ailleurs, mes VRAIS amis peuvent m'appeler s'ils veulent me parler, ou même me «texter» ! 

Je dois avouer que je me sens plus joyeuse, comme si j'étais délivrée d'un univers de mensonges, de superficialités et de concurrence. Avez-vous remarqué cet esprit de compétition qui règne? Entre celui qui al'air d'avoir la plus belle vie, d'avoir le plus d'amis, d'être le plus heureux ou le plus beau? Aller trop souvent sur ce site est assurément une source de conflits, et il faut le vivre pour le croire.  

Et ce n'est pas qu'une opinion personnelle, cette «dépression Facebook» existe vraiment. Le Dr Larry D. Rosen, professeur de psychologie à l'Université de l'État de la Californie, a expliqué au congrès de l'Association américaine de psychologie que les adolescents qui utilisent Facebook de façon excessive montrent plus souvent des tendances narcissiques, et que les jeunes adultes qui en abusent, eux, montrent plus de signes de désordre psychologique, tels que le comportement antisocial, la manie et l'agressivité.

Selon lui, il est clair qu'un abus quotidien de technologie affecte la santé des jeunes en les rendant plus enclins à l'anxiété, la dépression et l'isolement.

C'est plus grave que l'on pense, et nous devons agir avant que ça l'aille plus loin. Vous vous direz: comment vivre sans Facebook? En effet, pour 80% des jeunes qui s'y connectent souvent, c'est inimaginable, puisque leur vie sociale et amoureuse est contrôlée par ce réseau social.

Ce que je vous dis, ce n'est pas de désactiver votre compte, mais il serait temps de réaliser que vous en faites une utilisation abusive. Assurez-vous seulement que votre vie sociale virtuelle ne soit pas plus importante que la vie réelle, et ensuite essayez de vous passer de Facebook quelques jours. Vous verrez que ça fait du bien! 


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Entendez-vous ce bruit? 

Reynald Robinson, Le Devoir (29-05-12) 

Ce soir, j’ai pris ma casserole et je suis sorti timidement dans la rue. Des gens déambulent. Je me617-6 demande qui a sa casserole. Je suis gêné. Je n’ai pas envie d’être seul sur le trottoir à faire du bruit. À déranger.  

Puis, je vois un jeune garçon, un ado, avec sa mère et sa grand-mère. Son grand-père est là aussi. Il marche derrière eux d’un pas lent. Il boite. Mais dans sa main, lui aussi, comme les autres, il a sa casserole. Je les rejoins, nous croisons une fille. Comme elle porte un carré rouge, nous lui demandons si elle sait où est la manif. « Sur Hochelaga, dit-elle, place Charles-Valois. » Nous nous y rendons, casseroles en main. En route, je regarde sur mon portable. Il est 20 heures. Et nous ne sommes encore que notre petit groupe. 

Le jeune homme et moi nous nous regardons. Oserons-nous ? Oui. Lui d’abord. Puis nous tous. Nous tapons avec nos cuillères de bois sur nos vieilles casseroles. Une autre retentit au loin. Une autre. Une autre encore. De jeunes étudiants sortent dans la rue. Ils marchent vers la place Valois. Ils tapent en rythme, eux. Nous apprenons. Ils marchent d’un pas ferme, eux. Ils ont de l’expérience. Puis au loin, la place Charles-Valois.  

La grand-mère et le grand-père trouvent un banc pour s’asseoir. Ils tapent en tremblant sur leur casserole. Il y a cent, puis deux cents, puis trois cents, puis mille personnes. Nous nous mettons en marche. Les voitures de police se dissimulent au coin des rues, prennent des ruelles, nous croisent quelques fois. Les jeunes regardent les policiers, droit dans les yeux. Sans peur et sans arrogance. Mais avec conviction. Je vois même des policiers baisser les yeux. J’en vois un en particulier. Il a l’âge des étudiants. J’ai le sentiment qu’il réalise qu’il a choisi un travail qui le dépasse. […] Je crois que ce soir, il ne fait pas le métier qu’il rêvait de faire. 

Enfants, hommes, femmes, aînés, gens en fauteuil roulant, gens de toutes origines, la foule prend l’itinéraire qu’elle veut, et ce, malgré la police, malgré la loi. […] Et tout le long du parcours, sur les balcons, sur le trottoir, aux fenêtres, des gens ont sorti leurs casseroles, des gens tapent fort eux aussi, en écorchant la loi spéciale à coups de sacres. Des gens protestent et crient et rient. Des gens applaudissent. Des gens tapent fort. Fort. Fort. 

Certains se joignent à la marche. D’autres, trop timides sans doute, tapent en restant presque cachés derrière une porte ou un arbre. On ne voit et n’entend que leur casserole. 

Je marche et, tout à coup, au détour d’une rue, à la fenêtre d’un immeuble, je vois une femme, en tenue légère, les seins presque découverts, les traits tirés bienbien qu’elle soit trop maquillée. Elle regarde la foule et sourit. Bien qu’elle soit encore jeune, il lui manque des dents. Je vois qu’elle tient dans une main une bouteille de bière, dans son autre main, une cuillère. Je vois qu’elle frappe sa cuillère sur sa bouteille de bière. Elle frappe, frappe et je vois des larmes qui coulent sur sa joue. 

Je vois et j’entends tout cela. J’entends le bruit des casseroles. J’entends crier la souffrance des gens. J’entends crier la solitude des gens, leur détresse, leur désarroi. Je les entends crier leur rage, leur colère. Je les entends même en être fiers. 

Je vois tous ces jeunes qui marchent, qui voient, qui entendent la même chose que moi. Ils marchent toujours d’un pas aussi assuré. Et ce sont eux que l’on appelle des enfants rois ? 

Ce sont eux que l’on juge bébés gâtés ? Non ! Les vrais ce sont eux que l’on juge bébés gâtés ? Non ! Les vrais enfants rois dirigent nos gouvernements, nous vendent, nous mentent, nous escroquent, nous donnent leur avis, commentent nos gestes, font du sensationnalisme.   

Les vrais enfants rois fondent un nouveau parti politique aux moindres petits désaccords. Ils se croient au-dessus de tout. Ordonnent aux policiers de nous mater et se réfugient dans leur grosse cabane insonorisée. Ils croient que l’on peut nous manipuler avec des sondages. Ils tentent de nous diviser, les jeunes contre les vieux, de diviser les régions les unes contre les autres, Québec contre Montréal.

Les vrais enfants rois croient que la seule façon de penser passe par l’économie, leur économie, leur talent pour la magouille et le mensonge. Les vrais enfants rois croient que, dans la vie, certains gagnent et certains perdent. Non ! Qu’ils sachent que la vie est plus que ça. Plus surprenante qu’ils ne le croient.   

Qu’ils se taisent, ces enfants rois, et qu’ils entendent le bruit des casseroles. Une seule fois. Qu’ils sachent que les vrais grands de ce monde, ceux et celles dont l’histoire retient le nom, ont eux aussi défié la loi. Le fils de Dieu lui-même, Gandhi, le dalaï-lama, Jean-Paul II, Victor Hugo, Émile Zola, etc. Le progrès social est une succession de lois transgressées. Laissez-nous tranquilles avec votre petite morale à cinq cennes, messieurs et mesdames, ceux et celles qui prônent la loi et l’ordre en tout temps. Le peuple sait quelle loi il faut respecter et quelle loi n’a pour seul mérite que d’être bafouée. Le peuple pense et réfléchit, et malgré votre complaisance.   

Je suis rentré chez moi le soir, fatigué. J’ai dû marcher trois heures. Je suis rentré chez moi et les jeunes, eux, marchaient encore, encore, encore en tapant inlassablement sur leur casserole.   

Et ce sont eux que l’on dit paresseux et gâtés. Attention ! Entendez les cris de leurs casseroles.


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Grogne populaire : 

du charivari historique

à la casserole politique

Jean-François Nadeau, Le Devoir617-4 (30-05-12) 

« Encore une échauffourée entre les étudiants et la police ! » Ce n’était pas hier, mais le 6 avril 1910, en première page du Devoir. Ces scènes, notait-on alors, ont tendance à se répéter. « Ce qui est vrai, disons-le franchement, c’est que la police préfère s’attaquer aux universitaires qu’aux détrousseurs nombreux qui font la terreur de certains quartiers. » Qu’avaient donc fait ces étudiants de 1910 ? Du tapage et du désordre, assaisonnés de rires. 

Depuis qu’a débuté au Québec l’expression du ras-le-bol par les casseroles, on ne cesse de souligner qu’il s’agit d’un clin d’œil direct au mouvement des cacerolazos, ces Chiliens qui souhaitaient d’abord faire tomber le président socialiste Salvador Allende. Cette pratique fut vite récupérée par des mouvements de gauche. En 2009, il faut se rappeler la « révolution des casseroles » des Islandais qui, en martelant le fer-blanc une fois par semaine, dénonçaient ceux qui avaient mis leur pays dans le rouge. Le poêlon montre que tout est sens dessus dessous, que la politique est brûlée.

Cependant, le chahut politique des chaudrons est une pratique plus ancienne encore. « Les Acadiens corrigeraient rapidement le discours », estime l’historien Jean Provencher, rappelant qu’ils pratiquent pareil « tintamarre depuis au moins 100 ans ». En fait, cette pratique du charivari a des origines européennes qui plongent dans le Moyen Âge. Le mot trouve ses origines dans un cri de chasse qui renvoie aux armes, à l’armée, et renvoie à la légende d’un chasseur sauvage répandue dans l’Europe christianisée. 

Au xvie siècle, l’Église catholique tente sans succès, par la voix du concile de Trente, d’interdire le charivari sous peine d’excommunication. « Par-delà les possédants, les pouvoirs politiques, religieux et judiciaires en particulier, les populations se sont donné, il y a longtemps, dans la marge, cette capacité de dénoncer de cette manière ce qui leur apparaît répréhensible. » 

Jean-Claude Germain vient de publier un livre sur le désir d’émancipation des Canadiens avant les révolutions de 1837-1838. Il rappelle que les charivaris ont été longtemps l’occasion d’exprimer au Nouveau Monde un mécontentement populaire à l’égard des couples mal assortis. Comme dans le cas de cette veuve de 25 ans qui, en 1683, se remarie trois semaines après le décès de son mari, rappelle Edmond Z. Massicotte dans une de ses études. « La population excédée se livre alors à un charivari qui dure six nuits d’affilée et il faut l’intervention de l’évêque de Québec, Mgr François de Laval, pour mettre un terme à la manifestation », poursuit l’historien Jean Provencher. Monseigneur de Laval publie une mise en garde adressée à ses ouailles.  

Il menace d’excommunication ceux qui, « dans leurs désordres et libertés scandaleuses », commettent pareilles « actions très impies ».

Plus tard, Mgr de Saint-Vallier réaffirme l’opposition du pouvoir ecclésiastique aux charivaris dans un livre sombre intitulé le Rituel de la province de Québec. On lira dans les églises, jusqu’au début du xixe siècle, des condamnations répétées. Rien n’y fait. 

« C’était le plus souvent des protestations et des railleries lancées contre des hommes qui mariaient des femmes jugées beaucoup trop jeunes pour eux, explique Jean-Claude Germain. En ce sens, c’était déjà l’expression d’un conflit de générations qui s’applique très bien aujourd’hui aux manifestations populaires que l’on voit fleurir partout au Québec. » 

Pour Danick Trottier, chercheur à l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique, les charivaris forment « un corps social unifié dans le son. Comme dans une chorale, on sacrifie la partie individuelle, les atomes, au profit du tout. » L’écrivain Pascal Quignard, note-t-il, « a beaucoup réfléchi au fait que le son et le bruit sont certainement des choses les plus imposées dans une société. Le fait de ne plus parler et de laisser toute la place au bruit laisse une marque. Le bruit traverse tout : les murs, les maisons. Personne n’y échappe. Je crois que c’est la force de ce type de mouvement. » 

Casseroles d’Amérique, unissez-vous !

En 1821, explique Jean Provencher, Montréal adopte « un règlement de police disant que “ quiconque, étant déguisé ou non, sera trouvé dans aucune partie de la ville ou des faubourgs de jour ou de nuit, criant charivari ou faisant avec des pots, chaudières, cornes ou autrement, un bruit capable de troubler le repos public ou qui s’arrêtera de la même manière devant aucune maison, encourra une amende de cinq livres courant pour chaque contravention ” ». 

Ce tumulte prend une dimension plus politique à compter du xixe siècle. En témoigne la naissance en France de journaux de caricatures dont le plus célèbre, lancé par Charles Philipon en 1832, est justement nommé Le Charivari, comme le sera son pendant anglais, The Punch Magazine, présenté comme « The London Charivari ». Y paraissent les dessins de Traviès, Gavarni, Grandville et Daumier. Leurs œuvres confèrent alors des lettres de noblesse au dessin satirique. Chez nous paraîtra Le charivari canadien, lancé par Sasseville, un de ces journaux irrévérencieux qui s’attachent à transposer sur papier cette tradition de protestation joyeuse et turbulente. 

Au Bas-Canada, explique Jean-Claude Germain, « les charivaris politiques vont prendre de l’ampleur à l’occasion des répressions des années 1830, où on les utilise contre des ennemis politiques ». 

Les révolutions de 1837-1838 voient plusieurs charivaris, observe le spécialiste des patriotes Georges Aubin. « Le soir du 26 septembre 1837, un charivari est organisé par le Dr Wolfred Nelson chez Rosalie Cherrier, surnommée “ La Poule ”. Liée aux bureaucrates, elle protestait ouvertement contre les révolutionnaires. Ce soir-là, elle tira sur la foule des patriotes avec une arme. » Le même jour, un autre charivari politique se déroule à Saint-Ours, à des kilomètres de là… 

Les patriotes ont vite récupéré ces armes efficaces que sont le bruit et la raillerie pour chasser l’ennemi. Contre « les bureaucrates » et pour « les tuques », les révolutionnaires entendent « intimider leurs adversaires politiques tout en accolant une certaine légitimité à leur geste, explique l’historien Gilles Laporte. Les juges de paix et les officiers de milices demeurés fidèles à la Couronne sont plus particulièrement visés par les charivaristes et finissent en général par remettre leur commission ou par quitter la région. » 

La répression, les maisons brûlées, les déportations et les exécutions n’auront pas raison des charivaris. Le charivari politique continue d’exister en parallèle avec celui relié aux rituels amoureux. En 1921 à Montréal, on organise un charivari politique macabre à l’endroit d’un candidat politique vaincu lors des élections fédérales. « Un cercueil recouvert d’un drap portant le nom du politicien défait était juché au sommet d’un char traîné par des chevaux et entouré de porteurs masqués et munis de flambeaux, raconte Jean Provencher. Le pseudo-corbillard suivi d’une foule de charivarisseurs qui faisaient un vacarme énorme fut promené sur les principales rues du quartier où demeurait le politicien malheureux. » Rien toutefois qui s’approche de la clameur soutenue des casseroles de nos charivaris politiques des derniers jours.


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Questions

Jean-Jacques Stréliski, Le Devoir (28-05-12)  

J’ai raison et voici pourquoi. - Tu as tort, et je te le prouve. Est-ce assez clair à ton goût ?
Simpliste n’est-ce pas ? Oui, et le plus souvent stupide aussi. 

Chacun choisit son camp. Le malaise est palpable. Nous en sommes là. Alors, l’invective et la propagande se sont invitées à la table des agitations quotidiennes, faute de l’existence de vraies tables de négociations. Plus personne ne s’écoute, et tout le monde parle. 

Plus moyen d’échapper à cette détérioration de l’atmosphère. 

Par des positions éditoriales ou individuelles trop marquées, certains médias traditionnels ont perdu de vue la nature même de leur véritable métier. Celui d’informer. Ils devraient s’inquiéter dès lors de la perte constante de leur influence. Cette influence est laissée aux médias sociaux, plus prompts, plus mordants, plus efficaces dans la diffusion de l’opinion. Pour le meilleur et pour le pire. 

Facile à comprendre, me direz-vous. Aujourd’hui, les journalistes sont appelés à jouer sur plusieurs registres à la fois, analystes, chroniqueurs, blogueurs et simples citoyens internautes. Et ce, dans des espaces-temps sans cesse compressés par la nécessité d’émettre - coûte que coûte - leur opinion. Certains y parviennent, beaucoup s’y essayent, d’autres enfin y perdent leur latin, quand ce n’est pas leur raison et parfois même leur réputation. 

Comment peut-on en effet réagir avant d’agir et agir avant de penser ? Il me semble que quelque chose ne tourne pas rond. 

Il est vrai que l’importance et l’intensité du conflit étudiant, comme on le constate chaque jour davantage, ont largement et dangereusement dépassé le cadre de la lutte contre la hausse des droits de scolarité. Force est de constater que la crise a muté et que l’on a atteint les pourtours d’une véritable révolution (révolte) sociale. Les bruits de casserole cachant avec difficultés - même dans leur joyeux tintamarre - que non seulement la marmite est pleine, mais qu’elle bout à en faire trembler le couvercle. 

Je peux comprendre aussi que la crise, à ce point délicate, touche l’épiderme de chacun devant les positions strictes d’un gouvernement, dont une grande majorité de Québécois s’entend pour dire qu’il va trop loin avec la création et la mise en application de la loi 78, jetant de facto plus d’huile que d’eau sur un feu qui ne demande qu’à devenir un brasier incontrôlable.

Comme aux prémices de toute grande crise, l’exacerbation des parties en présence est de plus en plus notoire. Avec pour conséquences manifestes le durcissement des positions et la montée en puissance de discours et d’opinions aussi partisanes que déstructurées.

Cette crise étudiante se résoudra tôt ou tard, nous le souhaitons tous. Saurons-nous en tirer les leçons ? Saurons-nous comprendre que cette société, que l’on dit autiste, vit davantage dans la virtualité que dans la réalité, et qu’elle a besoin des proximités nécessaires à son épanouissement ? Des proximités physiques et intellectuelles, idéologiques, donc aspirationnelles.

Sinon, comment expliquer que les gens se couchent plus heureux quand ils ont frappé quinze minutes sur des casseroles ?

Pour l’instant, ces proximités font cruellement défaut. Paradoxalement, pas chez les jeunes. Chez les élus.

Par proximités absentes, je veux lister ces accès aux indispensables courants d’influence et de réflexion. Où sont ces visiteurs du soir qui jadis conseillaient les puissants dans les arcanes du pouvoir, en marge des grandes crises ? Ces gens de savoir philosophique, politique, littéraire, social, économique, et plus véritablement humaniste.

Sans ces proximités d’intelligence, sommes-nous condamnés à évoluer dans le dogme et la rhétorique partisane, le statut Facebook, les microsynthèses en 140 caractères et le blogue nombriliste des populistes de service ? Non merci.

À l’heure où Montréal célèbre la créativité québécoise dans l’événement C2MTL, à l’heure où s’y rassemblent les plus grands penseurs des modèles économiques de demain, comment ne pas ouvrir nos yeux et nos oreilles pour y penser mille fois avant que d’en parler ?

Mon point, vous l’aurez compris, n’est surtout pas d’avoir raison. Mais de la retrouver.

Car, comme disait Ponce Lebrun, vieux poète français du XVIIIe siècle : « C’est avoir déjà tort que d’avoir trop raison. » 


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Dix vérités sur le sommeil

Sophie Allard, La Presse (28-05-12)617-2 

La plupart des Québécois dorment deux heures de moins par nuit que ce dont ils ont besoin. Les conséquences peuvent être graves, fait remarquer le Dr Pierre Mayer, directeur de la Clinique du sommeil de l'Hôtel-Dieu du CHUM. Dans son nouveau livre Dormir - le sommeil raconté, il prend soin de donner des conseils pour adopter et maintenir de bonnes habitudes de sommeil, gage d'une meilleure santé globale.

«Les gens se soucient de leur alimentation, de leur forme physique, mais très peu sont sensibilisés à l'importance du sommeil, explique-t-il C'est le seul temps compressible. On coupe dans le sommeil, sans soupçonner à quel point les conséquences peuvent être graves.» 

Selon le Dr Mayer, les gens prennent le sommeil à la légère. «On en est à l'âge de pierre. Comme où l'on se trouvait par rapport à l'alimentation il y a 20 ans. Aujourd'hui, les gens mangent bio. Je souhaite qu'ils vivent bio, au rythme de leur horloge interne.» 

Voici quelques vérités extraites de son livre, lancé la semaine dernière. 

1. L'absence de sommeil tue plus rapidement que le manque de nourriture. 

Chez le rat, la privation de sommeil peut tuer en moins de 10 jours, nous apprend le Dr Mayer. Chez l'humain, les conséquences du manque de sommeil sont dramatiques. «Une étude réalisée à Chicago chez des jeunes hommes de 20 ans a montré que dormir quatre heures par nuit pendant six nuits consécutives entraînait des perturbations métaboliques semblables à celles causées par le diabète», écrit le Dr Mayer. D'autre part, environ le quart des adultes de 25 à 59 ans qui dorment cinq heures ou moins sont hypertendus. C'est 12% chez les gens qui dorment sept-huit heures quotidiennement. 

2. Le manque de sommeil est le premier responsable de l'épidémie d'obésité. 

«Pendant que la proportion de gens obèses a plus que doublé, passant de 10 à 25%, nous avons diminué de plus de deux heures et demie (30%) en moyenne notre temps de sommeil par nuit. Une corrélation parfaite qui n'est pas le fruit du hasard statistique», écrit le Dr Mayer. Selon plusieurs chercheurs, la carence de sommeil est le principal facteur d'obésité. Moins on dort, moins on sécrète de leptine, hormone qui freine notre appétit. Ça crée un cercle vicieux. «Quand on coupe sur notre sommeil, on a plus faim, on prend du poids et on développe de l'apnée du sommeil», résume l'expert en entrevue. 

3. La fatigue est la raison de près de 10% des consultations chez le médecin. 

Dans 50% des cas, les causes de fatigue sont inconnues. «La plupart du temps, la fatigue est un grand mystère. Les gens sont souvent frustrés. Quand finalement on ne trouve pas de cause physique, il faut travailler sur le mental. Le yoga, le tai-chi, l'exercice physique peuvent être bénéfiques pour contrer la fatigue cérébrale.» Même si les causes sont inconnues, mieux vaut en glisser un mot à son médecin. 

4. Le sommeil est plus réparateur avant minuit. 

«Certaines réactions physiologiques essentielles à la vie ne se produisent que pendant le sommeil. C'est le cas de la sécrétion de plusieurs hormones, dont l'hormone de croissance, qui est produite principalement au début de la nuit pendant le sommeil lent profond», écrit-il. Chez l'enfant, cette hormone est liée à la croissance. Chez l'adulte, elle favorise le développement de la masse et de la force musculaires. 

5. Il y a huit fois plus d'accidents de la route vers 5h du matin et quatre fois plus d'accidents vers 14h. 

«C'est le reflet de notre horloge interne qui nous ouvre des fenêtres sur le sommeil, dit Dr Mayer. Si on manque de sommeil, on ressent donc à ces moments une forte somnolence. Mieux vaut prendre une pause si on est volant.» Il écrit que la somnolence est la cause de 57% des décès chez les camionneurs et elle est ainsi la principale cause de mortalité au travail. Plusieurs camionneurs s'arrêtent lors des fenêtres de vulnérabilité. 

6. Le manque de sommeil est lié à plusieurs catastrophes. 

La fatigue ou la somnolence auraient été en cause dans l'accident de l'Exxon Valdez en 1989, l'explosion du réacteur nucléaire de Tcherbobyl en 1986 et l'explosion de la navette Challenger en 1986, selon les commissions d'enquête. «Quand on gruge dans son sommeil, ça équivaut rapidement à une nuit blanche. C'est plus sournois parce qu'on ne se méfie pas de notre manque de vigilance. Pourtant, c'est comme être en état d'ébriété», dit le Dr Mayer.

 7. Twitter et Facebook comptent parmi les ennemis du sommeil. 

«Tout ce qui favorise l'éveil est un ennemi du sommeil. L'explosion des médias sociaux et des progrès technologiques nuisent au sommeil selon l'usage qu'on en fait, dit le Dr Pierre Mayer. Si on va sur Twitter, où les messages sont parfois provocants, avant de dormir ou si on traîne la tablette électronique dans son lit pour naviguer sur le web, on stimule notre système nerveux central, on active les centres de l'éveil. Replonger dans le sommeil est plus compliqué.» Peu d'études ont été menées sur les tablettes, mais certaines (sans rétro-éclairage) seraient plus recommandables. «La stimulation directe au niveau de la rétine est susceptible d'entraîner l'inhibition de sécrétion de la mélatonine, l'hormone du sommeil. Je suis d'avis que c'est surtout l'activité qu'on en fait qui est importante. Lire un livre qui nous apaise, peu importe le médium, peut être bon pour l'un et mauvais pour l'autre. Il n'y a pas une seule et unique recommandation.» 

8. À la puberté, l'horloge biologique se retarde de deux heures. 

«L'ado se couche plus tard et se lève plus tard naturellement. L'obligation de se lever tôt pour aller à l'école et la difficulté de s'endormir tôt entraînent d'importants manques de sommeil chez les jeunes. En fait, seulement 15% des adolescents dorment les neuf heures dont ils ont besoin en moyenne et un sur quatre dort six heures ou moins. Fatigués, il se reprennent la fin de semaine en se levant très tard, ce qui perpétue ou aggrave le retard de phase...» Se coucher tôt n'est pas la solution. L'Association américaine de médecine du sommeil recommande d'ailleurs que les cours débutent plus tard au secondaire. 

9. Plus de 10% de la population est atteinte d'apnée obstructive du sommeil. 

«L'apnée du sommeil est un gros problème de santé publique. C'est plus qu'un arrêt respiratoire. De plus en plus d'études montrent que l'apnée du sommeil est un facteur de risque de maladie cardiaque, d'accident de la route et d'AVC. Ça peut aussi mener à la dépression.» De617-3 meilleurs outils diagnostics et l'épidémie d'obésité sont liés à la forte prévalence de cas. Les apnéiques sont aussi nombreux que les asthmatiques. 

10. Les femmes sont plus affectées par le travail de nuit. 

«Il est plus difficile pour une femme de s'adapter au travail de nuit. Cela est sans doute en lien avec des caractéristiques physiologiques, comme le fait que l'horloge interne des femmes tourne un peu plus vite et qu'elles sont plus sujettes à l'insomnie», écrit le Dr Mayer. Le corps réagit fortement. «Le travail de nuit augmente de 50% les risques de cancer du sein chez la femme et de 70% chez les agentes de bord soumises en plus au décalage horaire.» 


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L'école de la vie

 

Denise Bombardier, Le Devoir (19-05-12)

Les étudiants qui ont persisté à choisir la rue, assurés de faire céder le gouvernement libéral que tant de citoyens exècrent, ont reçu cette semaine un cours magistral de science politique auquel apparemment leurs professeurs les avaient peu préparés. Avec à la clé cette loi spéciale dont personne ne peut se réjouir puisqu’elle confirme l’échec de la négociation, l’essence même d’une démocratie harmonieuse.

Ayant baigné dans leur enfance dans une culture de tolérance et de compromis, leur permettant d’obtenir ce qu’ils exigent par un chantage affectif auprès des adultes, leurs parents au premier chef, et convaincus à l’évidence que la population si hostile au PLQ les appuierait sans trop de problèmes, c’est peu dire que ces jeunes ont éprouvé l’équivalent d’un électrochoc.

À ces jeunes, nés autour de 1990, il faudrait rappeler que les Québécois favorables à la souveraineté parmi lesquels se trouvaient leurs parents ont perdu le référendum de 1995, à 30 000 voix près, et qu’ils se sont inclinés devant les résultats. Pas de hordes de manifestants dans la rue au cours des semaines qui ont suivi. Le respect des institutions et le refus de la violence se sont toujours imposés dans notre histoire contemporaine malgré certains dérapages, dont celui du FLQ fut le plus violent. À l’époque, en 1970, René Lévesque jugea les actions violentes avec une hauteur morale admirable alors que des jusqu’au-boutistes, des militants secrètement réjouis du camp souverainiste et des partisans de la révolution prolétarienne flirtaient avec la stratégie de la terreur felquiste. Ces étudiants militants qui croient encore défier la loi spéciale devraient se souvenir que, dans la foulée du climat hystérique créé par le FLQ en octobre 1970, Jean Drapeau, maire honni, accusé de corruption et d’un autoritarisme intolérable pour une grande partie des Montréalais, fut réélu avec 92 % des voix, sans opposition aucune, au conseil municipal.

La loi spéciale assure une trêve qui mène inévitablement à l’élection. La poursuite des désordres publics dans une défiance à la loi augmentera la violence. À la hargne, au ressentiment s’ajoute maintenant une haine palpable qu’on retrouve non sans effroi dans les textes diffusés par les réseaux sociaux qui, contrairement aux journaux, ne subissent aucun filtre. L’élégant Léo Bureau-Blouin, président de la FECQ, déclarait jeudi encore, sous le choc de l’annonce de la loi spéciale, que le premier ministre serait désormais responsable de la violence à venir et des futures victimes qu’elle pourrait entraîner. Dans l’aveuglement de l’action, le jeune chef étudiant oublie que l’opinion publique dans sa grande majorité ne supporte pas le spectacle permanent de  cette anarchie urbaine au point d’en perdre de vue les enjeux de départ. 

Tous les opposants au gouvernement actuel qui se sont jusqu’à maintenant réjouis des malheurs infligés aux libéraux par la minorité bruyante estudiantine devraient freiner leurs ardeurs. Et craindre par exemple que Jean Charest, dont ils sous-estiment dangereusement l’habileté politique, utilise à son avantage cette crise qui atteindra son apogée lors de la prochaine campagne électorale. Car après la trêve de la loi spéciale, le terrain électoral risque d’être pris d’assaut par les étudiants en colère et par tous les autres masqués, ennemis du système à renverser. Et dans cette perspective, l’accentuation du désordre pourrait, qui sait, ouvrir la voie à une réélection minoritaire du gouvernement qui a refusé de céder, non pas aux jeunes, mais à une partie des jeunes qui s’insurge qu’on lui refuse ce qu’elle réclame à cor et à cri, ce gel des droits que la majorité des électeurs souhaite remettre en question.

À partir d’aujourd’hui, personne ne peut jouer les triomphateurs, les revanchards ou les provocateurs. La loi votée par l’Assemblée nationale doit être respectée. La chef du PQ, madame Marois, qui aperçoit le pouvoir au bout du tunnel, doit restreindre ses transports. Machiavéliques, ses adversaires pourraient souhaiter la retrouver à la tête d’un gouvernement minoritaire qui paralyserait son action et où chaque décision renverrait à la rue des opposants sans foi ni loi. Car ces derniers mois ont peut-être transformé singulièrement la vie politique.

La loi spéciale confirme en effet que le gouvernement a perdu le contrôle de la rue. Or il n’y a aucune raison que les gouvernements à venir échappent à cette nouvelle donne. Bien sûr, les opposants n’auront pas toujours vingt ans et ses atouts, l’enthousiasme, l’énergie, l’inconscience et le sentiment d’inventer le monde. Mais n’y a-t-il pas un risque certain que des groupes d’intérêts habiles à instrumentaliser les insatisfaits de tous bords s’inspirent de ces mois de dégel climatique, mais d’embrasement social à saveur anarchique, pour imposer leurs exigences ? Comment gouverner dans l’avenir avec un mandat électoral selon les règles de droit si la rue violente se substitue épisodiquement à la règle des négociations ? Comment vivre dans une paix sociale relative sans laquelle aucun progrès n’existe si les décisions d’une cour ne sont plus respectées, avec en prime les applaudissements d’une partie des citoyens ?

Personne ne sortira indemne de cette période préoccupante. Pire, personne ne peut prévoir la tourmente potentielle qui se dessine dans le contexte pré-électoral. Le PQ et la CAQ qui s’offrent en alternance du gouvernement actuel devraient s’inquiéter eux aussi.


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La tutelle de Benoît XVI

sur des religieuses

Jean-Claude Leclerc, Le Devoir (28-05-12) 

L’Église catholique est dans l’attente de la réaction des religieuses des États-Unis à la mise en tutelle par Benoît XVI des « supérieures » de leurs communautés réunies dans la « Leadership Conference of Women Religious » (LCWR). Pilier du catholicisme américain, ces femmes étaient depuis dix ans visées par Rome, non pour quelque scandale sexuel ou financier, mais pour déviance théologique et insubordination ecclésiastique. La réponse de la LCWR sera connue début juin.

Cette sanction fait suite à deux enquêtes canoniques. L’une, décrétée en 2008 par le Vatican sur la vie intérieure et les activités extérieures des communautés de femmes. L’autre, lancée peu après par le ministère de la « doctrine de la foi » - longtemps dirigé par le futur pape - sur des propos controversés tenus à la LCWR. Le titre du rapport : Doctrinal Assessment of the Leadership Conference of Women Religious.

Parmi les « problèmes sérieux » retenus, Rome cite une diminution de la christologie, « centre et foyer » de la vie consacrée, et une perte du « sens de l’Église » chez certaines religieuses. L’organisation des supérieures aurait laissé, dit-on, des conférencières proposer d’aller « au-delà de l’Église » et même « au-delà de Jésus », erreur scandaleuse que la LWCR aurait dû corriger. (Les « pasteurs de l’Église » - pape et évêques - ont voulu y voir, dit-on, « un appel au secours ».)

Non moins graves seraient les positions prises par l’ensemble de ces religieuses sur l’ordination des femmes comme prêtres ou sur la « juste approche pastorale » envers les homosexuels. Rome mentionne également le désaccord affiché par ces religieuses avec l’enseignement de l’Église sur la « sexualité humaine », l’avortement et l’euthanasie. On reproche aux supérieures d’avoir laissé défier les positions des évêques, ces « authentiques » maîtres de la foi et de la morale.

Rome avait noté finalement une « prévalence de certains thèmes féministes radicaux » dans les programmes et conférences présentés par les supérieures, y compris des interprétations théologiques mettant en péril la foi en Jésus, en son Père aimant, et autres vérités révélées du christianisme. Bien plus, des commentaires sur le « patriarcat » dans l’Église « déforment », dit le rapport, la manière dont Jésus y a « structuré » la vie sacramentelle, ou même sapent des dogmes fondamentaux.

Bref, Rome aurait voulu que les supérieures lisent d’avance les conférences et les manuels comportant des propos théologiques, et les écartent, le cas échéant, des congrès et programmes de formation. Or, elles auraient laissé libre cours à une vision déformée de l’Église et à des propos faisant peu faisant peu de place au rôle du « Magistère » comme garant d’une « authentique interprétation de la foi de l’Église ». Et surtout elles seraient restées « silencieuses » devant ces errements.

Rome tient son autorité sur ces communautés (et sur leurs conférences nationales) de la reconnaissance officielle qu’elles doivent obtenir du Vatican. Pour se présenter comme des institutions d’Église, elles doivent y faire approuver leur mission et leurs statuts. Et cette approbation comporte à la fois obéissance au pape et collaboration avec les évêques. Or, aux États-Unis, certaines communautés de femmes en auraient pris large avec un tel encadrement juridique et théologique.

Si les soeurs « cloîtrées » s’en tiennent à la vie commune et à la prière communautaire (elles ne font pas l’objet d’enquête), les religieuses oeuvrant dans des écoles, des hôpitaux et d’autres services catholiques ont entrepris de vivre dans la société, d’y prendre part aux luttes pour la justice et de se porter à la défense de minorités. C’est ainsi qu’elles allaient se heurter à leurs propres évêques dans les débats sur les services de santé ou sur l’émancipation des homosexuels.

L’Église officielle fait leur éloge, bien sûr, pour les institutions que ces femmes ont construites, sinon pour les services paroissiaux ou diocésains qu’elles tiennent parfois à bout de bras. Toutefois les religieuses d’aujourd’hui n’ont plus rien des « servantes de presbytère ». Juristes, historiennes, sociologues, théologiennes, ces femmes s’en laissent de moins en moins impressionner par un clergé d’hommes souvent moins cultivés ou moins expérimentés qu’elles. Tôt ou tard, elles allaient contester un système clérical lui-même en crise.

Déjà en 1992, deux anciennes directrices, les soeurs Quinonez et Turner, avaient expliqué l’orientation de la LCWR dans The Transformation of American Catholic Sisters. L’organisation avait changé ses statuts et son nom (sans la bénédiction de Rome) précisément pour signaler qu’elle n’était plus seulement un forum où apprendre le leadership aux religieuses, mais aussi une force collective de changement « dans l’Église et dans la société ».

Le Vatican et des cardinaux américains qui y occupent des fonctions de pouvoir n’ont pas manqué de s’alarmer. Des tenants de l’orthodoxie traditionnelle attribuent à de tels changements - inspirés, disent-ils, d’un libéralisme dévoyé - les malheurs de l’Église et la chute des « vocations ». Les communautés « libérales » perdent des membres ou n’en recrutent plus, peut-on lire dans la presse catholique, alors que les jeunes gens en quête d’engagement vont, nombreux, aux communautés plus « exigeantes ».

Quoi qu’il en soit, ces enquêtes du Vatican ont valu aux religieuses maints témoignages de solidarité. En même temps, Rome craint l’influence que ces communautés de femmes exercent auprès d’Églises d’autres pays. L’affaire néanmoins détonne. Alors que les évêques peinent un peu partout à se sortir de scandales sexuels, et le Vatican lui-même, de combines financières, d’aucuns se demandent pourquoi Benoît XVI n’enquête pas plutôt sur les hommes d’Église.


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La victoire de la rue

Denise Bombardier, Le Devoir (26-05-12)

La rue a gagné. Et avec elle, tous ceux que grise cette formidable émotion de solidarité momentanée, dégagée de toute contrainte, de toute obligation, de toute responsabilité à long terme. La rue a gagné. Sur le gouvernement d’abord, déjà fragilisé et usé par des années d’un pouvoir exercé dans des tourmentes successives et bien peu de périodes d’accalmie. Comment, dans les circonstances, négocier autre chose qu’une reddition déguisée en compromis ? Surtout face à de jeunes leaders grisés de leur omnipotence médiatique et qui n’ont pas encore l’âge de comprendre qu’il y a plus difficile que de savoir perdre, et c’est gagner sans triomphalisme. Ils retourneront à l’université, se joindront sans doute aux partis politiques qui s’offrent en alternance ou aux mouvements de contestation du système, tout en sachant que la rue est la voie royale et la plus enivrante pour imposer leurs idées.

La rue a gagné sur l’État de droit. Les lois votées à l’Assemblée nationale et celles imposées par les tribunaux pourront désormais être invalidées dans les faits par des groupes divers qui ont fait leurs classes ce printemps en bloquant Montréal la rouge, en noyautant les réseaux sociaux, en intimidant leurs adversaires et en usant de violence. Le problème est de savoir qui décidera en démocratie de l’iniquité d’une loi.

La rue a gagné en imposant son esthétisme. Ces foules immenses, jeunes, bariolées, énergiques, enragées ou rieuses qui crient, chantent, se défoulent sans peur devant la police ou faisant peur, le visage masqué, des pierres à la main, dans des ballets de danses destructrices, ces foules dégagent une beauté incontestable. Ces foules ont un effet de contagion car elles n’exigent, pour en faire partie, que de plonger dans l’irrationnel grisant. Ces foules effacent momentanément l’angoisse et les inquiétudes de ceux qui les composent. Elles n’engagent à rien d’autre, et surtout pas à prolonger l’engagement dans l’austère et dure réalité du long travail pour convaincre l’adversaire du bien-fondé de ses idées et, plus ardu encore, pour les faire triompher par les canaux institutionnels.

La rue a gagné contre les futurs gouvernements qui tenteront d’imposer leur politique en exerçant le pouvoir conféré par l’élection. À l’avenir, tout gouvernement pourra ultimement être mis en échec par des groupes d’opposants décrétant inique et injuste une loi ou une politique ministérielle. La rue a gagné en internationalisant un conflit mineur autour duquel se sont agglutinés des adversaires de tous genres. D’abord, une vaste majorité de citoyens qui rêvent depuis des années d’en découdre avec les libéraux et vouent une haine active à Jean Charest, transformé en ennemi numéro 1 du Québec en marche. Et une extrême gauche longtemps souterraine et de ce fait hyperactive, pour qui le noyautage, l’infiltration et l’intoxication selon les meilleures références soviétiques d’avant l’effondrement du mur de Berlin servent de praxis. Des groupuscules anarchiques, anticapitalistes qui radotent sur un Cuba du Nord et qui, comme le leader du Front de gauche en France, Jean-Luc Mélenchon, affirment sans hésitation que Cuba est une démocratie. S’ajoutent à ces personnes des indignés, des déçus, des nostalgiques des années du lyrisme nationaliste et des militants inconditionnels des droits et des libertés. Dans les reportages diffusés en France, par exemple, les manifestants interrogés exprimaient avec force et conviction l’un ou l’autre de ces points de vue. Les médias français dans leur quasi-totalité n’ont donné la parole qu’aux manifestants, si bien qu’il fallait en conclure à un mouvement généralisé et quasi unanime contre la gouvernance actuelle. Ignorés, les 70 % d’étudiants en classe ; inexistantes, les concessions faites aux étudiants. La rue montréalaise a réussi à donner à penser que la révolution sociale tant réclamée en Europe et ailleurs est en marche là où on ne l’attendait guère, dans « ce Québec irréductible, village gaulois encerclé par l’Amérique », comme l’a décrit avec enthousiasme un confrère de la radio française.

Comment allons-nous retrouver nos esprits après tant d’excitation, de fébrilité, de haine aussi, une haine sans retenue, violente, collante, épeurante, véhiculée à travers les médias sociaux d’abord, dans les médias traditionnels ensuite, où devraient pourtant exister des filtres plus efficaces, et dans le discours public des matamores de tous genres ? Comment remettre la raison à l’honneur alors que le calendrier politique va nous plonger bientôt dans une campagne électorale dont on n’ose imaginer l’atmosphère avec la rue comme lancinante tentation des flambeurs, pyrotechniciens et autres extrémistes allergiques à la parole contraire ? Qui, parmi les meilleurs d’entre nous, nous, le peuple québécois perturbé, inquiet, espérant et raisonnable, émergera pour imposer leur autorité morale sans laquelle le chaos, la désorganisation sociale, la déstabilisation institutionnelle nous guettent ? Comment un futur gouvernement, vraisemblablement minoritaire, en arrivera-t-il à exercer le pouvoir sous la menace de cette épée de Damoclès que représente la victoire de la rue de ce printemps érable ? De quoi faut-il se souvenir pour en arriver à comprendre les raisons de cette folie qui s’est emparée de nous et que l’on cristallise sur la personne du premier ministre et son parti, mais dont on a l’intuition qu’elle pourrait resurgir devant tout dirigeant politique à l’avenir qui ne répondrait pas aux exigences des uns ou des autres ? Et si le joyeux tintamarre actuel servait aussi à empêcher d’entendre la gravité du silence sans lequel aucune pensée ne peut naître ?


 

25 mai 2012

Vendredi le 25 mai 2012. Vol. 6, no. 16

labibfranco.canalblog.com

 

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La jubilation d'apprendre

Christian Rioux, Le Devoir (18-05-12) Jules Ferry 

Cela se passait dans le jardin des Tuileries, à Paris, pas plus tard que mardi. Le discours s’annonçait ennuyeux comme tant de discours officiels. Les invités avaient pris place sur les chaises alignées. Heureusement, plusieurs dizaines d’enfants égayaient la scène. Tout à coup, le déclic s’est produit. Était-ce à cause d’un mot, du ton ou du rythme de la voix ? Allez savoir. 

Mais surtout, il y eut cette phrase : « Les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs, au sommet de laquelle la science, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées, bien davantage que l’argent. » 

Ces mots n’ont pas été prononcés par un étudiant hirsute. C’était ceux du nouveau président français, François Hollande, qui avait symboliquement choisi comme tout premier geste de son mandat d’honorer Jules Ferry, le père de l’école laïque, gratuite et obligatoire. En entendant évoquer le « bonheur de la connaissance », le « sens de la curiosité intellectuelle », la « liberté souveraine de l’esprit » et la « jubilation d’apprendre », vous ne devinerez pas à qui j’ai pensé.

J’ai songé à ces milliers d’étudiants québécois qui défilaient probablement au même moment dans les rues de Montréal. À ceux-là mêmes qui manifestent jour et nuit depuis bientôt deux mois. Et je me suis dit que jamais ils n’avaient entendu de tels mots dans la bouche d’un responsable politique, et encore moins d’un premier ministre.

Et je n’ai pu m’empêcher d’imaginer que si, quelque part, un ministre québécois ou même un premier ministre - on peut toujours rêver - avait l’intelligence de s’adresser à eux avec cette hauteur de vue et cette profondeur de réflexion sur le sens et le rôle de l’éducation, et bien peut-être que nos étudiants reconnaîtraient cette autorité morale et intellectuelle. Peut-être surtout seraient-ils rassurés sur l’importance que nos élites accordent à l’éducation et qu’ils rentreraient en classe convaincus qu’ils n’étaient pas gouvernés par de vulgaires vendeurs de chars.

Car, au-delà des détails de ce qui s’est discuté au sommet du complexeG, cette révolte étudiante ne peut pas s’expliquer par l’action de quelques extrémistes comme certains, trop prompts à se rejouer Mai 68, semblent le croire. Ces étudiants feraient de toute façon de piètres soixante-huitards, eux qui réclament plus de présence de l’État, plus de réglementation et moins de gaspillage. Ce conflit révèle plutôt l’absence complète d’autorité de l’État et la profonde crise de confiance qui gangrène la société québécoise. Et je ne parle pas ici de l’autorité de la matraque, mais de la seule qui compte, celle qui s’impose d’elle-même par sa hauteur de vue et sa force de conviction.

C’est de cette hauteur de vue qu’a fait preuve François Hollande aux Tuileries en affirmant que l’école était le lieu de la connaissance et du savoir. Pas celui des sempiternelles « compétences » bonnes à formater de bons employés. Il a ensuite affirmé que l’école était le lieu de la « véritable égalité », celle « qui ne connaît comme seuls critères de distinction que le mérite, l’effort, le talent, car la naissance, la fortune, le hasard établissent des hiérarchies que l’École a pour mission, sinon d’abolir, du moins de corriger ».

Plus encore, ce discours présente l’éducation non pas comme un simple droit, mais comme un devoir : « Personne ne peut se voir refuser ce droit, nul ne peut s’exonérer de ce devoir. » Or, n’est-ce pas parce que l’éducation est un devoir auquel tous sont tenus que l’État a la responsabilité d’en garantir, sinon la gratuité, du moins de faire en sorte qu’elle ne soit pas réduite à une vulgaire marchandise, et les étudiants à de simples consommateurs ?

Écoutez au contraire quels sont les mots qui reviennent en permanence dans la bouche de nos recteurs et des ministres du gouvernement québécois ? « Investissement », « réussite », « succès », « compétition internationale », « mondialisation »! Il n’est jamais question de former des êtres plus libres, mais simplement plus riches. L’éducation ?Elle n’est qu’un « investissement », pas un bien en soi. Les  diplômes ? Une garantie de réussite et de gros salaires. Le savoir ? Une marchandise qui rapporte et qu’il faudrait donc payer au juste prix. Et l’on s’étonne qu’une partie de la jeunesse ne pense pas ainsi ? Il ne viendrait évidemment pas à l’idée de ces comptables qu’un étudiant est au contraire celui qui fait le sacrifice d’un salaire immédiat sans pourtant la moindre garantie pour l’avenir.

Sans être un partisan de la gratuité universitaire à tout prix, le philosophe belge Philippe Van Parijs avait bien compris cette propension des États modernes. C’est pourquoi il affirmait que « tout ce qui contribue à transformer la relation de nos étudiants aux institutions d’enseignement et à la communauté politique dont elles relèvent en une relation purement mercantile, loin d’apporter une solution au problème, ne fera que l’aiguiser ».

Le gouvernement québécois a-t-il jamais exprimé d’autres considérations à l’égard de l’éducation ? L’université ne semble pour lui qu’un passage obligé pour s’assurer un avenir confortable. Comment se surprendre alors que ce même gouvernement n’ait pas plus d’autorité qu’un vendeur de chars ?


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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LETTRE

Une cenne par jour

par contribuable

Rémi Thibault, Le Devoir (15-05-12)    

Comme il y a environ 40 fois plus de contribuables québécois que d’étudiants universitaires (4 millions contre 100 000), le calcul est fort simple. En divisant le nombre magique de 50 ¢ par jour avancé par l’ex-ministre Line Beauchamp, on arrive à la ridicule somme d’environ un cent et quart par jour par contribuable pour couvrir la hausse proposée (et en partie nécessaire, selon moi, par l’impôt) des frais universitaires. Cela vous fait un gros 4 $ par an de plus sur vos impôts pour vivre dans une société où un adolescent n’est pas pénalisé d’être intelligent et de poursuivre des études supérieures puis donné en pâture aux prêteurs. 

« Arrêtez de vous endetter », entend-on sur toutes les tribunes ! Paradoxal, non ? C’est ce que des pays aussi arriérés et anticapitalistes que l’Allemagne ont compris en ouvrant grand les vannes du savoir à leur jeunesse. Des chercheurs, des penseurs, des intellectuels, des inventeurs (pas seulement des médecins, des ingénieurs et des gestionnaires), c’est bon pour l’économie et ça paie des impôts.

Bachand et Charest sont des stationnements souterrains intellectuels dans un monde où l’humanité fait face aux plus grands défis de son histoire. Voulez-vous que le Québec avance ou recule ? Que l’humanité survive ou disparaisse ?


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VIE NUMÉRIQUE DES JEUNES

Après l'adoption massive,

un appel à la réflexion

collective 

Fabien Deglise, Le Devoir (22-05-12)   talking back to facebook 

Le chiffre, dévoilé la semaine dernière par le Centre francophone d’informatisation des organisations, ne laisse guère place à l’imagination. L’adoption des téléphones portables par l’homo modernicus, surtout les plus jeunes, se fait désormais de manière exponentielle. Entre 2010 et 2011, ces appareils sont passés des mains de 40 % des jeunes de 18 à 24 ans à celles de 78 % d’entre eux. En un an à peine. La communication en format mobile a la cote. Mais si désormais ces outils sont de plus en plus utilisés, le temps serait maintenant venu de se demander collectivement s’ils le sont bien. 

C’est en tout cas l’appel à la réflexion qu’a décidé de lancer en fin de semaine dernière James P. Steyer, fondateur de l’organisme Common Sense Media, un groupe de pression qui, depuis San Francisco en Californie, verse dans l’éducation des jeunes aux médias, à l’information, mais aussi à la socialisation des rapports humains par le numérique. Cela s’est passé à l’occasion du lancement de son livre, Talking Back to Facebook : The Common Sense Guide to Raising Kids in the Digital Age (Scribner) - traduction libre : Répliquer à Facebook, le guide du bon sens pour élever des enfants à l’ère numérique. 

Le temps est venu 

Le père de quatre enfants ne fait pas dans la complaisance habituelle lorsqu’il est question de technologie. Il estime que le temps est venu collectivement de suspendre les conversations dans les univers numériques pour, à la place, amorcer une conversation nationale - aux États-Unis - et globale sur les impacts, positifs ou négatifs, des réseaux sociaux sur la vie et sur la condition des jeunes qui y sont de plus en plus exposés.

 « Que l’on aime ça ou pas, a résumé à l’AFP ce professeur de droit à la Stanford University et chien de garde connu des libertés civiles aux pays de Barack Obama, les enfants d’aujourd’hui passent plus de temps avec les médias et la technologie qu’avec leur famille et l’école. » Et tout ça, bien sûr, n’est pas sans conséquence. 

James Steyer apporte de l’eau au moulin de la réflexion en soulignant que face à la technologie et à la socialisation en format mobile, la jeunesse s’expose désormais à une triple menace. Elle développe des troubles dans leurs relations interpersonnelles, doit composer avec des problèmes croissants de dépendance et de déficit d’attention et livre quotidiennement en pâture sur le Toile sa vie privée. Il résume. 

Des effets pervers confirmés

Plusieurs analyses du présent le confirment d’ailleurs. Récemment, une étude américaine a mis en lumière, par une série d’entrevues avec des experts du milieu de l’éducation, un drôle de portrait du présent où désormais deux jeunes peuvent se parler par l’entremise de messages textes alors qu’ils se trouvent physiquement dans la même pièce. Ces mêmes experts identifient même l’émergence d’une nouvelle angoisse au sein de cette génération connectée : la peur de la relation interpersonnelle. Physiquement, s’entend.

Autre dérive : à New York, les écoles publiques ont forcé, malgré elles, l’apparition dans les rues de nouveaux marchands ambulants dans des camions jusque-là réservés à la vente de nourriture. Leur commerce ? Pas celui de la saucisse dans un bout de pain, mais plutôt le gardiennage des téléphones cellulaires des élèves qui, par décret, n’ont plus le droit de pénétrer dans l’enceinte des écoles avec. De quoi alimenter une pathologie des temps modernes baptisée FOMO aux États-Unis, pour Fear of missing out - la peur de manquer quelque chose - et qui se développe chez les internautes et propriétaires de téléphones dits intelligents lorsqu’ils se retrouvent dans l’incapacité technique de communiquer : dans un avion, dans un troisième sous-sol, dans un hôtel sans accès à Internet, dans les couloirs d’un métro qui a manqué le virage de la modernité… Ce sont des exemples.

Pour Steyer, tout ça mérite que l’on s’arrête un instant pour y penser un peu, puisqu’il n’est pas possible, précise l’homme, de compter sur les fabricants de ces outils de communication et applications pour le faire. Et pour cause : ce sont pour la plupart des jeunes ingénieurs sans enfants, poursuit l’avocat engagé, ingénieurs qui se sont engagés dans une course effrénée à la collecte de données sans se soucier des questions liées à la vie privée, ni de l’impact psychosocial lié à l’utilisation de leurs produits. 

Plaisir et dépendance

Et impacts il y a certainement, comme l’a démontré il y a quelques jours dans les pages numériques de la revue savante Proceedings of the National Academy of Sciences, un duo de chercheurs en psychologie du Massachusetts Institute of Technology au terme d’une étude approfondie de l’activité cérébrale de personnes se dévoilant personnellement lors de conversations. Cette mise à nu serait physiologiquement très agréable, puisqu’elle active, selon eux, les mêmes zones de plaisir dans le cerveau que la nourriture, l’acquisition d’argent et… le sexe.

Ceci explique donc cela et surtout la dépendance induite par les réseaux sociaux où la confidence, sur soi ou sur ses proches, représente 30 à 40 % des échanges quotidiens des adeptes des réseaux sociaux. Par ailleurs, 80 % des messages produits le sont pour commenter l’instant présent que l’on est personnellement en train de vivre.

Dans ce contexte, Steyer réitère l’urgence d’une petite pause pour une réflexion de groupe et souhaite l’émergence d’une parentalité 2.0, des parents en somme encadrant un peu mieux le rapport de leur progéniture à la technologie. Comment ? En puisant dans le bon sens en interdisant l’usage de téléphones intelligents pendant le repas - « l’heure du repas n’est pas celle de la techno », dit-il - ou encore en établissant des périodes de temps sans écran et sans accès Internet à haute vitesse dans la cellule familiale. Entre autres.

Et bien sûr, croit-il, en sortant le débat d’une boîte ne pouvant contenir pas plus que 140 caractères ou d’un espace qui carbure à l’instant, à la confidence et à l’émotion, il y a du coup des chances de l’amener plus loin.


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Une insulte à l'intelligence

Jocelyne Robert (sexologue et écrivaine), La Presse (23-05-12)   

Je suis outrée d'apprendre que des personnes font pression pour faire fermer SEXE: l'expo qui dit tout!présentée au Musée national des sciences et de la technologie à Ottawa. 

Que des catholiques rigoureux, créationnistes ou autres intégristes s'excitent le poil des jambes à la moindre évocation des choses du sexe est une chose. Mais qu'un ministre, en l'occurrence James Moore, ministre du Patrimoine canadien dans le gouvernement Harper, clame que cette exposition est une «insulte pour les contribuables» est d'un ridicule consommé. L'insulte, c'est lui qui l'assène: insulte à l'intelligence et à la notion de pays civilisé. 

Insulte ou, pire encore, ignorance crasse ou déni. Le ministre Moore ignore-t-il que les enfants et adolescents sont exposés à coeur de jour, à la pornographie, à la sollicitation de prédateurs sexuels sur le web, à l'hypersexualisation de nos sociétés distillant images, scénarios, chansons , films, clips explicitement sexuels dans des contextes le plus souvent violents? Le ministre Moore ignore-t-il que le sexuel est omniprésent, envahissant, chosifié comme si le corps, la jeunesse et l'érotisme n'étaient que stricts produits de consommation? 

M. Moore connaît-il si peu les adolescents et est-il si ignorant qu'il ne sait pas que ceux-ci ont plus que jamais besoin d'informations sur la sexualité, saines, limpides, scientifiques, qui viennent, justement, rivaliser avec le message ambiant omniprésent? 

SEXE: l'expo qui dit tout! a d'abord été présentée au Centre des sciences de Montréal avant d'être reprise au Musée national des sciences et de la technologie à Ottawa. Je fais partie de l'équipe d'experts multidisciplinaires consultés tout au long de son élaboration. J'ai aussi été sa porte-parole médiatique. Pour avoir visité des expositions semblables dans le monde dont celle de Paris en 2009 et d'autres de moins grande envergure, j'affirme que SEXE: l'expo qui dit tout! est un bijou de créativité, une réalisation respectueuse du degré de développement sexuel des adolescents ainsi que de leurs besoins.

Tous, adolescents, enseignants, parents, intervenants ont reconnu le tour de force réalisé par cette expo: présenter un contenu global, non limitatif, juste, scientifique et non dépourvu d'affectivité, par l'entremise de plateformes multimédias capables de transmettre ces infos de manière ludique et attrayante pour les jeunes.

Cette exposition a été primée, a mérité de nombreux prix. Elle fait oeuvre éducative et humanitaire en amenant les jeunes qui la visitent de développer un esprit critique face à la pression sociale à l'égard d'une sexualité précoce et «obligée». Elle s'ancre, tout au long de son parcours dans des valeurs morales et humaines de respect de soi et d'autrui, d'égalité, de dignité, de consentement réel, de réciprocité.

Si on ne m'avait pas dit, si je n'avais pas lu que ces propos bêtes, primaires, irrecevables et retardés venaient d'un ministre conservateur, j'aurais cru spontanément qu'ils ne puissent venir que d'un pornographe, craintif qu'un public mieux éduqué et mieux renseigné lui fasse perdre une part de son marché...

Le ministre Moore devrait s'excuser d'avoir ainsi insulté l'intelligence des centaines de milliers de jeunes, de parents, d'éducateurs qui ont profité et apprécié cette formidable exposition. Et surtout, il devrait s'attarder à la vraie corruption des moeurs qui ne manque pas dans ce grand Canada.


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La jeunesse expliquée

aux vieux

Stéphane Laporte, Le Devoir (19-05-12) 

« On devient vieux quand les jeunes nous abandonnent » Marcel Pagnol

La crise que traverse le Québec est exceptionnelle, encore plus que la loi déposée jeudi, parce qu'elle touche à ce qu'un pays possède de plus précieux: sa jeunesse.

Voilà pourquoi il ne faut pas la gérer comme on gère Rambo.

Bien sûr, ce n'est pas toute la jeunesse du Québec qui est dans la rue. C'est 150 000 jeunes sur un million et demi. Mais 150 000 personnes, c'est quand même une grosse gang, surtout quand on pense que 50 individus, c'est assez, selon le projet de loi 78, pour mettre en danger la société. Et c'est sans compter tous les jeunes qui ne marchent pas, mais qui se cherchent eux aussi.

Quand la jeunesse se révolte, il faut savoir l'écouter. Il faut savoir l'apprivoiser.

Bien sûr, Léo, Martine et Gabriel n'ont pas toujours raison. Parfois, ils sont dans le champ, dans le beau champ, même. Mais ils y sont par principe, et pas par intérêt. Ils n'y sont pas pour trouver du gaz de schiste, mais pour trouver la vérité. Et Dieu sait qu'il faut creuser.

Ils sont jeunes. C'est pourquoi on ne peut être contre eux, car ce serait être contre notre avenir. Ce serait être contre ce que nous avons fait de mieux: eux.

Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la frappe a toujours tort.

Cette citation est de François Mitterrand. Il a fait cette déclaration à l'Assemblée nationale française en mai 1968. Elle n'a pas vieilli d'une seconde. Elle est toujours actuelle.

Un gouvernement a le devoir d'aimer sa jeunesse comme les parents ont le devoir d'aimer leurs enfants. Le pire est à craindre d'une jeunesse mal aimée.

Certains diront que la jeunesse québécoise est faite d'enfants-rois trop gâtés qui méritent la méthode forte.

Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect pour l'âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans.

Ce n'est pas un chroniqueur montréalais qui s'est exprimé de la sorte cette semaine; c'est Socrate qui a dit cela, 450 ans avant Jésus-Christ. C'est pour dire…

C'est le propre des jeunes, depuis toujours, de tout vouloir. Et de déranger. Les cheveux gominés des années 50, les cheveux longs des années 60, les barbus à la Paul Piché des années 70 tapaient autant sur les nerfs des plus vieux que les petits poils hirsutes de Nadeau-Dubois irritent les bien rasés.

Si on pouvait recouvrer l'intransigeance de la jeunesse, ce dont on s'indignerait le plus, c'est de ce qu'on est devenu.

Celle-là, elle est d'André Gide. Dans le fossé entre jeunes et vieux, il y a beaucoup de cela. Comme si les plus âgés avaient oublié comment ils étaient à l'âge de Léo. Je suis assez vieux pour me souvenir d'un jeune député conservateur, mais fringant, aux cheveux bouclés comme Peter Pringle, qui disait parler au nom de la jeunesse. Aujourd'hui, il est premier ministre, responsable du dossier jeunesse, et il évite de rencontrer les leaders étudiants.

Père absent, négociation manquée.

Pourquoi? Parce que les trois intrépides jeunes gens sont trop impétueux? C'est leur nature. C'est leur âge. Faut les comprendre.

La plus inquiétante jeunesse est celle qui n'a pas d'opinions extrêmes.

Ces propos furent tenus par le comte de Chambord, qu'on peut difficilement assimiler à Amir Khadir puisqu'il fut prétendant à la couronne de France au milieu du XIXe siècle. Cet homme avait comme dessein de s'asseoir sur le trône après la prise de la Bastille et, pourtant, il se méfiait d'un jeune qui n'était pas révolutionnaire. Notre politique manque dramatiquement de philosophes.

L'homme n'est pas fait pour vivre longtemps: l'expérience le corrompt. Le monde n'a besoin que de jeunesse et de poètes.

Encore là, vous serez surpris de savoir que cette citation ne provient point d'Ariane Moffatt, mais d'un auteur de droite né en 1884: Jacques Chardonne.

Pour purifier ce monde corrompu, on a besoin de jeunes idéalistes. C'est le seul antidote possible. Faut pas les museler, faut les écouter. Et leur parler.

Les jeunes vont en bandes, les adultes en couples et les vieux, tout seuls (proverbe suédois).

Je ne sais pas quelles seront les conséquences de la loi spéciale, mais empêcher les jeunes de se rassembler, c'est comme empêcher Jean-François Brault de chanter avec Marie-Ève Janvier. C'est impossible. Et c'est surtout bien mal les connaître.

Chaque coup de colère est un coup de vieux, chaque sourire est un coup de jeune (proverbe chinois).

Je nous souhaite que les jeunes sachent répondre pacifiquement à la tournure des événements. Sinon, j'ai bien peur que le Québec prenne un méchant coup de vieux.

Question de garder espoir, je terminerai mon cours de jeunesse 101 avec la célèbre phrase de Picasso: «Il faut longtemps pour devenir jeune

Je nous souhaite à tous, carrés rouges, carrés verts, carrés blancs et carrés aux dattes, de l'être très bientôt.

La jeunesse et l'été vont si bien ensemble.


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Sexe : le gouvernement

qui nie tout!

Mathieu-Robert Sauvé, Danielle Ouellet,

Thomas Gervais, Binh An Vu An,

Richard D. Lavoie, Le Devoir (09-05-12) 

Le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, se couvre de ridicule en affirmant que l’exposition Sexe, l’expo qui dit tout, à l’affiche du Musée canadien des sciences et de la technologie, est inappropriée pour les jeunes, à qui elle est précisément destinée. Son contenu « ne peut être défendu et est insultant pour les contribuables », estime M. Moore. Cédant sous la pression avant même l’ouverture des portes, le 20 mai, l’établissement a haussé l’âge minimum sans être accompagné d’un adulte de 12 à 16 ans.

Rappelons que l’exposition, créée à Montréal en 2010 par une équipe de muséologues, en collaboration avec des sexologues, des psychoéducateurs, des pédagogues, des comités de parents et d’enseignants, a remporté deux prix d’excellence après avoir été présentée - sans controverse - à Montréal et à Regina. Pour cette exposition, le Centre des sciences de Montréal a reçu plus de 250 000 visiteurs, de toutes origines et religions. Or, il n’a pas reçu une seule plainte. Tous les professeurs sondés, sans exception, ont rapporté avoir été satisfaits de l’exposition et la recommanderaient à d’autres.

Après s’être fait remarquer pour accueillir depuis 2009 un ministre créationniste chargé des sciences et des technologies (Gary Goodyear), le cabinet conservateur de Stephen Harper s’enlise dans les orientations idéologiques et heurte l’intelligence des Canadiens. On croirait revenir aux années 1950 quand la séparation de l’Église et de l’État n’était encore que le souhait d’une minorité.

Oui, l’exposition aborde de front, dans une esthétique audacieuse, la sexualité des jeunes adultes et des thèmes comme la masturbation et le plaisir sexuel. M. Moore ne saura le nier, tous les Canadiens, peu importe leur croyance, leur origine ou leur milieu social, ont une sexualité et vivent les changements troublants de l’adolescence, l'apparition de poils pubiens, les questionnements liés au désir et à l’identité sexuelle. Ils côtoieront des pratiques sexuelles variées, comme l’homosexualité et la bisexualité. 

Au Canada, les citoyens sont encore libres de construire leur éducation et leurs valeurs comme ils l’entendent sur des valeurs idéologiques ou rationnelles. Ils peuvent choisir de se préserver pour le mariage ou pratiquer l’échangisme en privé. Et ce n’est pas au gouvernement de décider s’il faut les priver des dernières connaissances et d’une éducation scientifique. 

Cette exposition - développée avec le plus grand souci éthique et éducatif - contribue surtout à nourrir la culture scientifique. N’est-il pas préférable que les jeunes trouvent réponse à leurs questions par la voie choisie des spécialistes en éducation plutôt que par tâtonnement sur des sites Internet ou en glanant des informations partielles de leur entourage ? L’exposition présente notamment l’histoire de la contraception et les meilleures façons de limiter la transmission de maladies. Rappelons que les infections sexuellement transmissibles constituent une source de préoccupation croissante pour la santé publique, comme l’indique l’Agence de santé publique du Canada. « La majorité des cas de chlamydia et de gonorrhée continuent d’être observés chez les Canadiens âgés de 15 à 29 ans : en effet, 80 % des cas de chlamydia et 70 % des cas de gonorrhée sont signalés dans ce groupe d’âge. » ( www.phac-aspc.gc.ca/cpho-acsp/statements/20120213-fra.php). 

Le seul élément positif des déclarations obscurantistes du ministre Moore, et de la cinquantaine de plaintes provenant de groupes religieux et de visiteurs rétrogrades, aura d’ailleurs été d’attirer l’attention du public sur cet événement qui mérite le détour. 


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Lettre à ma fille de

dix ans

Sandra Pronovost, Le Devoir (17-05-12)  

Chère Ophélie,
Je m’adresse à toi parce que tu es la plus âgée de mes enfants. Tu es aussi très engagée et brillante, en plus. À 10 ans, tu es la présidente de ton école. C’est beau de te voir expérimenter la démocratie. Tu as su gagner la confiance de tes « électeurs ». Tu te distingues par ta capacité d’écoute. Je suis tellement fière de toi. J’ai le goût de t’écrire, ce soir, parce que j’ai quelque chose sur le coeur.

Quand tu as du mal à exprimer tes émotions, je te suggère de les mettre par écrit. Je vais faire de même, si tu le permets. D’abord, je suis triste. Triste de voir qu’en 14 semaines de grève, j’en apprends plus sur les techniques de propagande qu’en trois ans d’université. Je suis triste de voir que l’objectivité est en voie d’extinction. Je suis triste de voir se cristalliser un discours haineux envers des gens qui demandent qu’on réfléchisse avant d’agir. Je suis triste de constater qu’avec un peu de démagogie, on arrive à convaincre les citoyens qu’ils ne sont plus que des contribuables et qu’un vote les engage à suivre les yeux fermés ceux qu’ils ont élus.

Je suis triste de voir qu’on tente de casser, par tous les moyens, une mobilisation sans précédent. Je suis triste de voir la manipulation verbale qui transforme des concepts simples (grève) en aberrations langagières (boycottage). Je suis triste de voir que l’éducation est ainsi réduite à un produit de consommation comme un autre. Je suis triste de voir que ceux qui se battent pour une éducation accessible à tous se voient traités d’enfants gâtés, alors que ceux qui utilisent le système de justice pour avoir « accès » à leurs cours, afin de ne pas être pénalisés personnellement par le mouvement de grève, sont perçus comme responsables. C’est une question de perspective, je suppose.

Je suis également outrée, ma fille. Outrée de voir les policiers utiliser des tactiques dignes d’un pays en guerre civile pour contrôler les foules. Mais le but, ma chouette, ce n’est pas tant de contrôler la foule, mais bien de marquer les esprits. Qui aura le courage de ses convictions si, en tout temps, la police peut décréter une manifestation illégale, procéder à des arrestations préventives ou même utiliser une force excessive qui risque de nous handicaper ? Je bous quand je réalise que plusieurs applaudissent à la chose. Il n’y a rien de plus violent que l’indifférence érigée en système.

Je voudrais tellement faire plus pour la cause. Mais je suis déjà très occupée, avec toi, ta soeur et tes frères. Avec mes études universitaires. Avec mon stage. Avec tout ce qu’il faut faire, en 2012, pour juste vivre. Alors, si un jour tu dois sortir de l’université avec une dette abyssale, j’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir fait si peu. J’ai porté le carré rouge. J’ai diffusé toute l’information que j’ai pu. J’ai débattu avec ceux qui ont bien voulu le faire. J’ai valorisé le savoir en retournant à l’université à 30 ans, convaincue que c’était ma voie vers une carrière qui me permettrait de nous faire vivre décemment.

Même si cela exige de nous de faire partie des gens « pauvres » pendant quelques années. Même si pour cela je renonce à un salaire et m’accroche au filet social qu’est l’aide financière, acceptant par la bande d’en sortir très endettée. L’espoir que j’ai de vous offrir une vie meilleure est ma principale source de motivation. Si je devais m’être trompée, j’espère que tu me pardonneras.

Je suis une éternelle optimiste. Je crois toujours qu’un moratoire peut être décrété. Avec des états généraux. Pour discuter vraiment de tous les enjeux qui entourent l’éducation postsecondaire. Ce n’est pas qu’une question de sous. Ce n’est pas qu’une question d’ego. C’est aussi une question de mission. C’est seulement s’assurer qu’on prend le bon chemin avant d’en avoir fait la moitié. C’est logique, je sais. Va savoir pourquoi c’est une avenue si décriée. Mais tu sais, c’est aussi une question de respect envers les générations futures qui n’auront pas voix au chapitre. Oui, comme toi. Ça serait bien que tu saches pourquoi ton éducation est comme elle est, quand tu y seras, dans moins de 10 ans.

Ça me fait du bien que tu saches que j’y crois. Que je voudrais y être. Que j’y serais sûrement si je n’avais pas d’enfants. Même si j’ai encore plus de raisons d’y être, vu que j’ai des enfants, je choisis de rester près de vous. Je rentre dans le rang. Et j’en suis gênée. Je suis sûre que tu me comprends. Je sais que tu as déjà la force de tes convictions. Je sais que tu viendrais même avec moi, si j’y allais. Mais dans l’état actuel des choses, tu comprends pourquoi c’est hors de question. Je t’aime, ma belle. Et j’espère que ton avenir brillera. J’espère que tu pourras étudier sans commencer ta vie adulte en la devant.

J’espère que ce jour-là l’éducation sera une question de talent. Pas une question d’argent ou d’endettement.


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Regard littéraire

sur la crise

Glenda Wagner, Le Devoir (23-05-12) regard litteraire

Le Québec demeure le cancre du Canada en matière de diplomation universitaire, selon Statistique Canada. En effet, le pourcentage de Québécois qui terminent leurs études universitaires reste largement inférieur à la moyenne canadienne. C’est pourquoi j’appuie les revendications étudiantes pour une éducation accessible à tous et dénonce le projet de loi 78 dans la foulée.

La littérature nous apprend beaucoup sur la crise actuelle. Il est, par exemple, un roman de la littérature québécoise que, toute jeune, j’avais considéré comme extrêmement noir ce que d’autres ont nommé le « misérabilisme intellectuel » au point de mettre longtemps à l’apprécier à sa juste valeur. Il s’agit d’Une saison dans la vie d’Emmanuel, de Marie-Claire Blais. Citons-le : « Né sans bruit par un matin d’hiver, Emmanuel écoutait la voix de sa grand-mère. […] “ Oh ! mon enfant, personne ne t’écoute, tu pleures vainement, tu apprendras vite que tu es seul au monde ! Toi aussi, tu auras peur… ” »

Tirée des premières pages du roman - et loin d’illustrer à elles seules toute la dureté contenue dans ce récit : indigence matérielle, ajoutée à la pauvreté intellectuelle -, cette citation révèle néanmoins que, quoi que fasse le poupon et, donc, qu’il aura beau s’époumoner, on ne lèvera pas le petit doigt pour lui venir en aide. Lors de lectures successives, je me réconfortai en me répétant que les familles québécoises pauvres, sans éducation, etc., à l’instar de celle-ci, n’existaient plus ; que la Grande Noirceur était derrière nous. Or, par le truchement de son projet de loi 78, le gouvernement Charest a répondu de la même manière aux étudiants que Grand-Mère Antoinette à Emmanuel : « [Personne] ne t’écoute. […] Toi aussi, tu auras peur… » Depuis vendredi dernier, quant au fait que la Grande Noirceur soit chose du passé, à savoir que l’on cherche, pour tous les Québécois, à leur offrir, peu importe leur naissance et leurs moyens financiers, la même chance qu’à tous, je n’en suis plus certaine…

Retour vers le passé

Il y a cette autre phrase qui, dans La recherche du temps perdu, de Marcel Proust, a toujours éveillé une résonance en moi : « Mais on ne profite d’aucune leçon parce qu’on ne sait pas descendre jusqu’au général et qu’on se figure toujours se trouver en présence d’une expérience qui n’a pas de précédents dans le passé. » En ce qui concerne notre propos, elle suggère, entre autres, que le Québec et ses étudiants vivent ce qui a déjà eu lieu dans le passé. J’en veux pour preuve Pierre Vallières qui - arrêté à New York au mois de septembre 1966 alors qu’il distribuait des tracts devant l’édifice des Nations unies ; puis accusé d’avoir troublé la paix publique (en se rendant aux Nations unies…) et d’être entré illégalement aux États-Unis (avec son passeport dans les poches…) ; et, enfin, expulsé illégalement jusqu’à Montréal, au mois de janvier 1967, fut emprisonné parce qu’il défendait d’autres idées que celles du pouvoir en place.

Cédons-lui la parole, quant à son état d’esprit, juste avant son arrestation à New York : « Je n’étais plus certain d’aucun avenir lorsque j’ai été arrêté à New York. [Mais] je tenais à me battre. Les appuis étaient minces, fort minces, mais je voulais espérer contre toute espérance. » (1994: 27) Comme aujourd’hui, au lieu d’être réceptif, d’entendre ce cri du coeur et d’écouter les voix discordantes, le gouvernement, élu par le peuple et pour le peuple, a préféré la diversion, ce qui nous a menés tout droit dans un mur : aux tristes événements d’octobre 1970, que personne, pas plus que moi, ne souhaite revivre. 

Joug du clergé

La peur a longtemps paralysé les Québécois. Aussi, s’il est un roman truculent de notre littérature nationale qui témoigne un cynisme exacerbé à l’égard de l’aliénation du peuple québécois, c’est bien Le libraire, de Gérard Bessette. Le joug dont parle ce petit roman est celui du clergé. Pour mémoire, ce dernier était roi au Québec. Il avait, comme le dirait l’autre, les deux mains sur le volant. C’est pourquoi il eut le loisir de, notamment, mettre arbitrairement à l’index des ouvrages de grands auteurs tels les Gide, Lamartine, Montaigne, Voltaire… Assujettis aux restrictions d’un clergé qui censurait ce qui lui paraissait inquiétant, les Canadiens français n’avaient pas toute la latitude pour lire ce qui existait sur le marché, d’où leur aliénation. Selon le point de vue du clergé, devenait nocif ou risqué ce qui menaçait l’autorité de l’Église, tel son monopole sur l’imaginaire collectif québécois.

Dans Le libraire, comme l’un de ces ouvrages interdits, L’essai sur les moeurs, de Voltaire, a passé des mains d’un élève à celles des autorités religieuses, celles-ci usent, sans scrupule, de leur pouvoir pour appréhender les coupables de ces mauvaises moeurs. Soit. Mais, cependant que cette histoire parvient aux oreilles des villageois, ceux-ci se montrent complaisants à l’égard du clergé, voire serviles. Autrement dit, quoiqu’inquiétés, ils ne sont nullement indignés par ces interdictions, comme si elles étaient naturelles ou transcendantes. En effet, leur aliénation estt elle que la plupart d’entre eux avalisent leur infantilisation même ; attitude que l’on nomme, à la suite de l’essai d’Étienne de La Boétie, ami de Montaigne, la servitude volontaire. Seulement âgé de 18 ans en 1548, l’auteur du Discours de la servitude volontaire avait désiré « qu’on [lui fisse] comprendre comment il se [pouvait] que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. » Et, il conclut : « Telle est pourtant la faiblesse des hommes ! »

On s’en doute, je suis contre toute forme d’asservissement. Et, pour terminer, j’écrirai avec Gilles Marcotte qu’est « nécessaire » non seulement la littérature, mais encore l’Art tout entier. Lesquels nous initient « à lire dans le monde ce que, précisément, les discours dominants écartent avec toute l’énergie dont ils sont capables ».


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Le clivage franco-anglo

Lysiane Gagnon, La Presse (17-05-12)

Dans la crise étudiante, il y a un net clivage entre la région montréalaise, où se concentre l'agitation, et le reste de la province. Même le cégep de Limoilou, qui a toujours été un foyer de contestation étudiante, fonctionne normalement…

Mais il y a un autre clivage, encore plus spectaculaire, et celui-là a en quelque sorte scindé la ville en deux. C'est celui qui existe entre les francophones et les anglophones.

Pendant que les institutions françaises étaient déchirées à des degrés divers par le conflit, du côté anglophone, l'heure était au calme... et aux études.

Au collège Dawson, une institution du centre-ville qui est en quelque sorte le pendant anglais du cégep du Vieux-Montréal, 4000 étudiants ont participé au vote (secret) et écarté la grève. Même chose au collège John Abbott, où l'association étudiante a organisé un référendum (avec votes secrets) qui a duré toute la journée. On notera ici la procédure très démocratique qui a encadré ces décisions.

À l'Université Bishop, l'association étudiante n'a même pas réussi à recueillir les 150 signatures requises pour organiser un vote de grève!

À Concordia, l'université populaire du centre-ville qui est la version anglophone de l'UQAM et qui a connu bien des remous sociaux, les cours n'ont jamais été suspendus. Les profs que les grévistes ont empêchés de donner leurs cours ont donné des examens en ligne ou des travaux à faire à la maison.

À McGill, peu de perturbations. Au plus fort du mouvement (autour du 22 mars), quelques milliers d'étudiants ont participé au boycottage, notamment à l'École de travail social, en science po et en lettres. Il reste, selon l'université, une quarantaine de grévistes concentrés dans les «gender studies» et... en littérature française.

Comment expliquer cette différence entre des jeunes du même âge, qui vivent dans la même ville et partagent les memes loisirs et les mêmes activités culturelles?

La première raison est d'ordre politique. Les non-francophones, en général réfractaires au PQ, n'éprouvent pas envers le gouvernement Charest la même hargne que leurs compatriotes francophones. Or, ce conflit étudiant est puissamment alimenté par la mouvance péquiste, tandis que les jeunes les plus militants subissent l'influence de Québec solidaire et des organisations anarcho-communistes.

Bien qu'il existe une solide et ancienne tradition de gauche chez les Anglos-Montréalais, ces derniers hésiteront à adhérer à des mouvements qui, comme QS, prônent aussi l'indépendance du Québec. Cette gauche-là est chez elle au NPD, mais ne participe pas à la fronde, car le NPD s'est (fort intelligemment) dissocié de la fronde étudiante.

L'autre raison tient au fait que les Anglo-Québécois de vieille souche ont toujours valorisé l'éducation, bien davantage que les francophones. C'est aussi le cas des allophones, ces fils d'immigrants qui se sont expatriés pour donner un meilleur avenir à leurs enfants. Il s'en trouve un très grand nombre à Dawson et à Concordia.

Les francophones, on le sait, sont proportionnellement moins enclins à valoriser l'éducation. En 2010, chez les 25-34 ans québécois, 24,8% des francophones avaient un diplôme universitaire. C'était le cas de 34,9% des anglophones... et de 37,4% des allophones.

Les francophones sont, de tous les Canadiens, ceux qui lisent le moins de livres et qui s'informent le plus par la télé. Ils sont non seulement plus nombreux à «décrocher» ou à se contenter d'un diplôme inférieur, ils sont aussi plus portés à allonger indûment la durée de leurs études collégiales ou universitaires. D'où le fait que tant d'étudiants n'aient pas hésité à compromettre leur semestre d'hiver en boycottant leurs cours... Bof, un semestre de plus ou de moins!


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L'acte fondateur de

l'âge barbare 

Gordon Lefebvre, Éric Martin, Le Devoir (23-05-12) 

Pour une première fois, nous prenons la plume au Québec en craignant que cela puisse entraîner des représailles à notre endroit. Malgré cela, il existe des choses qu’il faut dire et écrire lorsque des crises significatives éclatent qui risquent d’ébranler les fondements mêmes de la démocratie.

Depuis le début du conflit étudiant, le gouvernement présente l’augmentation des droits de scolarité comme une décision purement budgétaire qui relèverait du bon sens et de la saine administration. Or, malgré son aspect comptable à première vue, il s’agit dans les faits d’une décision proprement politique, laquelle participe d’un projet néolibéral de transformation du rapport que la jeunesse entretient avec le savoir, les institutions et la société en général.

En effet, dans son discours de présentation de la loi d’exception, Jean Charest a qualifié la réforme du financement universitaire « d’acte fondateur » : « le gouvernement a posé un acte fondateur, il s’agit de l’avenir de nos universités et de nos collèges, il s’agit donc de l’avenir de nos enfants, du financement d’institutions qui sont névralgiques pour l’avenir de notre peuple ». Il faut entendre cette refondation comme une rupture avec les valeurs cultivées par notre société depuis la Révolution tranquille : universalité, égalité, caractère public de l’éducation.

Désormais, l’éducation est entendue comme un bien de consommation individuel que s’arrachent des clients en concurrence. Cette transformation pousse les étudiants à intérioriser sous la contrainte les idées et comportements qu’attendent d’eux les entreprises et l’économie capitaliste. Les étudiants ne sont pas les seuls à qui on impose la culture de « l’utilisateur-payeur ». Cet imaginaire se diffuse dans toute la société, et tous les services publics.

C’est le sens de la « révolution culturelle » dont parle le ministre des Finances, Raymond Bachand. Si le gouvernement tient tant à casser la résistance de la jeunesse, c’est qu’il veut s’assurer que la transition d’ensemble se fasse docilement.

Faux-fuyants

Afin d’éviter un débat de fond sur les finalités qui animent ses politiques, le gouvernement a tout fait pour faire dévier la discussion sur des enjeux réels, mais secondaires. Par exemple, on peut faire de savants calculs sur l’accès aux prêts d’études, mais cela ne règle en rien le débat fondamental sur la gratuité scolaire, une revendication dépeinte dès le départ comme utopique et irréaliste.

Avant d’en arriver au décret d’une loi spéciale, le gouvernement a tenté d’épuiser le mouvement étudiant. Par la suite, il a prétendu être ouvert à des négociations au moment même où il préparait le projet de loi 78.

Cette loi menace les libertés fondamentales et rompt avec les principes fondateurs de la démocratie. Par exemple, en vertu de l’article 9 : « le ministre de l’Éducation […] peut prendre toutes les mesures nécessaires, notamment prévoir les dispositions législatives et réglementaires qui ne s’appliquent pas et prévoir toute autre adaptation nécessaire aux dispositions de la présente loi ainsi qu’aux dispositions de

toute autre loi ». Ces dispositions ouvrent la porte à la soumission de toutes les lois au pouvoir discrétionnaire et à l’arbitraire d’un seul ministre. L’effet recherché par cette loi spéciale est-il vraiment de calmer les esprits comme le prétend M. Charest ? Faut-il aller jusqu’à comprendre, comme le disent certains avocats, qu’il faudrait même parler d’un « coup d’État constitutionnel » auquel il ne manquerait que la « loi du cadenas » ? 

La Noirceur est en avant

Pour la génération des baby-boomers, la Grande Noirceur est peut-être derrière dans le souvenir de Duplessis. Mais pour la jeunesse qui est dans la rue actuellement et depuis 2001, 2005 et le G20 de Toronto, la Grande Noirceur est droit devant : Charest à Québec, Harper à Ottawa. Dans les deux cas, le budget sert d’arme de destruction massive des politiques sociales.

Contre cela, depuis des semaines, la jeunesse persiste pour introduire dans le débat public une conception du rapport au savoir et une conception du monde qui s’opposent aux politiques néolibérales actuelles. Elle nous donne l’exemple de la résistance aux politiques de Charest et Harper par sa combativité, sa ténacité, sa résilience et sa solidarité. Si nous abandonnons les jeunes au matraquage policier et aux lois matraques, nous aurons laissé dire qu’il s’agissait uniquement d’une lutte corporatiste ou d’un conflit de générations.

Or, il s’agit d’une revendication qui concerne toute la société et son avenir. Nous choisissons aujourd’hui le visage du Québec de demain. Sera-t-il une collection d’individus-entrepreneurs en guerre concurrentielle, ou une société rassemblée autour de valeurs humanistes, de justice sociale et de respect de l’écologie ? Pour empêcher la barbarie néolibérale de prendre racine, il faut s’engager résolument auprès de la jeunesse et lutter à ses côtés.


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Il devient urgent de

protéger la liberté

de conscience

Jean-Claude Leclerc, Le Devoir (22-05-12)

Les évêques catholiques du pays ont lancé un « appel pressant » aux citoyens de toute croyance à défendre la « liberté de conscience et de religion », de nouveau menacée, notent-ils, à travers le monde, mais aussi au Canada. Ils invitent aussi les membres de leur Église à faire valoir en public leurs convictions religieuses. Et ils leur font un devoir de résister aux lois « contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile ».

Leur lettre pastorale cite l’Institut Pew qui a relevé des situations graves dans plus de 70 % des pays du monde, ainsi que des cas de « conscience » posés au Canada par de nouveaux « droits » relativement à l’avortement, à la contraception et au mariage. Ces évêques espèrent « sensibiliser » tout le pays à l’importance des droits religieux. Et « encourager » les professionnels catholiques à résister quand ils sont parfois « forcés à agir contre leur foi ou contre leur conscience ».

Plus de 40 notes doctrinales, dont la moitié de Benoît XVI, y expliquent la liberté de conscience et de religion comme élément essentiel de la dignité humaine et contribution au bien des sociétés et au progrès de la civilisation. Les évêques s’appuient également sur la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et sur la Charte canadienne des droits et libertés (1982), dont le préambule évoque « la suprématie de Dieu et la primauté du droit ».

Certes, les évêques entendent « ne rien imposer », mais plutôt « proposer ». Tout en obéissant au vieux commandement de proposer l’Évangile au monde entier, ils estiment que les auditeurs auxquels ils s’adressent sont libres d’y adhérer. « Nous ne devons jamais imposer aux autres nos convictions religieuses », réitèrent-ils après Jean-Paul II, « il faut respecter les personnes et les cultures en s’arrêtant devant l’autel de la conscience ». Mais le même respect, ajoutent-ils, devrait valoir de la part de l’État envers les croyants, notamment au Canada.

Or, les évêques citent le cas de certains collèges de médecins qui exigent de leurs membres parfois opposés à l’avortement qu’ils « redirigent leurs patients vers un collègue disposé à le faire ». Ou encore de pharmaciens « menacés d’être forcés de remplir des ordonnances de contraceptifs ». Dans cinq provinces, des commissaires doivent célébrer les mariages homosexuels « ou présenter leur démission ». Ils en ont également contre des tribunaux des droits de la personne qui serviraient à brimer les libertés religieuses.

La lettre épiscopale ne se limite pas à un exposé de leurs principes et de leurs sujets d’inquiétude. Les évêques ont aussi un programme d’action. Ils recommandent quatre objectifs à leurs « concitoyens » : affirmer la place de la religion dans l’espace public ; préserver de « saines relations » entre l’Église et l’État ; former la « conscience selon la vérité » ; et protéger « le droit à l’objection de conscience ».

Pour contrer la marginalisation de la religion par les « laïcistes radicaux », tous les citoyens doivent, à leur avis, faire preuve de « vigilance » afin de préserver les symboles et les célébrations qui expriment « l’héritage des nations façonnées au creuset du christianisme ». Loin de laisser restreindre leur foi à la « sacristie », les chrétiens « engagés » doivent agir publiquement et participer aux institutions sociales dont plusieurs voudraient les exclure.

Tout en acceptant une « laïcité légitime » et la distinction entre l’Église et l’État, les évêques veulent que l’arène publique permette aux croyants d’« inspirer les lois et les institutions sociales ». Cette coopération existait autrefois, mais ce ne sera possible, estiment-ils, que si les institutions religieuses sont « libres d’agir en accord avec leurs propres principes et leurs convictions spécifiques, basés sur la foi et l’enseignement officiel ».

Quant à la formation de la conscience, le Canada doit garantir aux parents le droit d’éduquer leurs enfants. Avec les enseignants, ils ont la tâche et le devoir de former à cet égard la prochaine génération. Les valeurs que les jeunes y puiseront les préparent à résister aux « attaques » contre la liberté de conscience. Ils pourront alors « demander des comptes » aux individus et aux institutions qui voudraient entraver leur droit à cette liberté.

Et comme il n’est jamais permis à un catholique d’appuyer, par exemple, le droit à l’avortement ou à l’euthanasie - « des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer » -, c’est une obligation de conscience de s’y opposer. S’agissant de la liberté de conscience, c’est même, croient les évêques, un droit qui doit être protégé par la loi là où des principes naturels sont, selon le Vatican, violés « gravement et de façon répétée ».

Un tel programme ne surprendra guère les fidèles traditionnels - ni non plus ceux qui voient autrement la liberté de conscience. D’aucuns s’étonneront toutefois qu’une Église demande aux députés d’accorder non seulement aux catholiques mais à tous les citoyens le droit de désobéir à toute loi qui répugne à la conscience. Un gouvernement conservateur, il est vrai, y serait peut-être favorable. Mais où les évêques vont-ils trouver ces « chrétiens engagés » qui défendront cette liberté ?

Quel fidèle aujourd’hui voudra appuyer des écoles dont « l’enseignement officiel » tient encore les femmes pour des croyants de second ordre, et celles qui avortent, pour des criminelles ? Ou encore, une Église qui se proclame solidaire des minorités persécutées, sauf celle qu’on persécute encore à cause de son orientation sexuelle ? Surtout, que restera-t-il bientôt d’un laïcat adulte, si des organisations catholiques comme Développement et Paix continuent d’être privées de libertés élémentaires ?


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L'école de la vie

Denise Bombardier, Le Devoir (19-05-12)

Les étudiants qui ont persisté à choisir la rue, assurés de faire céder le gouvernement libéral que tant de citoyens exècrent, ont reçu cette semaine un cours magistral de science politique auquel apparemment leurs professeurs les avaient peu préparés. Avec à la clé cette loi spéciale dont personne ne peut se réjouir puisqu’elle confirme l’échec de la négociation, l’essence même d’une démocratie harmonieuse.

Ayant baigné dans leur enfance dans une culture de tolérance et de compromis, leur permettant d’obtenir ce qu’ils exigent par un chantage affectif auprès des adultes, leurs parents au premier chef, et convaincus à l’évidence que la population si hostile au PLQ les appuierait sans trop de problèmes, c’est peu dire que ces jeunes ont éprouvé l’équivalent d’un électrochoc.

À ces jeunes, nés autour de 1990, il faudrait rappeler que les Québécois favorables à la souveraineté parmi lesquels se trouvaient leurs parents ont perdu le référendum de 1995, à 30 000 voix près, et qu’ils se sont inclinés devant les résultats. Pas de hordes de manifestants dans la rue au cours des semaines qui ont suivi. Le respect des institutions et le refus de la violence se sont toujours imposés dans notre histoire contemporaine malgré certains dérapages, dont celui du FLQ fut le plus violent. À l’époque, en 1970, René Lévesque jugea les actions violentes avec une hauteur morale admirable alors que des jusqu’au-boutistes, des militants secrètement réjouis du camp souverainiste et des partisans de la révolution prolétarienne flirtaient avec la stratégie de la terreur felquiste. Ces étudiants militants qui croient encore défier la loi spéciale devraient se souvenir que, dans la foulée du climat hystérique créé par le FLQ en octobre 1970, Jean Drapeau, maire honni, accusé de corruption et d’un autoritarisme intolérable pour une grande partie des Montréalais, fut réélu avec 92 % des voix, sans opposition aucune, au conseil municipal.

La loi spéciale assure une trêve qui mène inévitablement à l’élection. La poursuite des désordres publics dans une défiance à la loi augmentera la violence. À la hargne, au ressentiment s’ajoute maintenant une haine palpable qu’on retrouve non sans effroi dans les textes diffusés par les réseaux sociaux qui, contrairement aux journaux, ne subissent aucun filtre. L’élégant Léo Bureau-Blouin, président de la FECQ, déclarait jeudi encore, sous le choc de l’annonce de la loi spéciale, que le premier ministre serait désormais responsable de la violence à venir et des futures victimes qu’elle pourrait entraîner. Dans l’aveuglement de l’action, le jeune chef étudiant oublie que l’opinion publique dans sa grande majorité ne supporte pas le spectacle permanent de  cette anarchie urbaine au point d’en perdre de vue les enjeux de départ.

 

Tous les opposants au gouvernement actuel qui se sont jusqu’à maintenant réjouis des malheurs infligés aux libéraux par la minorité bruyante estudiantine devraient freiner leurs ardeurs. Et craindre par exemple que Jean Charest, dont ils sous-estiment dangereusement l’habileté politique, utilise à son avantage cette crise qui atteindra son apogée lors de la prochaine campagne électorale. Car après la trêve de la loi spéciale, le terrain électoral risque d’être pris d’assaut par les étudiants en colère et par tous les autres masqués, ennemis du système à renverser. Et dans cette perspective, l’accentuation du désordre pourrait, qui sait, ouvrir la voie à une réélection minoritaire du gouvernement qui a refusé de céder, non pas aux jeunes, mais à une partie des jeunes qui s’insurge qu’on lui refuse ce qu’elle réclame à cor et à cri, ce gel des droits que la majorité des électeurs souhaite remettre en question.

À partir d’aujourd’hui, personne ne peut jouer les triomphateurs, les revanchards ou les provocateurs. La loi votée par l’Assemblée nationale doit être respectée. La chef du PQ, madame Marois, qui aperçoit le pouvoir au bout du tunnel, doit restreindre ses transports. Machiavéliques, ses adversaires pourraient souhaiter la retrouver à la tête d’un gouvernement minoritaire qui paralyserait son action et où chaque décision renverrait à la rue des opposants sans foi ni loi. Car ces derniers mois ont peut-être transformé singulièrement la vie politique.

La loi spéciale confirme en effet que le gouvernement a perdu le contrôle de la rue. Or il n’y a aucune raison que les gouvernements à venir échappent à cette nouvelle donne. Bien sûr, les opposants n’auront pas toujours vingt ans et ses atouts, l’enthousiasme, l’énergie, l’inconscience et le sentiment d’inventer le monde. Mais n’y a-t-il pas un risque certain que des groupes d’intérêts habiles à instrumentaliser les insatisfaits de tous bords s’inspirent de ces mois de dégel climatique, mais d’embrasement social à saveur anarchique, pour imposer leurs exigences ? Comment gouverner dans l’avenir avec un mandat électoral selon les règles de droit si la rue violente se substitue épisodiquement à la règle des négociations ? Comment vivre dans une paix sociale relative sans laquelle aucun progrès n’existe si les décisions d’une cour ne sont plus respectées, avec en prime les applaudissements d’une partie des citoyens ?

Personne ne sortira indemne de cette période préoccupante. Pire, personne ne peut prévoir la tourmente potentielle qui se dessine dans le contexte pré-électoral. Le PQ et la CAQ qui s’offrent en alternance du gouvernement actuel devraient s’inquiéter eux aussi.


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Une idée de l'université

Christian Rioux, Le Devoir (25-05-12) 

«Nous sommes admiratifs du combat des étudiants québécois. Le fait que ces étudiants refusent cette vision marchande de l’éducation, c’est très important pour nous. Je ne sais pas s’ils gagneront, mais les choses ne seront plus jamais les mêmes après. »

Ces mots ne sont pas ceux d’un gauchiste brandissant le drapeau rouge. Ce sont ceux du célèbre généticien Axel Kahn, venu se joindre, mardi à Paris, aux 200 personnes qui manifestaient leur soutien aux étudiants québécois sur la place Saint-Michel. Axel Kahn sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même été recteur de l’Université René Descartes, une université parisienne spécialisée en médecine. Il y a quelques années, il avait soutenu la réforme de Nicolas Sarkozy en faveur de l’indépendance des universités, ce qui lui avait valu quelques reproches de la part de ses amis socialistes. Mais il demeure profondément attaché à un modèle universitaire européen, qui s’oppose à une vision de l’université réduite à une super-entreprise.

Or n’est-ce pas cette idée de l’université qui est au coeur du conflit actuel ? On pourrait illustrer le débat par cette anecdote que raconte le grand journaliste et écrivain Simon Leys dans un texte d’ailleurs intitulé Une idée de l’université (1). En Angleterre, un fringant ministre de l’Éducation qui était venu rencontrer le corps professoral d’un établissement plus que centenaire commença son discours en saluant les « employés » de l’université. Un professeur l’interrompit aussitôt : « Excusez-moi, Monsieur le ministre, nous ne sommes pas les employés de l’université, nous sommes l’université » !

Face aux gigantesques machines de marketing qui lancent de grandes campagnes publicitaires, mettent les facultés en concurrence les unes avec les autres, s’arrachent les « clientèles étudiantes » et construisent des campus un peu partout, on a peine aujourd’hui à imaginer que les seuls « employés » de l’université devraient être en effet les administrateurs et les recteurs. Assourdis par les discours comptables, c’est tout juste si on arrive encore à imaginer une université qui aurait pour objet principal, comme l’écrit Simon Leys, « la recherche désintéressée de la vérité ». Loin de cette hauteur de vue, nos gestionnaires semblent à leur tour incapables d’exprimer autre chose qu’une vision utilitariste. Une vision où les études ne sont qu’un vulgaire « investissement » destiné à garantir de bons jobs. C’est pourquoi d’ailleurs nos comptables calculent les droits de scolarité comme on calcule une prime d’assurance. Comme si l’on savait prédire avec précision le futur salaire d’un étudiant et séparer ce qui relèvera aussi du talent, des contacts et de la chance. Des facteurs souvent bien plus importants que le diplôme.

Au Québec, cet utilitarisme s’abreuve de plus à un anti-intellectualisme séculaire. D’où cette vision caricaturale véhiculée par certains selon laquelle les étudiants seraient des privilégiés qui vivent au crochet de la société. Et si c’était le contraire qui était vrai ? Dans une société fondée sur la jouissance immédiate et qui fait tout pour livrer pieds et poings liés sa jeunesse aux marchands de modes, de gadgets électroniques et de produits culturels frelatés, l’étudiant reste en effet un des derniers citoyens à sacrifier un avantage immédiat, celui d’un salaire et tout ce qu’il procure, pour faire le choix du savoir. Dès lors, ne mérite-t-il pas tous nos encouragements ?

Ce choix est encore plus difficile à faire au Québec. La tradition universitaire y est récente et les étudiants, obligés de travailler, y sont beaucoup moins soutenus par leur famille qu’en Europe par exemple. Tant que nos élites s’amuseront à décrire les étudiants comme des privilégiés qui se font entretenir par les pauvres salariés, il ne sera pas nécessaire de se demander pourquoi le Québec est un champion mondial du décrochage !

En France, même certains leaders politiques de droite s’étonnent aujourd’hui de l’entêtement de Jean Charest dans un pays qui avait jusque-là la réputation d’être le champion du dialogue social. Ceux qui nous connaissent sont aussi surpris de voir le Québec, qui affirmait jusque-là sa différence en Amérique du Nord, se rallier au modèle universitaire américain et britannique. Car il faut être sourd pour ne pas comprendre que, par ces manifestations, le Québec clame son identité distincte, celle d’un modèle universitaire différent de celui du reste du Canada et des États-Unis.

Malgré tous les beaux discours moralistes sur la démocratie et le Parlement, sachons qu’il n’est pas toujours déshonorant pour une démocratie de reculer devant un mouvement de protestation qui manifeste une réelle désapprobation populaire. C’est encore plus vrai dans le contexte actuel du Québec, où personne n’a l’autorité morale pour lancer une réforme aussi fondamentale.

En 1984, François Mitterrand s’était grandi en annulant la loi Savary qui supprimait l’enseignement privé et avait réuni contre elle un demi-million de manifestants à Paris. Et pourtant, il avait toute la légitimité démocratique pour agir. Être démocrate, c’est aussi parfois savoir écouter la rue. Mais tous les dirigeants n’ont pas l’intelligence de François Mitterrand. 


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Des pédiatric dressent

un piètre constat

Marie Allard, La Presse (03-05-12)  

 

Les habitudes alimentaires des familles québécoises laissent à désirer: elles méritent à peine une note de 5,3 sur 10, selon une enquête menée auprès de 107 pédiatres de l'hôpital Sainte-Justine de Montréal. Au fil des ans, seuls 8,4% de ces médecins n'ont pas observé de changements en matière d'alimentation chez les jeunes familles qui les consultent.

 

 

 

«Il y a plus d'enfants avec surpoids, manger est moins un plaisir qu'avant, a dit un pédiatre à la nutritionniste Maryse Lefebvre, qui présentera les résultats de son étude lundi au congrès de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS). On mange pour vivre, rapidement, avec des plats préparés.» Résultat, près du quart des jeunes Québécois de 2 à 17 ans souffrent d'embonpoint ou d'obésité.

 

 

 

Bonne nouvelle: 74% des pédiatres croient détenir un rôle dans la transmission de connaissances en nutrition aux parents. «Le médecin est le seul interlocuteur en santé qu'ils ont», a noté l'un d'eux. Mais d'autres disent manquer de temps pour intervenir.

 

«Il est pertinent de savoir si, pour les médecins, l'alimentation est importante, a fait valoir Mme Lefebvre. Ce sont eux qui ont le dernier mot avec les parents, ceux qui, selon moi, ont le plus d'influence auprès d'eux.»

 

Alimentation routinière

 

Seuls 43,9% des pédiatres jugent que la qualité de l'alimentation est une priorité pour les familles qu'ils rencontrent. À peine 24% ont l'impression que les parents d'enfants de moins de 13 ans qu'ils rencontrent «ont les habiletés culinaires suffisantes pour manger sainement». L'alimentation des familles semble très routinière, peu savent apprêter les légumineuses, pourtant recommandées. Les parents consomment de trop grosses portions «et mangent des collations toute la journée», a témoigné un médecin.

 

 

 

«Il y a des machines distributrices partout où on va, on est constamment exposé au Coke, a observé Mme Lefebvre. Un médecin m'a parlé du syndrome de la bouteille: les parents ont tout le temps avec eux une bouteille de jus ou d'eau. Ils ont toujours une collation.» 

 

Autre problème: 52% des médecins estiment «plus ou moins bon» ou «limité» le niveau de connaissances de base en nutrition de la majorité des parents. Le quart d'entre eux l'évalue comme étant «plutôt bon» (et 24% ont dit ne pas pouvoir le qualifier).

 

«Une mère m'a dit que son fils n'aimait pas le poisson, a illustré un pédiatre. Quand je lui ai demandé quelle variété elle lui donnait et comment elle le cuisinait, elle m'a répondu: Je donne des bâtonnets réchauffés au micro-ondes.» 

 

Manque de temps et d'argent

 

Les principaux obstacles rencontrés par les familles pour manger sainement sont, d'après les médecins, le manque de temps et d'argent. «Ce sont les mêmes obstacles qui sont identifiés par les parents, a souligné Mme Lefebvre. Il peut y avoir des choses à faire, comme apprendre aux parents à manger pas cher sainement. Mais ça demande un suivi plus complet, pas 10 minutes de consultation.» 

 

L'offre de malbouffe et le manque d'accès à des aliments sains sont aussi perçus comme des freins par 28% des pédiatres. «Le marketing de la malbouffe est très fort», a constaté la nutritionniste. Pour améliorer la situation, 33% des médecins souhaitent en priorité le retour des cours d'économie familiale à l'école, tandis que 28% veulent voir des choix d'aliments plus sains dans les cafétérias et lieux de loisirs.

 

«Les habiletés culinaires se perdent de génération en génération, a souligné Mme Lefebvre. Je pense que c'est un gros problème de société.» 

 

Financée par Québec en forme, cette étude a été réalisée dans le cadre de Tout le monde à table, une initiative d'Extenso, le centre de référence sur la nutrition humaine de l'Université de Montréal.

 


 

16 mai 2012

Vendredi 18 mai 2012. Vol. 6, no. 15

labibfranco.canalblog.com

 

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Langue seconde : 

le mythe de l'âge

critique de l'apprentissage

déboulonné

Pauline Gravel, Le Devoir (09-05-12) 

Est-il vraiment illusoire de vouloir apprendre une langue seconde à l’âge adulte, une fois que l’on a dépassé cette période critique de l’enfance où l’acquisition d’une nouvelle langue semble si facile ? Dans une conférence qu’il présentait hier au congrès de l’Acfas qui se déroule cette semaine au Palais des congrès de Montréal, un chercheur de l’École des sciences de la communication de l’Université McGill a déboulonné le soi-disant mythe selon lequel « seuls les enfants peuvent apprendre de nouvelles langues avec un haut degré de maîtrise », les adultes quant à eux n’y parviennent pas ou beaucoup plus difficilement, « car leur cerveau mature en a perdu la capacité ». 

On croit depuis déjà plusieurs dizaines d’années qu’il existe une période critique, située avant la puberté, durant laquelle il serait beaucoup plus facile d’acquérir une langue et de la maîtriser parfaitement. Certains spécialistes pensent que la maturité qu’a atteinte le cerveau des adultes forcerait ceux-ci à faire appel à « des mécanismes neurocognitifs différents de ceux des enfants pour apprendre une nouvelle langue », a rappelé Karsten Steinhauer. D’autres croient plutôt que les adultes utilisent les mêmes mécanismes neurocognitifs, mais que « leur motivation » pour apprendre est moindre de celle des enfants. Enfin, d’autres chercheurs ont émis une troisième hypothèse « mitoyenne », selon laquelle un adulte utiliserait dans un premier temps des mécanismes neurocognitifs différents de ceux employés par les enfants, mais qu’au cours de l’apprentissage, ces mécanismes « convergeraient graduellement vers ceux sollicités par les enfants ». 

Pour tester ces différentes hypothèses, Karsten Steinhauer a fait appel à la technique d’électroencéphalographie (EEG), qui en raison de sa grande précision temporelle correspond mieux à l’étude de « la parole, qui est rapide et dynamique ». Grâce à cette technique, il a enregistré les « potentiels évoqués cognitifs » (PÉc) - sur le scalp de trois groupes de sujets - des locuteurs anglophones, des adultes francophones apprenant l’anglais mais ayant acquis un niveau intermédiaire de cette langue seconde, ainsi que des francophones ayant atteint un niveau avancé de maîtrise de l’anglais - tandis qu’on leur faisait écouter des phrases anglaises et françaises correctes, puis rendues insensées par le changement d’un mot.

Karsten Steinhauer a ainsi remarqué que les PÉc enregistrés chez les adultes ayant atteint un niveau intermédiaire se rapprochaient de ceux observés chez les locuteurs anglophones ayant appris leur langue au début de leur vie.  

Chez les francophones qui étaient parvenus à un niveau avancé, les PÉc étaient similaires à ceux des anglophones. En d’autres termes, le cerveau de ces derniers se comportait désormais comme celui des locuteurs dont l’anglais était la langue maternelle ou avait été acquis dès le plus jeune âge.


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Trop peu trop tard

Réjean Hébert, Le Devoir (06-05-12)   

Le gouvernement libéral vient de lancer sa politique Vieillir et vivre ensemble. À titre de coprésident de la616-1 Consultation publique sur les conditions de vie des aînés en 2007, j’avais réclamé l’élaboration d’une politique sur les aînés et le vieillissement. Plusieurs années plus tard, le gouvernement s’exécute en fin de mandat et à la veille d’une élection générale. Force est de constater que le résultat est décevant.

Cette « politique » ressemble beaucoup plus à un catalogue des actions gouvernementales déjà engagées présenté sous un enrobage accrocheur. Outre quelques nouveaux programmes à peine esquissés, la « politique » énumère des programmes déjà implantés ou des actions qui seront relancées après avoir stagné faute de financement. On nous promet encore une fois l’injection d’argent sur une planification de cinq ans où l’essentiel des engagements se retrouve en fin de période budgétaire. En outre, les investissements, présentés de façon astucieuse en les cumulant sur cinq ans, ont pour la plupart déjà été annoncés.  

Manque de vision 

Le principal défaut de cette « politique » est le manque de vision et d’intégration des actions. Une vrai politique doit être tournée vers l’avenir et présenter un plan gouvernemental intégré. Rien de cela dans cette « politique », qui ressemble plus à une courtepointe qu’au panorama attendu pour faire face aux défis du vieillissement de la population. Il y en a pour tout et pour tous.

Au chapitre des soins et services aux personnes en perte d’autonomie, on dit prioriser les soins à domicile alors que les investis- sements en ce domaine ont été insuffisants pour assurer des services de qualité (dixit la Protectrice du citoyen). 

On nous promet encore des investissements qui, s’ils se réalisent, devraient porter ce poste budgétaire à un maigre 3 % de l’enveloppe de la santé et des services sociaux. Et ici, pas d’argent neuf puisque ces sommes proviennent de l’augmentation annuelle de 5 % du budget de la santé déjà annoncé et de l’inéquitable cotisation santé.  

Structure du financement 

Dans un même élan, on continue à investir dans la solution institutionnelle qui restera à terme largement prédominante. Prioriser vraiment les soins à domicile, c’est non seulement investir massivement dans ce secteur, mais aussi et surtout modifier la structure du financement pour donner aux aînés en perte d’autonomie un véritable choix d’obtenir des services à la maison avec un financement public. 

Il serait sans doute préférable d’implanter au Québec une assurance autonomie publique dotée d’une caisse spécifique, comme l’ont fait avec succès de nombreux pays européens et asiatiques. 

La « politique » est presque muette sur la question cruciale de la formation des travailleurs et professionnels oeuvrant auprès des personnes âgées vulnérables. Il est urgent de définir les compétences des personnes assurant les soins et services aux aînés et de former le personnel de nos établissements. Le saccage des budgets de formation au cours des dernières années a creusé un écart inquiétant entre les bonnes pratiques reconnues et la compétence du personnel. La formation est un élément essentiel, non seulement pour assurer la qualité des services, mais aussi pour attirer et retenir le personnel dans ce secteur d’activités en forte croissance.

Un système à deux vitesses

Rien non plus pour corriger l’iniquité flagrante causée par le développement anarchique des résidences privées d’hébergement. Ces résidences accueillent sans évaluation préalable des personnes âgées en perte d’autonomie et leur dispensent des services sans critères, sans normes tarifaires et sans contrôle de qualité. Des services qui, selon la politique précédente, « Chez soi, le premier choix », devraient être couverts par les soins à domicile du réseau public. On consacre plutôt le stratagème du crédit d’impôt pour maintien à domicile qui finance avec les deniers publics et par la bande les résidences privées sans critères ni contrôle. On est ici dans un système à deux vitesses où les plus fortunés payent le gros prix pour des services alors que les autres doivent se contenter de soins à domicile insuffisants en attendant la solution inéluctable, l’entrée en centre d’hébergement et de soins de longue durée.

Rien dans cette « politique » pour contrer la pauvreté des femmes âgées qui, même avec le supplément de revenu garanti, doivent « vieillir et vivre ensemble » sous le seuil de la pauvreté. Quand on sait que le revenu conditionne l’alimentation, la participation sociale et la santé, on voit que les efforts de la « politique » pour améliorer l’intégration et la nutrition des aînés resteront sans doute vains.

Insuffisance et incohérence

Pour les proches aidantes, qui assument la majorité des soins et réclament surtout des services en quantité suffisante, on n’offre que de maigres programmes de répit. Pas de congé de compassion pour qu’elles puissent au moins se consacrer à leur proche sans perdre leur emploi. On estime que l’exode des femmes du marché du travail pour assumer un rôle de proche aidante coûte annuellement près de 100 millions de dollars au trésor public.

Une telle politique était-elle nécessaire pour présenter l’insuffisance et l’incohérence des actions du gouvernement envers les aînés ? Après le Plan Nord, le gouvernement nous sert maintenant son Plan de l’Âge d’or. Espérons que les citoyens de tous les âges ne seront pas dupes.


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Le psychologue, le policier

et le briqueteur 

Isabelle Gascon, Le Devoir (05-05-12)   

Deux contribuables amoureux - est-ce possible ! - allaient devenir parents. Et la fortune leur sourit car, d’un coup, ils n’eurent ni un ni deux, mais bien trois enfants !

Les géniteurs, pleins de bonté, accueillirent ces triplets ravissants, quoique bien différents.

Prêtant serment de les éduquer, chacun selon son tempérament, ils les baptisèrent Pierre, Jacques et Jean.

Bon… L’heure est grave - et le talent absent ! 

Au diable les rimes : allons droit aux idées ! S’ils avaient existé, les vers suivants auraient parlé de Pierre, garçon serviable et habile de ses mains, mais à ses études peu enclin. Et lorsque Pierre, à 16 ans, annonça à ses parents qu’il souhaitait se faire briqueteur, ces derniers auraient répondu en choeur : « Voilà un métier honnête qui sied bien à ta personnalité, et par lequel, on le souhaite, tu contribueras à la société. Sois briqueteur et sois-en un bon : toujours nous te soutiendrons ! » 

Ici, j’eûs placé quelques statistiques - pas très poétiques ! Diplôme d’études professionnelles (DEP) : 1 an ; entrée sur le marché du travail : 18 ans ; salaire au début : 35 000 $; salaire à terme : 72 000 $. Et j’aurais conclu la section sur Pierre à peu près comme suit : « Bien qu’ayant automobile et cellulaire, et buvant même parfois de la bière, sa formation, les contribuables payèrent, conscients que, sans briqueteurs et gens de métier, une société ne saurait se développer. » 

Puis, j’aurais suivi la même sente pour vous parler de Jacques, jeune homme vif et décidé qui, au sortir du secondaire, annonça qu’il souhaitait devenir policier. 

Alors, ses parents auraient repris leur petite ritournelle - la répétition a quelque chose de charmant : « Voilà un métier honnête qui sied bien à ta personnalité, et par lequel, on le souhaite, tu contribueras à la société. Sois policier et sois-en un bon : toujours nous te soutiendrons ! » 

Puis, bla, bla, les statistiques. Diplôme d’études collégiales (DEC) : 3 ans ; début d’emploi : 20 ans et, pour le salaire… l’équivalent de celui de Pierre ! 

Subtilement, j’aurais martelé encore : « Bien qu’ayant automobile et cellulaire, sa formation, les contribuables payèrent, conscients que, sans policiers et autres techniciens, une société risque ses lendemains. » 

Commencez-vous à me voir venir ? 

Finalement, j’aurais parlé de Jean, jeune homme intellectuel, chercheur de sens profond, qui passait des heures à faire ses leçons. Anticipant les sacrifices qu’il imposerait à ses parents, c’est honteusement qu’il leur avoua vouloir devenir psychologue. 

Ses parents, justes et aimants, réitérèrent : « Voilà un métier honnête qui sied bien à ta personnalité, et par lequel, on le souhaite, tu contribueras à la société. Sois psychologue et sois-en un bon : toujours nous te soutiendrons ! » Les parents sont souvent naïfs, vous savez ? 

Puis : neuf années d’études postsecondaires à la ville ; premier emploi à 26 ans ; parents un peu fauchés et, pour lui, dette de plusieurs milliers de dollars, pour aboutir à un salaire… tout à fait semblable à celui de ses frères ! 

Étrangement, pour Jean, je ne pourrais ajouter : « Bien qu’ayant automobile et cellulaire… » parce que, pour ce bouc universitaire, ce p’tit gâté, les citoyens en ont maintenant ras le bol de tout payer ! 

Alors, à l’intention de ces contribuables sans amour, j’aurais glissé une stance acerbe sur l’aveuglement d’un peuple pas même capable de se rendre compte que, sans ses universitaires, une société court aussi à la misère. 

Finalement, dégoûtée, j’aurais conclu cette fable avec une morale du genre : 

« Ou bedon, bons parents, ne faites pas aimer l’école à vos enfants ; 

Ou bedon, bonne gens, élisez un gouvernement aimant. » 

Voilà ! 


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Un vibrant Petit Prince

contemporain 

Frédérique Doyon, Le Devoir (05-05-12)  

LE PETIT PRINCE616-2 

Les Grands Ballets canadiens. 

Choréographie : Didy Veldman. 

Au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 12 mai. 

Les Grands Ballets canadiens (GBC) livrent un Petit Prince résolument contemporain.  Leur nouvelle création, librement inspirée de l’œuvre de Saint-Exupéry, captive le public et atteint des moments de grande émotion.  Ne reste qu’à laisser respirer l’œuvre, dont la mécanique réglée au quart de tour en étouffe un peu la poésie… 

La choréographe Didy Veldman, qui a déjà donné aux GBC Carmen et Toot, avait visiblement à cœur ce ballet conçu autour de la figure du petit homme venu de l’astéroïde B612.  La pièce, bien ficelée, dessert à merveille la polyvalence des danseurs, qui l’endossent avec fougue.  Une distribution taillée sur mesure pour l’œuvre. 

Veldman a trouvé le juste équilibre entre l’abstraction du mouvement et une lisibilité permettant de reconnaître ici et là quelques éléments du récit le plus traduit au monde — en 210 langues et dialectes !  Mais il ne faut pas y chercher une lecture fidèle de l’œuvre littéraire.  C’est surtout l’esprit et la sensibilité du petit personnage qui sont transposés sur scène. 

La planète que découvre le jeune homme (Kenji Matsuyama Ribeiro, convaincant) grouille de vie bien humaine et urbaine.  Y défilent un monde pressé, qui peine à s’attarder à autrui, une fille imbue d’elle-même, un obsédé des chiffres, un dictateur, un tentateur, mais aussi un sage (Marcin Kaczorowski, superbe en duo) qui le quide et le réconforte, et une femme délicate comme la rose du Petit Prince.  Ce dernier observe, sans préjugés, tente de comprendre, de s’intégrer, et finira par s’en aller.  La scène avec le buveur qui manipule des verres touche par sa poésie.

La formule des visites en rafale s’épuise un peu, à la longue.  Plusieurs personnages brossés à gros traits frôlent la caricature et font sourire.  Mais d’autres sont du côté de la nuance, comme celle qui n’aime pas son corps.  Et la chorégraphe a sculpté des gestuelles propres à chacun (ici en torsions, là en amplitude, mais toujours ancrées au sol). Qui distillent des émotions étonnament claires : peur, joie, tristesse, tendresse, mélancolie.

La musique arrangée par Philip Feeney est juste.  Les projections d’abord superflues finissent par trouver leur place.  Et quelle bonne idée, ce grand miroir incliné en fond de scène, qui donne à l’action réverbérée un caractère lointain et rappelle l’importance de l’illusion, du rêve.  Après tout, « l’essentiel est invisible pour les yeux », selon Saint-Exupéry.


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Des jeunes joueurs de soccer

québécois consomment des

produits de performance

Pauline Gravel, Le Devoir (08-05-12)615-2

Au Québec, les jeunes joueurs de soccer sont de plus en plus nombreux à consommer des boissons ou autres produits stimulants dans le but d’améliorer leurs performances sportives, a affirmé une doctorante de l’Université Laval lors d’une conférence qu’elle donnait au congrès de l’Acfas, qui débutait hier au Palais des congrès de Montréal. 

Dans le cadre de son doctorat en psychopédagogie de l’éducation physique, Sophianne Dionne a mené une enquête auprès de 1085 joueurs de soccer de la région de Québec qui participaient à des compétitions de niveau local ou régional. Le groupe de participants, âgés de 10 à 18 ans (âge moyen de 14,5 ans), était composé autant de filles que de garçons. 

L’enquête s’est déroulée en juillet 2010 à l’aide d’un questionnaire sur la consommation qu’ils avaient faite au cours des 12 derniers mois de 17 substances différentes pouvant accroître leurs prouesses sportives. La liste de ces substances incluait les boissons gazeuses, le café, le lait au chocolat, les boissons de récupération, les boissons énergisantes, l’alcool, un gel de glucides, des suppléments de vitamines et de minéraux, des suppléments d’oméga-3, des comprimés de caféine, un repas riche en glucides, des comprimés d’Aspirine ou de Tylénol, du Sudafed, de même que des substances prohibées par le Code mondial antidopage, comme des suppléments de protéines tels que de la créatine, des inhalateurs pour l’asthme ou des stimulants, comme le speed, « que les jeunes parviendraient vraisemblablement à se procurer sur Internet ou par des amis atteints d’asthme dans le cas des inhalateurs », affirme Mme Dionne. 

Dans les grandes lignes, les résultats de cette enquête ont montré que les garçons étaient plus nombreux que les filles à faire l’usage d’une ou l’autre de ces 17 substances dans le but d’améliorer leur performance. 

Plus précisément, ils étaient 20 % à avoir consommé des boissons énergisantes telles que Red Bull et Guru - qui contiennent une bonne dose de caféine ainsi que des vitamines, des dérivés d’acide aminé et diverses formes de glucide -, 10, 4 % à avoir pris de la créatine ou des suppléments de protéines, 12, 5 % à avoir inhalé des médicaments pour l’asthme, 7,5 % à avoir ingéré des stimulants, pour améliorer leur jeu. 

Le lait au chocolat et les boissons de récupération telles que Gatorade et Powerade qui sont composées essentiellement d’électrolytes - du sel - et de glucides, étaient les produits les plus couramment employés puisqu’ils avaient été bus respectivement par 35 % et 60 % des participants (garçons et filles confondus). 

Sophianne Dionne a aussi présenté les résultats d’une autre étude publiée en 2010 ayant révélé que 25,8 % des jeunes Québécois avaient déjà utilisé des substances interdites par le Comité international olympique, telles que des bêta-bloquants, des hormones de croissance, des analgésiques, des narcotiques, des stéroïdes anabolisants, de l’éphédrine, des inhalateurs pour l’asthme ou des comprimés de protéines, dans l’intention d’accroître leurs performances. 

Dans l’enquête que Mme Dionne a conduite, il est également apparu que la consommation de ces diverses substances s’accompagnait d’une plus grande fréquence de comportements allant à l’encontre de l’esprit sportif, comme « le fait d’être prêt à tout pour gagner, y compris utiliser la tricherie et se refuser à féliciter ses adversaires lors d’une victoire de l’équipe adverse », a précisé Mme Dionne. 

L’étudiante a également cherché à savoir si l’entourage des joueurs - les parents, les amis, l’entraîneur, les coéquipiers, les vedettes sportives - avait eu un impact sur leur consommation. L’enquête lui a permis de constater que seuls l’entraîneur et les coéquipiers semblaient avoir exercé une certaine influence sur leur consommation.

L’entraîneur tolère ces comportements antisportifs et la consommation de certaines substances.

Les joueurs qui avaient consommé étaient plus souvent ceux qui croyaient que leurs comportements antisportifs étaient tolérés ou même encouragés par l’entraîneur et les coéquipiers. « Nos résultats actuels ne nous permettent toutefois pas de savoir si l’entraîneur encourageait la consommation de ces substances », a souligné la chercheuse. 

En entrevue, Sophianne Dionne avoue avoir été étonnée que des joueurs d’un si jeune âge, qui de surcroît ne compétitionnent même pas au niveau provincial ou national, pensent déjà à trouver des moyens d’améliorer leurs performances. Elle souligne toutefois que les résultats de son étude ne peuvent être généralisés à d’autres sports pour le moment.


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Vile performance

Marie-Andrée Chouinard, Le Devoir (09-05-12) 

Le germe de la performance est semé bien trop tôt dans le parcours du sportif, comme en témoigne une étude dévoilée lundi au congrès de l’Acfas sur la consommation de produits stimulants chez les athlètes en herbe. Le cycle de l’« encore plus et toujours mieux » finira par contredire entièrement la logique selon laquelle le sport, c’est la santé. 

Comme il est navrant de constater que sur plusieurs fronts,  dont celui du sport, la sacralisation de la performance nourrit un terrain fertile en excès. Jusqu’à produire, en toute légalité mais aussi dans le champ de l’illicite, de parfaits petits sportifs convaincus qu’en se gavant de produits stimulants, ils monteront les marches de la gloire.

Comment réagir autrement aux résultats présentés lundi à l’Acfas par la chercheuse de l’Université Laval Sophianne Dionne ? Son enquête, menée auprès de jeunes joueurs de soccer - quelque 1000 de la région de Québec, âgés de 10 à 18 ans -, confirme que dès le plus jeune âge, on semble convaincu que l’excellence en sport peut être atteinte moyennant l’ajout de l’artifice aux éléments naturels que sont le talent, la forme physique, l’effort et la persévérance.

En effet, 20 % d’entre eux ont affirmé leur penchant pour ces fameuses boissons énergisantes dont les étiquettes vantent les mérites d’une vie à fond, du surpassement des capacités réelles, de la barre placée toujours plus haut. Qui sait, ces futurs abonnés à un mode de vie extrême sont peut-être persuadés que cette consommation aura des répercussions directes sur leur feuille de route ? Plus de buts, des tirs plus précis, des têtes efficaces ?  Un autre sondage effectué en 2010 confirme qu’aux boissons énergisantes, suppléments de vitamines et de minéraux,  stimulants ou même créatine, les jeunes sportifs ajoutent des substances interdites par le Comité international olympique, comme les bêtabloquants, des hormones de croissance ou des stéroïdes anabolisants. Plus du quart d’entre les sondés ont affirmé avoir goûté à cette médecine pour redorer leur cote sportive. C’est grave !    

Si jeunes et déjà dans une logique de performance au risque de taxer leur santé ? Car il n’est pas déraisonnable d’avancer que ce « mal » qui affecte la sphère du sport amateur et même débutant, sur le modèle professionnel, est non seulement antisportif à l’extrême, mais aussi tout à fait néfaste pour la santé. À cet égard, on commence à mieux documenter un phénomène qu’on a trop longtemps jugé anecdotique, jusqu’à ce que des blessés puis des morts viennent secouer nos certitudes engourdies.    

Dans la cour des grands, le spectacle n’est pas joli, en effet. Qu’on pense par exemple aux conséquences tragiques qu’a entraînées cette loi non écrite du « toujours plus » sur les cerveaux de joueurs de hockey, de football, de soccer. L’exemple le plus récent étant assurément la mort par suicide - une autre ! - du joueur de la NFL Junior Seau, dont le parcours aurait été parsemé de quelque 1500 commotions cérébrales. Un esprit sain dans un corps sain ?    

La jeunesse, qu’on voit très malmenée ces jours-ci par des « modèles » adultes abusant d’une formule abjecte de mépris et d’arrogance, a besoin que des entraîneurs et des parents fournissent des repères, imposent des limites. Sinon, dans la course à la performance, les jeunes joueurs risquent de perdre l’essentiel : la santé.


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Lettre à mes étudiants

Philippe Rioux, Le Devoir (23-04-12)  615-3

Chers étudiants,
En ces temps politiques difficiles, vous faites l'expérience de l'exercice de la démocratie et de son application plutôt parcimonieuse et partiale : vous découvrez sans doute que le beau modèle expliqué dans les manuels du secondaire ne correspond en rien à ce que vous vivez en ce moment. Devant votre légitime indignation lorsque vous découvrez que la mauvaise foi, la corruption et le mensonge de la classe politique ne vous permettent pas d'être des citoyens romains exemplaires, vous criez et vous remuez le centre-ville pour vous faire entendre.

On vous dit alors d'être pacifiques, et c'est un bon conseil. Un très bon même, car vous ne faites pas le poids contre les robots du SPVM et leurs acolytes un peu moins en forme de la SQ. Ils sont entraînés, ils sont armés et, plus important encore, beaucoup plus important, ils sont animés d'une ferveur professionnelle à toute épreuve qui est elle-même alimentée par l'assurance de faire ce qui doit être fait, d'être dans le droit, d'être des défenseurs invétérés de la loi. Bien des exemples des dernières années nous le prouvent et si la mémoire médiatique oublie, la mienne garde très frais les souvenirs du Sommet des Amériques d'avril 2001 à Québec, où arrestations illégales, voies de fait, usage (très) excessif de la force, atteinte aux droits fondamentaux, atteinte à la pudeur (qui se souvient des douches de décontamination en pleine rue ?) et autres révoltantes démonstrations de brutalité policière étaient légion. J'avais 18 ans à l'époque, j'étais au cégep, j'étais dans la rue à titre de street medic et j'ai compris, lors de ces trois jours d'affrontements épouvantables et surréalistes, que les voies politiques usuelles ne fonctionnent pas et que la loi est une bien étrange chose qui n'obéit pas au sens commun, mais bien plus au pouvoir en place.

Bête à deux têtes libérale
On vous dit de respecter la loi, d'être tranquilles, de manifester dans le silence après vos cours et la fin de semaine après avoir étudié et après, bien souvent, votre quart de travail. Pour que vous acceptiez cela, il vous faudrait avoir l'assurance que votre gouvernement, celui qui vous demande de vous calmer, sera prêt à vous écouter quand vous lui dites qu'une de ses décisions n'est peut-être pas la meilleure. La bête à deux têtes libérale fait la sourde oreille depuis des mois : pourquoi les écouter, ces Jean Charest et Line Beauchamp, alors qu'eux ne prennent pas au sérieux 200 000 personnes dans les rues ? Pourquoi les étudiants, les professeurs, les syndiqués devraient-ils respecter la loi à la lettre alors que le gouvernement fait fi de la démocratie ? Pourquoi obtempérer aux ordres des policiers qui déclarent illégale à la va-comme-je-te-pousse une manifestation pacifique et qui a simplement le malheur de se trouver trop près de l'endroit où l'empereur libéral raille les étudiants et méprise des citoyens (des experts, des professeurs, des personnalités politiques importantes, etc.) qui auraient des solutions à proposer ? Les lois sur les mesures de guerre, au final, c'est encore au goût du jour ? Comment peut-on éviter les débordements de violence très anecdotiques de la part des étudiants alors qu'à tout moment les pouvoirs politique, policier et judiciaire bafouent les droits et libertés de ceux-ci ?

Je ne peux pas être contre la vertu et j'aimerais vraiment que tout se passe gentiment comme au jardin d'enfants, et qu'on se le dise « avec les mots, pas avec les poings », mais les manifestants, pour reprendre l'expression d'un journaliste de la radio d'État, « n'ont pas le monopole de la violence ». On est vraiment loin du compte. Demander à des manifestants, qui se font très souvent tabasser pour rien, d'être pacifiques, c'est demander à la souris de ne pas trop se débattre entre les mâchoires du lion. On vous dit que vous demandez trop, que vous êtes irréalistes. Mais qui vous dit cela, sinon ces mêmes gens qui ont bénéficié de ce modèle scolaire à leur époque et qui, maintenant, sollicitant des soins de santé qui engagent des frais astronomiques et bénéficiant aujourd'hui de tous leurs beaux programmes sociaux qui ne tiendront plus la route quand cela sera notre tour, osent vous dire qu'il faut faire votre « juste part » ? Et votre part à vous, chers aînés, elle se réclame quand ? Avant ou après l'effondrement de la Caisse de dépôt et placement ? Avant ou après votre pension à 65 ans parce que vous êtes nés avant 1958 ? Avant ou après la vente de vos biens immobiliers qui, bien souvent, vous ont été légués et qui ont, aujourd'hui, décuplé de prix ? C'est le comble de l'avarice, selon moi : refuser aux générations suivantes ce dont on a joui pour pouvoir continuer à en jouir jusqu'à la toute fin.

Le châle du bien-être financier
On vous abreuve de réprimandes, de conseils et on vous traite comme des enfants écervelés. Je vous dis, moi, que c'est à votre tour de traiter ces parvenus comme de vieilles personnes qui s'emmitouflent dans le châle de leur bien-être financier et qui ne veulent surtout pas que l'on touche à leur manger mou, qu'on déplace un meuble pour plus d'efficacité, qu'on les entretienne de nouvelles idées que leurs esprits séniles embués d'immobilisme politique et perclus d'avarice sont incapables de comprendre. On vous dit de bien belles choses, on vous dit comment faire, comment penser, comment être invisibles. Or, il est temps, et vous le montrez encore de plus belle après deux mois de grève, à votre tour, de dire quelque chose, et c'est à eux d'écouter.

Vous me permettrez, chers étudiants, de vous dire, humblement, une seule chose : ne cessez pas d'exprimer vos opinions, vos idées, ne cessez jamais d'être bouillants, d'être indignés, d'être vivants : vous êtes l'énergie de maintenant et de demain, vous êtes ce qui me motive à participer aux manifestations, à brandir ma pancarte, à chanter les slogans et à soutenir votre — notre cause — du mieux que je le peux. Poussez-moi dans le dos quand je veux retourner chez moi boire du vin à l'abri de Martineau, criez-moi dans les oreilles quand je veux dormir et obligez-moi à considérer  vos opinions. Je vous vois dans la rue, je vous entends, je vous parle, je manifeste avec vous et je suis fier, impressionné et drôlement confiant par rapport à l'avenir, car je sais que vous n'êtes pas les enfants rois égoïstes dépeints par les médias : vous luttez pour un meilleur monde, une société plus solidaire et vous n'avez pas à vous excuser pour le dérangement. Vous faites simplement votre devoir de citoyen qui doit, pour le bien de la société, dénoncer ce qu'il croit être néfaste pour celle-ci. N'écoutez pas ces bêtes moralistes qui se vautrent dans une inertie politique et idéologique lamentable et qui peinent, quand ils l'osent, à seulement voter tous les quatre ans.

Votre devoir est de vous exprimer, et c'est là votre droit également. Si le gouvernement ne veut pas même vous entendre, parlez plus fort. Ne cessez pas la lutte, car cela en est une considérable. On se revoit en classe, mais bien plus tard, quand vous aurez gagné.


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Quand le bilinguisme 

épaissit le cerveau

Pauline Gravel, Le Devoir (09-05-12) 616-3

L’apprentissage de deux langues dès la naissance modifie la structure du cerveau pour la vie.  Un jeune chercheur de l’Université McGill faisait part hier de cette observation étonnante dans le cadre du congrès de l’Acfas qui a lieu cette semaine au Palais de congrès de Montréal.

Doctorant au sein du Groupe de recherche en neurosciences cognitives à l’Institution neurologique de Montréal, Jonathan Berkem a utilisé une nouvelle technique d’imagerie structurelle pour voir si l’anatomie du cerveau des personnes qui ont appris deux langues simultanément dès la naissance se différenciait de celle d’individus ayan appris leur seconde langue après l’âge de cinq ans.

Grâce à cette nouvelle technique d’imagerie par résonance magnétique (IRM), il a pu obtenir une image tridimensionnelle du cerveau, ce qui lui a permis de comparer l’épaisseur du cortex cérébral de 33 sujets âgés de 18 à 30 ans, parlant le français aussi bien que l’anglais, bien que certains avaient acquis les deux langues simultanément, tandis que d’autres les avaient apprises selon un ordre séquentiel.

Il a ainsi observé que dans deux régions particulières du cerveau, le cortex cérébral était plus épais chez les personnes ayant acquis exposées à un âge plus avancé à la deuxième langue.  L’une de  ces régions cérébrales, le cortex préfrontal dorsolatéral, est spécialisée dans les processus d’attention et de mémorisation.  Cette région est plus épaisse chez les bilingues dits simultanés peut-être parce que ces derniers changent de langue plus souvent que les bilingues dits séquentiels [qui ont appris les deux langues l’une après l’autre], explique le jeune chercheur. 

Le cortex du gyrus occipital inférieur, dont l’épaisseur était aussi significativement plus grande chez les bilingues simultanés, intervient dans le traitement des informations visuelles.  Probablement qu’ils ont sollicité davantage cette région lors de l’apprentissage de leur première langue.  Quand nous apprenons notre première langue [nos deux langues maternelles dans le cas des bilingues simultanés], nous baignons dans un environnement d’images et de sons, tandis que les bilingues séquentiels apprennent leur seconde langue dans le contexte plus formel d’une salle de classe où il y a moins d’intégration entre les sons et les images.  Mais ce n’est qu’une hypothèse sur laquelle je me pencherai, avance le jeune chercheur. 

Jonathan Berkem a aussi enregistré l’activation du cerveau par l’IRM fonctionnelle tandis que les sujets lisaient un texte en français et un texte en anglais.  Il a ainsi observé que les mêmes régions cérébrales s’activaient dans les deux groupes. 

Toutefois, l’ampleur de l’activation différait d’un groupe à l’autre. Certaines régions étaient plus sollicitées chez les bilingues simultanés que chez les bilingues séquentiels, tandis que pour d’autres régions, c’était l’inverse, a expliqué M. Berkem, qui s’apprête à analyser ces dernières données.


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Les technologies sont

modelées par le genre

Hélène Roulot-Ganzmann, Le Devoir (05-05-12)

Si les garçons adolescents reçoivent en moyenne leur premier615-4 ordinateur à 12 ans, les jeunes filles doivent attendre jusqu’à leur quatorzième anniversaire, voire au quinzième. Une différence qui peut expliquer l’absence de vocation chez les adolescentes pour les carrières en informatique. Christina Haralanova, doctorante à l’Université Concordia, s’est intéressée à la participation des femmes au développement du logiciel libre et à ses conséquences.

« Les parents d’un garçon investissent quatre fois plus dans des gadgets informatiques que lorsqu’ils ont une fille, note Christina Haralanova. C’est une notion très importante dont il faut tenir compte pour comprendre le déséquilibre qu’on retrouve ensuite. Les années d’adolescence sont une période où on a du temps pour expérimenter des choses, notamment les loisirs basés sur les technologies. Une période où on commence à savoir ce qu’on veut faire plus tard dans la vie aussi. Si on ne permet pas aux filles de s’intéresser à l’informatique à ce moment-là, ce n’est pas ensuite, avec les études, puis la carrière, les enfants, etc., qu’elles vont le faire. Alors, forcément, ces domaines-là resteront en grande majorité dans les mains des hommes, du moins pour ce qui est des postes d’ingénieur, de développeur, de concepteur. Bref, les mieux payés. » 

Divisions sexuelles
Selon certains chercheurs, les technologies engendrent des divisions sexuelles en imposant aux hommes et aux femmes des rôles différents dans la vie quotidienne. La fracture proviendrait initialement des modèles de socialisation des enfants, ainsi que de la ségrégation de genre dans les activités professionnelles et domestiques. Aussi, l’omniprésence de la gent masculine s’exprimerait autant par les stéréotypes sociaux imposés dans l’usage domestique et professionnel des machines que par le langage masculin en oeuvre dans les domaines de l’informatique, de l’ingénierie et des sciences en général. Cette logique masculine constitue l’un des principaux facteurs d’exclusion des femmes dans les domaines relatifs aux technologies de l’information et des communications (TIC). Il n’est donc pas surprenant que les femmes se trouvent si peu nombreuses parmi les développeurs. En 2003, au Québec, les informaticiens comptaient dans leurs rangs à peine 25 % de femmes, et les ingénieurs informatiques, une maigre proportion de 8 % ! Et encore… Afin de s’intégrer dans les domaines technologiques, bon nombre de femmes ont dû sacrifier des aspects importants de l’identité de leur genre. Pour faire une belle carrière dans le milieu des technologies de l’information, elles doivent savoir naviguer parmi les multiples cultures masculines associées non seulement aux emplois relevant de la technologie, mais également au niveau des postes de gestion. Des sacrifices auxquels, de leur côté, les hommes ne sont pas confrontés.

Or, au Canada comme dans la majorité des pays développés, presque la moitié des utilisateurs sont des utilisatrices. « Selon une chercheure contemporaine, Mavic Cabrera-Balleza, le fait que le secteur du développement des nouveaux moyens de communication est largement dominé par les hommes, notamment ceux des pays du Nord, définit la qualité de l’information circulant dans Internet et via les autres moyens de communication basés sur les technologies numériques, comme les jeux vidéo », explique Christina Haralanova. Elle souligne que, dans ce cas, « les images des femmes qui prédominent dans Internet sont stéréotypées, à forte connotation sexuelle, souvent sexistes, et elles reflètent l’image populaire des styles de vie des développeurs de contenus. L’exemple le plus pertinent reste la caricature que représente le personnage de Lara Croft dans le jeu Tomb Raider. »

Pour le logiciel libre !

Devant ce constat, le logiciel libre, thème principal des études menées par Christina Haralanova, tient une place toute particulière. Afin de garantir certaines libertés induites des utilisateurs, les programmes informatiques (ou logiciels) de code source ouvert permettent la libre utilisation, étude, modification et duplication en vue de sa diffusion, techniquement et légalement. « Malgré les libertés d’usage des logiciels libres, le taux des femmes qui s’investissent dans le développement du logiciel libre ne représente qu’un petit pourcentage, regrette Christina Haralanova. Or il y a un lien évident entre logiciel libre et féminisme. Ça fait partie de la même lutte : parce que, via ces programmes, on peut lutter pour la liberté des femmes et la liberté de parole. Parce que, étant donné que le code source est ouvert, que tout le monde peut le voir, l’analyser et le modifier, il ne peut y avoir de mauvaise surprise, notamment sur la question du respect de la vie privée. Prenons l’exemple des lesbiennes dans un pays musulman où l’homosexualité est criminalisée, poursuit la chercheure. Utiliser des logiciels réguliers qui regorgent de programmes-espions, ou même s’inscrire dans Facebook, serait très dangereux pour elles, parce que le pouvoir pourrait les repérer. En utilisant un logiciel libre sécuritaire et vérifié, elles sont certaines de pouvoir rencontrer d’autres femmes, ainsi que d’envoyer et de partager des informations en ligne sans prendre de risques démesurés. » 

Ainsi, s’agissant d’un modèle de conception ouverte participative, le logiciel libre a le potentiel de contourner les relations de pouvoir dans la société, de réduire la différence entre les experts et les non-experts, entre les développeurs et les utilisateurs, entre les pays développés et les pays en développement, entre les riches et les pauvres. « La critique féministe a pour but de dénoncer toutes sortes d’inégalités dans le monde, ajoute Christina Haralanova. Appliquées au champ des technologies, qu’on parle de l’usage ou de la conception, les approches féministes aident à lutter contre les inégalités non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les groupes majoritaires et les groupes minoritaires, entre les classes dominantes et les classes dominées. »


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  À l'école comme

à la guerre 

Rima Elkhouri, La Presse (12-05-12) 

À quoi travailles-tu? «Les changements de sexe...»

Rire. Silence. Malaise. À tout coup ou presque, parler de transsexualité suscite des blagues de mauvais goût ou des réactions de gêne.

«Si chaque lecteur pouvait rencontrer une personne transsexuelle, passer du temps avec elle, il verrait que ce sont des gens normaux, qui ont besoin de soins comme tout le monde», m'a dit le Dr Pierre Brassard, réputé mondialement dans le domaine des interventions de changement de sexe.

Je suis parvenue à la même conclusion après avoir rencontré deux de ses patients, Damien (né Katryn) et Marie-Pier (née Pierre), dont je raconte l'histoire dans le cahier Enjeux d'aujourd'hui.

Damien et Marie-Pier ont deux histoires fort différentes. Mais ils ont ceci en commun: tous deux se sentaient prisonniers d'un corps qui ne correspondait pas à leur identité. Tous deux avaient des idées suicidaires. Les opérations de changement de sexe leur ont sauvé la vie.

J'ai été bouleversée par leur souffrance. J'ai été touchée par leur courage. Et j'ai été troublée d'apprendre que bien des gens comme eux, victimes d'intimidation à l'adolescence, quittent l'école secondaire aussi traumatisés que s'ils avaient fait la guerre.

Ce n'est pas qu'une image. «Plusieurs études nous disent qu'on est en train de créer une population de jeunes qui terminent l'école secondaire avec un syndrome post-traumatique. Je veux juste préciser que c'est le diagnostic qui est donné aux soldats qui reviennent de la guerre d'Irak», me dit la psychologue Françoise Susset, cofondatrice de l'Institut pour la santé des minorités sexuelles. 

Le harcèlement homophobe et transphobe à l'école secondaire est quasi universel, dit la psychologue, qui a présenté jeudi au congrès de l’ACFAS des données alarmantes sur la transphobie. Le portrait est extrêmement inquiétant. On sait que les préjugés dont sont victimes les jeunes trans qui ne se conforment pas aux stéréotypes masculins ou féminins sont étroitement associés au sexisme, à l'homophobie et aux petites cases étroites dans lesquelles on aime emprisonner les gens. Dans tous les cas, les mécanismes de rejet sont les mêmes. Et les séquelles sont très graves.

«On est en train de permettre dans nos écoles secondaires un tel harcèlement homophobe et transphobe que les jeunes qui en sont victimes terminent leurs études risquent deux fois plus que la population en général d'avoir un syndrome post-traumatique très sérieux avec flash-back, cauchemars, évitement, dépression, etc.»

Dans son cabinet, la psychologue voit des adultes qui, même à 40 ou 50 ans, après avoir fait leur vie, demeurent marqués par ce traumatisme. «Quand il s'agit, dans leur histoire de vie, de parler de l'école secondaire, des personnes qui autrement sont extrêmement fonctionnelles s'effondrent en sanglots.»

Selon une vaste étude américaine publiée l'an dernier (1), près de 80% des personnes transgenres ont vécu du harcèlement à l'école; 35%, de la violence physique et 12%, des agressions sexuelles. Des jeunes, coupables d'être différents, font les frais de l'ignorance et de l'indifférence de la société. La moitié d'entre eux font une tentative de suicide.

Fait troublant, dans près du tiers des cas de harcèlement, le harceleur est un enseignant ou un membre du personnel. Des jeunes sont ainsi intimidés par ceux-là mêmes qui devraient faire figure d'autorité et montrer l'exemple. Ceux-là mêmes qui pourraient les aider. Mais encore faudrait-il qu'ils aient les ressources et la formation pour le faire.

La ministre de l'Éducation a déposé un projet de loi contre l'intimidation et la violence à l'école. Le projet, récemment débattu en commission parlementaire, exige des écoles qu'elles agissent et rendent des comptes. Fort bien. Personne n'est contre la vertu. Mais on voit mal comment un plan contre l'intimidation qui ne prévoit pas plus de ressources ou de professionnels sur le terrain pourrait tenir ses promesses.


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Le mystère des Suites

pour violoncelle seul

de Bach

Eric Siblin, Le Devoir (29-04-12)615-5

Le choc s’est produit dans une salle de concert de Toronto. Eric Siblin, qui était encore peu de temps auparavant critique de musique rock et pop pour le quotidien montréalais The Gazette, assiste, presque par hasard, à un concert des Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach. Il en sort hypnotisé par la simplicité de cette oeuvre intimiste et intrigué par des notes du programme concernant cette oeuvre mystérieuse de Bach. Le manuscrit original n’a jamais été retrouvé. Seul existe un manuscrit signé de Bach de la cinquième suite, mais destiné au luth et non au violoncelle, et dédié à un mystérieux monsieur Schouster.

L’idée du livre Les suites pour violoncelle seul est venue à Eric Siblin après ce concert révélateur. Le livre vient d’être traduit en français chez Fides après avoir été un best-seller en anglais et après avoir été traduit en une dizaine de langues.

Ce premier livre, Siblin l’a conçu avec la charpente même des suites conçues par Bach. Six suites, qui commencent par un prélude et qui se terminent par une gigue. Entre les deux se trouvent d’anciennes danses de cour, une allemande, une courante et une sarabande, et aussi des menuets, des bourrées et des gavottes. Siblin ouvre chacun de ses ensembles avec des épisodes de la vie de Bach, dans laquelle il explore le mystère de la création de ces suites. Il poursuit en plongeant dans la vie tumultueuse de Pablo Casals, le violoncelliste catalan très engagé contre Franco, qui a fait connaître les Suites au grand public et qui a été le premier à les enregistrer pendant que son pays ployait sous la guerre civile. Puis, il raconte des fragments de sa propre découverte de l’oeuvre de Bach, lui qui, n’ayant jusque-là qu’une expérience de guitariste rock, a poussé l’expérience bachienne jusqu’à tenter d’exécuter les Suites au violoncelle…

Siblin n’a pas eu froid aux yeux, il en convient. Le grand Bach n’était pas le moindre des hommes illustres à tenter de démystifier. « Ce livre s’est imposé à moi, en quelque sorte, à cause de cette fascination des Suites que j’ai subie. C’est pourquoi je l’ai écrit. Autrement, je n’aurais pas choisi cette oeuvre, convient-il. Écrire sur Bach, c’est un peu comme écrire sur Dieu. »

Eric Siblin assure pourtant qu’aucun musicologue n’a ouvertement contesté à ce jour son interprétation de l’origine des oeuvres, qu’il présente par ailleurs honnêtement comme des hypothèses. Ce sont les enregistrements du grand Pablo Casals, connu pour avoir donné une interprétation inégalée des Suites, qui l’ont guidé dans sa lecture de l’oeuvre. 

« Il y a là en quelque sorte tout un orchestre enfermé dans le violoncelle » de Casals, écrit Siblin. Et si la première Suite pour violoncelle avait été entreprise par Bach alors qu’il était en prison après avoir demandé de quitter son poste de maître des concerts à la cour de Weimar pour devenir maître de chapelle à la petite cour de Cothen ? se demande Siblin. C’est aussi durant ce séjour en prison que Bach a commencé à composer les oeuvres pour clavier tempéré.

La deuxième suite, qui s’ouvre dans la tristesse, marque-t-elle le décès de la première femme de Bach, en 1720 ? « Les dernières mesures de ce prélude pourraient décrire Bach rentrant chez lui, le coeur battant, ses pressentiments cédant à la panique. Que s’est-il passé ? Où est-elle ? », écrit Siblin. 1720 est la date à laquelle, faute de détails et faute de manuscrit, on attribue généralement à Bach la composition des Suites pour violoncelle seul. Mais c’est en 1721 que Bach se remarie avec Anna Magdalena Wilcken, un mariage heureux qui est peut-être à l’origine de la joie qui émane de la troisième suite, propose Siblin. Quant à la sixième, rien n’explique qu’elle ait été composée, contrairement aux autres, pour un violoncelle à cinq cordes, comme l’a spécifié Anna Magdalena dans sa transcription du manuscrit original.

L’une des forces du livre est de s’adresser tant aux amateurs rompus à la musique classique qu’aux néophytes, qui feront, en suivant les pas de Siblin, leurs premiers pas dans le domaine. Siblin le jure en entrevue, il écoutait très peu de musique classique avant de se lancer dans cette aventure. La rédaction du livre l’a amené à étudier longuement l’oeuvre de Bach, qui n’est pas la moindre, celle des musiciens qui l’ont influencé et celle des enfants de Bach, dont certains ont, en leur temps, éclipsé leur père de leur célébrité. S’il a développé un véritable goût pour le classique, Éric Siblin convient qu’il est revenu à l’écoute de certains morceaux de musique country, rock ou pop. « J’écoute autant du Ryan Adams que du John Adams », dit-il, alliant le country et la musique classique contemporaine.

Son livre pose d’ailleurs un regard critique sur l’univers guindé, voire snob, des concerts de musique classique. « Chacun sent qu’il n’a pas le droit de parler ; on ne peut s’éclaircir la gorge qu’entre les mouvements, alors que, soit dit en passant, on ne peut même pas applaudir et qu’on doit s’asseoir sur ses mains jusqu’à ce que l’oeuvre ait été complètement interprétée, écrit-il. Cela n’a pas toujours été si strictement réglementé. Jusqu’à il y a au moins un demi-siècle, le public applaudissait après chaque mouvement. Et pourquoi ne pourrait-on en temps réel lâcher ses bravos et récompenser un solo instrumental flamboyant ? À l’époque de Bach, il n’y avait aucune révérence muette de ce genre. »

Les temps changent cependant, et le monde de la musique s’assouplit, croit Siblin. Le chef de l’Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano lui-même, n’a-t-il pas travaillé avec la chanteuse islandaise Bjork ? Et la musique de Bach, avec sa malléabilité exemplaire, que l’on a adaptée depuis sa création aux usages et aux rythmes les plus divers, n’est pas près de se perdre dans ce tourbillon. « Bach est dans l’oreille de celui qui l’écoute », écrit Siblin. Les Suites pour violoncelle seul en particulier, méditatives et somptueuses, s’offrent pour nous envoûter.


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La Symphonie du Nouveau

Monde, terrain connu?

Christophe Huss, Le Devoir (28-04-12)

Jeudi, samedi et dimanche prochain Kent Nagano dirigera l’OSM à guichets fermés dans la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorák. Dans quel-ques mois, le 23 septembre, Yannick Nézet-Séguin ouvrira sa saison à l’Orchestre métropolitain avec la même oeuvre. Quelles sources et quels secrets font la magie de cette oeuvre ?

Pour approcher la 6, la Neuvième d’Anton Dvorák (1841-1904), il faut considérer deux quêtes parallèles qui toutes deux nous ramènent quelques décennies avant la composition et la création de l’oeuvre, en 1893. 

Nationalisme et symphonie

La première quête est celle d’un art national tchèque. Un élan majeur est donné, à Prague, dans la décennie 1860 avec le lancement de journaux en langue tchèque, la création du Théâtre national en 1868 et la composition, par Bedrich Smetana, de deux opéras fondateurs : La fiancée vendue (1866) et Dalibor (1868).

Dvorák est alors dans la vingtaine. La mutation est palpable dans son oeuvre. Aussi bien son Quintette opus 1 et son 1er Quatuor que sa 1re Symphonie (1861-1865) sont encore des oeuvres « classiques » de la période romantique héritière de la culture germanique. Mais la décennie suivante voit la création d’oeuvres très ancrées dans la culture tchèque, à commencer par un hymne, Les héritiers de la montagne blanche, sur un texte aux fondements historiques de Vitezslav Halek. Sa création en mars 1873 vaut à Dvorák d’être fêté comme un « compositeur national ». D’autres oeuvres immédiatement subséquentes puisent aux mêmes sources, de l’opé-ra Le roi et le charbonnier (1874) à la première série de Danses slaves (1878).

La seconde quête est celle, mondiale, de ce que doit être la symphonie après Beethoven. On a aujourd’hui du mal à imaginer le traumatisme que la 9e Symphonie de Beethoven a causé dans le monde des compositeurs. Où aller désormais ? En décrétant que Beethoven a « épuisé les dimensions » de l’art symphonique, Schumann constate que « l’art a des frontières ». Wagner ne dit pas autre chose en parlant de la « fin d’une époque ». Formellement, Mendelssohn a buté contre un mur, Berlioz a inventé la symphonie à programme et Brahms a crevé l’abcès après 40 ans.

Pour Dvorák, le modèle est beethovénien dans les deux premières symphonies. Il commence à trouver une voix dans les Symphonies nos 3 et 4. Mais c’est à partir de la 5e Symphonie qu’il découvre la solution. Nous sommes en 1875 et Dvorák décide de parler son propre langage, celui de son pays. Dans la 5e Symphonie, le 2e mouvement est une dumka ; dans la 6e Symphonie, un furiant remplace le scherzo.

Des danses « nationales » (même si la dumka est d’origine ukrainienne) entrent dans l’univers symphonique. Les deux quêtes se rejoignent.

Vingt ans plus tard

Le développement de l’art symphonique de Dvorák ne porte pas que sur la nature ou la couleur des thèmes. Le travail est aussi structurel. Comme il n’y a plus besoin de chercher à faire évoluer la forme (sa recherche dans les Symphonies nos 3 et 4), Dvorák travaille sur le fond en renouant avec des formes très clairement structurées, directement héritées de Beethoven.

La venue de Dvorák aux États-Unis est le fruit des démarches de la fondatrice du Conservatoire national de musique de New York, Jeanette Thurber. Elle approche Dvorák en 1891 pour l’inviter à venir enseigner la composition et diriger artistiquement l’établissement. Dvorák, qui enseigne la composition au Conservatoire de Prague, se laisse convaincre à la fin de 1891 et quitte l’Europe avec sa famille en septebre 1892. Il restera trois années à New York.

En considérant le fait que l’art de Dvorák intégrait des éléments de folklore « signant » géographiquement son oeuvre, ses compositions « américaines » furent, bien sûr, guettées. Dvorák a rempli cinq carnets d’esquisses aux États-Unis. Ils contiennent tout ce qui a présidé à la composition de ses oeuvres « américaines » : Symphonie « Du Nouveau Monde », opus 95, Quatuor op. 96, Quintette op. 97, etc. jusqu’au Concerto pour violoncelle opus 104.

Toute la Symphonie du Nouveau monde se trouve ainsi esquissée dans le premier cahier, commencé peu avant Noël 1892 et complété à la mi-mai 1893. Comme à Prague, vingt ans plus tôt, Dvorák se rode par un hymne, Le drapeau américain, mais enchaîne cette fois tout de suite sur la symphonie. En l’achevant, Dvorák écrira : « Celui qui a du flair sentira l’influence de l’Amérique. »

Cette influence est avant tout noire et indienne. Comme l’écrit Alain Chotil-Fani : « Une raison de l’intérêt de Dvorák pour la musique des Noirs est certainement leur nostalgie  omniprésente, qui lui rappelait sa propre douleur d’exilé volontaire. On peut aussi imaginer que le Tchèque, faisant partie d’une nation sous tutelle austro-hongroise, dépréciée par les Allemands, voyait dans le racisme dont les Noirs et les Indiens étaient victimes aussi un peu l’histoire de sa propre nation. »

On cite très souvent en référence le poème de Longfellow Le chant de Hiawatha. Nous vous recommandons chaudement de creuser ces références sur le site Internet de l’Orchestre symphonique de Chicago en visionnant le projet « Beyond the Score » sur cette symphonie à l’adresse http://beyondthescore.org/video_dvorak.html.

La magie de cette oeuvre tient aussi au fait qu’elle vient en total prolongement de l’oeuvre symphonique de Dvorák. À ce titre, alors que Dvorák utilisait principalement le 3e mouvement pour instiller des éléments de folklore, il n’y a rien d’américain dans le scherzo de la 9e Symphonie. Au contraire, le trio en est une sousedska de Bohème en bonne et due forme ! 

Interpréter Dvorák615-7

La question de base pour un interprète est finalement assez commune à l’ensemble des Symphonies nos 5 à 9. Dvorák est-il un beethovénien folklorisant, c’est-à-dire un compositeur de formes et de rythmes, ou bien est-il un Brahms de l’Est, qui vise l’expansion de l’orchestre et des 615-8moyens expressifs ?

La palette d’interprètes se range entre les deux pôles. Karel Sejna, le plus beethovénien des interprètes tchè-ques, a enregistré les Symphonies nos 5, 6 et 7, mais malheureusement pas la 8e ni la 9e. Dans l’esthétique rythmico-motorique, le Français Paul Paray (Mercury) est le plus audacieux, mais on peut le trouver trop objectif. Les trois porte-parole les plus éloquents de cette esthétique sont Istvan Kertesz et Rafael Kubelik avec le Philharmonique de Vienne à la fin des années 50 (Decca, tous deux) et Leonard Bernstein à New York (Sony).

Avec des chefs tels que Giulini (DG) ou Chailly (Dec-ca), on découvre le must de l’opulence et de l’élargissement orchestral. Au milieu, exactement, nous touchent et nous captivent des rythmiciens qui colorent l’oeuvre d’une indicible nostalgie : Karel Ancerl (Supraphon) et Vaclav Smetacek (Praga).


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Le brouillard du passé,

la mémoire réinventée

Danielle Laurin, Le Devoir (29-04-12) 616-4

C’est l’histoire d’un petit village, en bordure du fleuve. C’est l’histoire de Rose, surtout. Rose Brouillard, qui a grandi à proximité de ce village, dans une île. Et puis, c’est l’histoire d’un film. D’un documentaire. Tourné sur elle, Rose Brouillard. Sur sa vie, son histoire.  C’est Rose Brouillard, le film, deuxième roman de Jean-François Caron après Nos échoueries, prix Jovette-Bernier 2010. Et c’est magnifique. Magnifiquement écrit. Voici un livre porté par une imagerie, une parlure toutes particulières, tout en nuances. C’est nimbé de lumière, de douceur.

C’est tendre, touchant. Et puissant.

Plusieurs voix se font entendre. On pourrait parler de roman choral, comme chez Marie-Claire Blais. Sauf que dans Rose Brouillard, le film, les voix, intérieures ou non, sont annoncées, mises en situation. Comme si, derrière, une autre voix, une voix hors champ, nous précisait de qui il s’agit.

Il peut s’agir de gens du village. Ou de touristes. Il peut s’agir de la cinéaste en train de tourner, de Rose en train de témoigner devant la caméra ou de se parler à elle-même. Il peut aussi s’agir de personnes décédées : le père, la mère de Rose.

Même le fleuve a une voix, pourrait-on dire. Il est vivant. On l’entend, on le sent. Calme, ou déchaîné, menaçant, il fait partie de l’histoire, des histoires, il est un personnage à part entière.

Quant aux histoires comme telles, celle du village, celle de Rose, celle du film, mais aussi celles de tous les gens concernés autour, elles se donnent par bribes, par fragments. Entre passé et présent, parsemé d’allers-retours dans le temps, le récit fonctionne par boucles.

Déstabilisant au début, oui. Ce tourbillon de voix, d’ima-ges, d’histoires disparates qui s’enchaînent, s’entrecoupent. Mais peu à peu, la façon de faire de Jean-François Caron porte ses fruits : tout cela nous habite, complètement, nous ravit.

Ce village. Sainte-Marie. Rebaptisé Sainte-Marée de l’Incantation. Qui vit du tourisme. Qu’on a rénové, réinventé. Dont on a refait, réécrit l’histoire. Et où on a implanté un petit musée, supposément garant du passé.

Tout ça pour attirer de plus en plus de touristes.

Ce village, avec ses rumeurs, ses légendes. Ses fausses incantations de femmes de pêcheurs les pieds dans la vase pour épater le touriste. Ce village qui prend forme, pend vie devant nous. Avec ses habitants. Les trois vieilles filles. Le pêcheur aveugle ou presque aveugle. Ainsi de suite.

Ces histoires dans l’histoire, toujours. Celle d’un couple de touristes amoureux. Un roman qui parle d’amour, de couples, beaucoup,Rose Brouillard, le film. Un roman plein de sensualité, où le corps aime, désire, vibre, jouit. 

Cette Rose Brouillard, surtout. Vieille, très vieille aujourd’hui. Exilée à Montréal depuis longtemps - on va comprendre vers la fin du roman pourquoi. Rose Brouillard, dont la mémoire flanche, fuit. Même si, à ses yeux à elle : « Ce n’est pas que j’oublie. C’est que je suis dans toute ma vie en même temps. »   

Rose Brouillard, sa confusion, son désarroi, sa désolation. Fascinante petite bonne femme, touchante, tellement touchante. Qui ne retrouve plus ses marques dans le présent, ne reconnaît plus personne, se perd constamment.

Que de belles pages sur elle, sur sa fragilité, son vieillissement. Quel beau personnage !   

Rose Brouillard, toujours elle. Avec sa vie, son histoire. Son enfance solitaire, sauvage. Son gramophone. Son île aux quatre vents. Ses jeux, ses inventions, ses révolutions imaginaires. Son père, Onile le veilleur, le pêcheur.   

Et sa mère, la mère de Rose. Donnée à marier très jeune, amoureuse secrètement d’un autre. Mauvaise mère, cette « arrachée de la côte » qui ne veut pas être là, dans cette île aux quatre vents, avec ce mari trop vieux, cet enfant qui pisse et qui pleure tout le temps. Cette mère, qui meurt tragiquement à 21 ans.   

Car il y a ça dans l’histoire de Rose. Le tragique. Le tragique qui a continué de se jeter sur elle. Et qu’on découvre peu à peu. Ça, qui la rend si prégnante aussi. Tellement riche, cette histoire, et dense. Tragique, oui, mais belle aussi. D’une beauté tragique, voilà.

Et puis le film, bien sûr. Le film en train de se faire sur elle, Rose Brouillard. Par une jeune cinéaste née en Haïti mais arrivée au Québec toute petite. Une jeune cinéaste qui a elle aussi sa propre vie, sa propre histoire. Qui a un amant blanc étrange, bizarre. Les corps qui s’ébrouent, encore.

Ce film, en train de se faire, à Montréal d’abord. Dans la cuisine de Rose hagarde, « oubliant », « oubliée ». Puis, Rose ramenée dans son île, où elle n’a jamais remis les pieds. Rose dans son ancienne maison retapée, attrait touristique oblige.

Ce film commandé par l’office du tourisme, à l’intention du touriste qu’il faut « nourrir » d’« human interest ». Ce film, on le voit dans notre tête tout du long. On est dans le film, et en dehors du film aussi. On est dans le making of.

On est dans l’invention, la légende, l’imaginaire. On est dans un grand roman. Dans l’écriture pure.


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Maman Titanic

Pierre Foglia, La Presse (12-05-12)  

J'ai éclaté de rire. Au même moment, Thérèse s'est mise à pleurer. Ça aurait pu être le contraire. Moi, quand c'est trop, je ris. Pourtant, je pleure pour rien: le Titanic à la télé, je pleure. Mais le Titanic dans la vie, je ris. Je suis pas du monde, je sais, vous me l'avez beaucoup dit ces jours derniers, mais on ne parlera pas des étudiants aujourd'hui.

C'est la fête des Mères. Lalalère. C'tu une idée que j'me fais ou ce n'est plus la grande fête que ç'a déjà été? Le marché, peut-être? Tout dépend tellement du marché aujourd'hui. La mère serait dévaluée? Elle aurait moins d'influence sur le commerce de détail? C'est vrai que les petits collages que lui font ses enfants ne coûtent rien, et demain midi, ils l'emmèneront manger au St-Hubert, maman-chipette?

Et vous, Thérèse, la fête des Mères?

Ma puce Rebecca m'a dit qu'elle me préparait quelque chose dans son cours d'art plastique.

Rebecca a 10 ans. Autiste. Syndrome de la Tourette. Trouble du déficit de l'attention (TDAH). Asthme. Crises d'épilepsie.

Thérèse, sa mère, c'est Thérèse Pelletier, 47 ans, de Sainte-Anne-des-Plaines (près de Saint-Jérôme). Elle a six enfants. Sortis de son ventre, je veux dire qu'elle ne tient pas un foyer d'accueil pour enfants handicapés, même si on pourrait s'y tromper. En 50 ans de journalisme, je ne me souviens pas d'avoir écrit un paragraphe aussi lourd que celui qui suit.

Six enfants. Stéphane, 28 ans, est atteint d'une maladie orpheline dégénérative - épiderme molyse à bulles, sa peau fait des petites ballounes comme la soupe aux pois quand elle bout -, il souffre aussi du syndrome de la Tourette, et d'un trouble de déficit d'attention. Il vit en appartement à côté de chez sa mère qui fait son ménage, son épicerie, son lavage, sa bouffe, paie son loyer. Pascal, 23 ans, en appartement dans le même bloc que Stéphane, autiste, aussi syndrome de la Tourette, et trouble envahissant du développement. Stéphanie, 21 ans, mongolisme, graves problèmes cardiaques. Aux couches. Catherine, 20 ans, autiste, aussi le machin de la Tourette et TDAH. Rebecca, 10 ans, déjà nommée, qui souffre de tout ce que souffrent les autres plus d'asthme et d'épilepsie. Et finalement Jérémy, 9 ans, autiste profond, syndrome d'Asperger, ne sort pratiquement pas de sa chambre.

Et vous, madame, ça va?

Euh...

Attendez, laissez-moi deviner: vous avez une vilaine grippe?

Non, j'allais dire, avant que vous m'interrompiez, que je suis en attente d'une confirmation d'un diagnostic de sclérose en plaques.

Ce n'est pas à ce moment-là que j'ai éclaté de rire, c'est plus loin, quand on s'est mis à parler de sa famille. Vos parents étaient en santé?

Mon père était sourd et aveugle.

Le fou rire m'a pris, les larmes m'en coulaient, les siennes aussi, elle, c'était snif, snif, moi, c'était hihihi. Moi, quand c'est trop, je ris. Je pleure pour rien: le Titanic à la télé, je pleure. Le Titanic dans la vie, je ris. 

Et votre maman?

Albelina, elle s'appelle, mais elle aime pas. Faut dire Marie. Elle pète le feu. À 86 ans. Elle a eu 21 enfants, je suis la dernière.

Le bébé gâté! Le fou rire m'a repris, mais là elle riait aussi. Gâtée? Pas vraiment! La dernière d'une trâlée de 21, c'est pas pareil que le dernier d'une famille de quatre. Maman a eu son premier à 14 ans. Neuf sont morts à la naissance.

Vous avez six enfants, madame, tous souffrent plus ou moins de troubles de développement graves, quatre d'un premier lit, deux de votre mari actuel, cela ne vous a pas traversé l'esprit que, peut-être, cela venait de vous?

Un bon journaliste aurait posé cette question-là. Je ne suis pas un bon journaliste.

Maman Titanic a envoyé un message de détresse à La Presse l'autre jour. Je ne sais plus où me garrocher, disait-elle, je me sens couler, je me sens mère à la mer - elle ne dit pas les choses comme ça, je traduis -, ce qu'elle nous disait, c'est qu'elle allait perdre sa maison, se retrouver à la rue avec sa gang de la Tourette et sa fille de 21 ans aux couches.

Il lui reste 104 000$ à payer sur cette maison qu'elle a rachetée à son mari (101 000$) après leur divorce en 1999. Son hypothèque de 1076$ par mois chez HSBC Finances vient de passer à 1650$ par mois à la suite de deux défauts de paiement, c'est seulement la moitié du problème: HSBC Finances est en train de fermer ses succursales au Canada et a averti Thérèse qu'elle devait se trouver au plus sacrant une banque, une caisse populaire, n'importe quoi pour reprendre son hypothèque.

Et alors?

Et alors, mon nom n'est pas bon.

J'ai appelé chez HSBC Finances où deux Italos plus froids que l'iceberg qui a coulé le Titanic m'ont renvoyé au service des relations de presse de leur mondiale entreprise... aspetta, attendez, c'est pas pour écrire un article, c'est pour vous parler cinq minutes de cette dame - votre cliente - qui a six enfants autistes, des la Tourette, une trisomique aux couches, un autre avec la peau qui fait des bubulles quand tu passes ta main dessus. Y s'en crissaient-tu. De toute façon, c'est vrai, ils ferment leurs succursales au Canada, fait qu'ils s'en crissent encore plus.

Je n'ai même pas appelé la Banque Nationale qui vient de refuser de reprendre son hypothèque. Ni aucune caisse populaire. Ni aucun conseiller financier, de toute façon, je n'en connais pas.

Je n'avais pas l'intention non plus d'écrire une chronique. Jusqu'à ce qu'il me vienne que c'est demain la fête des Mères et que ce modèle n'était quand même pas ordinaire.

Voilà. Je souhaite bonne fête à toutes les mères, mères au foyer, mères poules, mères Teresa, mères Courage, mères célibataires, mères castratrices, mères Michel (qui ont perdu leur chat), mères Nature, mères porteuses.

Et à celle-là, mère Titanic, mère à la mer, je souhaite une bouée. 


 
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Tout nu

Pierre Foglia, La Presse (10-05-12)  

Depuis le début de cette grève, quand le gouvernement leur demandait: qui va payer, si ce n'est pas vous? les étudiants répondaient: les universités. Les universités? Mais oui, expliquaient les étudiants. En remettant de l'ordre dans leurs finances toutes croches, «en optimisant leurs ressources financières», pour dire les choses sans froisser les recteurs, les universités récupéreraient X millions qui seraient redistribués aux étudiants. Et voilà! Le chiffre avancé tourne autour de 200 millions, mais gardons-nous des détails puisque le diable y est, comme chacun se plaît maintenant à régurgiter ce cliché qui commence à me tomber sur les rognons. D'autant plus qu'ici, le diable n'est pas du tout dans les détails, il est dans l'esprit même de l'entente. J'y reviens plus loin.

Très bien, a fini par dire le gouvernement - c'était vendredi passé -, voyons la faisabilité de la chose. Vingt-deux heures de discussion plus tard, il est parvenu à une entente de principe avec les étudiants.

De cette entente, on retenait que la hausse des droits de scolarité était maintenue dans son intégralité mais que le gouvernement s'engageait à vérifier dans quelle mesure les ressources financières des universités pourraient être effectivement revues et corrigées.

Il fut décidé que serait créé un Conseil provisoire des universités (CPU), chargé de suggérer à la ministre les optimisations possibles. Autour de 200 millions d'optimisations possibles.

Vingt-deux heures plus tard, donc, tout le monde était content, mais ça n'a pas duré longtemps.

Pour revenir au diable, il est ici, disais-je, au coeur même de la raison de cette entente. Une raison à laquelle le gouvernement n'a jamais cru. Personne dans ce gouvernement n'a jamais cru qu'il était possible d'aller chercher 200 millions dans les coffres des universités.

Pourquoi alors avoir relancé les négociations en faisant semblant d'y croire?

Pourquoi?

1) C'était le moyen de sortir de la crise;

2) Sortir de la crise en plein conseil général du PLQ, ce qui tombait    drôlement bien pour le moral des troupes et pour celui de leur chef;

3) Tout cela à risque nul, ces petits cons d'étudiants - que le diable les emporte -, seraient rentrés en classe depuis longtemps quand on leur ferait valoir qu'il n'y a pas moyen d'aller chercher 200 millions dans les coffres des universités.

Il n'y avait pas deux heures que l'entente était signée qu'il apparaissait que, en fait d'entente, on ne s'entendait sur rien. Les étudiants avaient compris que, jusqu'au dépôt du rapport du Conseil provisoire, ils recevraient en remboursement des frais afférents l'équivalent de la hausse des droits de scolarité. Une sorte de moratoire, donc, et on sait comment le mot moratoire donne des boutons à la ministre de l'Éducation.

Les étudiants ont compris une optimisation globale, une somme globale à diviser par le nombre total d'étudiants. Le gouvernement pense université par université, des remboursements de frais différents selon chaque université.

Anyway, tout ça, c'est du vent.

Le vrai différend, le noeud de l'affaire, est dans ce qu'entendent les deux parties par optimisation des ressources financières des universités.

Le gouvernement entend des économies de bouts de crayon. Et bien sûr ne voit pas comment on peut économiser 200 millions en bouts de crayon.

Les étudiants entendent une réforme du fonctionnement même des universités. Les étudiants remettent en question le clientélisme, les liens de l'université avec les entreprises, avec le monde des affaires, remettent en question l'université qui se perçoit elle-même comme une entreprise et se lance par exemple dans l'immobilier.

Samedi, en conférence de presse, commentant l'entente, M. Charest se pourléchait les babines comme Grippeminaud, le chat d'une fable de La Fontaine: Grippeminaud le bon apôtre leur dit, approchez mes enfants... et jetant la griffe des deux côtés en même temps croqua l'un et l'autre. On verra bien, ronronnait-il, ce qu'il sera possible de sabrer dans les universités. Mais soudain, inquiet: il ne faudrait pas, par exemple, toucher à la recherche...

On s'est extasié maintes fois sur l'intelligence des leaders étudiants. Si vous voulez mon avis, intelligent, M. Charest l'est autant que les trois en même temps. Et il ajoute à cette triple dose d'intelligence un zeste de malignité ratoureuse, comme lorsqu'il laisse entendre qu'il ne faudrait tout de même pas aller jusqu'à faire des coupes dans la recherche. Ce disant, il avait pris un petit air douloureux, comme s'il avait déjà mal, par avance, à sa recherche coupée...

Rassurez-vous, monsieur le premier ministre, l'entreprise privée qui subventionne très largement la recherche universitaire n'a pas du tout intérêt à faire des coupes dans cette recherche tout bénéfice pour elle, une recherche dont elle détermine souvent l'objet et parfois même les résultats. Voyez par exemple le lobby de l'amiante à McGill. C'est la recherche fondamentale qui est en danger. Vous savez, ces pelleteux de nuages qui ne savent même pas ce qu'ils cherchent. Il n'y a absolument plus rien à couper chez ceux-là, leurs ailes le sont depuis un bon moment déjà.

Bref, je ne suis pas le premier à le dire: les étudiants se sont fait fourrer. Il est trop tard maintenant pour relancer en grand la machine à manifester. Alors? Rentrer la queue basse?

Parlant de queue, j'ai une idée qui me vient d'une manif à laquelle j'ai participé jeudi dernier et qui rassemblait quelques centaines de marcheurs tout nus ou presque. Pourquoi tout nus? ai-je demandé à une jeune fille en train de se peinturlurer les seins. Parce que, me répondit-elle avec un bel à-propos, tant qu'à se faire fourrer, aussi bien se mettre tout nu. Même qu'elle a dit «toute nuse».

Ma suggestion, donc: mettez fin à votre grève, rentrez dans vos classes, mais rentrez tout nus et toutes nuses. On accourra du monde entier pour vous appuyer.

 


 

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Le sport, la vie

Pierre Foglia, La Presse (03-04-12)  

Cela m'arrive parfois: je lis un article, une chronique, mon cerveau souscrit à chaque mot, oui oui, c'est juste, c'est vrai, c'est exactement cela, en même temps que mon âme se révulse - mon âme! J'exagère! Disons, plus benoîtement, mon «dedans», mon fond, tiens -, mon fond se brouille soudain comme lorsqu'on touille la lie au fond d'une bouteille de vieux vin: non, non, pas Patrick Roy, s'il vous plaît, pas Patrick Roy.

La chronique dont je parle est celle que mon collègue des sports Philippe Cantin a signée l'autre semaine avant même que soit limogé Pierre Gauthier. Elle était titrée Une étincelle pour le Canadien, pour Philippe, «cette étincelle qui manque cruellement au Canadien», c'est Patrick Roy. Parce que, poursuit mon collègue, c'est un homme authentique, un passionné. Parce que malgré son attachement à Québec, sa véritable maison, c'est le Canadien. Encore ceci: il arrive parfois que des rendez-vous soient incontournables, celui du Canadien avec Patrick Roy est de ceux-là.

Je n'en doute pas moi non plus, plus personne n'en doute: Patrick Roy sera le prochain instructeur du Canadien.

Grand bien vous fasse. Je vous ai entendu dire toute l'année: holala, comme la violence au hockey est dépassée, quel spectacle dégradant pour nos enfants. Je peux poser une question? Les étincelles, il les fait comment Patrick Roy? En mettant le feu où? À qui?

Grand bien vous fasse, disais-je, pour ma part, je vais me remettre à haïr cette équipe comme au temps où ce même Patrick Roy en était le gardien dominant, suffisant et légèrement névropathe. Je ne suis pas comme vous: la victoire n'est pas tout. Tenez, par exemple: encore tout récemment, les Bruins me plaisaient bien, et puis, leur gardien Tim Thomas a refusé de se rendre à la Maison-Blanche pour ne pas avoir à serrer la main de M. Obama et voilà soudain que j'aime beaucoup moins les Bruins. Je suis comme ça. Je mélange tout. Il n'y a pas le sport d'un côté et la vie de l'autre.

On dit souvent que le sport est une métaphore de la vie. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Tout ce que je sais, c'est que, dans la vie comme dans le sport, je ne me tiens pas avec des Tim Thomas, des Patrick Roy. J'ai pas besoin de gagner à ce point-là. Même que, contre ce genre de gagnants, ça ne me dérange pas trop de perdre.

À partir de tout de suite, je me remets à haïr viscéralement le Canadien. Je vais probablement devenir un fan des Nordiques. Voyez comme les choses sont tordues: je vais devenir un fan des Nordiques à cause d'un gars de Québec qui va diriger le Canadien. C'est la vie.

***

C'est le sport plutôt. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était pas parlé de sport, non? Pâques ramène habituellement mes premières chroniques de vélo. La saison a commencé bizarrement: en cuissard et t-shirt, pas de bas dans les souliers. Vous vous souvenez de ces quatre jours d'été l'autre semaine? Puis, le printemps est revenu d'autant plus frileux qu'on avait déjà goûté à la chaleur. Samedi, j'ai allègrement pédalé un 60 kilomètres frisquet et venteux. Allègrement, parfaitement. Mais non, je ne vais pas plus vite, c'est mon âge qui s'accélère. Si je puis me permettre: je roule maintenant à tombeau ouvert.

***

C'est le temps aussi du March Madness. J'écris ces lignes à quelques heures de la finale Kentucky-Kansas. Quand vous les lirez, ces lignes, vous saurez que Kentucky a gagné. J'ai une chance sur deux de tomber juste. En fait, cette finale m'indiffère. Mon équipe, c'était Louisville qui s'est fait sortir samedi sans gloire. Louisville avec leur grand centre sénégalais un peu fragile. La fragilité, c'est une bonne idée pour danser le fox-trot. Vraiment pas pour jouer centre, au basket, dans la NCAA.

Anyway, quand ça adonne, je prends toujours pour Louisville, la ville où est né Cassius Clay devenu Muhammad Ali. Je suis déjà allé sur ce pont qui sépare Louisville et le Kentucky de l'Indiana, ce pont où Cassius Clay a jeté la médaille d'or qu'il venait de gagner à Rome dans les eaux brunes de la rivière Ohio. J'étais à vélo. Il pleuvait. Me suis arrêté au milieu du pont pour regarder dans la rivière si je ne verrais pas le ruban rouge et blanc de la médaille, même si ça faisait plus de 20 ans.

Le sport, c'est aussi ce genre d'histoire. Un soir, dans un bar de Blancs de Louisville, un Noir se fait rappeler qu'il est toujours un Nègre même avec une médaille olympique autour du cou. Alors le Nègre va jeter dans la rivière sa médaille d'or même pas en or.

***

Parlant de médaille d'or, je ne serai pas à Londres cet été. Je me propose de chroniquer sur les Jeux en me promenant au Québec, peut-être à vélo, on verra. En fait, je me propose d'aller voir les Jeux chez vous. Si vous m'invitez évidemment. Je n'ose pas trop insister. La dernière fois que je vous ai dit invitez-moi, ç'a été un désastre. Un paquet de bonnes femmes m'attendaient pour me faire lire leurs pouèmes. Je vous avertis: pas de pouèmes cette fois. Le 3000 mètres steeple, le quatre sans barreur, le 500 mètres en K1, le sabre par équipe, le 400 mètres 4 nages, le 20 kilomètres marche. No fucking pouèmes.

Pas de farce, le gros malaise, la dernière fois, c'était surtout moi. Je ne suis pas doué pour les relations interpersonnelles, je veux pourtant essayer encore une fois avant de mourir. Je ne suis pas un vrai misanthrope, vous savez. J'aime les gens. C'est juste, comment dire? Je ressens souvent en leur compagnie un léger ennui que je n'éprouve jamais quand je lis Gracq, Dostoïevski, Flaubert, Balzac, Sollers ou quand j'ouvre un pot de confitures de pêches de vigne au pinot noir. 


 

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 Des jeux de simulation

pour sensibiliser les jeunes

aux grands enjeux de société

Pauline Gravel, Le Devoir (15-05-12)  

Ils sont souvent décriés parce que, prétendument, ils engendreraient des comportements violents chez les utilisateurs.  Mais peut-être les jeux vidéo simulant un conflit violent suscitent-ils aussi la réflexion, voire la prise de conscience des dangers de la guerre et des enjeux sociaux qu’elle soulève ?

Deux professeurs en sciences de l’éducation de l’Université Concordia, Ann-Louise Davidson et David Waddington, ont voulu vérifier cette hypothèse.  Pour ce faire, ils ont mesuré l’impact que pouvait avoir le jeu vidéo Defcon (pour Defence Readiness Condition, ou Stratégie d’alerte des forces de l’armée américaine) sur «les attitudes des joueurs à l’égard de la guerre nucléaire».

Dans Defcon Everybody Dies, qui simule une guerre nucléaire, le joueur attaque des pays entiers sur une mappemonde à l’aide de bombes nucléaires.  Il ne tire pas sur des gens, il ne voit pas de sang, mais il prend des décisions sur l’avenir de la planète.  Chaque fois qu’une bombe atteint sa cible, on précise les millions de victimes qu’elle a engendrées, on entend des gens tousser, des femmes pleurer. 

Personne ne gagne

«En jouant à Defcon, personne ne gagne, car même les meilleurs joueurs subissent des pertes dans leur propre pays, et l’expérience est dérangeante, pour ne pas dire déplaisante, à cause de la bande sonore et de l’environnement sombre dans lesquels est plongé le joueur.  Plusieurs participants à l’étude ont même été incapables de terminer le jeu», a expliqué Ann-Louise Davidson lors d’une conférence qu’elle donnait avec son collègue la semaine dernière dans le cadre du congrès de l’Afcas.

Près de 150 étudiants universitaires âgés de 18 à 25 ans ont participé à l’étude menée par les professeurs.  Parmi les participants, certains étaient des novices des jeux vidéo, d’autres étaient familiers de ces jeux de simulation sans en être des adeptes, tandis que d’autres encore étaient des joueurs experts.  Aucun d’eux ne connaissait vraiment Defcon.  La moitié des participants des trois niveaux a expérimenté le jeu pendant une heure de groupe contrôle a lu un article sur la guerre nucléaire.

Tous ont dû répondre, avant et après l’expérimentation, à un questionnaire permettant de sonder leur degré de connaissance et d’appréciation d’une guerre nucléaire et de ses conséquences.  Les chercheurs ont également procédé à des entretiens individuels avec une vingtaine de participants afin d’évaluer plus en profondeur leur vision d’une guerre nucléaire.

Ils ont ainsi constaté que le jeu Defcon n’a pas eu beaucoup d’influence sur la conception qu’avaient les joueurs experts d’une telle guerre.  «Pour eux, ce n’était qu’un jeu.  Peu importe le jeu, cela demeurait un jeu, et un jeu ne modifiait pas leurs attitudes relatives à la guerre», a expliqué Mme Davidson.

La pensée des joueurs novices n’a pas non plus évolué significativement, et ce, probablement parce qu’ils devaient se concentrer principalement sur les manipulations requises dans le jeu.  

Le changement d’attitudes face à la guerre nucléaire fut par contre beaucoup plus radical chez les joueurs moyens. Leur niveau de peur s’est accru significativement.  «Chez les femmes, surtout, le jeu a intensifié la prise de conscience et l’appréhension des conséquences d’une guerre nucléaire.  Beaucoup plus inquiètes que les hommes,  ces femmes en étaient mpeme venues à se demander si elles auraient des enfants en raison du danger d’une guerre nucléaire», a précisé David Waddington. 

Une fonction éducative

À la lumière de ces résultats, les deux chercheurs affirment que «le jeu vidéo peut avoir une fonction éducative».  «Même s’il s’agit d’un jeu violent, car il montre le vrai danger, l’ampleur des dommages d’une guerre nucléaire, nous croyons qu’il est possible d’obtenir un changement d’attitude par le jeu vidéo», a déclaré Ann-Louise Davidson, qui est psychopédagogue de formation. «Bien sûr, il peut y avoir des sociopathes qui voudront reproduire des choses folles comme cela, mais en général, je crois que le jeu vidéo peut être un outil intéressant pour susciter la réflexion sur des enjeux sociaux». 

«Un jeu comme Defcon ne serait pas un outil adapté à des élèves du primaire.  Mais au secondaire ou au cégep, il peut stimuler la réflexion sur les dangers de la guerre nucléaire», a ajouté David Waddington, qui détient une formation en philosophie des théories de l’éducation. 

Un parallèle avec la télévision

Ann-Louise Davidson fait un parallèle avec la télévision que certains parents utilisent pour occuper les enfants pendant qu’ils travaillent à autre chose.  «Il faut plutôt regarder la télé avec l’enfant, d’autant plus s’il s’agit d’un film violent, et l’interroger sur ce qu’il a vu, susciter la réflexion, avoir un objectif pédagogique.  De même, on doit réfléchir à voix haute avec les joueurs» [de jeux vidéo violents] sur l’expérience qu’ils ont vécue, a-t-elle souligné. 

Enchantés d’avoir trouvé une méthodologie qui révèle des changements d’attitude, les deux chercheurs s’apprêtent à entamer une étude comparable, mais beaucoup plus poussée, avec un «jeu civique» intitulé Fate of the World. 


 
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L'enfant-roi a grandi

Romain Gagnon, La Presse (16-05-12)  

Depuis longtemps, je m'inquiète de la façon dont on élève maintenant nos enfants. 

À l'école, ils apprennent leurs droits plus que toute autre génération précédente, mais on passe vite sur leurs responsabilités.

À la maison, les parents sont au service de tous les caprices de leurs enfants. On ne leur ordonne plus de faire leur lit, on négocie désormais pour qu'ils le fassent. On ne les punit plus, on leur explique en quoi leur comportement n'est pas approprié. 

Quand l'enfant d'aujourd'hui n'a pas ce qu'il veut, il fait une crise et ses parents abdiquent rapidement. Plus la crise est intense, plus vite il obtient sa mégapoutine ou encore son nouveau jeu vidéo. D'ailleurs, les enfants dictent désormais le contenu de leur assiette. Il n'est plus question de les forcer à manger leurs brocolis. Il n'est pas question non plus de les forcer à suivre leurs parents en ski de fond; ça demande un trop gros effort physique. Il faut éviter de les contrarier ou autrement les contraindre. 

Depuis longtemps, je me demandais comment ces enfants-rois allaient vieillir. Alors qu'ils n'ont jamais accepté un «non» comme réponse auparavant, comment ces enfants rendus à l'âge adulte allaient-ils réagir aux contraintes et contrariétés inévitables de la vie? J'ai eu ma réponse avec la grève sur les droits de scolarité. 

Quand il était jeune, l'enfant-roi cassait ses jouets pour exprimer son mécontentement. Aujourd'hui, il casse des vitrines. Avant, il refusait de faire le ménage de sa chambre, aujourd'hui il refuse d'assister à ses cours. 

Le gouvernement a remplacé ses parents comme figure d'autorité; l'enfant-roi s'attend donc à faire marcher le gouvernement comme il a toujours fait marcher ses parents. Mais cette fois-ci, cela ne fonctionne pas: le gouvernement fait la sourde oreille aux revendications étudiantes. C'est l'insulte suprême pour l'enfant-roi qui a grandi. Ses droits sont bafoués et dans son égocentrisme délirant, il se compare déjà à ses pairs en Iran ou en Chine. Dans sa bulle d'ex-enfant-roi, le terrorisme devient justifié et voilà l'explication pour les bombes fumigènes dans le métro.

On peut certainement blâmer les jeunes d'aujourd'hui pour avoir rompu notre belle tradition de non-violence au pays. Toutefois, il faudrait aussi blâmer leurs parents et enseignants qui n'ont pas eu le courage de les élever adéquatement. Aujourd'hui, on en paie le prix. 


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L'école, cette maquette

de société

Christian de Coninck, Le Devoir (12-05-12)  

En mathématiques, et donc en physique, ce sont souvent des simplifications extrêmes qui permettent de dénouer la complexité la plus extrême. De la même façon, l’école est sans doute l’outil le plus simple pour comprendre la complexité extrême d’une société. Toute école est donc, en quelque sorte, une maquette de société. Or, au lieu de porter une plus grande attention à tout ce qui se passe dans cette maquette, nos élus dépassés font l’erreur de n’y voir qu’une quantité socialement négligeable : ils ne voient pas le réservoir immense de solutions qui se trouve là, pour dénouer une crise de société. Aussi, ils restent fermés aux soubresauts les plus contestataires qui agitent l’école, alors que ceux-ci ne font simplement qu’exprimer les dérives insoutenables d’une société.

Incapables de gérer ces dérives et ces soubresauts, ils s’en remettent alors uniquement à la loi et à l’ordre, quand ce n’est pas au jugement populaire, dont la partie la moins instruite va même jusqu’à déclarer l’école inutile. Trop de citoyens et trop d’élus ne semblent pas encore avoir compris que la santé démocratique est essentiellement fonction du niveau d’accessibilité à l’école et du regard porté à cette maquette de société. 


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Le mystérieux duo de

l'art et de la folie

Caroline Montpetit, Le Devoir (09-05-12)  

Elle a écrit durant cinquante ans des lettres enflammées que seuls son médecin et le surintendant de l’hôpital ont lues.  Elle y a décrit son urgent besoin de liberté et son immense besoin de reconnaissance, les conditions difficiles dans lesquelles elle vivait à l’hôpital, nourriture déficiente, médication et soins insuffisants, violence qui règne entre les malades et les soignants. 

Sœur Jeanne est une religieuse internée à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu entre 1933 et 1974, soit de 50 à 92 ans.  Ses lettres, comme celle de sa semblable, sœur Rose, ont été découvertes récemment par une équipe de chercheurs en littérature de l’UQAM, qui présentait ses travaux hier à un colloque de l’Acfas sur les récits irréguliers et subversifs.  Dans les archives silencieuses de Saint-Jean de Dieu, l’équipe a ainsi fouillé les 15 000 dossiers de l’hôpital, qui ont miraculeusement échappé à deux incendies et aux décrets autorisant les hôpitaux québéois à détruire une bonne partie des archives de leurs patients. 

« Ces écrits nous renseignent sur l’époque, à travers les murs de l’institution.  C’est aussi une histoire de la folie à travers la marge », dit Michèle Nevert, qui présentait ce projet hier à l’Afcas.  Ils portent les traces du délire en même temps que les stigmates de l’internement, relève-t-elle. 

Dans les hôpitaux comme en prison, l’art épistolaire est souvent le mode d’expression choisi par les personnes en situation d’enfermement.  Et à Saint-Jean-de-Dieu, le surintendant, médecin autorisant les libérations et les congés, est l’autorité suprême à qui il convient de s’adresser.  Il devient ainsi le « destinataire idéal » des lettres éperdues de sœur Jeanne.  De son vivant, sœur Jeanne ne sera lue par personne d’autre que lui.  Mais le travail des chercheurs de l’UQAM permet, étrangement, la réalisation d’une prophétie de la démente: « mes écrits parcourront l’univers ». 

Il faut dire que l’art de la folie, ou encore l’art brut, qui lui est connexe, est peu reconnu au Québec, selon Valérie Rousseau, qui a fondé ici la Société des arts indisciplinés, il y a plusieurs années.  Cette société, dont les activités sont en veilleuse depuis 2007, regroupe des créateurs comme Richard Greaves, l’«anarchitecte», qui disperse des cabanes aux architectures fantastiques et anarchiques dans une forêt de Beauce, ou encore à Dominique Engel, qui fabrique des « véhicules oniriques et sophistiqués », et qui présente des objets inusités dans un sous-sol de la rue Parthenais. 

Mme Rousseau essaie de trouver preneur pour la collection de cette société dans un établissement muséal québécois. 

Au Québec, on a peur de la folie, dit-elle, alors qu’elle présentait une conférence sur l’art brut au même colloque.  À titre d’exemple, elle mentionne l’œuvre de Henry Darger, très connue aux Etats-Unis, qui n’a jamais été exposée au Québec.  Selon la définition de Dubuffet, relayée par Mme Rousseau, l’art brut est le fait de marginaux, qui ont souvent été hospitalisés, et qui poursuivent une démarche esthétique sans jamais avoir suivi de formation formelle. 

L’œuvre de Darger, pourtant colossale, n’a été découverte qu’après la mort de ce dernier, à l’âge de 81 ans.  Les interprétations de son œuvre sont diverses.  Ses biographes diront autant de l’homme qu’il avait le profil d’un tueur en série que celui d’un protecteur des enfants.  Ce serait un fait divers, le meurtre d’une petite fille de cinq ans, Elsie Paroubek, qui aurait déclenché la rédaction de son œuvre épique illustrée de 15 000 pages, L’histoire des Vivian Girls, épisode l’irréel, de la violente querre glandéco-angélienne, causée par la révolte des enfants esclaves. 

Folie et création forment un tandem souvent fécond, qui répond à des mécanismes intimes et mystérieux. Antoine Ouellette, musicien et musicolloque, signait il y a quelques mois le livre Musique autiste, aux éditions Triptyque, qui débutait sur ces mots: « À 47 ans, le 6 novembre 2002, je viens d’apprendre que je suis fou ».  Au moment de lui accoler un diagnostic de syndrome d’Asperger, son médecin a pris soin d’ajouter:  « Ça ne t’a pas empêché de faire des choses ».  Parmi ses nombreuses créations, Antoine Ouellette a composé Joie des grives, une symphonie intégrant les chants de 11 oiseaux du Québec, qui a été présentée, sous la direction de Jean-Marie Zeitouni, au Festival international de Lanaudière.  En fait, Antoine Ouellette compose de la musique depuis sa tendre enfance.  Ce monde imaginaire, constate-t-il, lui a servi de rempart contre l’intimidation dont il a été victime enfant, jusqu’à lui sauver la vie, dit-il.  «Parce que 80% des autistes sont victimes d’intimidation», signale-t-il. 

Aujourd’hui, Antoine Ouellette craint la mise au point du test prénatal qui pourrait bientôt diagnostiquer les enfants autistiques avant leur naissance.  On fait déjà ce test pour dépister les fœtus trisomiques, dit-il, et 96% des mères de ces enfants choisissent d’avorter.  On peut donc prédire qu’il n’y aura à peu près plus de citoyens trisomiques dans quelques années, conclut-il.


 

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2 mai 2012

Vendredi le 4 mai 2012. Vol. 6, no. 14

labibfranco.canalblog.com

 

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La pauvreté, grande

responsable

Marie-Claude Michaud, La Presse (27-04-12)

Je faisais partie, durant ma jeunesse écolière et étudiante puis au début de ma vie professionnelle, des «plus pauvres». Famille monoparentale de six enfants abandonnée par le père, disparu dans la nature, et n'ayant pour toute ressource que le «bien-être social». 

J'ai eu la chance d'avoir une mère qui nous a stimulés intellectuellement et peut-être, aussi, d'être dotée d'une curiosité extrême! Résultat, j'étais plutôt bonne à l'école et cela a certainement contribué à forger mon «estime de moi», comme disent les «psys» de tout acabit. Autre effet, je ne voulais pas arrêter d'étudier. 

La beauté de la chose, c'est que j'ai pu continuer et compléter un baccalauréat grâce à notre système qui protège les plus pauvres et c'est de cela dont je suis le plus reconnaissante à notre «système». 

Je me suis endettée au maximum, car bien sûr, j'avais droit à l'aide maximum. Mais précisons qu'avant de toucher une bourse, il faut d'abord avoir épuisé le maximum possible de prêts. Et quand j'ai terminé mes études, il n'y avait aucun système d'aide au remboursement de cette dette. Dix ans à rembourser ma dette, alors qu'au début, mon salaire était loin d'être faramineux. 

Mais je l'ai fait, et bien que j'aie trouvé ces années difficiles, j'ai toujours pensé que j'avais fait le bon choix.

Je crois sincèrement et profondément que ce n'est pas le coût des études qui nuit à l'accessibilité aux études universitaires ou autres, mais la pauvreté dans sons sens le plus «alimentaire» mais surtout, dans son sens le plus large.

La pauvreté des enfants qui manquent d'attention et de stimulation, qui manquent de se faire dire comment ils sont capables, dont la famille ne valorise pas la curiosité, le goût d'apprendre... parce que la pauvreté, cela se transmet souvent d'une génération à l'autre!

Je suis allée souvent à l'école le ventre vide... mais ma tête était pleine. Rendre l'école accessible aux Québécois, cela ne se joue pas, en tout cas pas essentiellement, sur le montant des droits de scolarité, cela se joue durant les jeunes années au primaire.

On ne peut pas «sauver» tous les enfants, on ne peut pas tous les amener à l'université - ce n'est d'ailleurs pas le but à viser selon moi -, mais si on peut mettre assez de bonnes ressources autour d'eux durant les années du primaire, on pourra certainement les stimuler intellectuellement, repérer ceux qui ont besoin d'une tape dans le dos, de se faire dire qu'ils sont bons, de se faire offrir par un super bibliothécaire d'école primaire, des livres et des idées! 


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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L'âge charnière

Ariane Krol, La Presse (27-04-12)  

Accidents de la route, décrochage scolaire, sédentarité, on ne s'est jamais autant inquiété de «nos» jeunes. Sauf qu'on devrait aussi s'intéresser à ceux des pays moins favorisés. Les problèmes qui les accablent menacent le développement de ces régions. 

Si le sort des enfants s'est beaucoup amélioré, leurs aînés n'ont pas la même chance. Alors que la mortalité infantile a reculé de plus de 80% en 50 ans, celle des adolescents a diminué de façon négligeable, montre une étude de 50 pays citée par The Lancet cette semaine. La revue médicale britannique et l'UNICEF ont uni leurs voix en faveur des jeunes de 10 à 19 ans, qui se trouvent à une période charnière de leur existence. 

Ces 10-19 ans, que l'UNICEF considère comme des adolescents, sont actuellement 1,2 milliard sur la planète. Neuf sur 10 vivent dans un pays en développement. Et les épreuves qui les guettent n'ont aucune commune mesure avec celles que doivent affronter des jeunes des pays industrialisés. 

La situation des filles est particulièrement consternante. Chez les 15-19 ans, près d'une sur quatre est mariée ou en couple (excluant la Chine). Ces unions pas toujours consenties entraînent souvent un abandon des études et des grossesses précoces. C'est ainsi que dans les pays les moins développés, 34% des femmes de 15 à 24 ans sont analphabètes (contre 25% des hommes) et que la principale cause de décès chez les jeunes Africaines est la maternité.

Dans plusieurs pays, dont la Gambie, la Sierra

Leone et le Bangladesh, une proportion importante des adolescentes sont unies à des hommes au moins 10 ans plus vieux qu'elles. Un contexte qui les rend vulnérables à tous points de vue - y compris au VIH dans les régions où le virus est très répandu. En Afrique subsaharienne, beaucoup plus d'adolescentes (63%) que d'adolescents (37%) sont infectées.

Les garçons ont aussi leurs difficultés propres. Ils sont plus fréquemment victimes de violence et beaucoup plus souvent victimes d'homicide.

Ces statistiques atterrantes sont lourdes de conséquences pour cette génération comme pour les suivantes. Ces ados sont mal partis pour améliorer leur sort et celui de leurs enfants. Les progrès réalisés auprès des plus jeunes risquent d'être réduits à néant si on se désintéresse d'eux en vieillissant.

Les jeunes des pays développés ne doivent pas non plus être ignorés. Au moins 70% des décès prématurés chez les adultes sont liés à des comportements acquis ou renforcés durant l'adolescence, note The Lancet.

Le tabagisme, la consommation d'alcool et de drogues, les relations sexuelles non protégées, l'alimentation, l'activité physique, le comportement au volant sont autant de facteurs qui peuvent avoir des conséquences déterminantes sur la suite d'une vie. Et les effets limités (dans les meilleurs des cas) des campagnes de prévention montrent à quel point il reste du travail à faire dans ce domaine.


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L'école doit être citoyenne

Le coût de l'éducation doit être assumé par 614-2

l'ensemble des contribuables

Pierre Vallée, Le Devoir (28-04-12)  

Le nouveau bulletin unique, l’enseignement de l’anglais de façon intensive en sixième année du primaire et l’évaluation possible des enseignants sont quelques-uns des dossiers sur lesquels se penche actuellement la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Entrevue avec son président, Pierre Saint-Germain. 

En premier dans la mire de la FAE se trouve le nouveau bulletin unique du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). 

« Le bulletin unique était une demande de la FAE, explique Pierre Saint-Germain, mais celui qu’a mis en place le MELS ne répond pas du tout à nos attentes. Ce bulletin, qui doit permettre l’évaluation des apprentissages, est encore trop centré sur une approche basée sur l’évaluation des compétences et pas assez sur l’évaluation des connaissances. » 

La FAE s’oppose aussi à l’enseignement de l’anglais intensif en sixième année du primaire. « Nous sommes contre la généralisation de cette mesure à tous les élèves. Cela devrait demeurer le choix des parents d’inscrire ou non leurs enfants à ce cours intensif et le choix des écoles d’offrir ou non ce cours intensif, selon la demande des parents. De plus, cette mesure ne convient absolument pas aux enfants en difficulté ni aux nouveaux arrivants. En ce qui concerne ces derniers, c’est plutôt la promotion du français qu’on devrait mettre de l’avant, car c’est par la francisation que les personnes immigrantes pourront bien s’intégrer et ainsi pleinement contribuer à l’avenir du Québec. »  

Évaluation des enseignants 

Récemment, la Coalition avenir Québec (CAQ) dirigée par François Legault a proposé que les enseignants soient évalués, une proposition, on s’en doute, qui ne réjouit pas la FAE. « Non seulement nous sommes contre cette évaluation des enseignants, mais nous allons mettre toutes nos forces pour contrer cette mesure qui vise à sanctionner les enseignants. Avant d’évaluer les enseignants, il faudrait d’abord leur donner les moyens de faire correctement leur travail. » 

Il donne en exemple le cas des élèves en difficulté. « Il manque cruellement de services spécialisés et de professionnels pour appuyer les enseignants avec ces enfants. Dans ces conditions, peut-on vraiment blâmer l’enseignant s’il n’obtient pas un bon résultat ? Ensuite, il y a la pauvreté, qui est un facteur important dans le décrochage scolaire. Que peut faire un enseignant quand un élève se présente en classe le matin le ventre vide ? 

«Au fond, dans ces circonstances, on évaluerait les enseignants sur des éléments hors de leur contrôle. » 

Sans compter qu’il estime que les enseignements sont déjà suffisamment évalués. « Les enseignements sont évalués à la sortie de l’université et ils le sont encore lorsqu’ils postulent pour un poste permanent. Les enseignants n’ont pas besoin d’être davantage évalués, ils ont surtout besoin d’être mieux soutenus dans leur action. » 

Droits de scolarité et autres sujets de l’heure

La FAE appuie la présente lutte étudiante visant à faire reculer le gouvernement Charest à propos de la hausse décrétée des droits de scolarité universitaires. « Cette hausse des droits de scolarité est au fond un autre recours à la tarification basée sur le principe de l’utilisateur-payeur. On veut bien diminuer les impôts des plus riches, mais on n’hésite pas à faire payer davantage les pauvres, ce que fait la tarification qui demeure la même, que vous soyez pauvres ou riches. La FAE milite plutôt pour la gratuité scolaire, car nous croyons que le coût de l’éducation doit être assumé par l’ensemble des contribuables par le biais de l’impôt sur le revenu. »

Pierre Saint-Germain en profite aussi pour dénoncer l’augmentation de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, comme l’a proposé le gouvernement Harper. « L’enseignement est une profession exigeante et les conditions d’emploi sont souvent difficiles. Arrivés à l’âge de la retraite, les enseignants sont souvent fatigués, et les obliger à travailler deux ans de plus m’apparaît injuste. »

Il craint aussi que le chemin emprunté ces dernières années par le MELS - on pense ici à la réforme scolaire qui a subi les critiques de la FAE - ne dilue la qualité de l’éducation. « Nous sommes en train de produire des élèves en difficulté qui, déjà en deuxième secondaire, accusent un retard important. Il faut renforcer la formation générale. »

«L’obsession de la diplomation a fait éclater le nombre de diplômes décernés au secondaire. Il y en a même un pour le travail d’aide-pompiste. Quelle est la valeur d’un tel diplôme ? Il ne faut pas seulement chercher à placer les élèves sur le marché du travail. Ce qu’il nous faut, c’est une éducation de qualité et une éducation qualifiante. L’éducation sert aussi à développer la personne et à l’introduire à la culture et aux enjeux sociaux. L’éducation doit aussi servir à former de meilleurs humains et, par conséquent, de meilleurs citoyens. »


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Pour une société juste

La richesse ne se mesure pas par le seul profit des entreprises

Normand Thériault, Le Devoir (28-04-12) 

Grève étudiante, Jour de la Terre : de grands rassemblements citoyens ont eu la vedette ces jours derniers. Il y a donc mobilisation active au Québec. Patronat et syndicats en prennent note. 

Yves Thomas Dorval ne sera pas content. Lui qui est arrivé à la tête du Conseil du patronat du Québec avec l’intention bien arrêtée de s’afficher plus convivial que son prédécesseur à la direction de l’organisme, lui qui constate qu’on ne peut plus diriger le Québec comme auparavant, déclarant lundi dernier que « je m’attendais que ce soit difficile de faire passer notre message, mais c’est devenu pire avec le temps », voilà qu’il devra aussi enregistrer une déclaration du président de la Confédération des syndicats nationaux qui, à propos des actions étudiantes en cours, y va d’un éloge en constatant la durée et la qualité de la mobilisation : « Ce sont elles, déclare Louis Roy, parlant des diverses associations étudiantes, qui pourraient nous conseiller dans le dossier du renouveau syndical ! Je crois que, si les syndicats en avaient fait autant, on aurait peut-être moins de problèmes aujourd’hui avec des gens qui refusent de participer à des grèves ! » 

Pauvre monsieur Dorval, car, comme l’écrivait Éric Desrosiers dans Le Devoir de mardi dernier, il voit mal comment augmenter la « richesse » du Québec, puisqu’il devient difficile non seulement d’imposer les augmentations de droits de scolarité, mais aussi d’éliminer divers programmes qui empêchent une augmentation des profits des entreprises, à savoir une loi antibriseurs de grève, les votes de grève locaux ou à main levée, les congés de maternité et de paternité, les retraits préventifs en cas de grossesse, certains régimes de retraite « imposés », l’activité syndicale politique, bref, tout ce qui fait que l’entreprise ne peut avoir pour seul critère de fonctionnement la seule rentabilité définie par une forte marge bénéficiaire. 

Modération 

Pourtant, monsieur Dorval devrait se réjouir : aurait-il été président d’une association de même nature sur le territoire français qu’il aurait sans aucun doute eu à récriminer contre le fait que, par suite de l’augmentation de l’âge de la retraite, les travailleurs de tous secteurs se seraient mobilisés dans une succession de grèves générales, coupant aussi d’autant de jours la productivité des entreprises, d’arrêts de travail et d’autres mouvements empêchant même les non-grévistes de se rendre à l’heure sur leur site de « production ». 

Mais, ici aussi, on s’oppose à cette mesure fédérale. Mais dans les formes. Si Michel Arsenault, le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, déclare que, « à l’heure actuelle, il y a à peine 25 % de la population active du Québec qui possède un régime adéquat pour recevoir une pension qui a de l’allure, ce qui veut dire qu’il y a 75 % du monde qui ne dispose d’aucun fonds de retraite que ce soit ou qui profite d’un fonds insuffisant pour vivre une retraite de façon confortable », ajoutant que, au lieu de prolonger en années le temps de travail, il vaudrait mieux légiférer sur une participation publique employeurs-employés aux caisses de retraite étatiques, soutenu aussi dans ses propos par toutes les présidences de centrale, il ne proclame pas pour autant qu’il faut descendre dans la rue.

Le monde syndical signalera donc une opposition, mais de façon « démocratique », par proclamations verbales et moyennant diverses pressions dirigées vers « qui de droit », en premier lieu vers ceux et celles qui, au niveau fédéral, ont pour profession de foi que l’avenir passe par la consolidation du secteur privé devant les demandes du public. 

Contestation

Ce qui dérange en fait les professionnels du pouvoir, c’est le fait qu’il est devenu possible de contrer des mesures dites de bonne entente, celles qui se font dans les enceintes closes ou dans les officines gouvernementales, et ce, à peu de frais et avec beaucoup d’efficacité : le mouvement étudiant n’a pas eu à investir dans d’énormes campagnes publicitaires pour obtenir qu’un étudiant québécois sur deux inscrits aux études supérieures vote pour une grève ou générale ou à durée déterminée. Et il lui en a donc coûté beaucoup moins cher pour faire défiler sur la place publique des centaines de milliers de protestataires, ce qui n’avait pas été le cas quand les Charest et Chrétien avaient fait descendre le bon peuple canadien à Montréal lors de la tenue d’un célèbre référendum.

Il est devenu, pourrait-on dire, facile de contester, de faire entendre une voix qui s’oppose à un pouvoir qui fait tout pour mettre à mal les institutions publiques et renverser les lois et mesures citoyennes.

Bien sûr, il y aura moins de monde mardi prochain, au soir du 1er mai, au grand rassemblement tenu pour souligner la Fête des travailleurs au parc Molson, à l’angle des rues d’Iberville et Beaubien, à Montréal. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il est possible de tout faire. D’ailleurs, le soutien public apporté à la cause étudiante démontre qu’il est des valeurs auxquelles il ne faut pas porter atteinte au Québec. L’éducation en est une, comme le système public de soins de santé et toute autre mesure qui a pour conséquence que la richesse ne s’évalue pas en fonction de la rentabilité boursière ou comptable, mais de l’amélioration du sort de tous et de chacun.

Les syndicats parlent d’une société juste : en cela, ils sont entendus.


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Nés pour un petit pain...

Pierre Allard (Le Droit), La Presse (30-04-12)

L'érosion du français, au Québec et ailleurs au pays se poursuit dans l'indifférence générale. Les multiples interventions médiatiques et judiciaires d'un noyau de personnes conscientes et engagées, qui s'épuisent à défendre et à promouvoir la langue et la culture françaises, donnent parfois l'impression d'une levée de boucliers... mais qu'en est-il réellement ? Sous la surface, c'est malheureusement le calme plat.

  Depuis une semaine, des manchettes se succèdent, chacune d'entre elles levant le voile sur un dossier linguistique qui devrait intéresser l'ensemble de la population.  C'est une semaine comme les autres. Ni pire, ni meilleure. Nous avons appris, coup sur coup, que :

- l'affichage unilingue anglais fleurit à Rockland en violation du règlement municipal ;

- même la ministre Madeleine Meilleur souhaite que l'Université d'Ottawa demande une désignation en vertu de la loi provinciale sur les services en français ;

- le couple Thibodeau est encore devant les tribunaux contre les manquements linguistiques d'Air Canada ; 

- le nombre de plaintes officielles contre l'affichage commercial en anglais augmente au Québec en dépit de la Loi 101 ; et

- le gouvernement Harper veut fermer le seul centre de sauvetage maritime capable de desservir les francophones dans leur langue le long du Saint-Laurent jusqu'au golfe.

  La plupart de ces dossiers sont connus depuis longtemps et refont occasionnellement surface dans les journaux et médias électroniques. Entre les éclats périodiques, les problèmes perdurent et, le plus souvent, s'aggravent. Même l'élément nouveau dans cette brochette de mauvaises nouvelles - la fermeture du centre de sauvetage maritime de Québec - fait partie d'une tendance bien amorcée au sein du gouvernement fédéral actuel, et que personne ne semble en mesure de pouvoir freiner.

  L'agglomération de Clarence-Rockland est majoritairement francophone et la ville s'est dotée d'une réglementation linguistique du nouvel affichage commercial. Pourquoi la question n'est-elle pas réglée alors ?  Des commerçants continuent de violer impunément les règles municipales, ou les contestent carrément. La majorité francophone se fait-elle entendre ? Boycotte-t-elle ces commerces ? Poser la question, c'est y répondre.

  L'Université d'Ottawa, où une nette tendance à l'anglicisation s'affirme depuis un demi-siècle, compte plus de 10 000 étudiants francophones ainsi qu'un effectif important de professeurs et d'administrateurs de langue française. S'il existe un milieu où l'on peut espérer un bouillonnement collectif, c'est bien l'université. Mais seule une petite minorité s'agite, et l'administration traîne les pattes. Se faire faire la leçon par une ministre du gouvernement, c'est un peu embarrassant.

  La contestation d'Air Canada par le couple Michel et Lynda Thibodeau a déclenché l'an dernier une colère haineuse au Canada anglais, mais leur geste reste isolé. Combien de francophones oseraient les imiter à bord d'un avion ? La quasi-totalité resteraient bien tranquilles et commanderaient leur « 7up » en anglais... Si, par contre, Air Canada était confronté à des Thibodeau jour après jour, vol après vol, la question se réglerait-elle ?

  Et l'augmentation du nombre de plaintes à l'Office québécois de la langue française (OQLF) en matière d'affichage commercial illustre de façon éloquente la situation d'un gouvernement à majorité francophone qui a les outils en main et qui ne s'en sert pas parce que l'opinion publique fait preuve d'une apathie chronique. À peine un millier de plaintes (et c'est déjà une hausse considérable) alors que des millions de francophones sont témoins d'un mépris quotidien à l'endroit de leur langue. C'est beaucoup dire...

  Dans un tel contexte, le gouvernement Harper juge sans doute qu'il pourra remplacer le centre de sauvetage maritime de Québec et lui substituer une brochette de fonctionnaires « bilingues » à Halifax et Trenton sans trop de contrecoups. En matière linguistique, il a devant lui un peuple qui semble heureux d'être né pour un petit pain...


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La grève des ados

Lysiane Gagnon, La Presse (28-04-12) 

Alors, la grève étudiante à l'école primaire, c'est pour quand?

Je plaisante, mais à peine. Cette semaine, quatre écoles secondaires de la Commission scolaire de Montréal ont fermé leurs portes à la suite d'un «vote de grève» pris par les élèves - des ados dont les plus jeunes ont 12 ans!

Que les ados veuillent se donner trois jours de congé pour aller courir dans la rue avec les grands, ma foi, cela se comprend. Un carré rouge, c'est plus excitant qu'une dictée. Ce qui est extrêmement dérangeant, c'est que tout cela s'est fait avec la complicité des autorités scolaires.

Le directeur de l'école François-Joseph Perreault se dit «fier» de ses élèves, pendant qu'une enseignante se pâme devant leur ligne de piquetage: «une belle action!», s'exclame-t-elle.

La Commission scolaire de Montréal a déclaré qu'elle respecte «l'expression démocratique des points de vue» de ses élèves. Sur les sites web des écoles fermées pour cause de piquetage, le message aux parents de la CSDM est annoncé d'une manière presque militante: en lettres blanches sur un rectangle rouge!

Les écoles de la CSDM, qui affichent, faut-il le rappeler, un taux de décrochage alarmant de l'ordre de 30%, n'avaient qu'un devoir, et un seul: forcer les élèves que la société leur a confiés à rester en classe.

C'est bien le comble de l'irresponsabilité que de laisser des enfants qui n'ont pas le droit de vote, ni celui d'acheter des cigarettes ou de l'alcool, se fourvoyer dans des manifs houleuses et possiblement violentes, et dans un débat politique dont on ne leur a même pas exposé les deux côtés, si l'on en juge par l'adhésion aveugle des syndicats enseignants au mouvement de boycott. Cela s'appelle soit de la négligence, soit de l'endoctrinement.

Bien sûr, les «votes de grève» ont été pris à main levée, avec les résultats prévisibles. On ne peut que deviner la solitude de l'ado qui aurait osé faire entendre une voix dissidente.

On ne peut pas aller plus loin dans la démission des autorités face au culte de l'enfant-roi et dans la caricature du syndicalisme, cette grande tradition que les «grévistes» étudiants travestissent allègrement. 

Le plus désolant, c'est de voir les dirigeants de la CSN, une centrale dont la pierre d'assise a toujours été la démocratie syndicale et le respect de la base, applaudir aux déviations du mouvement de boycott. 

La plupart des votes, dans les cégeps et les universités, ont été pris à main levée: c'est la voie royale vers l'intimidation des dissidents. Je ne sais pas comment les débats sont menés dans chacune des assemblées étudiantes, mais je serais étonnée qu'ils le soient en fonction du code Morin, ce fameux code de procédure qui est la bible de tout délégué syndical CSN et qui assure, en autant que la chose est humainement possible dans des atmosphères survoltées, la qualité démocratique des assemblées délibérantes. 

Rappel des règles en cours dans les syndicats CSN: une assemblée ne peut se tenir que si elle regroupe un nombre minimal de membres cotisants (il faut le «quorum»). Le président de l'assemblée ne participe pas au débat. La question préalable, lorsqu'un membre souhaite clore un débat pour qu'on passe au vote sur la proposition, doit être acceptée par le président, lequel refuse s'il considère qu'il faut laisser plus de gens s'exprimer, et elle doit ensuite être votée par les deux tiers de l'assemblée. 

Tout vote de grève se tient au scrutin secret. Plus encore, sur n'importe quelle proposition, un seul membre peut exiger la tenue d'un vote secret.


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Trois conditions pour sortir

de la crise étudiante

Jean-Claude Leclerc, Le Devoir (30-04-12) 

«Grotesque », l’analyse qui voit dans la hausse des droits de scolarité un plan pour aller aux urnes ? « Ignoble », l’accusation du PQ qui y voit aussi une manoeuvre électorale ? Rien ne prouve que le premier ministre ait ourdi pareille machination, encore que les libéraux ont déjà tenté de surprendre leurs adversaires (1962, 1973, 1976) et que Jean Charest a gagné de cette façon sa réélection en 2008 ! Mais, cette fois, si son Plan nord menait droit à un proche scrutin, la révolte étudiante, elle, l’aura plutôt pris au dépourvu.

Certes, avant que cette crise appréhendée n’aboutisse à une impasse, quel parti aura résisté à la tentation de l’exploiter ? À vrai dire, aucun n’a fait montre de modération dans le discours, ni de créativité dans la recherche d’un règlement. Or, dans tout conflit, un règlement n’est possible que si les circonstances s’y prêtent, que les protagonistes s’y emploient et, surtout, qu’une solution acceptable soit trouvée. Dans le cas présent, deux de ces trois conditions ne sont pas encore réunies.

Si une majorité d’étudiants est restée en classe, un tiers aura préféré mettre en péril son année scolaire plutôt que de s’accommoder de la hausse décrétée par Québec. L’intervention policière n’a pas découragé les manifestants ; les injonctions n’ont pas permis non plus de rétablir les cours. Quelques actes de violence, notamment dans le métro de Montréal, tenaient du terrorisme. Bref, la situation ne pourra durer sans graves dommages aux gens et aux institutions. Ces circonstances appellent à un déblocage devenu urgent.

Toutefois, les protagonistes ne sont pas tous engagés dans la recherche d’un compromis. Le gouvernement propose des allégements aux coûts personnels de l’éducation supérieure, mais sans plus. Les recteurs semblent disposés à revoir le financement acquis pour leurs universités, voire à soumettre leur fonctionnement à un examen indépendant. Mais les associations étudiantes restent liées à un mode de consultation lent et complexe et surtout à une « solidarité » entre elles qui risque de les paralyser.

D’abord, ces fédérations ont fait de la gratuité de l’enseignement l’objectif fondamental de leur opposition aux droits. Un retour au « gel » ne les satisferait guère, ni même une « suspension » de la hausse. Car elles ont investi des efforts considérables dans leur campagne et obtenu, depuis, un succès non négligeable, notamment au sein du corps professoral. Leur base voudra-t-elle reprendre les cours sans plus de concession de la part du gouvernement ?

Mais, surtout, plus grand obstacle, une des composantes du mouvement étudiant, la CLASSE, ne saurait se contenter d’un compromis, ni même d’une victoire de la gratuité. Tel n’est pas son but fondamental. Elle vise un renversement de la société capitaliste. Toute solution du conflit risquerait de ralentir, sinon de démobiliser, sa lutte contre les « élites dominantes ». Ces militants-là ne sont pas des « casseurs », mais des idéalistes d’une impossible révolution. Auront-ils un droit de veto sur le choix des étudiants ?

Enfin, il faut une solution acceptable. Ce ne sont pas les formules qui manquent, mais plutôt la volonté d’en choisir une qui soit réaliste, juste et applicable. La gratuité était jugée nécessaire lors de la grande réforme de l’éducation au Québec, mais elle n’a pas prévalu au Canada ; quelques pays l’ont néanmoins établie, notamment en Scandinavie. Elle serait peu coûteuse, estiment des économistes, mais dans un État endetté comme au Québec est-elle un choix impérieux ?

Sous le régime actuel, la « juste part » attendue de l’étudiant est devenue un dogme. Mais quelle contribution serait équitable ? Une revue du dossier montre qu’un taux égal pour tous ne l’est pas nécessairement. Pourquoi l’étudiant pauvre devrait-il payer autant que l’étudiant fortuné ? Pourquoi celui dont la formation coûte peu serait-il taxé autant que celui dont elle coûte beaucoup ? Ces questions ne sont pas démagogiques.

La Commission d’étude sur la formation des adultes recommandait déjà, il y a 30 ans, que les droits soient haussés, mais « établis de façon différenciée selon les programmes ».

En 2004, la Conférence des recteurs (CREPUQ) notait que les étudiants en administration ou en sciences humaines, par exemple, assumaient plus de 19 % du coût de leur formation, alors que les étudiants en médecine vétérinaire et en chirurgie dentaire ne payaient, eux, que 5,9 %. Ailleurs au pays, des étudiants paient différemment selon la discipline à laquelle ils sont inscrits.

En 2007, à l’Université de Montréal, Robert Lacroix signe avec Michel Trahan une étude sur Le Québec et les droits de scolarité universitaire. Le propos est clair et net : « La mesure la plus injuste dans le financement actuel des universités n’est peut-être pas le gel, mais l’uniformité des droits de scolarité. Un étudiant en lettres paie actuellement 42 % des coûts de sa formation, tandis qu’un étudiant en médecine dentaire n’en paie que 7 %. »

En 2010, Le Devoir citait une juriste de l’Université de Toronto, Catherine Valcke : « L’accessibilité aux études ne requiert pas que tous les étudiants, y compris les mieux nantis, n’aient à payer qu’une fraction de ce qu’il en coûte pour les former. […] Subventionner les études de tous les étudiants, peu importe leurs moyens financiers, revient à exiger que des moins nantis paient pour les études de mieux nantis qu’eux-mêmes. […] C’est le monde à l’envers. »

Bref, le Québec forme, bien sûr, une société distincte, mais pourquoi faudrait-il qu’il tombe sous la loi de l’émeute pour sortir des sentiers battus ? 


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Un climat pourri

Lise Payette, Le Devoir (27-04-12) 

    Devant les proportions que prend l’affrontement qui oppose les étudiants du Québec au gouvernement Charest, alors que les suggestions de règlement venant de gens sérieux et respectés n’ont même pas été reçues et étudiées avec attention, quand l’opinion générale reconnaît le fait que nous sommes dans une impasse qui sera probablement historique, ne devrions-nous pas, en plus de réfléchir aux gestes qu’il faut poser dans l’immédiat, nous interroger sur ce qu’il faudrait faire pour que ça ne se reproduise jamais ?

    Certains avancent qu’il faut exiger de nos représentants que les élections aient lieu à date fixe et que cette décision ne soit plus laissée à une seule personne, le premier ministre, qui peut user de ce privilège puissant selon son bon vouloir. Ce serait déjà un progrès dans l’exercice de la démocratie qui a tendance à diminuer comme peau de chagrin chaque fois qu’un parti politique s’attend à subir les foudres d’un vote que les citoyens finissent par voir comme leur seule arme contre les abus des autorités.

    Les Américains disposent eux, d’une procédure d’empeachement, qui leur permet de démettre un président de ses fonctions dans certaines circonstances parfois liées à son état mental ou à ses comportements douteux en matière d’éthique par exemple. Ne devrions-nous pas mandater un petit comité chargé de nous expliquer le fonctionnement d’un tel système et la possibilité de l’appliquer chez nous quand la situation nous conduit à douter des capacités d’un individu à remplir ses fonctions avec lucidité et discernement ?

    Dans des cas encore plus graves, ne faudrait-il pas exiger qu’un premier ministre se soumette à un examen médical tous les deux ans par exemple, permettant d’évaluer non seulement son état physique, mais aussi son état mental ? Je ne suis pas une spécialiste en la matière, mais j’ai, depuis longtemps, le sentiment que le pouvoir, à trop fortes doses, peut rendre fou. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire à travers les siècles. Si des psys de tous ordres peuvent déterminer si un accusé est sain d’esprit ou non, ne faudrait-il pas s’assurer qu’un élu qui déraille sait encore ce qu’il fait ? L’entêtement farouche et obstiné, le désir d’humilier ses adversaires, la forte tendance à souligner les défauts des autres à larges traits sans jamais voir les siens propres, est-ce un signe d’un caractère bien trempé ou de dérapages incontrôlés ?

    On nous dit que les étudiants en grève sont de dangereux individus remplis de violence et que tous les moyens sont bons pour les écraser. 

    Je pense plutôt que les jeunes qui sont dans la rue sont nos enfants et les citoyens de demain. Ils ont des responsabilités et ils n’ont pas tous la vie aussi facile qu’on le prétend. Ils ont surtout des objectifs, et quand ils réclament un monde différent et meilleur que celui que nous leur avons proposé, ils ont le souci de penser aux autres et pas seulement à eux, ce qui est déjà un bon point en leur faveur.

    Il y a des casseurs parmi eux ? Ce sont de petits groupes. Il y en a toujours eu dans toutes les générations d’étudiants. Quand j’étais en politique, c’était des marxistes léninistes. Le chahut qu’ils faisaient dans une réunion politique… Puis ils ont grandi. Ils ont fait des enfants et ils militent maintenant en partie à Québec solidaire, mais aussi à la CAQ ou au PQ. Je pense qu’il y en a même au Parti libéral. Ainsi va la vie.

    Ce qu’on fait subir aux étudiants en grève en ce moment va en faire des citoyens très diversifiés. Actuellement, ils aiment défier la police, tester leurs forces. Ça n’empêchera pas certains d’entre eux de se retrouver un jour membres de la Chambre de commerce, où ils raconteront en riant le jour où ils ont perturbé le grand show Charest sur le Plan Nord, la fois où le premier ministre a ri d’eux et qu’il a refusé de s’excuser par la suite. D’autres seront dans les rangs des associations de médecins ou d’avocats comme membres à part entière. D’autres seront devenus professeurs d’université ou même recteurs. Il faudra juste qu’ils se souviennent que ce n’est pas le moment pour un recteur de partir en voyage au Brésil quand son université est à feu et à sang.

    En 2032, Gabriel aura été nommé juge de la prochaine Commission d’enquête sur le crime organisé, la commission Nadeau-Dubois, sur laquelle reposeront tous nos espoirs pour faire, enfin, le grand ménage. Martine sera devenue ministre de l’Éducation. Elle aura la réputation d’être une ministre courageuse et elle aura entrepris, dès son élection, la réorganisation complète du ministère qui est reconnu comme « un vieux fromage » où personne n’a plus aucune idée de ce qui se passe ailleurs dans le monde de l’éducation. Léo aura déjà publié six romans qui auront connu un grand succès international. Il voyage beaucoup, car il est très demandé sur les campus un peu partout dans le monde. Les trois se voient une fois par année. Toujours en avril, à Montréal. Parce que c’est là que tout a commencé pour eux. 


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Dans la tête des étudiants

Marie-Claude Lortie, La Presse (27-04-12)

    C’est après avoir respiré malgré moi quelques bouffées de gaz lacrymogène au début des années 2000 que j'ai commencé à m'intéresser aux manifs.

    À ces environnementalistes qu'on avait vu couchés devant les camions des sociétés forestières à Clayoquot Sound par exemple, ou à ces altermondialistes assis dans la rue à Seattle, forçant l'annulation d'une grande rencontre de négociation de l'Organisation du commerce mondial. Le Sommet des Amériques s'en venait à Québec à grands pas. Même ici on commençait à entendre les mots Black Bloc et résistance citoyenne. L'internet venait d'alléger de façon spectaculaire les efforts de mobilisation populaire et Naomi Klein de publier No Logo.

    L'heure était à la nouvelle obstruction populaire et à la redécouverte de Gandhi et des traités anarchistes.

    Pour comprendre comment fonctionnaient ces groupes altermondialistes et anticapitalistes, je suis partie en mars 2001 participer à un camp de formation pour jeunes militants organisé par la Ruckus Society, un groupe californien.  

   Comment occuper une usine, comment faire une chaîne humaine indestructible, comment grimper dans un immeuble pour y afficher une banderole, comment s'enchaîner à une clôture avec un cadenas de vélo au cou... On y montrait toutes sortes de techniques pour manifester, mais aussi pour organiser une action en commençant par les coups d'éclat et l'art de parler aux médias.

    C'est là que j'ai appris que ces groupes militants de la grande gauche large, celle qui réunit autant les écolos que les anti-fourrure et anti-foie gras que les pourfendeurs des grandes banques et du capitalisme en général, avaient des processus décisionnels très différents de ceux auxquels on est habitué, de nos syndicats à nos assemblées de parents d'élève en passant par nos partis politiques.

    Dans cette gauche-là, on fonctionne souvent par consensus, souvent par démocratie directe.

    On est à mille lieues de nos systèmes parlementaires.

    Chaque groupe a sa façon de faire mais généralement, on y fonctionne sur un mode hyperdémocratique, m'explique Francis Dupuis-Déri, professeur au département de A sont mandatés pour parler au nom du groupe, s'il faut qu'il y ait interaction avec d'autres interlocuteurs. Mais tout doit toujours être ensuite revalidé par la base.

    Le processus est long, pénible, insupportable quand on est pressé. Mais c'est ainsi que cela fonctionne. Et cette culture politique n'a pas commencé à Seattle, elle remonte à Mai 68 et même aux sources anarchistes du début du XXe siècle. «On est dans une logique totalement différente de celle du gouvernement, de notre logique», ajoute Diane Pacom, sociologue à l'Université d'Ottawa.       

    Si vous voulez comprendre comment fonctionnent les groupes étudiants qui sont en train de mettre le Québec à l'envers, c'est cette différence de culture politique qu'il faut essayer de cerner, admettre.

    Quand le gouvernement condamne la CLASSE et ses porte-parole, en particulier, pour les actes violents des casseurs qui transforment les manifs pacifiques en rassemblements illégaux et violents, c'est l'ignorance ou le refus délibéré de reconnaître cette façon de fonctionner qu'il affiche.

    On peut trouver la démocratie directe totalement insupportable. On peut trouver exaspérant cette idée de toujours tout faire approuver par tout le monde. On peut trouver inconcevable que les leaders étudiants ne soient pas capables d'arrêter les violences des Black Blocs et autres briseurs de fenêtres de banques et lanceurs de pierres aux policiers.

Reste que c'est ainsi que le mouvement fonctionne actuellement. Il faut donc trouver des façons réalistes et créatives, mais surtout différentes et efficaces, de parler à ces groupes étudiants de la génération post-68 et post-Seattle.

    On n'est pas devant des syndicats, on n'est pas devant un parti politique, on n'est pas devant une foule qui suit le code Morin et qui veut reproduire les codes parlementaires. Au contraire. On est devant des jeunes qui trouvent qu'il faut plus de transparence partout.

    Aussi, explique Jean-Pierre Couture, professeur adjoint en études politiques à l'Université d'Ottawa, on est devant une génération qui est beaucoup plus «réaliste» que celles qui l'ont précédée. «Réaliste dans le sens de realpolitik», ajoute Couture.

    «Ces jeunes sont prêts à manger des coups s'il le faut.»

Donc non seulement les représentants étudiants n'ont pas de contrôle sur leur base parce que la démocratie directe ne leur donne pas ce statut hiérarchique, cette autorité, mais en plus, ils ont derrière eux des jeunes nouveau genre qui ne répondent pas comme leurs parents.

    On est donc dans une culture politique inédite, sur un terrain mouvant et complexe, mais qu'il faut commencer à essayer de comprendre si on veut se sortir de ce dégât. 


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  Engouement pour les

écoles de commerce 

Gabrielle Duchaine, La Presse (27-04-12) 

(Montréal) Les écoles de commerce montréalaises n'ont jamais été aussi populaires. Selon des chiffres obtenus614-3 par La Presse Affaires, elles battent tous les records quant au nombre de demandes d'admission pour le prochain trimestre d'automne.

C'est à HEC Montréal que l'on note la plus forte augmentation: 16% en un an pour les programmes de premier cycle avec un total de 3943 requêtes. L'École des sciences de la gestion de l'UQAM (ESG) parle pour sa part d'un bond de 8% dans les demandes totales pour la même période. Quant à la John Molson School of Business de l'Université Concordia, elle compte 359 demandes de plus que l'an dernier (4252 en tout), pour une hausse de 9%. Pourquoi? Les réponses varient.

Un emploi, et vite

Selon le vice-doyen aux études de l'ESG, Benoît Bazoge, c'est surtout pour une question pratique. «Les jeunes sont de plus en plus terre à terre. Ils choisissent des études qui leur garantissent un emploi, dit-il. Le domaine des affaires leur offre cette possibilité. Souvent, nos étudiants sont recrutés avant même d'avoir reçu leur diplôme.»

Chez les comptables (CA et CMA), qui ont mené d'intenses campagnes de recrutement en affichant dans les universités, les cégeps et le métro, on croit que c'est la perception qui a changé, faisant de leur profession l'une des plus populaires auprès des futurs étudiants. «[Nous sommes] plus visibles ces dernières années et le grand public est mieux à même de comprendre l'importance de [notre] rôle, d'où l'intérêt renouvelé de la relève», croit la vice-présidente, stratégie, affaires externes et communications, de l'Ordre des CA, Christine Montamat.

«Nous sommes convaincus que notre stratégie publicitaire contribue à rafraîchir la perception de la profession», ajoute son homologue à l'Ordre des CMA, Lyne Lortie.

De telles campagnes de dépoussiérage pourraient avoir eu un effet semblable sur d'autres choix de carrière. Les courtiers hypothécaires en ont fait, les conseillers financiers aussi. «Nous sommes des conseillers en placement trop honnêtes pour être connus», clamaient-ils l'an dernier sur des panneaux routiers. Même les universités font de la publicité pour rendre leurs disciplines plus «cool».

Quoi qu'il en soit, cela fait maintenant quelques années que les écoles observent un intérêt accru pour la gestion et l'administration. «On reçoit toujours plus de demandes», confirme Christine Mota, porte-parole de Concordia. Un engouement qui atteint aussi les deuxième et troisième cycle. Les demandes d'inscriptions pour les études de niveau maîtrise ou doctorat ont bondi de 4% en un an à HEC Montréal et de 40% en cinq ans à l'ESG. 

«Beaucoup de nos inscrits sont déjà sur le marché du travail. Soit ils font un retour aux études, soit ils veulent se perfectionner ou se spécialiser tout en travaillant», explique Benoît Bazoge. Pour cette raison, moins d'étudiants choisissent une maîtrise avec mémoire. «Les gens viennent plus pour le contenu que pour le diplôme.»

Popularité du MBA

Parmi les formations les plus sollicitées au premier cycle figurent celles de finance, de comptabilité, de marketing, d'affaires étrangères et de gestion. Au deuxième cycle, c'est sans surprise le MBA qui l'emporte. Mais attention: plus de demandes ne veut pas dire plus d'inscriptions. La plupart des programmes sont contingentés. «C'est une bonne nouvelle pour nous, dit M Bazoge. Ça nous permet de prendre les meilleurs.»

Au premier cycle, les filles font autant de demandes d'admission que les garçons, un peu plus à l'UQAM. 


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Faire accroire

Denise Bombardier, Le Devoir (28-04-12)

    Et si toutes les analyses, toutes les opinions publiées, déclarées, affirmées comme parole d’Évangile rataient la cible sur la crise actuelle au Québec ? Et si Ross Finnie, chercheur à l’Université d’Ottawa dont l’objet d’étude porte sur l’accessibilité à l’université, avait raison ? Ses recherches l’amènent à conclure que ça n’est pas d’abord par manque d’argent au Québec qu’on ne va pas à l’université mais bien plutôt à cause du peu d’importance que l’on accorde à l’éducation supérieure. Cette semaine, on pouvait lire dans La Presse des chiffres du professeur Finnie qui, sauf aveuglement, déstabilisent. En comparant le revenu parental en Ontario et au Québec, on est à même de découvrir une réalité brutale.

    Dans la tranche des revenus familiaux entre 5000 $ et 25 000 $, 39 % des jeunes en Ontario vont à l’université contre 18 % au Québec. Entre 25 000 $ et 50 000 $, 34 % des jeunes en Ontario fréquentent l’université contre 20 % au Québec. De 50 000 $ à 75 000 $, les étudiants universitaires sont 43 % en Ontario et 28 % au Québec. Et même au-dessus de 100 000 $ de revenu parental, l’Ontario domine avec 62 % d’étudiants contre 55 % au Québec.

    Des chiffres encore ? Parmi les jeunes de 22 ans à travers le Canada, 42 % au Canada anglais fréquentent l’université alors qu’au Québec ils ne sont que 30 %. Des chiffres encore ? Il en coûte en moyenne 20 404 $ au Canada anglais pour obtenir un diplôme universitaire alors qu’au Québec le chiffre est de 6504 $.

    Depuis onze semaines, les tenants du gel des droits, dont une partie non négligeable revendique en fait la gratuité totale jusqu’à l’université, nous expliquent que tout dégel sera catastrophique, socialement criminel, pour les jeunes de milieux défavorisés ou de la petite classe moyenne qui ne pourront plus espérer voir les portes du haut savoir s’ouvrir devant eux.  

   Pourquoi l’argent serait-il au Québec la première ou l’unique explication de la plus faible fréquentation universitaire, alors que nos droits de scolarité sont les plus bas ?

    Et si l’éducation si chère aux Québécois depuis la Révolution tranquille n’était en fait qu’une valeur de façade qu’on fait brandir comme le drapeau ou la langue, si malmenée par ailleurs?  Dans une chronique antérieure, nous avions cité des Anglo-Québécois qui constataient les différences de mentalité entre francophones et anglophones sur cette question. Les parents anglophones avaient tendance, disaient-ils, à aider leurs enfants soit en assurant de les prendre en charge à la maison jusqu’à la fin de leur diplôme, soit en les aidant financièrement s’ils en avaient les moyens. Ces propos avaient suscité des réactions scandalisées de la part de lecteurs incapables d’accepter qu’on mette en doute le supposé culte voué à l’éducation tel que claironné sur les toits.

    Répétons-le encore et toujours. Les gens instruits suscitent de la méfiance dans une partie importante de la population. La culture s’affiche mal ou alors elle doit revêtir les oripeaux d’un populisme certain. Des intellectuels qui s’expriment dans une langue soutenue, citant des auteurs classiques, ou pire encore, utilisant un vocabulaire recherché, sont vite considérés comme snobs ou prétentieux. Le Devoir à cet égard est perçu comme élitiste et de ce fait inaccessible à plusieurs simplement parce que, de plus, il s’abstient de pratiquer un sensationnalisme tendance pop branché dans ses pages.

    L’éducation n’est pas au coeur de nos préoccupations, tant s’en faut. La preuve en est que c’est l’argent, et non le contenu des cours, les failles de la formation générale, la qualité des diplômes, des maîtres et des gestionnaires et les exigences pédagogiques, qui a présidé à ce boycottage des cours qu’on s’acharne à appeler « grève », onze semaines, quarante millions de dollars et quelques émeutes plus tard.

Mais pourquoi donc les jeunes Québécois fréquentent-ils moins l’université que les jeunes du Canada anglais même lorsqu’ils sont issus de milieux favorisés ? Le goût d’apprendre, le désir du dépassement de soi, la curiosité intellectuelle, l’ambition ne leur seraient donc pas transmis avec suffisamment de conviction par les parents, l’école et la société tout entière. Ne faut-il pas établir aussi un lien entre ce déficit, culturel à vrai dire, et le taux de décrochage scolaire si lamentablement élevé ? Serait-ce le poids du passé où nous étions porteurs d’eau, comme le chante Félix, qui pèse encore malgré la Révolution tranquille, fer de lance de la révolution éducative dont on croyait qu’elle transformerait à la connaissance sans laquelle un peuple n’a pas d’avenir enchanté ?

    Le plus triste dans cette décompression sociale dont nous sommes témoins et qui transforme certains étudiants en émeutiers, c’est de constater que des jeunes de vingt ans s’autoflagellent de la sorte, assurés qu’ils sont de défendre des idéaux.

    Car il est évident qu’en faisant sauter leur session, perdant ainsi leur emploi d’été, ils compromettent ou retardent leur entrée dans le monde du travail, c’est-à-dire dans la vie adulte. Le gouvernement aurait cédé à leur demande de gel dans les premiers jours qu’ils seraient rentrés en classe et que la CLASSE n’aurait pu connaître l’enivrement actuel de préparer le grand soir sous les bravos des nostalgiques de 1968, ces « adulescents » qui refusent le dur principe de réalité.


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Ce qui est bon pour nous

Pierre Foglia, La Presse (28-04-12)

Vous n'en parlerez pas?

J'en ai déjà parlé.

Mais vous n'avez rien dit!

    Si! J'ai dit que j'étais fasciné par le conflit lui-même, mais pas très mobilisé par son objet: l'augmentation des droits de scolarité.

    Qu'est-ce qui vous fascine dans ce conflit si ce n'est pas son objet?

    Son déroulement même, sa dynamique. Son effet loupe sur la société, on voit bien la séparation, d'un côté les indécrottables romantiques dont je suis avec Mme Ouimet, de l'autre les pragmatiques, les modernes, les élites, les lucides qui savent ce qui est bon pour nous.

Comment trouvez-vous les étudiants?

Incroyablement matures, intelligents, bons communicateurs.

Mais la violence?

    Laquelle? Celle des casseurs ou son instrumentalisation, sa «moralisation», l'inacceptable provocation du pouvoir politique qui en rend responsables une majorité d'étudiants alors qu'ils en sont les premières victimes. Victimes de la violence de la police et victimes de la violence des casseurs.

    En fait, je les trouve très disciplinés. Et inventifs. Et inspirés. Assez magnifiques. Pas seulement les leaders. Je pense à ceux-là qui écrivent dans Fermaille des carnets sur le long, nés de la grève, cet espace où nous sommes ce que nous avons à faire, disent-ils, et dans lesquels sont publiés des textes qui font voler en éclats la grisouille de notre printemps froid.

    Il était une fois, pardon, ils étaient une fois des milliers de petits chaperons rouges qui ne sortaient pas d'un conte et qui n'avaient pas peur du loup, écrit à peu près Jessica Guillemette dans Fermaille justement.

    Et en même temps, ils me font chier. Allez y comprendre quelque chose. Ils ont eu beau m'expliquer qu'il s'agit de bien plus que d'une affaire de sous, qu'ils défendent une plus grande accessibilité, que l'enjeu réel est une université publique (comme dans république), plutôt qu'un creuset où se reproduisent les élites. Ils ont eu beau m'expliquer tout ça, je prends acte qu'ils sont descendus dans la rue pour une histoire de sous. Et de sous pas si gros que ça.

    J'ai le sentiment que si le gouvernement leur disait O.K., pas de hausse des droits de scolarité, on va juste demander aux grandes entreprises de subventionner un peu plus les campus, j'ai le sentiment que les étudiants diraient yé, on a gagné. Alors qu'ils auraient perdu.    

    Qu'ils ont déjà perdu, en fait. Que nous avons tous perdu depuis longtemps.

    Bref, vous n'irez pas les rejoindre dans la rue, M. le chroniqueur?

    Vous voulez dire avec une pancarte? J'attendrai que le combat porte sur l'intégrité, la liberté académiques.

    J'attendrai qu'ils lisent le petit essai intitulé Je ne suis  pas une PME que vient de sortir Normand Baillargeon, prof à la faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM. J'attendrai que le combat porte sur l'intégrité académique qui est très liée à la dimension critique de l'enseignement. Je crois qu'il n'y a pas de plus grand enjeu actuellement pour l'enseignement supérieur que cette distance critique.

    Vous disiez, tantôt, que les lucides savent ce qui est bon pour nous. Si on demandait drette là, à M. Charest, de quoi ont le plus urgemment besoin les Québécois?

    Je ne crois pas qu'il dirait comme M. Baillargeon dans son essai: de distance critique! Comme vous le savez, M. Charest a la tête au Nord depuis de nombreux mois. Je crois qu'il répondrait que ce dont les Québécois ont le plus besoin drette là, c'est d'or, d'argent, de nickel, d'uranium, de mercure, de strontium, de cobalt, de zinc, de cuivre, de platine, de potassium, de rubidium, de chrome, d'étain, de strontium, de radium, de tungstène, de pétrole…

Et pour vous, monsieur le chroniqueur?

    Pour moi? Ce dont les Québécois ont le plus besoin, drette là? Un peu de chaleur. Croiriez-vous qu'on est en mai ou presque et qu'il neige à ma fenêtre tandis que je vous écris? Des bourrasques de flocons qui fondent avant de toucher un gazon déjà haut, qu'il faudrait tondre. Passer la tondeuse sous la neige? Ô Canada. Jeudi, j'ai pédalé sous une pluie froide que le vent me rabattait dans le visage, j'ai appelé ma fiancée: viens me chercher, fiancée. 

Où t'es?

Sur le chemin Boulais. Dans une porcherie. 

Dans la porcherie? Avec les cochons? 

Oui. Tu me reconnaîtras, j'ai des lunettes.

    ÉLECTION FRANÇAISE Quand on regarde les résultats du premier tour de l'élection présidentielle française, on voit bien que Marine Le Pen sera en quelque sorte l'arbitre du second tour. Un Français sur cinq et demi a voté pour la honte. Selon que ce Français-là votera pour Hollande ou Sarkozy ou s'abstiendra ou annulera son vote, il fera gagner Hollande ou Sarkozy.

    Si j'étais Hollande ou Sarkozy, je dirais à ce Français-là: s'il te plaît, mon ami, ne vote pas pour moi. J'aime mieux perdre.


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L'Université Laval est

toujours réticente au

réseau sans fil public

Isabelle Porter, Le Devoir (27-04-12) 

L’Université Laval n’a toujours pas l’intention d’offrir au public l’accès gratuit à son réseau sans fil. Selon la direction, cela menacerait la sécurité de son réseau.

« Il faut comprendre que nos systèmes informatiques, ce n’est pas seulement un accès à Internet, explique le vice-recteur exécutif au développement, Éric Bauce. Il y a toutes sortes de ressources qui viennent avec ça. Pour nous, c’est une question de sécurité des systèmes. On ne peut pas laisser entrer quelqu’un comme ça. Des attaques informatiques, on en a des milliers par jour. »

Outre la sécurité, l’Université Laval invoque des coûts. « Nous, on a des licences à payer. Ce n’est pas gratuit notre accès. »

M. Bauce a accepté de fournir ces explications mercredi, en marge d’un colloque sur les villes intelligentes, un concept qui promeut justement le recours au sans-fil dans les villes.

L’Université offre l’accès au sans-fil gratuit, mais seulement à ses employés et aux étudiants. Pour accéder au réseau, les participants au colloque devaient entrer un code et un mot de passe inscrits sur une feuille qui leur étaient distribuée à leur arrivée. Le coordonnateur de ZAP Québec, Dave G. Pelletier a qualifié cette approche « d’archaïque ». « On est là à parler de Web et tout le monde a sa petite feuille avec son nom d’usager et son mot de passe, déplorait-il. C’est une vieille façon de concevoir le problème. Il serait temps que l’Université suive ses centres de recherches qui ont un pied dans l’avenir. »

Interrogé sur les problèmes de sécurité, M. Pelletier reconnaît toutefois qu’il est difficile d’assurer une sécurité absolue. « Est-ce qu’il y a des finfinauds qui arrivent à contourner les mécanismes de sécurité ? Oui », dit-il.

ZAP Québec milite pour l’accès public aux réseaux sans fil. Plusieurs institutions et entreprises y sont associées, comme l’Université du Québec, le Festival d’été ou encore les plaines d’Abraham. La Ville de Québec a pour sa part son propre réseau de bornes sans fil dans les centres communautaires et les bibliothèques.


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Les enfants de la télé

Marc Cassivi, La Presse (01-05-12)  

Les études l'attestent et le confirment. Le consensus scientifique ne pourrait être plus clair. Laisser un enfant regarder la télévision avant l'âge de 2 ans n'est pas souhaitable pour son développement neurologique. 

    La consommation de télé chez les enfants en bas âge a entre autres été liée plus tard à des troubles de l'attention, à des retards de langage et d'apprentissage. Malgré les prétentions de certains producteurs de DVD, qui encouragent les parents à installer leurs bébés devant le petit écran afin d'en faire de petits Einstein... 

    «Avant l'âge de 2 ans, il n'est pas du tout recommandé de laisser un enfant regarder la télévision. La télé a un impact sur l'environnement familial. Les parents ne parlent pas autant aux enfants alors que les conversations actives sont les plus profitables pour le développement du cerveau», explique Linda Pagani, professeure à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal, qui a mené plusieurs études sur le sujet. 

    Après l'âge de 2 ans, il est généralement admis qu'une consommation de télévision excédant deux heures par jour peut également être néfaste pour le développement cognitif des enfants. «Les effets de la télévision ne sont pas tous négatifs, précise Linda Pagani. Mais trop de télévision peut certainement être néfaste.» 

    Ce sont de sages paroles. Elles ne le sont pas toujours. Sans vouloir minimiser l'impact de la télé sur la santé des enfants, il me semble que certains se servent parfois des études sur ses effets délétères pour justifier un rejet global et une diabolisation de la télévision. Parce que, comme chacun sait, la télé, c'est mal... 

    Le neurobiologiste français Michel Desmurget, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de Lyon, a fait paraître récemment un pamphlet intitulé «TV lobotomie: la vérité scientifique sur les effets de la télévision», résultat de quatre ans de synthèse de quelque 5000 études sur les effets néfastes de la télévision. Selon ses conclusions, chaque heure quotidienne de télévision consommée par un enfant de 5 à 11 ans augmenterait de 43% la probabilité qu'il n'obtienne jamais de diplôme.

    Dans une entrevue publiée dans le plus récent numéro de L'actualité, Michel Desmurget laisse entendre que «la télévision tue» et que les parents devraient savoir que laisser un enfant regarder la télévision une demi-heure avant d'aller à l'école est «suicidaire» sur les plans cognitif et intellectuel. 

    Mortel et suicidaire. Rien de moins. Pousse, mais pousse égal, comme dirait ma mère. Ce type de discours alarmiste, nourri à l'enflure et à la surenchère, nuit à mon sens à la crédibilité des études sur lesquelles s'appuient des spécialistes comme Michel Desmurget. 

    «Les discours alarmistes sont contre-productifs, croit aussi Linda Pagani. Les chercheurs ont le devoir de rester objectifs. Il faut aider les parents à comprendre le fonctionnement du cerveau en les informant et les sensibilisant. Pas pour les culpabiliser, mais pour les responsabiliser.» 

    La chercheuse appelle tout de même à davantage de contrôle parental. Et encourage les parents à s'intéresser non seulement à la quantité de télévision que consomment leurs enfants, mais au contenu des émissions qu'ils regardent. 

    La mise en garde est d'autant plus pertinente que l'émission la plus regardée au Québec l'automne dernier chez les 2 à 11 ans était... Occupation double (diffusée la semaine à 19 h 30). On est loin de Passe-Partout. 

    Dans le cadre de ses recherches, qui ont un rayonnement international, Linda Pagani a suivi plusieurs enfants de la naissance jusqu'à l'adolescence et constaté l'impact de la télévision regardée en bas âge sur le rendement scolaire, la capacité d'attention, la sédentarité et les comportements violents.

     Elle a remarqué entre autres une augmentation nette, depuis quelques années, de la consommation télévisuelle chez les enfants de 2 à 4 ans. «Les parents oublient parfois que leurs enfants regardent aussi la télévision à la garderie», dit Linda Pagani, qui rappelle que plusieurs études établissent un lien entre la forte hausse des troubles de déficit d'attention chez les enfants et la vitesse stroboscopique des images des dessins animés dont ils sont bombardés. 

    C'est sans compter qu'on laisse de plus en plus le téléviseur allumé, en fond sonore, dans les foyers, sans se soucier de ce qui est diffusé. Une étude récente de l'Université de la Pennsylvanie a démontré qu'un enfant américain est exposé en moyenne à 232 minutes de télévision par jour alors qu'il n'est même pas devant l'écran. 

    «La télévision fait désormais partie des meubles. Elle est constamment allumée. Mais cela n'est pas sans conséquence», croit la professeure Pagani, coauteure d'une nouvelle étude, menée auprès de 2120 enfants québécois depuis l'âge de 5 mois jusqu'à 8 ans et qui démontre que ceux qui sont exposés à des scènes de violence à la télévision en subissent les répercussions à long terme. 

    «Comme parent, dit cette mère de trois adolescents, il faut faire preuve de vigilance. On ne peut pas laisser les enfants à eux-mêmes.» D'autres sages paroles. 


25 avril 2012

Vendredi le 27 avril 2012. Vol. 6, no. 13

labibfranco.canalblog.com

 

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De plein fouet

Nathalie Petrowski, La Presse (23-04-12)613-1

 J'ai eu de la chance. Les seules fois où le téléphone a sonné à 3h du matin, ce n'était pas la police qui appelait. C'était mon fils. Il avait oublié sa clé. Est-ce que je pourrais descendre lui ouvrir?

J'ai eu de la chance. Les seules fois où le téléphone a sonné à 3h du matin, ce n'était pas la police qui appelait. C'était mon fils. Il avait oublié sa clé. Est-ce que je pourrais descendre lui ouvrir?

D'autres parents ont eu moins de chance que moi. Ils offrent les témoignages les plus poignants de Dérapages, le nouveau documentaire de Paul Arcand sur les jeunes et les accidents de la route. On y apprend qu'au cours des cinq dernières années au Québec, 725 jeunes âgés de 16 à 24 ans ont péri dans un accident et que 2623 ont survécu avec des blessures graves et des séquelles permanentes. 613-6

L'histoire des jeunes et des accidents de la route au Québec est une histoire d'horreur et à cet égard, la forme brutale, redondante et sensationnaliste du film d'Arcand est parfaite. On ne fait pas un film d'art et d'essai ni une oeuvre subtile et esthétisante avec un sujet aussi terrible. On y va avec des gros sabots, de la musique cheap et tonitruante et un montage épileptique, façon The Fast and the Furious et tous ces autres films américains aux calories vides et aux cascades d'autos démentes. 

Dérapages est un film qui frappe de plein fouet, surtout si on est un parent, qu'on a tremblé de peur chaque fois qu'un de nos enfants a pris la route et qu'on a eu mal au ventre et le coeur chamboulé devant un bulletin d'information nous balançant l'image d'une carcasse de tôle tordue où un jeune et ses amis venaient de périr. 

L'ennui, c'est que ce que Dérapages montre, les parents le savent, même qu'ils en sont douloureusement conscients. La plupart d'entre eux n'apprendront rien en voyant ce film, sinon qu'ils ont parfois donné le mauvais exemple en roulant trop vite ou en se vantant de leurs exploits de jeunesse quand ils conduisaient ivres morts, la radio au coton et la bouteille de bière entre les jambes. 

Bref, qu'on le veuille ou non, Dérapages s'adresse moins aux parents qu'aux jeunes âgés de 16 à 24 ans. Or, en connaissez-vous beaucoup de ces jeunes qui, en fin de semaine, vont avoir envie d'aller s'asseoir devant un film déprimant où l'on voit des parents pleurer leurs enfants morts, des jeunes pleurer leurs amis partis trop tôt, un film où l'on répète pendant 90 minutes que la vitesse tue, que l'alcool est le pire ennemi des jeunes et que leurs bagnoles rafistolées, reconditionnées, jackées comme des créatures préhistoriques sont des cercueils roulant?  Je me trompe peut-être, mais je doute que les jeunes se précipitent dans une des 60 salles où Dérapages sera à l'affiche, vendredi. 

La preuve de ce que j'avance n'est-elle pas la somme de 47 millions que la Société de l'assurance automobile du Québec, depuis 10 ans, a dépensé en pure perte pour des pubs de sensibilisation qui, en fin de compte, n'ont sensibilisé personne, du moins pas les principaux concernés? Le film d'Arcand le dit bien: quand on est jeune, on se croit invincible et la route est le terrain de jeu idéal, pour tester son invincibilité.

Dérapages a beau donner la parole aux jeunes et éviter de verser dans le ado-bashing, il exige de ses jeunes spectateurs une forme de maturité et de responsabilisation qui leur échappe encore. C'est pourquoi je suis convaincue que peu d'entre eux iront de leur propre chef voir ce film. Ce n'est pas une raison pour baisser les bras. Au contraire. Si j'étais ministre de l'Éducation, je m'empresserais de rendre ce film obligatoire dans les écoles secondaires et dans tous les cégeps. J'ignore quelles modalités il faudrait mettre en place, je sais seulement que c'est en rendant ce film obligatoire qu'il pourra vraiment faire oeuvre utile. Les jeunes sont invincibles jusqu'au jour où ils sont frappés de plein fouet par un éclair de lucidité. Mieux vaut que cela vienne d'un film plutôt que d'une voiture fonçant en sens inverse sur la route. 


 

 Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Citoyenneté canadienne 

La maîtrise du française

ou de l'anglais sera exigée

La Presse canadienne (21-04-12) 

Les candidats qui souhaitent obtenir leur citoyenneté canadienne pourraient bientôt devoir fournir une «preuve objective» écrite qu'ils maîtrisent l'anglais ou le français.

Le ministre canadien de l'Immigration, Jason Kenney, a expliqué hier à Montréal que «la langue représente un élément important de l'intégration réussie des immigrants et des nouveaux citoyens».

En vertu des modifications proposées par le gouvernement, les demandeurs de citoyenneté devraient joindre à leur requête une «preuve objective» de leurs compétences linguistiques, soit les résultats d'une évaluation effectuée par un tiers autorisé, un document prouvant qu'ils ont terminé des études secondaires ou postsecondaires en français ou en anglais, ou encore la preuve qu'ils ont atteint le niveau linguistique requis dans le cadre de certains programmes de formation linguistique financés par le gouvernement canadien.

La maîtrise du français ou de l'anglais était déjà obligatoire en vertu de la première Loi sur la citoyenneté, adoptée en 1947, mais les nouveaux mécanismes annoncés visent à assurer l'application de ces exigences. 

Le gouvernement offre aussi des cours de langue gratuits aux résidents permanents.

Le ministre Kenney a déjà annoncé récemment de nouvelles mesures pour certaines catégories d'immigrants, notamment les travailleurs qualifiés et semi-qualifiés.

Le discours du ministre Kenney a été interrompu deux fois hier par des manifestants qui dénoncent le récent projet de loi fédéral pour réformer le système des réfugiés. Ils ont rapidement été escortés à l'extérieur de la salle d'un hôtel du centre-ville de Montréal.

À un kilomètre de là, une violente manifestation faisait rage autour du Palais des congrès, ou le premier ministre du Québec Jean Charest prononçait un discours dans le cadre du Salon Plan Nord.

«Les modifications que j'ai annoncées visent à faire en sorte que les immigrants qui viennent au Canada puissent contribuer rapidement à l'économie, a déclaré le ministre Kenney. En outre, la pierre angulaire du succès consiste à pouvoir parler l'une des langues officielles du Canada.»


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Seuls ensemble

Fabien Deglise, Le Devoir (24-04-12) 

Le cliché pris par la jeune photographe new-yorkaise Dina Litovsky, qui aime documenter le présent avec son appareil photo, est simple, mais il en dit beaucoup : à l'écran, les pixels s'organisent pour faire apparaître dans une soirée mondaine un gars entouré de deux filles. Le trio rigole, les yeux rivés sur l'écran d'un outil de communication numérique. À l'écart, tout en étant proche, une blonde a les yeux dans le vide et un sac blanc sur les cuisses. Elle n'est pas branchée. Elle est seule. Et surtout, elle semble profondément s'ennuyer.

Exposée à Boston l'automne dernier, et sur la Toile depuis, l'image a tout pour se faire remarquer. Comment ? En réussissant à capturer en un coup d'obturateur l'esprit d'un présent où l'ultraconnectivité et la numérisation des rapports sociaux — dans son salon, comme dans les clubs branchés de l'Amérique urbaine — se conjuguent, paradoxalement, au temps de la... solitude. En apparence du moins.

Dans son dernier numéro, le très nourrissant magazine américain The Atlantic pose d'ailleurs la question : Facebook nous rend-il plus solitaires ? Le papier s'intéresse à la socialisation numérique dans son ensemble, par l'entremise de Facebook, Twitter et les autres. Il sort aussi ses études scientifiques et souligne au passage la densité de nos réseautages modernes qui, étrangement aujourd'hui, tout en prétendant le contraire, semblent éloigner davantage les humains qu'ils ne les rapprochent. Tout ça pour ça, comme dirait l'autre.

Sujet récurrent

Solitude au temps de la sursocialisation en format numérique : le sujet est récurrent par les temps qui courent, stimulé par l'apparition de données parfois troublantes sur nos comportements numériques et leur conséquence dans les mondes qui ne le sont pas.

Dans le réseau Facebook, le presque milliard d'abonnés se vante aujourd'hui d'avoir en moyenne 190 amis virtuels par usager ; 190, soit assez pour remplir plus de trois autobus scolaires.

Tout ça est beaucoup. C'est aussi bien loin de la réalitésociale dressée par une série d'études récentes.

En vrac : ici, une nous apprend que le nombre d'amis proches — ceux à qui l'on peut tout dire — chez un Américain de base est passé de 2,94 en 1985 à 2,04 en 2004. Là, un quart de la population affirme n'avoir personne à qui parler et un tiers des gens disent se sentir seuls, même s'ils sont entourés.

Ceux — et même celles — qui mettent la solitude croissante au temps du 2.0 sur le dos du numérique, et de notre rapport à l'autre qui fait de plus en plus fi de l'espace et du temps, empruntent bien sûr un chemin facile, un raccourci qui tend à faire oublier au passage que l'urbanisation, l'étalement urbain, le vieillissement, l'individualisme y sont aussi pour beaucoup.

Pis, une quantité d'autres études tendent à démontrer l'inverse en soulignant par exemple que la solitude est plus facilement brisée chez les adeptes des réseaux sociaux entrés en groupe dans une ère où la communication entre les humains s'est développée dans les cinq dernières années de manière exponentielle. Surtout les jeunes, mais aussi chez les vieux.

Les chiffres parlent : toutes les 60 secondes, 700 000 messages sont envoyés par l'entremise de Facebook et 175 000 passent par Twitter. En moyenne, une adolescente américaine est capable de produire près de 100 messages textes par jour. Et une bonne frange de cette jeunesse avoue faire tout ça pour combattre l'ennui.

L'urgence de communiquer, de socialiser et, du coup, d'exister dans les univers numériques est frénétique. Elle a aussi trouvé dans les derniers jours sa quantification : 27, soit le nombre de fois en une heure de divertissement où un internaute dans la vingtaine peut passer d'un écran à un autre. iPhone, ordinateur portable, télé, retour à l'iPhone, tablette, retour à la télé, alouette...

C'est aussi pour cela que, 2000 fois chaque minute, quelqu'un sur la planète mobilité enregistre sa position géographique et la transmet à ses amis en passant par Foursquare. Ailleurs sur le Web, d'autres passent par Klout pour s'assurer, par la magie de cet algorithme qui prétend — en fanfaronnant un peu — quantifier la popularité en ligne , qu'ils existent bel et bien.

Ce besoin de paraître pour être, des milliers d'internautes l'alimentent en choeur et en partageant un mot-clic sur le réseau Twitter pour commenter en temps réel une émission de télévision, pour se tenir au courant des derniers potins sur Justin Bieber, sans se connaître, ou encore pour organiser des mouvements de foules dans une ville en temps de grève. Tous unis, à grand coup de code binaire.

L'époque est aux liens, factices ou sincères, qui se vivent comme une façon d'enrayer la solitude pour les uns ou encore comme une source d'angoisse pour d'autres que cette frénésie du tout à l'ego est peut-être, un peu, en train de rendre malade.

Il y a quelques semaines, le Pew Research Center mettait d'ailleurs en lumière une étude qui soulignait que la numérisation des rapports sociaux chez les jeunes était en train, chez quelques-uns, de faire naître une inaptitude à socialiser physiquement hors des nouveaux cadres électroniques du vivre ensemble.

Le trouble est d'ailleurs connu au Japon, drôle de monde numériquement en avance sur le reste de la planète, sous le nom de Taijin kyofusho, la peur des relations interpersonnelles. Et en commençant à s'installer en occident, il confirme que, dans les mondes numériques, l'humain n'est sans doute pas en train de devenir solitaire. Il est peut-être seulement un peu perdu, et se retrouve à l'être en groupe.


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Les enfants sont plus

actifs la semaine que

le week-end 

La Presse canadienne (19-04-12)

Contrairement à certaines croyances populaires, les enfants et les jeunes Canadiens sont plus actifs la semaine que le week-end. 

C'est ce qu'indiquent les données compilées par Statistique Canada de 2007 à 2009 qui se retrouvent dans le numéro d'avril du Rapport sur la santé, publié mercredi. 

Chez les enfants et les jeunes âgés de 6 à 19 ans, les activités physiques se pratiquent surtout de 11 h à 17 h, avec des pics observés à l'heure du dîner pour les 6 à 10 ans. Chez les jeunes adolescents, l'activité physique atteint son maximum après l'école, particulièrement entre 15 h et 17 h. 

À l'inverse, les données compilées par Statistique Canada démontrent que les adultes ont un niveau d'activité physique relativement constant quel que soit le jour de la semaine. Ils ne sont pas plus actifs les fins de semaine. 

En général, on constate que les hommes cumulent en moyenne plus d'activité physique modérée à vigoureuse (APMV) que les femmes, une différence qui se maintient tout au long de la journée. Les garçons de 6 à 10 ans sont également plus actifs que les filles, tout comme les adolescents de 15 à 19 ans.

Malgré ces chiffres, qui peuvent sembler encourageants pour les jeunes Canadiens, on apprend que moins de 10 % d'entre eux satisfont pourtant à la ligne directrice actuelle qui prévoit 60 minutes d'APMV par jour. Les niveaux d'activité physique sont également faibles chez les adultes.

Enfin, l'obésité ne semble pas avoir d'incidence sur le moment où les enfants et les jeunes cumulent leurs minutes d'APMV. En revanche, chez les adultes, les profils quotidiens d'activité physique diffèrent de façon significative selon la fourchette de poids corporel. Si l'activité physique reste relativement élevée de l'heure du dîner jusqu'au souper chez les adultes de poids normal, on constate qu'elle diminue après 15 h chez les personnes obèses.

Afin de s'assurer de l'exactitude des informations recueillies, Statistique Canada a eu recours cette fois à des appareils tels que des accéléromètres et podomètres dans le cadre de son Enquête canadienne sur les mesures de la santé (ECMS), en plus des questionnaires qui font appel à l'autodéclaration.


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Pas de quoi fêter...

François Cardinal, La Presse (22-04-12)613-2

Chaque année depuis plus de 30 ans, les écologistes profitent du 22 avril pour célébrer le Jour de la Terre et du coup, la naissance du mouvement environnemental. Mais cette année, les raisons de fêter sont bien peu nombreuses, ce qui explique peut-être que l'environnement ne sera qu'un enjeu parmi d'autres lors de la grande marche de demain...

Après avoir connu une période dorée pendant laquelle citoyens, élus, médias et entreprises se sont joints à leur combat, les écolos se retrouvent en effet, aujourd'hui, en proie à un douloureux constat: celui de l'échec.

Certes, le mouvement environnemental peut se vanter de plusieurs victoires en lien avec l'enjeu érigé en priorité: le climat. Il a provoqué une remise en question de nombreux petits gestes. Il a sensibilisé la société aux dangers des gaz à effet de serre. Il a même déclenché une mobilisation internationale contre les changements climatiques.

Mais il a néanmoins échoué, comme l'a reconnu David Suzuki il y a quelques jours, en évoquant «l'impasse» dans laquelle se trouve le mouvement. Car au-delà de ses victoires à la pièce, ce dernier a été incapable de changer durablement le système économique à l'origine des maux qu'il combat.

La preuve en est la facilité avec laquelle la société a réussi à passer à un autre appel depuis la crise économique de 2008. Les citoyens, aujourd'hui, sont moins intéressés par les questions écologiques. Les médias ont diminué au minimum leur couverture environnementale. Les entreprises ont réduit les ressources affectées à cet enjeu. Et la communauté internationale croit de moins en moins à une suite à Kyoto.

Plus encore, les gouvernements ont réussi à transformer l'environnement de priorité à bouc émissaire. Stephen Harper a abandonné Kyoto et a fait une cible des écolos. Nicolas Sarkozy s'est élevé contre cet enjeu qui nuit à la création d'emplois. Et Barack Obama s'est muté en féroce extracteur pétrolier.

 L'échec des écolos aura donc été cette incapacité à donner racine à la «révolution verte» afin qu'elle traverse crises et années, une issue qu'une seule chose aurait pu rendre possible: un prix sur les émissions carboniques.

C'est l'élément le plus important, car sans taxe progressive sur le carbone, il n'y a pas de changement économique d'importance, pas de concurrence entre énergies renouvelables et fossiles, pas de modification des modes de production et de consommation, et donc pas de diminution des gaz à effet de serre.

Certes, le Québec compte une taxe sur le carbone et un Marché du carbone naissant, mais cette victoire est pour l'instant symbolique. D'abord parce que la taxe est marginale, ensuite parce que la province est marginalisée. La fenêtre d'opportunité s'étant refermée, rien n'indique que cette initiative fera boule de neige. 

Toutes sortes de raisons expliquent que les émissions n'ont toujours pas de prix en Amérique du Nord. Reste que cette situation est à l'origine de «l'impasse» dans laquelle les écolos se trouvent aujourd'hui, à la veille du Jour de la Terre.


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Intimidation et conflit étudiant

L'université en état

de siège

Collectif d'auteurs, Le Devoir (20-04-12) 613-3

Le 16 avril dernier, le premier ministre Jean Charest a appelé, lors d'une conférence sur le Plan Nord, à la dénonciation de l'intimidation et de la violence dans la lutte que mènent les étudiants depuis huit semaines contre la hausse des droits de scolarité, relayant ainsi une idée tenace véhiculée par les médias à propos du mouvement étudiant, à savoir que les débordements constituent la norme et le moyen principal de la contestation.

Devant les récents cas d'intimidation qui ont causé des remous dans les écoles secondaires du Québec, la population québécoise est hautement sensible à ce phénomène qui doit être dénoncé et combattu avec sérieux. Or, profitant de cette sensibilité populaire, le gouvernement procède de façon insidieuse à un déplacement et à une récupération politique qui doit être dénoncée avec tout autant de sérieux: la population universitaire n'est pas composée de bullies adolescents, mais bien d'étudiants adultes, dont la pratique quotidienne consiste à opposer des idées et des discours par la puissance de l'argument plutôt que par la force brute.

En associant l'ensemble du mouvement étudiant à ce type de comportements puérils et évidemment répréhensibles, le gouvernement s'attire bassement la sympathie populaire pour mieux nous discréditer et nous museler en minant la légitimité de nos actions et de nos revendications. Cette récupération déjà préoccupante sert des fins encore plus dangereuses: elle donne un vernis de légitimité aux politiques et aux mesures répressives adoptées par les administrations universitaires qui se multiplient depuis quelques semaines (injonctions, bâillons, menaces explicites et implicites d'arrestation intimées aux grévistes, mirage de reprise de cours obligatoire, désinformation, etc.).

Cet attirail met directement en péril la mission même de l'université et entrave le climat de liberté et de collégialité nécessaire à la recherche et à la transmission des savoirs. Cela est très grave et doit cesser immédiatement.

Gardes et matraques à l'UdeM

Le cas de l'Université de Montréal est éloquent à cet égard. L'esprit de l'injonction demandée par l'administration le 11 avril dernier et entérinée par une entente avec la Fédération des associations étudiantes du campus de l'Université de Montréal (FAECUM) a été détourné de façon à instaurer un climat de répression et de peur sur le campus. Alors que l'entente prévoyait assurer le droit de manifester et la liberté d'expression tout en permettant l'accès aux cours (interdiction de bloquer les salles de classe) et en évitant les débordements illégaux (vandalisme, intimidation, etc.), sa mise en pratique est tout autre.

Les gardes armés de matraques qui patrouillent dans les corridors du campus qui proviennent des compagnies de sous-traitance d'agents de sécurité récemment engagées par l'Université de Montréal effectuent un profilage des étudiants grévistes, trop faciles à reconnaître par leur carré rouge, pour mieux brider leur mouvement et leurs tentatives d'actions par des gestes violents et parfois même illégaux: interruption agressive d'activités pacifiques «en rouge», pression sur le corps enseignant devant la non-tenue d'un cours, propos haineux et menaçants à l'égard d'étudiants, refus quasi systématique de s'identifier, etc.

Si elles sont rarement rapportées dans l'espace public et se règlent le plus souvent en interne, ces interventions démesurées représentent une réalité pour nombre de nos collègues et ont pour effet de tuer dans l'oeuf, sous la pression de la menace et de la peur, toute possibilité de revendication.

Escalade de l'intimidation

À cela s'ajoute une entreprise de manipulation de l'information menée par les instances de communication de l'Université de Montréal qui contribue à faire croire, par l'entretien de flottements sémantiques de tout ordre, que la grève est bel et bien terminée depuis l'injonction, alors qu'elle a toujours lieu dans de nombreux départements, où elle a été votée démocratiquement.

On assiste au final à une véritable escalade de l'intimidation qui touche autant les actes que les discours, les professeurs que les étudiants, et qui empêche de façon pernicieuse la prise de parole, l'échange et le dialogue, ces outils non seulement nécessaires à notre lutte, mais fondamentaux au principe même de l'Université.


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Autiste? Oui, et alors?

Antoine Ouellette, La Presse (21-04-12)613-4

Des articles récents parus dans La Presse et plusieurs médias soulignaient, en s'en désolant, l'augmentation de 78% des cas d'autisme aux États-Unis entre 2002 et 2008. À titre de personne autiste moi-même, permettez-moi de présenter mon point de vue, moi qui suis «frappé» par cette «maladie» dont je «souffre».

Si une certaine dimension handicapante fait consensus, il n'en va pas de même avec l'idée selon laquelle l'autisme serait une maladie. Les différentes visions de la nature réelle de l'autisme se déclinent depuis celle qui en fait une psychose jusqu'à celle qui la considère comme une autre forme d'intelligence.

Selon moi, être autiste est un peu comme être gaucher plutôt que droitier, ou homosexuel plutôt qu'hétéro: c'est quelque chose de minoritaire qui est là dès la naissance et qui appartient à la personne. Je n'ai pas été frappé par l'autisme: je suis autiste, c'est une dimension de ma personne (et qui, soit dit en passant, ne limite pas ma personne).

Comment croyez-vous que nous nous sentons d'être ainsi? Pour ma part, assez bien. Certaines journées, je me sens très bien et très heureux. Je ne suis ni un malade ni une maladie. Je relis les critères de diagnostic du syndrome d'Asperger (ma forme d'autisme): je m'y retrouve. Pourtant, je n'associe aucun sentiment ou aucun souvenir de souffrance à ces critères. Il m'arrive de moins bien «filer», mais rien d'anormal, et je suis certain que cela vous arrive à vous aussi.

À quoi ressemble la vie d'une personne autiste? Voici des réponses que l'on m'a données.

- «C'est avoir une déficience intellectuelle». Il n'y a pas plus de déficience intellectuelle chez nous que chez les gens non autistes (et ne vous en faites pas trop: mes petites cellules grises sont assez performantes).

- «C'est ne pas pouvoir parler». La grande majorité des autistes parlent. Mais c'est vrai que peu d'entre nous sont verbomoteurs. Cela dit, j'enseigne, je donne des conférences (non, pas que sur l'autisme!), je passe en entrevue. Avec plaisir, toujours, sans grand trac ni stress démesuré. 

- «C'est être violent, quasi schizo». Nous ne sommes pas des anges (et vous donc?), mais pas des démons non plus. Il m'arrive de me fâcher, bien que je ne me rappelle pas de la dernière fois et que, personne discrète, il m'a souvent été dit que je devrais me fâcher davantage!

- «C'est voir partout des formules mathématiques, des chiffres ou des codes». Oui, bon... Mais je ne peux pas dire adorer particulièrement les maths, ni être un crack en informatique - je connais même un «Asperger» qui déteste les ordinateurs. En tout cas, je ne suis pas gadgetophile: imaginez, je n'ai pas de cellulaire. Par contre, c'est vrai que j'aime les «harmonies cachées», dans la nature, dans la musique, etc.

Petite vérité: il y a autant de diversité entre les personnes chez les autistes que chez vous. Les stéréotypes et les préjugés ne peuvent vous aider à nous comprendre. Pas plus qu'hier encore, ils ne pouvaient aider à comprendre les femmes, ou les Noirs, etc.

Faut-il se désoler de l'augmentation des cas d'autisme? Moi, je m'en réjouis et j'applaudis! Notre grand problème est de constituer une toute petite minorité: les estimations les plus optimistes que j'ai lues parlent de 3% de la population. Plus nous serons, mieux les choses pourront aller pour nous. Parce que, comme pour d'autres groupes minoritaires qui l'ont déjà fait, nous oserons prendre davantage la parole (plutôt que d'entendre des tas de gens parler à notre place), nous affirmer, oser faire des suggestions pour la marche du monde, voire même revendiquer.

Et ce ne sont pas les sujets de revendication qui nous manqueraient. Savez-vous que 80% des «Asperger» vivent de l'intimidation dans les écoles (moi, j'en ai fait un sévère syndrome de stress post-traumatique)? Que 90% des autistes n'arrivent pas à trouver et à garder un emploi pour lequel ils possèdent pourtant toutes les compétences? Que dans certains pays encore aujourd'hui, des enfants autistes subissent des «traitements» relevant carrément de la maltraitance qui visent à les «guérir» ?

À nous guérir de quoi du reste? D'une différence qui est encore mal connue et donc insuffisamment acceptée socialement. 

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Chercher le dialogue

et le bonheur

Louis Cornellier, Le Devoir (21-04-12) 

«Nous ne savons pas si Dieu existe. C'est pourquoi la question se pose d'y croire ou pas», écrit André Comte-Sponville dans Présentations de la philosophie. C'est pourquoi, ajouterons-nous, tout dogmatisme, qu'il soit croyant ou athée, est une bêtise en cette matière. Dans un récent texte paru dans la revue Nouveau Projet, le philosophe Charles Taylor résume l'état des lieux. «D'un côté, écrit-il, les fondamentalistes religieux et les "athées en colère" se combattent et renforcent chez leurs fidèles les stéréotypes par rapport à l'"adversaire". De l'autre côté, un univers bariolé de reconnaissance mutuelle se construit patiemment au hasard des rencontres et des occasions de dialogue.»

Or ce dialogue, reconnaissons-le, ne va pas de soi. «Contrairement au discours scientifique qui aboutit à la reconnaissance universelle, la mise en commun de ce que l'on croit génère la diversité», constate le psychologue Yves St-Arnaud dans Vivre sans savoir. Pour éviter la bisbille, certains suggèrent alors qu'il vaut mieux garder ses croyances pour soi et s'en remettre à la science pour les choses communes, mais, souligne St-Arnaud, «pour une bonne partie des questions que se posent croyants et non-croyants, la science déclare forfait; pour y répondre, ne serait-ce que de façon provisoire, on doit s'en remettre à ses convictions.

Ex-croyant qui se définit maintenant comme un humaniste athée, St-Arnaud rappelle d'abord que même son athéisme repose sur des «convictions personnelles qui dépassent le domaine du savoir et relèvent de la croyance» et n'est pas plus scientifique que la foi qu'il a perdue. Cela lui permet d'établir la première balise pour un sain dialogue entre croyants et non-croyants, c'est-à-dire la distinction entre «ce que l'on sait et ce que l'on croit». Cet exercice est exigeant puisque «toute conviction est un paradoxe: elle ne fait l'objet d'aucun doute personnel même si elle ne repose pas sur un savoir incontestable». On retiendra que tout ce qui échappe, en ce domaine, à une rigoureuse démonstration scientifique relève de la conviction, qui couvre donc un champ très large.

La deuxième balise d'un sain dialogue exige toutefois de soumettre ces convictions à la pensée critique pour les inscrire dans le domaine du «raisonnable» et la troisième exige une ouverture à ce que St-Arnaud appelle la «résonance psychoaffective», c'est-à-dire la part subjective d'une conviction. Cette reconnaissance de la subjectivité doit évidemment rester soumise aux deux premières balises si on veut éviter les délires solipsistes, tout en admettant qu'il n'y a pas de lieu d'arbitrage absolu en matière de convictions.

À quoi bon tout ce programme contraignant, diront peut-être les partisans du quant-à-soi. «J'ai constaté qu'une mise en commun des positions personnelles sur les enjeux importants de la vie, que l'on soit agnostique, athée, croyant ou quoi que ce soit d'autre, nous permettait de nous entraider à vivre sans savoir, tout en mettant au second plan les religions en tant qu'institutions», conclut St-Arnaud dans ce bel essai sobre et habité par un réel souci de la parole de l'autre. Nous sommes d'accord avec lui et avec Taylor. 

Un code pour le bonheur

Tous veulent être heureux, écrivait Aristote, c'est même là le but ultime de la vie, mais tous ne s'entendent pas sur les moyens pour y parvenir. Existe-t-il une méthode qui nous permettrait de mener à bien cette quête?

Le philosophe Jacques Marchand s'attaque à cette séculaire question dans La réussite, le salut, la vraie vie. Trois horizons de sens. Auteur de Sagesses, un impressionnant travail de recherche en six tomes sur les sagesses anciennes, Marchand, dans son dernier ouvrage, tente une sorte de synthèse de ses récents travaux.

Le bonheur est le but, reconnaît-il, mais «nous le recherchons à travers la poursuite de finalités tout à fait distinctes»: la réussite, le salut et la vraie vie. Ces orientations de vie sont liées à des valeurs repères (reconnaissance, autonomie, réciprocité) et à des attitudes (absolutiste, gradualiste, minimaliste). L'agencement de ces composantes constitue ce que Marchand appelle le «code stratégique», un guide dans la quête d'une «juste manière de vivre».

L'apport original du travail de Marchand se trouve dans sa perspective historique. Il montre, par exemple, que la recherche de la réussite prend sa source dans l'Égypte ancienne (le sage veut s'intégrer à l'ordre établi) et dans la Grèce archaïque (le héros homérique obtient la reconnaissance grâce à ses exploits). L'American dream est une sorte de version moderne de ce modèle. La recherche du salut, qui consiste en gros à s'en remettre à une instance extérieure pour atteindre le bonheur, provient des pensées mésopotamienne et biblique. La recherche de la vraie vie, enfin, selon laquelle réussir sa vie signifie développer les qualités de l'âme et le travail de la raison, remonte à Socrate.

Aujourd'hui encore, ces finalités continuent de déterminer nos quêtes de sens (réussir dans la vie, s'en remettre à une transcendance pour trouver du sens, développer une sagesse autonome et rationnelle indifférente à la réussite matérielle et au conformisme ambiant), mais le pluralisme qui accompagne la modernité nous permet de reconnaître qu'«aucune finalité prise isolément ne peut combler les besoins de l'être humain qui recherche le bonheur». Nous avons tous besoin de reconnaissance, explique Marchand, mais cette dernière ne doit pas empêcher l'expression de notre autonomie qui, elle, entraîne la réciprocité, c'est-à-dire la reconnaissance de l'autonomie de l'autre. Le choix de notre code stratégique vers le bonheur doit tenir compte de tous ces éléments.

Ex-marxiste et sartrien déçu qui a renoué avec la tradition philosophique grecque et?introduit les sciences humaines dans ses réflexions, Marchand ne propose pas de recette. Rigoureusement pédagogique, son essai ne charme pas par son style, dont l'austérité rebutera le lecteur d'agrément. Il fournit néanmoins des pistes méthodologiques pour «une stratégie de vie satisfaisante». 

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Hypocrisie et paradoxe

Des questions dérangeantes méritent d'être abordées

sans mettre en péril le recours à l'avortement

Mélanie Dugré, La Presse (23-04-12)

Il est plutôt ironique de constater que c'est dans la foulée des célébrations entourant les 30 ans de la Charte canadienne des droits et libertés que sera débattue, jeudi prochain, la motion 312 du député conservateur Stephen Woodworth, qui pose la question: «Quand le foetus devient-il un être humain?».

Certains voient là une tentative de rouvrir un débat clos par la Cour suprême en 1989, ou encore une menace franche au droit des femmes au libre choix. Pour d'autres, cette motion trouve sa pertinence dans les avancées technologiques et le progrès de la médecine qui n'étaient certes pas dans le carnet des discussions à l'époque de l'arrêt Daigle.

Bien qu'au coeur du droit à l'avortement se trouvent des préoccupations éthiques et des considérations émotives, certaines questions, tout aussi dérangeantes soient-elles, - l'absence totale d'encadrement législatif, l'avortement de foetus à un stade où ils seraient considérés comme vivants et viables par les départements de néonatalogie et le «tourisme d'avortement» - méritent probablement d'être abordées sans pour autant que soient mis en péril le recours à l'avortement, les droits des femmes et l'accès à la contraception.

Si le débat a potentiellement une raison d'être, le gouvernement a toutefois une façon bien maladroite de l'inscrire à son agenda et le messager, très actif dans le mouvement chrétien contre l'avortement, n'a malheureusement pas la crédibilité et l'objectivité requises dans les circonstances.

Ces extrémistes religieux, gardiens des bonnes moeurs, sont ceux-là mêmes qui se sont longtemps évertués à répandre des croyances aussi farfelues que la masturbation rend sourd et que l'avortement provoque le cancer.

L'hypocrisie ambiante et le paradoxe évident qui colorent la toile de fond de ce débat demeurent donc troublants et déconcertants. D'un côté, on souhaite ébranler des acquis chèrement gagnés, mais de l'autre, on se plonge la tête dans le sable en présumant que les jeunes sont abstinents et en abolissant les cours d'éducation sexuelle dans les écoles.

Bien que l'éducation soit de compétence provinciale, j'estime qu'il persiste une incohérence sociale à cet égard. Je déplore l'attitude des gouvernements qui, par souci de rectitude politique et sociale, se déchargent de la responsabilité de fournir aux élèves une formation en matière d'éducation sexuelle et imposent l'intégralité de ce fardeau aux parents.

Il est évident que ces derniers jouent un rôle déterminant dans l'attitude et les comportements qu'adopteront leurs enfants, mais l'influence des pairs et des milieux sociaux et scolaires justifie amplement que les écoles assument certaines obligations dans ce domaine, particulièrement à un âge où les jeunes sont naturellement influençables et réfractaires aux conseils parentaux.

Mes souvenirs d'adolescence me ramènent à mon école secondaire où, chaque printemps, se tenait le Colloque sur l'éducation à l'amour, destiné aux élèves de quatrième secondaire. Cet événement était attendu avec un mélange d'excitation, de curiosité, de gêne et de pudeur. On y tenait des discussions sur la biologie et la mécanique du sujet, comme l'anatomie des corps féminin et masculin, les infections transmises sexuellement, les grossesses non désirées et la technique de l'installation du condom. Mais on y parlait aussi d'émotions, d'attirance, de désir, d'homosexualité, de pornographie, bref de thèmes qui font universellement partie des découvertes sexuelles des adolescents

L'émergence des nouvelles technologies forcerait une mise à jour du contenu de cette formation, qui devrait être offerte à un public plus jeune, compte tenu de la précocité de l'éveil sexuel. Mais ces sujets demeurent plus que jamais d'actualité et méritent d'être discutés de façon ouverte et franche dans un contexte pédagogique. 

Espérons que le jour où nous oserons sortir notre tête du sable, former nos jeunes et nommer les grands bonheurs, comme les risques et difficultés inhérents à une sexualité active, nous aurons alors la crédibilité, la transparence et l'honnêteté nécessaires pour affronter les enjeux contemporains reliés à l'avortement.


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  Le Vatican serre la vis

aux soeurs féministes

américaines

Mathieu Perreault, La Presse (20-04-12) 613-5

Le Vatican met sous tutelle l'organisme qui représente les religieuses américaines, parce qu'il ne défend pas assez la morale sexuelle catholique et conteste la chaîne traditionnelle d'autorité de l'Église.

Ainsi, 3 évêques superviseront la «réforme» de la Conférence des religieuses (LCWR), qui regroupe 50 000 soeurs du pays. L'un des trois évêques, John Paprocki, est spécialiste de l'exorcisme et fait souvent des déclarations incendiaires sur l'avortement et la contraception. Mgr Paprocki est surnommé Holy Goalie parce qu'il joue au hockey.

Réagissez sur le blogue de Richard Hétu (http://blogues.cyberpresse.ca/hetu/)

 

La Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), descendante de l'Inquisition, a exprimé sa «gratitude» pour la «grande contribution des religieuses dans les écoles, les hôpitaux et les institutions d'aide aux pauvres». Mais elle note que la LCWR tolère parmi ses rangs un «féminisme radical» dénonçant le «patriarcat» de l'Église et une «dissidence» sur l'ordination des femmes et la pastorale aux homosexuels.

Discours subversif

L'élément déclencheur de l'enquête de la CDF a été l'un des discours prononcés à la réunion annuelle de la LCWR en 2007. La dominicaine Laurie Brink y a célébré une foi dépassant Jésus pour voir le Saint-Esprit «dans toute la création, au-delà de la religion institutionnelle». Soeur Brink appelait les religieuses à «dépasser l'Église».

La LCWR n'a pas donné d'entrevue hier, mais s'est déclarée «atterrée» et «surprise», par voie de communiqué. La responsable des communications de la Conférence religieuse canadienne a indiqué à La Presse qu'aucune enquête de la CDF n'est en cours. 

«Les religieuses américaines sont beaucoup plus nombreuses et engagées sur le terrain, dans les quartiers pauvres et les écoles», explique Philippe Vaillancourt, responsable du site d'information catholique québécois Crayon et goupillon. «Au Canada, elles passent sous le radar. Mais je crois que certaines théologiennes féministes sont restées dans les ordres, davantage qu'au Canada. On voyait notamment des discussions sur la Dieu.»

La publication du rapport de la CDF survient au moment où les évêques américains sont en plein bras de fer avec le président Barack Obama à propos du financement de la contraception par les compagnies d'assurances privées dans le cadre de l'«Obamacare». «À mon avis, c'est une coïncidence, dit M. Vaillancourt. L'Église a l'habitude de ne pas tenir compte des débats politiques dans ce qu'elle considère comme une question de discipline interne. Mais les catholiques américains auront certainement l'impression que les deux dossiers sont liés et que l'Église intervient dans la campagne électorale.»  


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Jour de la Terre

Pour le bien commun

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir (21-04-12)

La même fin de semaine où le premier ministre du Québec convie les entrepreneurs du secteur des ressources à son grand Salon Plan Nord, tout ce que le Québec compte de groupes progressistes, culturels et étudiants s'est donné rendez-vous pour répondre à l'appel lancé par quelques centaines de personnalités réunies par l'homme de théâtre Dominic Champagne à l'occasion du Jour de la Terre.

Dans la «déclaration» préparée pour l'occasion, on y lit: «Nous affirmons que nous sommes favorables à un développement qui soit viable, qui fasse une large part aux énergies renouvelables, au transport écologique, au commerce équitable, à la revitalisation des régions et à une agriculture durable.» Puis, plus loin: «Nous dénonçons les dégradations dues à l'exploitation des sables bitumineux, les modèles actuels de développement minier et forestier, les risques liés à l'exploitation du gaz de schiste, du pétrole, de l'uranium et à l'utilisation de l'énergie nucléaire.»

Tout le monde sera d'accord avec des objectifs aussi généreux, du moins en principe.

En pratique, les choses sont évidemment plus complexes et peu de gens sont prêts à changer leur mode de vie fortement axé sur la consommation et la production de masse pour justifier leur présence à la manifestation de dimanche après-midi. Alors, pourquoi s'attend-on à voir autant de monde dans la rue, demain?

Parce que ce qu'on lit aussi dans le texte et entre les lignes de cette déclaration, c'est un appel du coeur et de la raison à la «défense du bien commun» bafoué.

Le Québec traverse une grave crise de confiance à l'endroit de ses élites. Une crise qui menace la paix sociale, la vie démocratique et L’engagement volontaire du simple citoyen à respecter les règles communes. 

Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, étudiants et travailleurs sont pris de nausées devant le sans-gêne des sociétés gazières, des alumineries, des firmes de génie et des entreprises de construction encouragées dans leur turpitude par des élus dont la complicité saute aux yeux. Même du côté de nos sociétés d'État, on ne sent plus cet engagement indispensable à servir l'intérêt public de la part de plusieurs dirigeants pourtant bien rémunérés.

Quant au fameux Plan Nord imaginé, voire improvisé par un premier ministre soucieux de passer à l'Histoire, il aurait pu devenir ce projet rassembleur que les Québécois attendent depuis longtemps. Au contraire, il ne suscite que méfiance, critique et sarcasme.

Trop facile d'accuser encore les environnementalistes, la gauche et l'opposition! Cette méfiance est profonde, et quel que soit le parti gagnant, elle sera toujours présente au lendemain des prochaines élections.

À l'instar du projet lui-même, le Salon Plan Nord qui se déroule aujourd'hui à Montréal est perçu par la population comme étant l'illustration de cette promiscuité coupable entre les élus et le milieu des affaires. Fausse perception, diront certains? Peut-être, mais telle est la réalité.

Dans le contexte de la plus longue crise de la jeunesse étudiante de l'histoire du Québec et de l'interminable pluie d'allégations de corruption qui s'abat sur la classe politique et ses alliés, un rassemblement dédié «à la défense du bien commun» comme celui de demain mérite certainement toute l'attention de la classe politique. 


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L'histoire tragique

Christian Rioux, Le Devoir (23-04-12)

On se croirait quelque part dans un film de Claude Chabrol. Pendant que les notables de province poussent des cris d'orfraie parce que des enfants indisciplinés viennent de renverser du café sur la nappe blanche, la caméra se déplace lentement vers une autre pièce. Ces gens propres et respectables peuvent bien s'inquiéter d'une nappe tachée, ils ne savent pas encore qu'un cadavre repose à l'étage.

Si Chabrol avait été au Québec cette semaine, il aurait filmé les mines scandalisées de nos notables effarouchés parce que de jeunes effrontés avaient lancé un gallon de peinture rouge sur un immeuble et jeté quelques briques sur les rails du métro. Puis, dans un long travelling, il aurait lentement déplacé sa caméra jusqu'à l'UQAM. Il aurait alors croqué les regards patibulaires d'hommes en complets sombres réunis en colloque afin de faire l'autopsie d'un corps encore chaud. Celui du Québec violenté par le rapatriement de la Constitution de 1982.

Je suis toujours étonné du ton détaché que prennent certains de nos notables pour parler du crime politique commis par Pierre Elliott Trudeau en 1982. Pour peu, on croirait qu'ils discutent du dernier film sur nos écrans. Au pire, pour eux, ce rapatriement imposé de force au Québec serait une erreur, un accident de parcours ou un mauvais souvenir à oublier au plus vite. Surtout pas une défaite, encore moins une débâcle. Ces mots ne font pas partie de leur vocabulaire, qui ne connaît que le droit, pas l'histoire.

Or, nos élites «progressistes» ont souvent une étrange conception de celle-ci. À travers leurs verres fumés, elles ne parviennent pas à y voir autre chose qu'un perpétuel progrès de la démocratie, de la technique et des libertés. Feuilletez les rares manuels d'histoire que nous mettons entre les mains de nos élèves du secondaire et vous y découvrirez un XXe siècle à l'eau de rose où les droits de la personne, des minorités, des femmes ont lentement progressé jusqu'à produire le Québec d'aujourd'hui, summum de tolérance et de démocratie. Que le XXe siècle ait été le lieu de la pire boucherie de l'histoire de l'humanité ne semble même pas effleurer l'esprit de leurs auteurs.

Pour ces élites, qui croient que l'histoire a un sens et voient le progrès partout, la défaite, la débâcle, la déroute ne sont que de mauvaises figures de style. Waterloo n'existe plus. Il a été remplacé par les lents progrès de l'économie, des marchés et des moeurs. Pour eux, l'histoire n'est jamais tragique. La Conquête de 1760?  Ce n'était pas une défaite, mais l'occasion d'accéder aux bienfaits de la civilisation britannique. La répression de 1837-1838? 

Une lubie républicaine née dans quelques têtes brûlées qui, heureusement, n'a pas empêché le Québec de progresser économiquement.

Comment s'étonner après cela qu'ils ne comprennent pas que certains historiens puissent déjà ranger le rapatriement de 1982, avec l'échec des référendums de 1980 et 1995, au rang des plus grandes défaites de l'histoire du Québec. Certes, il n'y a pas eu de morts. Mais, les Waterloo modernes ne se déroulent plus sur les champs de bataille. Ils adviennent dans des salons confortables ou dans des urnes.

Si 1982 fut la date de naissance du Canada moderne, c'est que, après l'Acte de Québec et celui de 1867, la nouvelle constitution consacrait la naissance d'un pays enfin unitaire. Un Canada débarrassé de la nation québécoise et de sa société distincte aujourd'hui reléguée au rang de minorité nationale ou ethnique dans le grand melting-pot multiculturel canadien. Le geste de Pierre Elliott Trudeau signa du coup l'arrêt de mort de toute une famille politique qui, de Jean Lesage à Claude Ryan, en passant par Robert Bourassa, avait cherché à réformer le fédéralisme canadien. Son dernier représentant, l'ancien ministre Benoît Pelletier qui organisait le colloque de l'UQAM, fait aujourd'hui figure de dernier des Mohicans.

On connaît peu de pays démocratiques dans le monde qui ont agi de la sorte depuis le milieu du XXe siècle. Ni la Catalogne, ni le Pays Basque, ni l'Écosse, ni les Flamands, ni les Wallons ne se sont fait imposer une constitution sans qu'on sollicite l'accord de leurs représentants politiques ou qu'on tienne un référendum. La semaine dernière, Jean Chrétien affirmait que la Constitution allemande de 1949 avait été adoptée sans l'assentiment de la Bavière. Ce n'est qu'une demie-vérité puisque, si le Parlement de Bavière manifesta son opposition, il adopta aussi une motion rappelant son attachement à l'Allemagne et précisant que cette constitution serait exécutoire en Bavière si elle était approuvée par les deux tiers des landers. Ce fut évidemment le cas.

Comme de nombreux pays, le Canada moderne est né dans la violence. Cette violence, ce n'est plus celle des champs de bataille. Plutôt, celle des hommes en robes qui censurent en permanence la volonté politique d'un peuple qui n'aura d'ailleurs bientôt plus le nombre qu'il faut pour se faire entendre au Canada. Patience, ce n'est qu'une question de temps.

Oui, l'histoire s'écrit encore en rouge. Et la plupart du temps, ce n'est pas de la peinture. 


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Jour de la Terre

Collectif d'auteurs, Le Devoir (22-04-12) 

Nous,
Hommes, femmes et enfants de bonne volonté
Nous nous rassemblons pour dire au monde que nous avons à cœur
La terre riche, généreuse et fragile que nous habitons
Et la défense du bien commun en ce pays;

Nous nous rassemblons parce que nous sommes convaincus
Qu'avec notre potentiel et notre savoir-faire
Nous pouvons adopter une meilleure stratégie dans l'usage du trésor
Que sont nos terres, notre eau et l'air qu'on respire;

Nous nous rassemblons
Parce que nous croyons que l'utilisation de nos richesses naturelles
Doit se faire en accord avec les populations
En harmonie avec la nature
Au profit de tout le monde
Et dans l'intérêt des générations à venir;

Nous nous rassemblons parce que nous croyons qu'il est possible
De nous développer selon un modèle
Qui soit une source d'enrichissement réel, de progrès et de fierté
Et une source d'inspiration pour le monde entier;

Nous affirmons que nous sommes favorables au développement, à un développement qui soit viable, qui fasse une large part aux énergies renouvelables, au transport écologique, au commerce équitable, à la revitalisation des régions et à une agriculture durable, et nous affirmons qu'il est capital d'orienter nos efforts vers une économie où prospérité sera synonyme de qualité de vie;

Nous nous rassemblons pour dénoncer le désengagement du protocole de Kyoto, les dégradations dues à l'exploitation des sables bitumineux, les modèles actuels de développement minier et forestier, les risques liés à l'exploitation du gaz de schiste, du pétrole, de l'uranium et à l'utilisation de l'énergie nucléaire sur notre territoire;

Nous refusons d'être dépossédés de nos richesses et des sources d'un véritable progrès.

Et nous demandons:

Que le gouvernement du Canada participe pleinement au protocole de Kyoto, qu'il intensifie la lutte contre les changements climatiques, qu'il cesse toute subvention aux compagnies pétrolières et gazières et qu'il poursuive toute politique de développement en répondant aux objectifs économiques, écologiques et sociaux les plus élevés au monde;

Que le gouvernement du Québec se dote d'une véritable stratégie, pour le Nord et l'ensemble du territoire, où le développement de nos ressources naturelles et énergétiques répond à nos exigences les plus hautes en matière de partage de la richesse, de respect de l'environnement et des populations, maintenant et pour les générations à venir;

Voilà pourquoi nous signons cette déclaration et que nous nous engageons à prendre part à un vaste rassemblement le 22 avril et à l'événement unique qui aura lieu à 2 heures précises, à Montréal.

Plus de 32 000 signataires de tous horizons ont signé ce texte dont Claude Béland, Paul Gérin-Lajoie, Pierre Fortin, Ghislain Picard, le Père Benoît Lacroix, Lise Payette, Paul St-Pierre Plamondon, Pierre Thibault, Gilles Julien, Alain Vadeboncoeur, Laure Waridel, Ugo Lapointe, Frédéric Back, Fred Pellerin, Dominic Champagne, Richard Desjardins, Ariane Moffatt, Yvon Deschamps, Denys Arcand, Marina Orsini, Claude Meunier, Roy Dupuis, François Girard, Sébastien Ricard, Gilles Vigneault, Vincent Vallières, Hugo Latulippe, Marc Labrèche, Margie Gillis, Marie Laberge, Pierre Lapointe, Pascale Montpetit, Louis-José Houde, Stéphane Archambault, André Bélisle, Steven Guilbeault, Sidney Ribaux, David Suzuki, Karel Mayrand. 


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Wal-Mart et SNC

La même perversion

Jean-Robert Sansfaçon, La Presse (24-04-12) 

L'action de Wal-Mart a perdu 5 %, hier, après la publication par le New York Times des résultats d'une enquête journalistique accablante au sujet de sa filiale mexicaine.

Selon le NYT, la direction de Wal-Mart à Mexico aurait distribué au moins 24 millions de dollars à des politiciens locaux dans le but d'obtenir les permis de construire nécessaires à l'ouverture de succursales. La tactique aurait été utilisée pendant plusieurs années, mais serait devenue monnaie courante entre 2002 et 2005

C'est l'avocat responsable de ces demandes de permis qui a lui-même informé la haute direction américaine que des gestes frauduleux avaient été commis en contravention des lois et du code d'éthique de la compagnie. Or, au lieu de transmettre ces renseignements à la police, la direction de la multinationale s'est contentée d'une enquête interne dont les résultats ont aussitôt été étouffés. Au lieu de sévir, Wal-Mart a même accordé une promotion au président mexicain de sa filiale, grand responsable de ces pratiques.

Cette affaire en rappelle une autre, plus près de chez nous, celle de SNC-Lavalin. À deux reprises au cours des dernières semaines, la multinationale québécoise a fait l'objet d'une perquisition à son siège social de Montréal. En mars, une enquête conduite à la suite de dénonciations internes avait révélé qu'au moins 56 millions s'étaient évaporés dans la nature. Cela a conduit à la démission forcée, non sans compensation, du président Pierre Duhaime pour avoir lui-même autorisé que l'argent disparu soit imputé à d'autres projets.

Où est allé l'argent ? A-t-il servi à corrompre des individus ? Si oui, qui et où sur la planète ? En Tunisie, ici même au Canada ?

On attend beaucoup de l'enquête policière en cours, mais on peut d'ores et déjà affirmer qu'il n'est pas nécessaire de venir d'une dictature corrompue pour adopter soi-même des comportements frauduleux.

Certains sont portés à justifier les gestes commis par SNC-Lavalin ou Wal-Mart en prétextant qu'il ne faut pas être plus catholique que le pape quand on brasse des affaires dans les pays en développement : sans pots-de-vin, impossible de faire sa place au soleil ! Puisque tout le monde le fait, fais-le donc !

Voilà la pire réaction. Les multinationales qui enfreignent leur code d'éthique, les lois du pays d'accueil et celles de leur pays d'origine entretiennent un climat de corruption partout où elles s'installent. Comme plusieurs grands projets de construction sont financés par l'aide internationale, ce sont les contribuables des nations participantes et des pays d'accueil qu'elles volent impunément. Comment exiger des administrations locales qu'elles agissent différemment ? Et qui croira que ces mêmes multinationales agissent plus honnêtement dans leur pays d'origine, là où les liens avec les amis politiciens sont encore plus incestueux qu'à l'étranger ? 

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18 avril 2012

Vendredi le 20 avril 2012. Vol. 6, no. 12

labibfranco.canalblog.com

 

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L'intimidation de plein

front

Odile Tremblay, Le Devoir (14-04-12)612-1

Ce documentaire-choc de l'Américain Lee Hirsch a fait beaucoup parler de lui, bien avant qu'il n'atterrisse sur nos écrans. La décision de la Motion Picture Association of America de lui donner aux États-Unis la cote R, qui l'empêchait de rejoindre son public cible adolescent — décision aujourd'hui annulée après que quelques gros mots ont été coupés —, a fait couler de l'encre. Mais cette controverse lui a finalement offert une vitrine inespérée.

L'intimidation à l'école, que le film aborde frontalement, le cinéaste l'avait vécue lui-même. Puis deux suicides d'enfants harcelés ont sonné pour lui l'alarme rouge. Enfourchant le sujet de l'heure accentué par les nouvelles technologies et par des méthodes d'éducation déficientes, Lee Hirsch refuse de baisser les bras et appelle à tous les coups de barre de société. Il filme en dénouement des manifestations menées par des parents de jeunes suicidés, qui nous laissent sur une note d'espoir.

Plusieurs cas sont abordés, mais le plus troublant demeure sans contredit celui du jeune Alex, un enfant de 12 ans de l'Iowa, né prématurément, claudiquant, persécuté psychologiquement et physiquement au point, de son propre aveu candide, de ne plus sentir les coups.

Kelby, une adolescente lesbienne persécutée, Ja'Meya, qui brandit un revolver devant ses tourmenteurs, les parents d'enfants intimidés, chaque témoignage parle d'urgence, et le film possède l'immense mérite d'exposer sous plusieurs coutures un problème brûlant et tentaculaire.

Par-delà sa valeur de cri pour réveiller les morts, Bully pose des questions sur le regard. Le nôtre, témoin ici de coups, d'insultes à Alex dans un autobus et de témoignages déchirants, se pose aussi sur des responsables à l'école qui ne font rien, sur des parents souvent impuissants.

On s'interroge parfois également sur le regard du cinéaste lui-même, qui filme des scènes de terrible brutalité en n'intervenant pas tout de suite. Hirsch sonnera l'alarme plus tard, mais sans que quoi que ce soit change, et Alex devient l'objet filmé, alors qu'il n'est que détresse à apaiser.

Bully suscite à la fois la révolte contre les parents et les directeurs d'école qui abdiquent leurs responsabilités et le malaise devant cette caméra voyeuse. Ce qui n'enlève pas son immense portée dénonciatrice à un documentaire qui attaque de plein fouet un vrai fléau.


 Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Arts Visuels

Google relance son musée

virtuel

Nathaniel Herzberg,  Le Devoir (16-04-12)612-2

Sensation du printemps dans le monde des arts plastiques, le géant informatique Google a lancé récemment la nouvelle version de son musée virtuel. Ainsi présentée, l'information peut sembler aussi anodine que l'annonce du septième opus cinématographique des aventures de Beethoven le chien.

Erreur! Deux éléments méritent l'attention. D'abord, Google est Google: partout où la firme de Mountain View pose ses pieds, le paysage change durablement. Ensuite, l'opération proposée tient plus de la greffe du visage que du simple lifting. Ce qui n'était, en 2011, qu'une grande galerie virtuelle, nourrie par 17 établissements occidentaux, s'est transformé en un musée de 32 000 oeuvres, alimenté par 151 institutions des cinq continents.

Lors de la présentation à la presse, au Musée d'Orsay, puis pendant la soirée qui rassemblait une partie du gotha muséal mondial, Amid Sood, le responsable du projet, n'a pas manqué de rappeler qu'avec la nouvelle version le cap avait été mis sur les pays émergents et les diverses formes d'art. «La plateforme ne permettra pas seulement aux étudiants indiens de contempler les chefs-d'oeuvre du Metropolitan Museum, mais aussi aux Américains d'aller découvrir la National Gallery of Modern Art de Delhi», a souligné, tout sourire, l'ingénieur indien basé à Londres. Des antiquités grecques de l'Acropole aux graffitis du musée de São Paulo, des peintures rupestres des grottes sud-africaines ou australiennes aux merveilles ouvragées du Musée de l'or de Bogota, Google a clairement opté pour la diversité.

Multiplier les fonctionnalités

L'entreprise californienne a choisi aussi de multiplier les fonctionnalités. La plateforme permet de réaliser différents tris. Par établissement, bien sûr: on peut donc découvrir les 3325 oeuvres présentées par le Getty Museum de Los Angeles ou les 18 toiles offertes par le Musée de l'Orangerie. Utile pour qui veut préparer un voyage à l'étranger, quitte à basculer ensuite sur le site de l'institution sélectionnée. Du MET et du MoMA de New York à L'Ermitage de Saint-Pétersbourg, de la Galerie des Offices de Florence à la Tate de Londres, les plus grands musées du monde sont là. À une exception notable, le premier d'entre eux, le Louvre, mais nous y reviendrons.

Plus précieux et plus rare, le tri par artiste. On peut ainsi découvrir 149 Van Gogh ou 13 Vinci, venus de partout dans le monde. La chambre de Van Gogh à Arles s'offre soudain au regard dans ses versions conservées au Musée Van Gogh d'Amsterdam, à l'Art Institute de Chicago ou au Musée d'Orsay... Libre à chacun, ensuite, de construire sa propre exposition, monographique ou encore thématique, puisqu'une recherche par mot-clé est proposée.

Promenade à Versailles

Parmi les 151 établissements, 51 bénéficient du logiciel de déplacement hérité de la technologie Street View. Le visiteur peut alors se promener dans les appartements royaux de Versailles, se perdre dans les salles du musée d'Orsay, passer entre les vitrines du Musée du quai Branly et même circuler dans les couloirs de la Maison Blanche. Qu'il clique sur une des oeuvres et la voilà sur son écran, avec les informations associées. Au sein des institutions ainsi privilégiées, 46 profitent du nec plus ultra: la très haute résolution. Les élues ont alors choisi une oeuvre que les techniciens de Google ont numérisée en «gigapixels». Avec quelque sept milliards de points de définition par image, l'internaute peut découvrir des détails «bien au-delà de ce qui est visible à l'oeil nu», assure le géant informatique.

«Et tout est parfaitement gratuit», martèle-t-on chez Google. Autrement dit, les musées mettent à disposition leurs images, lorsque leur qualité est suffisante. Sinon, Google se charge de la prise de vue.

Plus compliqué en France

Les musées mettent à disposition leurs images, lorsque leur qualité est suffisante. Sinon, Google se charge de la prise de vue. Pas de publicité sur le site, pas de commercialisation des images ou des données des visiteurs. «La technologie au service de la diversité culturelle», insiste le géant américain. Le tout est fixé sur le contrat type passé avec les six établissements français.

Six, soit à peu près cinq fois moins que les Américains (29), trois fois moins que les Allemands (18), deux fois moins que les Anglais (13).

«C'est six fois plus que l'an passé», souligne-t-on lénifiant, chez Google. Avant de convenir qu'«en France ce type de projet est toujours un peu plus compliqué qu'ailleurs». Le géant informatique n'a pas oublié les déboires rencontrés par son projet de numérisation de la Bibliothèque nationale de France, interrompu juste après son lancement, et repris par le concurrent Microsoft. «Ils n'ont pas voulu perdre de temps avec les Français», croit savoir un responsable de musée national.

La législation française est très protectrice du droit d'auteur. Or pour Google, le principe est intangible: pour profiter de la visibilité qui leur est offerte par Artview — l'an dernier, la plate-forme a été le deuxième site référent du château de Versailles après Wikipédia —, les musées offrent leurs images et s'acquittent seuls des droits. Si les oeuvres anciennes ne posent pas de difficultés, il n'en va pas de même de l'art moderne et contemporain.

«Pour nous, la négociation des droits d'auteur est un très gros morceau dans la fabrication d'un site, souligne le président du Centre Pompidou, Alain Seban. Et je n'aurais pas dépensé de ressources pour offrir des images à Google. Mais ils ne m'ont pas sollicité. Notre orientation, il faut dire, est à l'opposé de la leur. Notre site essaie de rendre visible la masse de connaissances que l'on produit autour de la collection, avec des documents, des images, des films, des débats... C'est un reflet du Centre, pas une collection virtuelle, car nous sommes convaincus que rien ne remplace le contact direct avec l'oeuvre.»

Le Louvre

Henri Loyrette se défend, lui aussi, de toute opposition de principe. Le patron du Louvre, sollicité par Google, a pourtant bel et bien décliné l'invitation, en juin, lorsque l'entreprise californienne lui a proposé de participer à l'aventure. «Nous étions un peu débordés par la refonte de notre propre site Internet et de nos Audioguides, précise-t-il. Et puis j'avais été très déçu par la première version, je ne voyais pas l'intérêt.»

En découvrant la nouvelle offre, M. Loyrette admet avoir été «bluffé»: «La définition des images et les contenus enrichis, le Street View impressionnant, franchement, le saut qualitatif est indiscutable.» Le président d'établissement et historien d'art qu'il est se pose encore des questions importantes: «Un musée, c'est aussi un bâtiment, des collections, un contexte. Là, toute cette histoire disparaît au profit de la seule oeuvre, voire de sa seule image...»

Mais ces réserves ne l'empêcheront pas de «reprendre les discussions... sur des bases équilibrées», insiste-t-il. À savoir? «Nous produisons de nombreux contenus pédagogiques, Google pourrait participer à leur diffusion. Ou soutenir certains autres projets qui ont les mêmes visées de démocratisation culturelle que les leurs...»

L'entreprise américaine n'a-t-elle pas clairement posé ses conditions: la plateforme, rien que la plateforme? Henri Loyrette sourit. En matière de fréquentation comme de notoriété, «le Louvre n'est pas dans la situation des autres musées. Donner l'image de La Joconde ne présente aucun intérêt pour nous. Google est capable de comprendre ça».


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Des enfants à l'école

Pierre Foglia, La Presse (12-04-12)

En février, des enfants d'une école alternative d'une commission scolaire de la région de Montréal ont écrit à Victor-Lévy Beaulieu.

bonjour tres onorable vlb

nous somme des eleves de l'ecole (ici le nom de l'école) tres reputer a (ici le nom de la ville). Pour un devoir d'univer social nous devons trouver de info sur vous peut-être pouriez vous nous eclerer sur se sujet.

ps: avant le 21 fevrier. 

Imaginez ce que ça donne quand l'école n'est pas, comme celle-ci, «tres reputer».

Les fautes? Bof. Surtout la paresse: aucune majuscule, pas d'accents, sauf un sur peut-être, ce qui me fait penser qu'ils étaient disponibles. Mais aussi l'impolitesse: si vlb est si onorable que ça, peut-être qu'on aurait pu écrire au moins une fois son nom, monsieur Victor-Lévy Beaulieu. Après tout, ce sont des écoliers qui s'adressent au plus grand écrivain vivant de leur pays.

Peut-être ajouter aussi, si cela ne leur écorche pas trop la bouche, s'il vous plaît à l'ultimatum du post-scriptum: avant le 21 février, s'il vous plaît.

Ce n'est pas tant les enfants qui ont écrit ce petit mot qui me désespèrent que leurs profs, leurs parents, toute l'école. Ce qui me hérisse le plus, ce ne sont pas les fautes, c'est la démarche, le projet derrière cette lettre. L'omniprésent, l'omnipotent, l'omnivore PROJET de merde qui fonde la nouvelle pédagogie. Un projet VLB, donc. J'entends d'ici la maîtresse: on va lui écrire, les enfants. Yé.

***

Nathan Samson a 10 ans. Il habite à Saint-Jacques, un village au sud de Joliette, et il va à l'école Notre-Dame à Saint-Alexis, à 10 minutes de là. Il est en cinquième. Il a deux frères et une soeur. Son papa est psychanalyste, sa maman est maman.

Il a écrit un texte sur ce qui lui est arrivé à l'école. Sa maman a recopié le texte à l'ordi.

Vous appelez pour Nathan?

Oui, mais avant, madame, je voulais savoir: vous avez corrigé ses fautes, évidemment?

Pas du tout. Je les ai toutes laissées. Il en fait peu. Le texte que vous avez, ce sont ses mots, son orthographe avec les fautes, sa syntaxe. Aucun ajout. La seule chose qui est de moi, c'est la ponctuation: deux-points ouvrez les guillemets pour une citation, les points d'exclamation, c'est moi. Rien d'autre.

28 mars 2012, dans mon cours d'éthique et de culture religieuse on était en pleine discussion, le sujet: les manifestations étudiantes. J'ai sorti de ma poche mon beau carré rouge, fabriqué par ma mère. Je leur ai montré fièrement en disant «regardez, je les supporte». Mais à ma grande surprise lorsque j'ai brandis mon carré rouge, la prof m'a aussitôt dit «range-ça immédiatement». On m'a dit que ça dérangeait. Puisque j'ai refusé, elle a dut répéter plusieurs fois la consigne. J'ai persisté dans mon refus et elle m'a menacé de me le confisquer. Je l'ai remis dans ma poche mais j'étais déçu.

29 mars 2012, aujourd'hui j'ai décidé de porter fièrement mon carré rouge sur mon chandail. Avant le diner, ma prof m'a demandé de l'enlever. J'ai demandé pourquoi? «Parce que ici à l'école on ne parle pas de politique». Mon obstination m'a mené au bureau de la directrice. Alors, j'ai redemander pourquoi? «Parce que ici à l'école on ne parle pas de politique, ça ne nous concerne pas». Après une courte discussion je peux le garder, mais je ne dois pas dire pourquoi je le porte!

C'est fou comme les gens peuvent avoir peur des idées. (Nathan Samson, 10 ans)

Nathan? Pourquoi es-tu contre l'augmentation des droits de scolarité?

Parce que l'école doit être accessible à tout le monde. En augmentant les droits, on empêche les plus pauvres d'y aller.

Qu'est-ce que tu veux dire par: c'est fou comme les gens peuvent avoir peur des idées? Pourquoi auraient-ils peur des idées?

Ben... je sais pas s'ils ont peur des idées, mais ils ont peur des gens qui les expriment, en tout cas.

T'as vraiment 10 ans?

Oui.

Ta mère a-t-elle corrigé ton texte?

C'est plutôt moi qui corrigeais ses fautes.

Épelle discussion pour voir?

D-i-s-c-u-s-s-i-o-n.

Dans ton texte, tu dis: J'ai persisté. Qu'est-ce que ça veut dire, persister?

Ça veut dire continuer, insister.

Tu dis que la maîtresse a répété la consigne. Qu'est-ce qu'une consigne?

Euh... un mot plus fort, ce serait une loi. Une consigne, c'est une petite loi.

Qu'est-ce tu lis, en ce moment?

Le vicomte de Bragelonne.

Ah! Alexandre Dumas!

Vous connaissez?

Ben tiens. Mais j'avais 14 ans quand je l'ai lu, pas 10. Que lis-tu d'autre?

Agatha Christie, Sherlock Holmes (Conan Doyle), Mille ans de théâtre.

Ta musique?

Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Georges Brassens... Pourquoi riez-vous?

Parce que.

(C'est alors que je t'ai dit que j'allais t'envoyer des poèmes de Patrice Desbiens, en me disant, à part moi: comme ça, il aura moins l'air d'un petit mononcle avec son Brassens. Mais j'y ai repensé, ça marche pas. Patrice Desbiens, c'est trop, même si t'es en avance. La DPJ viendrait me chercher. Je vais plutôt t'envoyer un livre de Victor-Lévy Beaulieu: Ma vie avec ces animaux qui guérissent. Salut).

OUBLI - J'ai oublié Gil Courtemanche samedi. Quand j'ai dit que je n'avais lu, depuis plusieurs mois, que des trucs nuls, j'avais oublié l'admirable recueil des chroniques de Gil Courtemanche rassemblées après sa mort (en août dernier) sous le titre Le Camp des justes (Boréal).

Des chroniques qui courent sur 10 ans, que j'avais presque toutes lues. Pour plusieurs - celle sur la grève des transports, celle sur la laïcité (qui est pour les autres), la lettre à Dany Laferrière, celle qui a pour titre «Moi, Omar Khadr» -, pour toutes celles-là et quelques autres, j'appelais mes amis le samedi matin: n'oublie pas de lire Courtemanche. 


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Une crise de financement

ou d'orientation?

A-t-on surtout besoin d'as de la chirurgie

esthétique ou plutôt d'infirmières

practiciennes

Jean-Claude Leclerc, Le Devoir (16-04-12)612-3

Des étudiants opposés au nouveau prix d'entrée à l'université voudraient qu'on y scrute d'abord la rémunération des gestionnaires et leurs ambitions immobilières. Des recteurs prétendent, mondialisation oblige, que la formation n'a pas de prix. Des professeurs rêvent, eux, d'un accès gratuit aux écoles de haut savoir. Et d'autres voient dans les droits de scolarité un investissement dont le diplômé tirera grand profit le reste de sa vie. Mais qu'en est-il de l'intérêt public?

Dans ce débat, quelques questions désagréables ne sont pas posées. Ainsi, qu'il en coûte beaucoup ou peu pour devenir ingénieur, à quoi sert l'université si c'est pour former des entrepreneurs qui bâtiront des prisons en Afrique? Ou des ouvrages qui s'écroulent à Montréal? Gratuité, bourses ou subventions, les contribuables ont-ils à payer les cours de gens qui vont pervertir la démocratie, gonfler le coût des travaux et trahir leur mission?

Pourquoi le public paierait-il la formation de comptables, de cadres et de dirigeants qui pillent leur entreprise, tripotent les états financiers, trompent les actionnaires et mènent à la ruine des firmes autrefois réputées? Certes, tous les professionnels ne sont pas malhonnêtes. Mais pourquoi ceux qui sont intègres ne l'emportent-ils pas toujours sur ceux qui ne le sont pas? Il y a là un échec du professionnalisme qu'aucune université ne saurait ignorer.

Même les facultés de droit échappent de moins en moins à la mentalité mercantile, dans une profession pourtant définie par la justice, l'intégrité de l'État et l'ordre public. Pourquoi donc les contribuables financeraient-ils la formation d'avocats qui oeuvrent pour des cartels voraces, inventent des moyens de bâillonner la critique, minent les droits et libertés, et contribuent aux méfaits d'entreprises sans scrupules, au besoin en supprimant les preuves de leurs agissements?

De toutes les professions, celle du droit est peut-être la plus névralgique, car elle détermine les lois, la protection des citoyens, les règles du marché et les conditions d'une société libre et démocratique. Or, une mutation s'y est produite au pays, y compris au Québec, depuis que des membres du barreau en ont défini l'avenir comme une «entreprise d'affaires». Ses effets sur l'enseignement et la pratique du droit, l'orientation de la justice et l'efficacité des tribunaux n'ont pas mis de temps à se faire sentir.

Un ex-juge de la Cour suprême vient à ce sujet de poser un diagnostic révélateur. Diplômé de McGill, Cambridge et Toronto, Ian Binnie fut pendant 15 ans avocat chez Wright & McTaggart, puis sous-ministre associé à la Justice fédérale. Pendant une douzaine d'années, il a pratiqué chez McCarthy Tétrault. Il fut conseiller spécial du Parlement pour les accords du lac Meech. Ce juriste éminent ne cache pas sa surprise en revenant à la pratique du droit.

Dans une récente entrevue au Globe and Mail, Ian Binnie déplore l'évolution de grands bureaux d'avocats qui se sont écartés des services diversifiés traditionnels pour devenir des entreprises — pleines d'avocats, d'ex-politiciens et d'autres conseillers — cherchant à remporter de gros contrats dans le monde des affaires. Ces firmes seraient même en voie de supplanter les tribunaux dans l'arbitrage des affaires commerciales importantes, aux dépens de la culture juridique de la magistrature.

Ces bureaux devenus des multinationales profitent des lenteurs de la justice et du manque d'expérience des juges dans les domaines nouveaux pour offrir aux compagnies riches un prompt service d'arbitrage, dont les règles échapperont le plus souvent aux cours d'appel et ne seront pas versées au savoir juridique des tribunaux. M. Binnie admire la Court of Chancery du Delaware, aux États-Unis, qui règle diligemment les causes commerciales, sans laisser les avocats multiplier les procédures dilatoires.

Trop de professions font largement payer la formation de leurs membres par des fonds venus du public, jouissent d'un monopole de pratique au nom de la protection du public, mais s'éloignent peu à peu de leurs obligations envers le public. D'aucuns excusent ce laxisme par la concurrence débridée qui prévaut aujourd'hui. Dans la ruée vers les «affaires», ceux qui ne trichent pas, dit-on, risquent d'être exclus. Même les universités sacrifient désormais au culte de la concurrence.

Dans un tel contexte, ni la gratuité, ni des frais modulés, ni un financement accru des institutions ne sauraient réduire, là où elle sévit, la plaie du détournement des enseignements à des fins de promotion et d'enrichissement individuels. Plus de diplômés ne fera pas davantage de professionnels intègres et compétents. Par contre, en cédant aux revendications des uns ou des autres, les autorités publiques ne soutiendraient pas, non plus, la formation de ces professionnels qui font encore gravement défaut dans notre société.

L'intérêt public ne commande-t-il pas, en effet, d'accorder priorité aux besoins les plus criants? Ainsi, a-t-on surtout besoin d'as de la chirurgie esthétique ou plutôt d'infirmières praticiennes? Pourquoi les uns n'investiraient-ils pas eux-mêmes dans leur commerce — alors que la formation des autres serait prise en charge par la collectivité? Sans doute devrait-il en être de même pour combler la pénurie de psychiatres au Québec.

Mais surtout, à quand la formation gratuite et accélérée d'enquêteurs et de procureurs plus nombreux et mieux aguerris pour débusquer les méfaits qui se répandent en trop de milieux professionnels?

***

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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Manifester au temps du

numérique

Stéphane Ballairgeon, Le Devoir (16-04-12)

C'est la génération numérique qui manifeste depuis des semaines partout au Québec. Elle était encore en surnombre dans les rues ce week-end, à Montréal et à Rimouski.

Les étudiants qui obtiendront leur diplôme du collège dans quelques semaines et qui accéderont à l'université en septembre sont nés pour la plupart autour de 1993. Cette année-là, le navigateur NCSA Mosaic entrait en fonction, entraînant une augmentation exponentielle de la popularité du World Wide Web.

La dernière grande grève étudiante, en 2005, utilisait déjà Internet, le courriel et la photo numérique, mais pas les médias sociaux et les plateformes multimédias, qui n'existaient pas ou en tout cas pas avec la même vitalité. Facebook a été inventé en 2004 et n'a conquis le monde qu'en 2006 alors que Twitter naissait à son tour. YouTube date de février 2005. Depuis, la belle jeunesse a aussi généralisé l'utilisation des appareils mobiles. Les trois quarts des Québécois de 18 à 25 ans possèdent maintenant un cellulaire et le quart un téléphone réputé «intelligent».

Les contestataires bataillent sur tous les fronts virtuels. Leurs petits écrans servent à mobiliser les troupes, organiser les manifestations, capter et relayer les informations en temps réel, immortaliser la lutte. Photos, textos, vidéos deviennent de nouvelles armes de la critique et de la protestation.

Les communautés virtuelles très hétéroclites nourrissent la masse et stimulent le sentiment d'appartenance, la solidarité. La société en réseaux juxtapose et agrège les expériences, les témoignages, les décisions stratégiques.

Des ailes à l'imagination


Ce rapport au virtuel, surtout à l'image, omniprésente et instantanée, semble aussi jouer un rôle dans l'amplification de la force festive des manifestations, de leurs qualités «esthétiques». La vague de 2005 avait déjà adopté le carré rouge. Maintenant, la lutte empourprée se décline de mille et une belles manières originales, ici une danse à claquettes dans le métro, là une parade de faux gosses de riches, vite relayées partout, pour tous. Le virtuel donne des ailes à l'imagination réelle du contre-pouvoir.

La caisse de résonance diffuse les moindres bruits, avertit des grands et des petits mouvements en complément, voire en contradiction des médias traditionnels. Souvent avec humour en plus.

Quand l'omnicommentateur Richard Martineau a gazouillé de l'ironie sur de prétendus étudiants biberonnant de la sangria à une terrasse d'Outremont («La belle vie!»), il a subi une drolatique cyber-contre-attaque. Une fausse page Wikipédia le ridiculise comme vire-capot, parvenu et embourgeoisé. Au-tre signe de l'extension numérique du domaine de la lutte: un article de la vraie de vraie encyclopédie en ligne libre et participative traite longuement et sérieusement de la «Grève étudiante québécoise de 2012».

Cela dit, la dématérialisation sert parce qu'elle s'arrime à des actions concrètes. Comme en 2005 ou en 1968. Comme toujours quoi. La contestation sociale n'a pas besoin de Twitter ou de Facebook pour interpréter et transformer le monde. Dans un texte disponible sur le Net (Small Change, Why the Revolution Will Not Be Tweeted, paru dans The New Yorker en octobre 2010), l'essayiste canadien Malcolm Gladwell affirme même que l'interconnectivité contemporaine peut nuire à la mobilisation réelle, seule ultimement nécessaire et efficace. On connaît bien la recette: il est beaucoup moins engageant de signer une pétition en ligne soumise par un «ami» virtuel que de se présenter en personne pour manifester, tout casser ou se faire taper dessus par de réels ennemis...

M. Gladwell oppose les «liens faibles» au «grand risque» de l'activisme, surtout dans un contexte hyperrépressif, en Libye l'an dernier, en Syrie cette année. Seulement, partout, y compris dans notre société démocratique, n'est-ce pas simplifier outre mesure que d'opposer technique et politique?

Les deux réalités avancent en cordée, au service du pouvoir et du contre-pouvoir. Les moyens de communication aident à surveiller et à punir, mais aussi à s'informer, à débattre, à s'organiser. Et chaque génération cherche à réinventer le monde avec ses peurs, ses espoirs et ses moyens...


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Québécoise... chacune à notre

façon

Ma mère porte le hijab, moi le dernier mascara de L'Oréal

Rima Demanins, La Presse (09-04-12) 

Il y a quelques semaines, j'avais un urgent besoin de mascara. Comme ma mère avait également quelques emplettes à faire, nous avons décidé d'aller à la pharmacie du coin.

J'avais déjà complété mes achats, alors que ma mère poursuivait son magasinage. Je me suis installée près de la sortie pour l'attendre. Elle finit par faire son choix et se range dans la file de la caisse. La dame devant elle semble être une Québécoise d'origine. Elle paie, s'avance vers la sortie, et avec mécontentement, regarde ma mère et s'exclame: «Ah, cette crisse d'Arabe à la caisse! Qu'elle retourne dans son pays ou qu'elle enlève son ostie de voile! On n'a pas besoin de ces extrémistes ici! Vous me comprenez, vous?» Avec un sourire ironique, je lui réponds sèchement: «Non madame, je ne vous comprends pas. Cette femme, c'est ma mère et c'est aussi la femme la plus exceptionnelle qu'il m'ait été donné de connaître.» Rouge de confusion, elle se dépêche de partir en marmonnant.

Ma mère, éducatrice à la CSDM, est au pays depuis environ vingt ans. Elle maîtrise parfaitement le français et est l'une des femmes les plus ouvertes d'esprit que je connaisse. Le «hic», c'est qu'elle porte le hijab, ce tissu qui effraie et répugne tant certains Québécois.

Ma mère n'est pas une extrémiste, loin de là. Son père, mon grand-père, lui a même souvent déconseillé le port du hijab; c'est elle qui a choisi de le porter. Elle ne m'a jamais obligée à porter le hijab, me le présentant comme un choix. C'est ainsi qu'elle nous a élevées, mes soeurs et moi. Elle nous a appris l'islam, nous l'a transmis du mieux qu'elle pouvait, mais nous a également inculqué des valeurs et des idées que le Québec lui a fait découvrir. Aujourd'hui, ma grande soeur est enseignante, passe son temps entre le Liban et le Québec et elle porte le hijab. Ma plus jeune soeur entre au secondaire l'an prochain et ne le porte toujours pas. Quant à moi, je suis étudiante au collégial, je porte le dernier mascara de L'Oréal et non le hijab. Nous sommes toutes quatre Québécoises, chacune à notre façon, mais nous sommes également des filles de l'islam.

J'ai grandi entourée de femmes portant le hijab; ma mère, mes tantes, mes cousines, mes amies. Aucune n'y a été contrainte. C'est un choix qu'elles ont fait. J'ai vécu et je vis encore parmi ces femmes; aucune d'entre elles n'est soumise. Elles ont, presque toutes, un diplôme en main et une carrière palpitante. Elles sont sociables, drôles, ont des amis et sortent souvent. Elles sont la règle générale, non l'exception. Le Québec a placé la liberté au centre de ses valeurs fondamentales et il a eu raison de le faire; c'est pourquoi, en bons Québécois, nous avons le droit et le devoir de prendre nos propres décisions, mais aussi de respecter celles d'autrui, tant qu'elles ne portent pas atteinte à l'ordre public. Le hijab n'est pas dangereux. Pas plus que la kippa des Juifs ou les quinze piercings de ma voisine.

Aucune d'entre nous n'est une étrangère. Le Québec fait partie de nous, du bout de nos orteils jusqu'aux épingles qui tiennent nos hijabs. Au bout de quelques semaines, ma tante finit souvent par s'exprimer: «Il est temps de rentrer à la maison.»

Le Québec, c'est mon pays, c'est celui de mes soeurs, de mes cousines et de mes amies. L'accent, on l'a. Les hivers rudes, on les a vécus. La Saint-Jean, on la fête. La liberté, on la chérit. Notre «chez nous», c'est ici. 


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Guy Delisle et Jean-Paul Eid : les

meilleurs pour les prix Bédéis

Fabien Deglise, Le Devoir (14-04-12)

Le jury a parlé. Le bédéiste Guy Delisle a été couronné hier soir à Québec par le prix Bédéis Causa du meilleur album de l'année en langue française publié à l'étranger pour ses Chroniques de Jérusalem (Delcourt), qui n'en finissent plus de récolter des prix.

Son homologue Jean-Paul Eid a obtenu la même récompense pour son album, publié au Québec dans son cas, Le fond du trou (La Pastèque). La cérémonie s'est tenue dans le cadre du Festival de la bande dessinée francophone de Québec. Dans la foulée, le jeune dessinateur Fred Jourdain s'est vu remettre lui aussi un prestigieux Bédéis Causa, celui de l'auteur s'étant le plus illustré avec son premier album professionnel. Son titre? Le dragon bleu (Alto), adaptation remarquable et remarquée en bande dessinée de la pièce de théâtre du même titre écrite par Robert Lepage et Marie Michaud.

Par ailleurs, le dessinateur américain Craig Thompson et la traduction en français de son Habibi (Casterman), une aventure onirique aux accents orientaux qui s'expose dans une brique de plus 600 pages, ont reçu le Prix coup de coeur du jury, alors que le magazine Safarir s'est vu remettre le prix hommage Albert-Chartier. Les organisateurs ont voulu souligner l'apport de cette revue dans la formation des talents en bande dessinée humoristique au Québec. Les prix Bédéis Causa sont remis annuellement depuis un quart de siècle maintenant dans le cadre du Festival de Québec dédié à la bande dessinée. L'événement s'est tenu dans la galerie du Palais Montcalm.


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Les nouveaux amis d'Ottawa

Agnès Gruda, La Presse (08-04-12) 

Le 4 mars dernier, la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, a assisté à un congrès de l'Association des prospecteurs et des promoteurs du Canada, qui regroupe la fine fleur de l'industrie d'extraction canadienne.

S'adressant aux congressistes, elle s'est réjouie de constater à quel point son ministère et les sociétés minières poursuivent, au fond, les mêmes objectifs. Les mines sont un «stimulant économique [...], une des pierres d'assise des civilisations» dans les pays dont elles creusent le sol, a-t-elle dit, en citant une publication du secteur minier.

Cette vision des choses correspond tellement à la sienne que Mme Oda a eu, dit-elle, l'impression de lire un magazine de coopération internationale. «Merci d'être devenus mes meilleurs nouveaux amis», a-t-elle lancé aux représentants des mines, avant de prendre congé.

Vraiment? Les mines forment la pierre d'assise des civilisations? Parlez-en aux Congolais, qui paient en guerres le prix du cobalt et du cuivre dont regorge leur sous-sol. 

Bon, d'accord. Les sociétés minières ne sont pas toutes des prédatrices sanguinaires. Mais leur présence est loin de faire fleurir automatiquement l'économie des pays dont elles exploitent les ressources. Et elles ont une fâcheuse tendance à générer des tensions là où elles passent.

Depuis quelques années, l'industrie minière tente de se montrer socialement plus responsable. C'est très bien. Mais son but premier, c'est encore de maximiser ses profits. Dans une démarche controversée, Mme Oda veut dorénavant associer l'ACDI à des projets de «responsabilisation sociale» des mines.

Le sujet reste ouvert au débat. Mais la déclaration d'amour de Bev Oda nous amène dans une autre dimension. Est-elle ministre de la Coopération internationale ou de l'Industrie minière? Pincez-moi, quelqu'un...

La ministre Oda a bien le droit de jouer avec de nouveaux amis. Mais regardons un peu ceux qu'elle laisse dorénavant poireauter au fond de la cour. L'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a remué ciel et terre pour pouvoir la rencontrer. Systématiquement, elle s'est fait dire non.

Le gouvernement conservateur, qui est en train de transformer radicalement l'aide internationale et les pratiques de l'ACDI, ne daigne même pas discuter avec ceux que cela concerne au premier chef. C'est la politique de la porte fermée.

Et s'il n'y avait que ça. Mais le virage dans l'aide internationale n'est qu'un signe d'un chambardement plus vaste, qui touche tout le rayonnement du Canada à l'étranger. Autre signe: la fermeture de Droits et Démocratie, qui a joué un rôle crucial dans de nombreux pays, comme en témoignent éloquemment les articles publiés dans ces pages.

Parallèlement, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, annonce la création d'un Bureau des libertés religieuses, dont on ne sait pas grand-chose sauf qu'il doit défendre les libertés religieuses là où elles sont menacées. Calqué sur un bureau semblable rattaché au secrétariat d'État américain, l'organisme a démarré dans la confusion. Dans ses premières rencontres avec des représentants religieux, le ministre a oublié d'inviter des leaders de quelques confessions importantes, dont... l'islam.

Le Bureau défendra-t-il toutes les religions opprimées? Ou seulement certaines? Le cafouillage de départ laisse planer un doute. Et puis pourquoi les droits religieux seraient-ils plus importants que tous les autres droits - avec lesquels ils entrent parfois en collision?

Autre nouveauté: le dernier budget fédéral accorde 5 millions de dollars à l'Agence du revenu du Canada pour surveiller les organisations caritatives et s'assurer qu'elles font la charité, pas de la politique. La loi leur permet de consacrer 10% de leurs ressources à des activités de «plaidoyer». Ce qui implique les discours critiquant, potentiellement, les décisions fédérales... Le gouvernement Harper veut s'assurer que cette limite soit bien respectée.

Résumons-nous. Ottawa semble décidé à ne plus «jouer» avec les ONG trop militantes à son goût. Il a fermé Droits et Démocratie, passé le budget de plusieurs organismes de coopération internationale à la tronçonneuse et laissé planer la menace sur plusieurs autres - tout en refusant de leur parler.

Parallèlement, les conservateurs «jouent» avec des sociétés minières, confondent coopération internationale et politique industrielle, et érigent les droits religieux au rang de droits plus importants que tous les autres.

Ouf. Et ce n'est qu'un début. 


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Le prix des lecteurs Radio-Canada 2012

Il pleuvait des oiseaux

de Jocelyne Saucier

Le Devoir (14-04-12)612-4

Depuis 12 ans, le Prix des lecteurs Radio-Canada invite à la lecture d'œuvres littéraires francophones pondues hors Québec. Les auteurs doivent avoir écrit ou être nés dans un des milieux francophones minoritaires du pays. Depuis le 10 mars dernier, huit lecteurs assidus deviennent jurés : ils doivent, sous la présidence d'honneur de Marie Laberge, lire les cinq romans et le recueil de nouvelles en lice, afin de décider lequel de ces livres sera cette année lauréat. Le nom du gagnant sera dévoilé le 17 avril prochain. Les finalistes sont Antonine Maillet avec L'albatros (Leméac), Marguerite Andersen pour La vie devant elles (Prise de parole), France Daigle avec Pour sûr (Boréal), Lise Gaboury-Diallo pour Les enfants de Tantale et Jocelyne Saucier pour Il pleuvait des oiseaux (XYZ).

Chaque semaine, Le Devoir présente dans son cahier Livres une des oeuvres en nomination. Cette semaine: Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier.

À 30 ans, après avoir été recherchiste et journaliste, après avoir économisé, Jocelyne Saucier part au Togo, avec sa fille de cinq ans et une machine à écrire, pour rencontrer son idée de l'écriture. «J'ai vite rencontré la romanterie de ce romantisme-là», a-t-elle déjà dit au Devoir. Depuis, un roman à la fois, elle construit, simplement, son petit bonhomme de chemin d'auteur. Ses livres sont souvent teintés d'une touche historique. Jeanne sur les routes traitait, par exemple, du passé communiste et désormais oublié de Rouyn-Noranda. Son quatrième livre, Il pleuvait des oiseaux, lui vaut un succès critique. Le livre permet à Saucier de devenir le premier auteur québécois à remporter le Prix des cinq continents de la Francophonie 2011. Il est également finaliste au Prix des collégiens 2012.

Conte de la forêt, fable de vieillesse, Il pleuvait des oiseaux tourne autour de vieillards, obstinés et reclus, qui vivent comme des ermites. Obsédée par la disparition, par la cassure qu'elle provoque dans le monde des vivants, Jocelyne Saucier aborde ici la vieillesse de plein front, avec sobriété, retenue et délicatesse.


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  Notes sur un boycott

Lysiane Gagnon, La Presse (17-04-12) 

Une lectrice avisée me refile une idée qui pourrait ajouter un peu d'huile dans l'engrenage enrayé du conflit sur les droits de scolarité et peut-être aussi s'avérer bénéfique, académiquement parlant.

Le gouvernement, dit-elle, a déjà consenti des améliorations substantielles au système des prêts. Pourquoi ne pas faire un pas de plus, et transformer en bourses les prêts consentis aux étudiants qui auraient terminé leurs études universitaires dans le temps prévu, et ce, avec une moyenne de notes considérée comme acceptable (disons un peu au-dessus de la moyenne)?

Pour les contribuables, le coût d'une pareille mesure serait minime, puisque les étudiants seraient encouragés à se concentrer sur leurs études, et arriveraient plus tôt sur le marché du travail. Cela représenterait des économies pour les universités, et des gains pour l'impôt.

Notre correspondante met ici le doigt sur un problème qui affecte l'enseignement supérieur au Québec: trop d'étudiants mettent trop de temps à terminer leurs études, souvent parce qu'ils ont des emplois. Cela nuit à la qualité du travail académique. La perspective de ne pas avoir de dettes à la sortie de l'université pourrait les encourager à étudier à plein temps et à finir leurs cours dans des délais normaux. 

L'université gratuite

Inutile de commenter l'idée farfelue de la CLASSE, qui réclame la gratuité totale des études universitaires et ce, même pour les étudiants étrangers!

Parlons quand même deux minutes du modèle français, où l'université est gratuite. Comment se fait-il que 6400 étudiants français ont choisi cette année de s'inscrire dans nos universités «payantes» alors qu'ils n'auraient pas un euro à débourser en étudiant chez eux?

L'une des raisons, c'est que les universités, en France, sont en général de niveau médiocre: classes surchargées, professeurs débordés et excédés (la plupart n'ont même pas un bureau à leur disposition). L'État français privilégie les Grandes Écoles, ces institutions où la clientèle est sélectionnée et qui forment à grands frais les élites du pays. Les universités, ouvertes à tous, sont les parents pauvres du système... et sans l'apport financier des parents et des étudiants, elles sont condamnées à se contenter de subventions gouvernementales qui ne répondent pas aux besoins.

Ah! Mais il y a aussi la Scandinavie, direz-vous, où les universités n'ont pas à rivaliser avec les Grandes Écoles. Eh oui! Il y a par exemple la Norvège, où l'université est gratuite... mais en échange, les étudiants doivent effectuer un an de service militaire non rémunéré. C'est ainsi que la société se rembourse.

Alors, les enfants? 325$ de plus par année, ou un an de service militaire non rémunéré?

Le modèle chinois

Dans la Chine (encore) communiste, toutes les écoles publiques, y compris les écoles primaires et secondaires, imposent des frais aux familles, au point où les dépenses, pour l'éducation d'un enfant, peuvent représenter jusqu'au tiers du budget familial.

L'accès à l'école coûte en moyenne 3522 yuans (440$ US), et l'accès au collège, 5000 yuans (625$ US). Les écoles rurales sont moins chères, mais comme les familles rurales sont beaucoup plus pauvres, la proportion du budget familial dévolu par l'école est bien plus élevée.

En moyenne, une famille en région rurale gagne 3204 yuans par année. Faites le calcul, il va de soi que non seulement les parents, mais aussi les grands-parents doivent se saigner à blanc pour faire instruire les enfants.

Or, et voici l'élément le plus intéressant du modèle chinois, les familles chinoises acceptent volontiers de payer pour faire instruire leurs enfants. Pourquoi? Parce que pour eux, l'éducation n'est pas un droit, c'est un très grand privilège. 


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 Grève étudiante : au-delà des sous

Diane Lamoureux, Le Devoir (04-04-12)

Le mouvement de grève étudiante qui a démarré sur un refus de la hausse des droits de scolarité autour du slogan «bloquons la hausse» a pris une coloration différente de celle qu'il avait au départ du fait de l'intransigeance du gouvernement et des effets politisants de l'action politique elle-même.

Certes, la hausse des droits de scolarité n'est pas un prétexte. Comme se plaît à le rappeler la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, c'est avec une rare unanimité que la FECQ, la FEUQ et la CLASSE ont refusé de participer à des consultations bidon où il n'était pas question de remettre en cause la hausse, seulement d'en discuter les modalités d'application. En réitérant leur refus lors de la manifestation de novembre 2011, puis en déclenchant un mouvement de grève à partir de la mi-février, les étudiants ont clairement indiqué qu'ils refusaient la hausse des droits de scolarité.

Le mouvement de grève a d'ailleurs (presque) débuté avec une action de solidarité entre les étudiants et la Coalition contre la hausse des tarifs afin de bloquer la tour de la Bourse, le 16 février. Contrairement à ce qu'affirme le gouvernement, le mouvement étudiant, en se solidarisant avec les groupes communautaires, féministes et syndicaux qui s'opposent notamment à la «taxe santé» uniforme et à la hausse des tarifs d'électricité, voulait montrer qu'il n'entendait pas défendre de supposés privilèges, mais s'opposer à une mesure sectorielle (la hausse des droits de scolarité) qui s'inscrit dans un mouvement plus large de démantèlement de la nature publique des services gouvernementaux et de tarification de ceux-ci selon le principe de «l'utilisateur-payeur».

Depuis le début de cette vague de mobilisation étudiante, on peut voir un déplacement des enjeux: on reparle maintenant de plus en plus ouvertement de gratuité scolaire et on dénonce les gabegies administratives des directions universitaires, plus préoccupées de béton et de compétitivité (surtout celle de leurs salaires) que de formation intellectuelle. Plus encore, en défendant le droit à l'éducation, les étudiants et ceux qui les appuient fraient la voie à une autre conception de l'éducation et de la société que celle qui prévaut actuellement, un peu plus près de celle que défendait Condorcet lors de la Révolution française.

On aurait tort d'attribuer une telle transformation au caractère fallacieux de la revendication initiale ou à la fourberie de certains leaders étudiants. C'est plutôt l'oeuvre du caractère politisant de la lutte. Si plusieurs avaient des espoirs en déclenchant le mouvement, personne ne pouvait prédire le cours qu'il prendrait et la formidable leçon de science politique qu'en tireront ses participants. En agissant collectivement, en inventant des slogans, en prenant le temps de discuter, en arpentant les rues des villes pour faire autre chose que se déplacer, en profitant du soleil de ce printemps inespéré, les militantes et les militants donnent chair à ces valeurs fondamentales des sociétés démocratiques que sont l'égalité, la liberté et la solidarité.

Face au tournant néolibéral accentué dans les politiques québécoises depuis le fameux «déficit zéro» de Lucien Bouchard et réitéré par les gouvernements successifs à Québec (et à Ottawa), la grève étudiante rappelle que l'éducation n'est pas une marchandise que l'on débite à la pièce selon la capacité de payer du «client» et que l'on choisit en fonction de sa rentabilité supposée. Elle souligne également que l'université n'est pas une entreprise dont la gestion relève de son seul conseil d'administration.

Dans ce sens, on peut situer le mouvement étudiant actuel dans la foulée du printemps arabe revendiquant la démocratie, dans la logique du mouvement des indignés de Madrid ou d'Athènes contre la «discipline budgétaire», ou dans celle du mouvement Occupy, dénonçant l'accroissement des inégalités sociales. D'abord l'expression du refus d'une supposée fatalité (tous les prix augmentent, pourquoi pas les droits de scolarité?). Ensuite une formidable expérience qui fera sentir ses effets à long terme: la recherche, non sans quelques tâtonnements (c'est si certains plaquaient une solution toute faite sur le mouvement qu'il faudrait s'inquiéter, pas vis-à-vis de ses hésitations) d'un autre monde plus juste et plus démocratique. Dans ces conditions, l'intransigeance du gouvernement a permis au mouvement de se déployer et de se radicaliser.

Quand un gouvernement n'a que la police à offrir à sa jeunesse en colère, il y a lieu de s'inquiéter. Pas tant pour la jeunesse que pour le gouvernement...

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Diane Lamoureux - Professeure au Département de science politique de l'Université Laval


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Hommage au papier

Fabien Deglise, Le Devoir (17-04-12)

À force d'avoir le nez collé dessus, il avait fini par oublier son importance. Mais le présent et les gros sabots de la révolution numérique en marche sont venus changer sa perception.

L'écrivain français Érik Orsenna, auteur institutionnel membre «de l'Académie française», comme il aime l'exposer avec ostentation sur la page couverture de ses livres, a décidé dans sa dernière création littéraire, Sur la route du papier (Stock), de rendre un hommage entier et vibrant à cette noble matière sur le dos de laquelle il tente «depuis près de soixante ans [...], pas à pas et gomme aidant, de faire avancer [ses] histoires». Un hommage en forme de tour du monde. Inspirant et dépaysant.

Le papier est fragile. Il est aussi menacé. Et pour ces deux raisons, Orsenna a voulu aujourd'hui faire ce qu'il a toujours oublié de faire: le remercier pour services rendus, avant que...

Son projet ambitieux se répand sur plus de 300 pages qui transportent le lecteur — et son équivalent féminin — en Chine, au Japon, en Turquie, au Congo, au Brésil, en Russie et même, attachez vos tuques, à Montréal, à Trois-Rivières et à La Tuque, justement, où la «soupe de fibres qu'on étale puis qu'on assèche» est ainsi célébrée par l'homme de lettres.

«Je savais le papier nécessaire, écrit-il en conclusion de son livre. J'ignorais l'étendue des services qu'il rend à la connaissance, à la création, à la mémoire, à la confiance, à la santé, au commerce.» Joli.

La balade est bien sûr instructive. Elle permet de plonger dans les origines du papier, mis au monde quelque part au nord de l'empire du Milieu un siècle et demi avant Jésus-Christ, mais aussi de découvrir que les musulmans, en se l'appropriant, ont transformé ce support en «oeuvre du diable» que les chrétiens ne voulaient surtout pas utiliser. «En 1221, un décret de l'empereur Frédéric interdit l'emploi de la substance impie pour tous les actes administratifs», expose Orsenna.

Troisième volume de la collection «Petit précis de la mondialisation» composée jusqu'à maintenant d'Un voyage aux pays du coton et de L'Avenir de l'eau, publiés dans les dernières années, cet hommage au papier remet également les pendules à l'heure quant à sa mort annoncée: le marché de cette matière, portée par le Brésil, l'Indonésie, le Chili et bien sûr l'Amérique du Nord, rappelle le célébrant globe-trotter, ne va pas si mal que ça dans son ensemble, et particulièrement dans les secteurs du papier d'emballage et du papier hygiénique, deux composantes que la troisième, celle du papier pour l'édition, aime généralement ignorer. Sans doute pour mieux se morfondre sur son sort.

Ce voyage sur la route du papier donne l'occasion à l'Immortel — c'est comme ça qu'on nomme les membres de l'Académie française — d'exposer une nouvelle fois les clichés habituels à l'endroit du Québec sur quatre paragraphes qui contiennent leur dose de grands espaces, de draveurs, de Félix Leclerc et de quelques mots posés sur papier qui font terriblement sourire.

Pérégrinations en territoire québécois

On en fait passer une poignée, d'une soupe de fibre asséchée à une autre: «À Boréalis, tout nouveau tout beau musée du papier» de Trois-Rivières, écrit-il, un choc vous attend, «le regard de Valérie Bourgeois, la jolie directrice: il est du même bleu clair que celui des chiens de traîneau huskies». La belle a certainement dû aimer se reconnaître sur le grain du papier.

De ses pérégrinations en territoire québécois, l'homme va ramener également deux découvertes. La première: c'est de La Tuque que provient l'ensemble des bâtonnets de bois tenant les crèmes glacées Häagen-Dazs. Oui, oui! «Savez-vous qu'ils ne sont faits que de bouleau?» La deuxième: le Québec pourrait être un acteur important dans la course à l'espace par l'entremise d'un câble et d'un ascenseur accroché après.

Explications? L'idée a l'air un peu folle, mais elle est sérieusement dans l'air. Le hic, c'est que ce câble devra être très long et le carbone, assez solide pour assurer sa construction, ce qui en fait un projet trop cher pour être viable. Et «c'est là qu'intervient la nanocellulose», expose Orsenna après avoir rencontré un spécialiste du bois à Trois-Rivières. Cette nanocomposante issue de la pâte du bois et dont la production a commencé au début de l'année annonce en effet, en raison de son étonnante résistance, un avenir meilleur tant dans les secteurs de la peinture et des textiles que dans ceux de l'automobile et de l'aérospatiale.

Du coup, elle trouve aussi sa place sur le papier de ce livre, papier «sur lequel les écrivains racontent et s'épanchent» et qui n'est pas près de disparaître puisqu'il semble finalement vouloir «prouver» chaque jour, dans la mutation en cours, «sa capacité propre à raconter des histoires».


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Office national du film

Série noire?

Grégoire Holtz, Le Devoir (13-04-12) 

Annoncée en catimini le 4 avril dernier, la fermeture progressive du studio de production de l'Office national du film (ONF), situé rue John à Toronto et consacré aux documentaires de l'Ontario et du reste du Canada, est passée quasiment inaperçue. Certes, on vous dira, il n'y a pas fermeture du studio lui-même, mais «simplement» licenciement de ses deux principaux cadres (productrice et administratrice)! Je ne commenterai pas l'hypocrisie de cette annonce qui consisterait à faire croire que ce lieu pourrait continuer à exister sans aucune direction.

Je préfère dire à quel point une telle décision relève de l'assassinat culturel et linguistique. C'est en effet tuer toute une tradition de documentaires francophones qui, de l'Ontario jusqu'à la Colombie-Britannique, s'est développée avec succès, assurant un rôle essentiel dans la vie des communautés.

Comment faire savoir que cette décision est liberticide? Faut-il utiliser l'argument de la discrimination dont sont à présent victimes les francophones hors Québec, une population qui est loin d'être enterrée, mais qu'on prive de ses moyens d'expression? Faut-il utiliser l'argument fiscal? En effet, une telle coupe budgétaire revient de facto à confisquer l'institution fédérale de l'ONF au profit des seules régions qui, elles, vont continuer à produire des documentaires, alors que c'est l'ensemble de la population canadienne qui les finance.

Le scandale de la nouvelle situation saute aux yeux. À cause de cette compression, l'ONF perd sa légitimité et sa raison d'être, alors qu'elle est une institution unique en son genre et mondialement respectée pour l'excellence de ses productions. La disparition du Studio ONF de Toronto serait une honte pour le Canada: la myopie d'une politique budgétaire à court terme viendrait ruiner un investissement à plus long terme et couperait les racines mêmes par lesquelles les communautés francophones inscrivent et perpétuent la mémoire filmée de leur histoire.

Je veux rappeler à quel point la production du cinéma documentaire assure une fonction centrale dans la francophonie, elle est oeuvre et lieu de mémoire. Elle sert autant aux jeunes générations qui s'emparent de ce média pour dire leurs questionnements (voir les séries Web documentaires Engage-toi et Tondoc) qu'aux générations plus anciennes, qui peuvent se retrouver dans des films aussi beaux et singuliers que Le secret d'un moine, Enfants de l'armée ou encore Entre les lignes.

En plus de mon goût personnel, je défends professionnellement, en tant qu'enseignant, l'existence de documentaires francophones représentant la diversité du Canada. Les films du Studio de l'ONF constituent d'abord pour moi un matériel pédagogique. J'enseigne à l'université et je fais fréquemment référence dans mes cours aux documentaires produits par le Studio de l'ONF. Auprès des étudiants, je suis fier de leur parler des films classiques de Brault et de Perrault, mais j'aime aussi leur montrer des extraits de la production locale de l'ONF. J'invite les étudiants à se rendre sur place à la Médiathèque ONF, à consulter des films et à s'intéresser à cet aspect dynamique et stimulant de la vie culturelle en français.

Mais les films du Studio de l'ONF sont bien plus qu'un matériel pédagogique: ils sont une partie de la mémoire vivante de la francophonie... laquelle, faut-il le rappeler, ne se réduira jamais aux frontières administratives d'une seule province. La spécificité du média documentaire doit à cet égard être soulignée: il autorise un regard autre sur le monde, il enregistre la mémoire de destinées ou d'objets qui sont parfois sur le point d'être engloutis et surtout, le documentaire recrée un monde, il jouit d'une dignité esthétique qui vise tant à émerveiller qu'à faire réfléchir. Mieux, il suscite des débats, renvoie à la société qui se construit le miroir de ses réussites et de ses doutes.

Parce que le documentaire est un média inscrit au coeur de notre culture, il est urgent de le défendre. Parce qu'il est au service des minorités francophones, il est encore plus urgent de le sauver et de mettre fin à cette série noire.

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Grégoire Holtz - Professeur de littérature au Département d'Études françaises de l'Université de Toronto


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Quand la santé de nos jeunes nous tient à coeur

 

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La stratégie antidialogique

Jonathan Cloutier, Le Devoir (17-04-12) 

En 1969, Paulo Freire, pédagogue brésilien, commence l'écriture de Pédagogie des opprimés, un livre dans lequel se construit une vision de l'éducation se voulant être humaniste et libératrice. Il y rapporte les paroles d'un homme politique anglais s'opposant à un projet de loi anglais de 1807 proposant la mise en place d'écoles subventionnées. «Tout bénéfique que puisse être, en théorie, le projet de donner une éducation aux travailleurs des classes pauvres, il serait préjudiciable pour leur moral et leur bonheur. Il leur apprendrait à mépriser leur tâche dans la société, au lieu de faire d'eux de bons serviteurs pour l'agriculture et d'autres emplois. [...] Il les rendrait insolents envers leurs supérieurs et, en peu d'années, le législateur serait contraint de lever sur eux le bras fort du pouvoir.» (Freire, 1980, p. 124).

Ce discours, qui est celui de l'élite au pouvoir, renvoie à une réalité qui échappe en partie à la société québécoise. Aucun barbelé, comme c'est le cas à Recife, ne sépare les quartiers pauvres des quartiers cossus au Québec, bien qu'ici même à Montréal, un mur de la honte sépare les quartiers de Mont-Royal et de Parc-Extension. Toutefois, un certain nombre de parallèles pertinents peuvent être faits entre la pensée de Freire et la situation actuelle concernant la hausse des droits de scolarité, et plus précisément, le mutisme du gouvernement, son antidialogue.

La théorie de l'action antidialogique présuppose qu'un pouvoir utilise diverses stratégies afin de préserver l'aliénation des masses, laquelle est garante de la préservation de leurs intérêts. Ses stratégies antidialogiques sont au nombre de quatre: la conquête, la manipulation, la division et l'invasion culturelle.

La conquête se résume à prendre l'ascendance sur la masse en inculquant des mythes par le biais de «l'éducation par dépôt». Le gouvernement du Québec a souvent recours à ces mythes par le discours interposé de ses ministres: «le mythe de l'éducation pour tous», «le mythe de la propriété privée comme fondement de la personne humaine» (Freire, 1980, p. 132).

La division, quant à elle, est moins subtile. La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a ouvertement usé de cette stratégie lors de son allocution de dimanche lorsqu'elle a «promu» au sein de son gouvernement la FEUQ pour laisser de côté la CLASSE. Freire présente la division comme suit: «La nécessité de diviser pour pouvoir maintenir l'état d'oppression se manifeste dans tous les actes de la classe dominante. Les interférences dans les syndicats, en faveur de certains représentants de la classe dominée qui, en réalité, sont des représentants de la classe dominatrice et non ceux de leurs compagnons; la promotion d'individus qui, faisant preuve d'une certaine capacité de leaders, pouvaient signifier une menace, et qui, une fois promus, deviennent souples; la distribution de subsides pour les uns, et la dureté pour les autres, toutes façons de diviser pour maintenir l'ordre à tout prix.»

La manipulation vise à appâter le non-informé, et à l'éloigner de la réelle situation dans laquelle il se trouve pour inculquer chez lui «l'appétit bourgeois de la réussite individuelle». Il s'agit là de la reprise des mythes mis de l'avant dans la stratégie de conquête.

Et il y a l'invasion culturelle, l'ultime stratégie antidialogique visant à convaincre les masses de leur infériorité intrinsèque. «À mesure que la conscientisation, dans et par la révolution culturelle, gagne en profondeur, dans la praxis créatrice de la société nouvelle, les hommes découvrent les raisons des survivances mythiques qui sont, en réalité, des thèmes forgés au temps de l'ancienne société.»

Le gouvernement libéral, depuis toujours, utilise ces différentes stratégies à la fois sur ce que l'on se plaît maintenant à appeler l'opinion publique et sur les groupes distincts, tels que les travailleurs, les étudiants, les familles, etc. C'est au nom du dialogue qu'il les utilise, se gardant bien de les rendre explicites.

Force est de constater qu'il s'agit d'un antidialogue, d'un dialogue dirigé n'opposant pas deux sujets, mais plutôt un sujet et un objet. Considérant que l'action antidialogique est pernicieuse, et qu'elle a toujours été l'apanage des minorités oppressantes, des régimes totalitaires, Mme Beauchamp devrait peser ses mots lorsqu'elle utilise les mots «dialogue» et ma «porte est toujours ouverte», car le peuple s'est maintenant débarrassé de ses oeillères, et la coopération, l'union et l'organisation apparaissent dorénavant comme les remplaçants de la conquête, de la division et de la manipulation.

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Jonathan Cloutier, Enseignant en univers social au secondaire à sa dernière année de formation à l'Université de Montréal


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 La ministre fait fausse route

Lise Payette, Le Devoir (13-04-12)

La réponse est venue, claire et nette, de Guy Rocher. La hausse des droits de scolarité, imposée par le gouvernement Charest, ne serait acceptable que pour les étudiants issus de milieux aisés. Tous les autres qui risquent de s'endetter encore davantage pour mener à terme des études qu'ils auront choisies, seraient placés devant des choix difficiles qui représentent une injustice dans notre société. Moi, je vote Guy Rocher.

La ministre s'est peinturée dans le coin, c'est évident. Dans son désir de servir son maître Jean Charest, elle a négligé de mesurer la réaction du milieu étudiant dont on affirme trop souvent qu'il ne peut pas réfléchir par ses propres moyens. Depuis le temps que les politiciens ont tendance à dire que les jeunes ne s'intéressent à rien, qu'ils ne sont pas des citoyens à part entière et que les problèmes de la société dans laquelle ils vivent les laissent complètement indifférents, depuis le temps qu'on les traite comme des bébés la la, la surprise, forcément, a dû être grande devant leur cohérence et leur combativité. 200 000 étudiants dans la rue pour une autre raison que faire le party, ça surprend.

La ministre a pensé qu'il suffirait de dire que la décision était prise et qu'il n'était pas question de reculer pour que ces petits tannants rentrent tranquillement dans les salles de cours. Elle n'avait certainement pas prévu qu'ils lui tiendraient tête pendant neuf semaines sans se démobiliser et sans vraiment dépasser les bornes. Ils ont même réussi par leur comportement à emporter l'adhésion de plusieurs professeurs et surtout de beaucoup de parents qui sont fiers de leurs enfants comme ils ne l'ont pas été depuis longtemps. La ministre est complètement déroutée.

Surtout qu'il n'est pas très évident que le choix qu'elle défend est vraiment le sien. La présence du «souriant» ministre des Finances à ses côtés, au moment d'annoncer que le gouvernement avait choisi de permettre l'augmentation de la dette des étudiants en difficulté comme seule solution à la crise, donnait à penser qu'elle ne voulait plus porter le dossier toute seule, ce qu'elle a beaucoup fait il faut bien le reconnaître. Le premier ministre, qui devrait lui apporter tout son soutien dans l'épreuve de force qu'elle vit, préfère jouer le peddler du Plan Nord en pays étranger pendant ce temps. Si ce que répète la ministre ressemble à une cassette, apprise par coeur et sans possibilité de changer un seul mot, c'est peut-être bien parce que c'en est une.

Guy Rocher affirme que la lutte des étudiants est juste. Il a raison. Si bien qu'il n'y a qu'une solution, c'est de remettre toute la question sur la table et de négocier de bonne foi pour trouver une solution. Il paraît évident qu'il faudra en arriver à la gratuité scolaire, qui va dans le sens de tout ce que le Québec a choisi de développer depuis 1960. Comment le faire, comment y arriver et dans quels délais sont les questions auxquelles il faut trouver des réponses. Le blocage des dernières semaines aura au moins servi à ça.

Le ministre des Finances va refaire ses devoirs, car il semble avoir oublié qu'il n'occupe le poste qu'il occupe que par la volonté de la population qui reste son seul vrai patron durant son passage en politique. Même chose pour la ministre de l'Éducation. Le problème, c'est que quand on reste trop longtemps au pouvoir, on finit par penser qu'on est propriétaire du gouvernement. C'est une grave erreur.

Je n'arrive pas à me mettre dans la tête que nous allons payer collectivement pour enseigner l'anglais à des francophones au Québec, pour construire un aréna pour accueillir un éventuel club de hockey ou pire, pour asphalter les routes vers les mines du Plan Nord, des routes qui serviront à des compagnies minières à s'enrichir généreusement, et que nous ne pourrions pas instruire tous nos enfants en investissant dans leurs cerveaux dont nous risquons d'avoir bien plus besoin que de tout le reste. Il est temps de nous poser les bonnes questions.

Le sujet n'est pas banal. C'est de l'avenir de nos enfants dont il est question. Et c'est aussi de l'avenir de notre société dont nous parlons. Il faut nous montrer exigeants, car la survie de ce peuple parlant français en Amérique du Nord n'est pas garantie. Ce que nous bâtissons depuis 1960, ce sont des outils de développement essentiels à notre apport au monde d'aujourd'hui. Notre démarche est d'autant plus valable qu'elle ne suit pas de modèle établi ailleurs et que nous restons maîtres de faire des choix qui sont authentiquement les nôtres.

Je salue cette jeunesse marchant dans les rues à la recherche de réponses aux questions qu'elle se pose. Sa quête d'identité me rassure tout à fait.


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 Le suicide d'un collègue

 Nathalie Côté, Le Devoir (18-04-12)

 Montréal) Environ 10 000 personnes de 500 milieux de travail seraient touchées par le suicide d'un collègue chaque année au Québec selon les estimations d'experts dans le domaine. Un drame qui secoue l'organisation souvent bien démunie pour affronter la situation.

«La première chose à faire, c'est de ne pas essayer de le cacher», conseille Bruno Marchand, directeur général de l'Association québécoise de prévention du suicide. Si l'on tente de camoufler le geste, il est alors bien difficile d'offrir l'aide appropriée aux personnes qui pourraient en avoir besoin. L'entreprise devrait aussi communiquer avec un organisme spécialisé.

Annoncer un suicide demeure néanmoins un geste délicat. «C'est du cas par cas. Certaines entreprises ont déjà des procédures pour annoncer un décès, d'autres pas. On privilégie une annonce courte. On devrait permettre aux employés d'en discuter de manière informelle et leur dire qu'il n'est pas prévu qu'ils retournent travailler tout de suite. Il faut leur laisser le temps d'absorber la nouvelle», indique Philippe Angers, coordonnateur clinique chez Suicide Action Montréal. Ensuite, l'employeur devrait parler de la réaction des travailleurs à un spécialiste d'un organisme de prévention du suicide afin d'analyser la situation et d'évaluer les mesures à mettre en place.

La réaction des gens peut être très variable selon leur lien avec la personne décédée, leur histoire personnelle et le fait qu'ils en aient été témoins, si le geste a été fait sur les lieux de travail, par exemple. Le soutien offert doit être adapté. Le but premier est d'éviter l'«effet de contagion». «En milieu scolaire, on évalue que le risque qu'une personne se donne la mort grimpe de 300% dans les trois semaines suivant un suicide. C'est aussi vrai en milieu de travail», indique M. Marchand. D'où l'importance d'une intervention efficace. 

La prévention

Dans certains milieux de travail, des «sentinelles» sont formées pour détecter les signes de détresse et diriger leurs collègues vers des ressources spécialisées. D'autres ont des programmes d'aide aux employés. Plusieurs n'offrent rien du tout.

Le Service de police de la Ville de Montréal, lui, est allé plus loin. Tous les policiers ont reçu une formation pour détecter la détresse chez les collègues, déboulonner certains mythes et lever certains tabous. Une formation spécifique a aussi été offerte aux superviseurs et aux représentants syndicaux. Une ligne téléphonique où travaillent des policiers-ressources a été mise en place ainsi qu'une campagne de sensibilisation. Entre 1997 et 2008, on a dénombré 4 suicides contre 14 au cours des 10 années précédentes. Dans les autres corps policiers de la province, on enregistrait plutôt une hausse de 11%. Depuis, la GRC a mis en place un programme semblable. Des services de police à Paris et en Jamaïque s'en sont aussi inspirés.

Selon Normand Martin, psychologue au SPVM, la clé du succès repose sur une analyse «des cordes sensibles» du milieu, sur le lien de confiance envers le service d'aide ainsi que sur le fait que le programme soit né d'une volonté commune du syndicat et du patronat.

Ce type de programme est toutefois très rare. «En général, les entreprises réagissent quand elles perdent un ou quelques employés par suicide. Là, elles prennent des mesures, mais malheureusement, elles sont souvent sporadiques ou isolées», déplore M. Marchand.

Les suicides d'aînés sont rares au Québec

Québec — Le taux de suicide chez les personnes âgées au Québec est l’un des plus bas dans le monde. Et il est en baisse chez les 65 ans et plus.

Le taux de suicide «diminue avec l’âge» alors que dans d’autres pays, comme les États-Unis, il a plutôt tendance à augmenter, explique Gilles Légaré, épidémiologiste à l’Institut national de santé publique (INSPQ).

Avec le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas, il fait partie des endroits dans le monde où le taux est le plus bas. La Hongrie est le pays où cette proportion est la plus élevée. Depuis 2006, une moyenne de 136 personnes âgées met fin à ses jours chaque année au Québec.

D’emblée, seulement 1,3 % des 65 ans et plus ont déjà eu des «idées suicidaires sérieuses», le taux le plus bas de tous les groupes d’âge.

Ces constats encourageants ont paradoxalement été présentés lors d’une journée de réflexion sur la prévention du suicide chez les aînés. Organisé par l’Association québécoise de prévention en suicide et le ministère de la Famille et des Aînés, l’événement entame une tournée des régions pour faire le tour de la question.

Pour expliquer cette spécificité québécoise, M. Légaré mentionne la persistance de la pratique religieuse, qui peut selon lui être un «facteur de protection». Elle jouerait un rôle, non pas grâce à la religion en tant que telle, mais pour «les contacts réguliers» qu’elle favorise.

Les données présentées hier tranchent avec certains portraits plus alarmistes de la situation des aînés. L’Association québécoise des retraités du secteur public (AQRP), notamment, a fait une sortie en février pour souligner que, chez les 50 ans et plus, un suicide sur trois au Canada avait lieu au Québec.

Hier, M. Légaré a martelé qu’il fallait distinguer le taux de suicide du nombre de cas. Le nombre, dit-il, est destiné à augmenter en raison du vieillissement de la population. «La population âgée s’est multipliée par deux tandis que le taux de suicide a augmenté seulement de 10 %.»

C’est au sein du groupe des 40-49 ans qu’on recense le plus de cas de suicides au Québec. Et dans l’ensemble des groupes d’âge, les cas de suicide chez les hommes sont trois fois plus nombreux que chez les femmes.  


 

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 Ce mépris qui m'attriste

Josianne Millette, Le Devoir (16-04-12)

J'avais prévu écrire sur la débilité sociale à laquelle mène une démocratie qui vide l'idée de dialogue de son sens et n'envisage plus ses débats de société que sous le mode des campagnes de communication, des relations publiques, des sondages et de la couverture médiatique. Je pensais souligner le danger qu'il y a à laisser le pouvoir délégitimer une opposition politique par le biais de basses stratégies visant essentiellement à gratter les cordes sensibles plutôt qu'à répondre à des arguments, à s'adresser aux citoyens en tant que personnes intelligentes et non comme à une opinion publique à séduire.

Mais je m'aperçois, à travers mon désir de partager ces considérations, que ce qui me révolte, ce qui me peine le plus, c'est le mépris.

Celui, d'abord, du gouvernement, qui refuse de reconnaître la diversité des points de vue sur la question de l'éducation et minimise avec condescendance le mécontentement qui se fait entendre depuis maintenant des mois. Qui refuse de prendre en compte les arguments qui déferlent chaque jour pour montrer que le modèle de financement de l'éducation supérieure qu'il propose n'est ni le seul envisageable, ni même souhaitable.

Mais le mépris qui m'attriste le plus, c'est celui que m'adresse ma société en tant que chercheuse et en tant qu'étudiante lorsque, à longueur de commentaires et d'éditoriaux, on me traite d'enfant gâtée, de pelleteuse de nuages, de maudite intellectuelle.

Pourtant, comme la plupart de mes collègues, je travaille d'arrache-pied, souvent sans compter mes heures, parce que j'ai voulu mettre mon talent pour la recherche et mon savoir-faire au service de ma communauté. Comme plusieurs autres, j'ai ramé pendant des années et je me suis lourdement endettée pour poursuivre des études qui me permettraient de participer à l'amélioration de ma société et à la diversité des idées qui y circulent.

Comme plusieurs de mes confrères et consoeurs, je travaille sous pression et l'angoisse de la performance au ventre, souvent six jours sur sept, pour tenter de me faire une place dans un monde universitaire hautement compétitif et parce que je me sens une responsabilité envers le financement public que je reçois pour mes travaux. Malgré cela, on me reproche de «vouloir avoir tout cuit dans le bec» et de cultiver une «culture du moindre effort», et ce, parce que j'ose croire possible que quiconque a le talent et le désir de poursuivre des études puisse le faire sans égard à sa situation financière. Parce que je trouve injuste que les plus pauvres ne puissent accéder au principal levier de mobilité sociale qu'au prix d'un lourd endettement, on m'infantilise, on dénigre ma parole, mon travail, mon groupe social.

Dans ma famille, ma génération est la première à accéder aux études supérieures, et mes proches en sont fiers. Je n'ose pas leur dire que, quand je lis le mépris placardé dans certains journaux envers les universitaires et les intellectuels en général, il m'arrive de me décourager et de me demander simplement: à quoi bon? À quoi bon vouloir me consacrer à la recherche et à l'enseignement si en retour, ma société crache sur ce que je peux lui apporter? À quoi bon tous mes efforts, si ma société dénigre le rôle que peut jouer l'éducation dans l'amélioration des conditions de vie de l'ensemble de la population?

Suis-je donc si naïve d'avoir cru ceux et celles qui m'ont inspirée, qui m'ont convaincue que j'avais une place dans cette société et qu'en travaillant à comprendre le monde, je pourrais contribuer à l'améliorer, me sentir utile... faire ma part?

***

Josianne Millette - Étudiante au doctorat conjoint en communication de l'UQAM
 


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  Le pape a plaidé le changement à

Cuba auprès de Raul et

Fidel Castro

Benoît XVI n'a pas rencontré de dissidents au cours

de sa visite de deux jours sur l'île612-6

 Le Monde (30-03-12)

 Pas un chant, quasiment aucun cri, de maigres applaudissements. Une foule, sage et étrangement silencieuse, a assisté, mercredi 28 mars, à la dernière messe du pape Benoît XVI à Cuba, au cours de laquelle il a à nouveau plaidé pour des "changements" sur l'île.

En dépit des consignes vaticanes qui déconseillent désormais la présence de drapeaux nationaux lors des messes papales, quelques emblèmes bleu-blanc-rouge frappés de l'étoile blanche flottaient sur la place de la Révolution à La Havane, bordée des silhouettes géantes du Che Guevara et de Fidel Castro. Les 200 à 300 milliers de personnes présentes se sont à peine départies de leur retenue au passage de la papamobile, qui suscite habituellement des scènes de joie collective.

Dans cette curieuse ambiance, le pape a achevé sa visite de quarante-huit heures sur l'île communiste en plaidant pour "les libertés fondamentales", dont la liberté religieuse, pour la société cubaine. 

"Cuba et le monde ont besoin de changements", a lancé le pape dans une version renouvelée du message historique de Jean Paul II, qui, en 1998, avait espéré que "Cuba s'ouvre au monde et [que] le monde s'ouvre à Cuba". Benoît XVI s'exprimait devant Raul Castro, le dirigeant du pays, qui assistait à sa deuxième messe en deux jours. Au même moment, selon Catholic News Service, le régime interpellait deux Dames en blanc, des femmes qui luttent pour la libération de leurs proches. 

RENCONTRE HISTORIQUE AVEC FIDEL CASTRO 

Officiellement, ces sujets n'ont pas été abordés lors de la rencontre historique entre Benoît XVI et Fidel Castro, qu'il a reçu à la nonciature de La Havane. L'ancien dirigeant cubain avait rencontré Jean Paul II à deux reprises. Selon le porte-parole du Vatican, Fidel Castro a posé de nombreuses questions au pape, "sur la liturgie, la mission d'un pape, les livres qu'il pourrait lui conseiller", et discuté "des difficultés du monde actuel". Le pape a de son côté noté "l'absence de Dieu" comme l'un des problèmes du temps. 

Cette rencontre est intervenue alors même que le pape n'a pas souhaité rencontrer de dissidents. En dépit des allusions répétées du pape à leur sort, y compris lors de son entretien privé avec Raul Castro, mardi, ce passage obligé pourrait renforcer certaines critiques envers l'Eglise catholique, qui s'efforce de préserver son rôle d'interlocuteur privilégié acquis depuis peu auprès des dirigeants cubains. 

L'homélie de La Havane, élaborée sur les notions de vérité et de liberté, a d'ailleurs été pour le pape l'occasion de demander aux "instances gouvernementales" cubaines de "renforcer ce qui a déjà été obtenu" en matière de liberté religieuse. Il a reconnu "avec joie" que "des pas sont actuellement en train d'être accomplis à Cuba", mais "il est nécessaire d'aller de l'avant", a-t-il jugé. 

Lors de son entrevue avec Raul Castro, le pape a demandé que le Vendredi saint soit désormais un jour férié sur l'île. Son prédécesseur, Jean Paul II, avait obtenu qu'il en soit ainsi du jour de Noël. 

CONDAMNATION DE L'EMBARGO 

Plus globalement, l'Eglise espère contribuer davantage à "l'édification d'une société renouvelée et réconciliée", en accroissant notamment sa présence dans le milieu scolaire et universitaire. Convaincue qu'elle est de la nécessité de "former des hommes vertueux pour forger une nation digne et libre". 

Sur un plan purement politique, Benoît XVI, dans son discours prononcé à l'aéroport peu avant son départ, a par ailleurs explicitement condamné l'embargo économique américain qui frappe l'île depuis 1962. Le pape a souhaité que "personne ne se voie empêché de participer à cette tâche passionnante par une limitation de ses libertés fondamentales, par négligence ou privation de ressources naturelles : situation qui se voit aggravée quand des mesures restrictives imposées de l'extérieur du pays pèsent négativement sur la population". 

Cette position est régulièrement rappelée par le Vatican. Fidèle à la diplomatie du Saint-Siège, le pape a aussi clairement appelé les puissances en présence à dépasser "des positions inamovibles et des points de vue unilatéraux" et à engager un "dialogue patient et sincère". 

Sur l'ensemble des sujets abordés durant ce court voyage dans ce pays peu pratiquant, Benoît XVI s'est inscrit "dans la continuité" de Jean Paul II. En quatorze ans, l'Eglise a certes renforcé sa présence dans la société et l'espace public, mais les équilibres demeurent fragiles. Sur le fond et sur la forme, Benoît XVI, à sa manière, a tenté de les préserver, dans l'attente du "changement" espéré. 


 

12 avril 2012

Vendredi le 13 avril 2012. Vol. 6, no. 11

labibfranco.canalblog.com

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Voler avec des ailes fragiles

Un avenir précaire pour les jeunes adultes issus des centres jeunesse

Caroline Montpetit, Le Devoir (06-04-12)611-1

Antoine* a été placé dans un foyer pour enfants de la Protection de la jeunesse à l'âge de cinq ans. Avant, il vivait avec sa mère, souffrant de déficience, qui vivait elle-même sous le contrôle du grand-père d'Antoine, qui maintenait la mère et l'enfant sous clé et contrôlait jusqu'à leur accès au garde-manger. Enfant sauvage, Antoine ne savait pas parler. Après le foyer pour enfants, Antoine a fréquenté un foyer pour pré-adolescent, puis pour adolescents, avant d'intégrer le centre de réadaptation, géré par le centre jeunesse de Laval.

Aujourd'hui, Antoine a 17 ans. Dans quelques mois, il sera un adulte. Il devra alors quitter la Protection de la jeunesse et voler de ses propres ailes.

Pour aller où?  Il ne le sait pas encore. Dyslexique, Antoine sait à peine lire. Mais il a une passion pour les ordinateurs. Il y a quelques semaines, il participait à un des ateliers de cuisine du frère Toc, qui fait partie d'un ensemble d'activités organisées dans le cadre du programme de qualification des jeunes, qui suit les jeunes considérés comme vulnérables jusqu'à l'âge de 19 ans.

À l'atelier du frère Toc, les jeunes du centre jeunesse de Laval s'activent pour faire un repas de cabane à sucre, oeufs dans le sirop, jambon, pain doré, etc.

«À leur majorité, presque tous les jeunes veulent faire l'essai de retourner chez leurs parents, raconte Julien Chauret. Et plusieurs y retournent effectivement. Mais ce sont des jeunes qui ont un historique de placement, et le pronostic qu'ils retournent vivre dans leur famille est sombre.»

Que font donc ces jeunes qui quittent la Protection de la jeunesse après une longue histoire de placement? «On n'a pas de données là-dessus», constate Julien Chauret, qui tente cependant d'instaurer une sorte de formulaire qui permettrait de les suivre dans leur vie d'adulte.

«On veut faire un follow-up pour essayer de les retracer. Par Facebook, il y a moyen de leur soumettre un questionnaire», dit Julien Chauret.

Un quart d'entre eux expérimentent l'itinérance


En fait, le peu d'informations que l'on possède sur les jeunes de la Protection de la jeunesse devenus adultes sont assez sombres. Près du quart des jeunes expérimenteraient au moins un épisode d'itinérance après l'atteinte de la majorité après la sortie, écrivent les auteurs Martin Goyette et Marie-Ève Turcotte, dans le livre Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté, à partir de données nationales et internationales. 25 % qui vivent des épisodes d'itinérance, c'est énorme. «Et d'après moi, c'est très conservateur», dit Martin Goyette, qui est aussi professeur à l'ENAP et qui a beaucoup travaillé sur ces questions, en entrevue. Environ la moitié travaillent, mais leurs emplois sont peu rémunérés et peu gratifiants, toujours selon cet article. Plus de la moitié ont des problèmes de santé mentale. Près du quart ont déjà essayé de se suicider.

Au début des années 2000, le suicide d'un jeune de 18 ans, après son départ de la famille d'accueil où il était hébergé jusque-là, avait été dénoncé dans un rapport du coroner, et avait alerté les pouvoirs publics sur l'urgence d'agir. Et c'est justement depuis quelques années que le programme de qualification des jeunes, implanté dans tout le Québec, offre aux jeunes le soutien d'un intervenant, dans leur démarche d'autonomie, jusqu'à l'âge de 19 ans. Mais ce programme ne s'adresse qu'aux jeunes les plus mal en point du réseau de Protection de la jeunesse, soit environ 10 % de la clientèle totale des centres jeunesse. Et ce programme ne peut pallier le manque de logements salubres et abordables ou le manque d'emplois et de ressources dans la communauté.

Parce que 18 ans, c'est tôt pour prendre son envol, souvent sans même avoir décroché un diplôme de secondaire, et souvent sans pouvoir compter sur aucun réseau.

Aussi, le centre jeunesse de Laval a ouvert depuis un an et demi une nouvelle ressource, le centre multiservice, qui accueillera six jeunes, garçons et filles, jusqu'à 20 ans moins un jour. Une première au Québec. Alice, une longue et pâle jeune femme de 17 ans, la seule de cet atelier du frère Toc à avoir atteint la 4e secondaire, y a trouvé une place in extremis, il y a quelques semaines.

«Tu es chanceuse», lui lance Julien Chauret. Les jeunes choisis pour habiter le centre multiservice doivent démontrer qu'ils sont inscrits dans une démarche d'autonomie, que ce soit une démarche scolaire ou une démarche professionnelle.

«On parle d'autonomie, mais je préfère souvent parler d'une saine dépendance», dit Julien Chauret.

Idéaliser ses parents

En fait, seulement 10 % des jeunes des centres jeunesse atteignent l'autonomie financière avant l'âge de 21 ans. Et 30 % des jeunes bénéficiant de l'aide sociale proviennent de la clientèle des centres jeunesse, dit Martin Goyette, qui croit d'ailleurs que les programmes de réinsertion sociale existants, outre le programme de qualification des jeunes, se préoccupent trop uniquement d'insertion scolaire et professionnelle et pas assez de bâtir des réseaux sociaux, par exemple.

Sophie, quant à elle, occupe un emploi au Relais communautaire du quartier. Un stage. Elle s'apprête à déménager dans un logement supervisé par le Bureau de consultation jeunesse. C'est, croit-elle, ce qui lui convient le mieux pour l'instant. Sophie se serait qualifiée pour le centre multiservice, mais elle préférait aller vivre plus près de son travail et de son père.

«Je suis très proche de mon père», dit celle qui a été placée par le centre jeunesse à l'âge de trois ans, qui a aussi résidé en centre de réadaptation et qui est maintenant dans un foyer de groupe.

Selon Julien Chauret, les jeunes ont souvent tendance à idéaliser leurs parents. Il arrive qu'ils soient désillusionnés lorsqu'ils retournent dans leur famille à leur majorité. Et leur histoire, qui compte souvent des épisodes de consommation de drogue, de délinquance, voire de prostitution, fait qu'on ne les encourage pas nécessairement à se regrouper entre eux.

«Il arrive que les jeunes décident de devenir colocataires, mais souvent ça ne dure pas. Ils vont penser qu'il suffit de faire des excuses à leur propriétaire pour régler le problème. Dans la réalité, ça n'est pas comme ça que ça marche», dit-il.

Selon l'analyse du centre jeunesse de Laval «les jeunes qui s'impliquent davantage dans leur démarche sont ceux qui réussissent à "accrocher" à un intervenant, et qui s'impliquent dans la démarche d'autonomie en interdépendance avec de dernier, c'est-à-dire en acceptant le soutien face à certaines responsabilités et en assument seuls certaines autres».

Dans la cuisine du centre communautaire de Laval, Julien Chauret se dit chanceux d'avoir connu plusieurs jeunes qui suivent l'atelier de cuisine dans leur enfance. Un hasard, puisqu'il travaillait alors en foyer pour enfants. C'est là qu'il a connu Antoine, entre autres, alors qu'il était enfant. Un lien rare, et fragile. Peut-être sa principale planche de salut. Jusqu'à 19 ans, pas plus.

*Tous les noms des jeunes sont fictifs


 Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Des chercheurs touchent

beaucoup d'argent pour

attaquer la science

L'historienne américaine Naomi Oreskes décrypte les origines et les motivations du climato-scepticisme

Propos recueillis par Stéphane Foucart,  Le Monde (30-03-12)611-2

Historienne des sciences de la Terre, professeure à l'université de Californie à San Diego (Etats-Unis), Naomi Oreskes est coauteur, avec Erik Conway, d'un ouvrage de référence sur les racines du climatoscepticisme, qui paraît en français - Les Marchands de doute (Le Pommier, 524 pp., 29 euros). De passage à Paris, où elle donne une série de conférences, elle a accordé un entretien au Monde.

Existe-t-il un vrai débat scientifique sur la réalité du changement climatique ?

Non. Il n'y a pas de débat scientifique sur le fait que le réchauffement a bien lieu et qu'il est principalement le fait des gaz à effet de serre anthropiques et de la déforestation. D'ailleurs, les bouleversements actuels sont en accord avec ce qui a été prévu de longue date par les spécialistes.

Avoir un débat scientifique sur telle ou telle question obéit à des règles précises : il se tient entre experts du domaine qui publient leurs résultats dans des publications soumises à la revue par les pairs, c'est-à-dire à l'expertise du reste de leur communauté. Rien de cela ne caractérise ceux qui s'opposent à la science climatique.

Aux Etats-Unis, qui sont les "experts" qui contestent la science climatique ?

La plupart de ceux qui mettent en cause la science climatique, ou qui assurent qu'il y a un débat sur ses principaux constats, ont auparavant contesté la réalité des pluies acides, du trou dans la couche d'ozone, ou encore de la nocivité du tabac... C'est le premier indice qu'il ne s'agit pas réellement de science, car vous ne trouverez jamais un vrai chercheur naviguant entre des sujets aussi variés et exigeant des compétences aussi différentes.

Le fait que ces scientifiques aient défendu l'industrie du tabac jusque dans les années 1990 - alors que les dégâts de la cigarette étaient déjà massifs - est le plus frappant. Nous avons découvert que plusieurs d'entre eux avaient été rémunérés par l'industrie du tabac via des organisations écranscomme le TASSC - The Advancement of Sound Science Coalition ("Coalition pour la promotion d'une science solide").

En réalité, cette organisation, qui pourtant se revendique de la science, a été créée par le groupe Philip Morris pour attaquer l'Environmental Protection Agency (EPA), et ce afin d'éviter qu'une législation contre le tabagisme passif ne soit adoptée.

Quelles sont leurs motivations ?

C'est une grande interrogation : pourquoi des scientifiques parfois connus ont-ils engagé leur réputation pour défendre l'industrie du tabac qui tue les gens ? On aurait pu imaginer que leur seul moteur était l'argent. Mais c'est largement insuffisant. Nous montrons qu'au moins pour les scientifiques au cœur de ce feuilleton, les motivations étaient plus politiques et idéologiques que financières. Ils étaient des tenants de ce qu'on peut appeler le "fondamentalisme du libre marché", fondé sur le refus de toute réglementation.

Beaucoup étaient animés par la peur que les réglementations environnementales contre les pluies acides, le trou d'ozone ou le tabac n'ouvrent la voie à un Etat de plus en plus intrusif et oppressif. Il n'en reste pas moins que certains chercheurs, en activité aujourd'hui, touchent beaucoup d'argent pour attaquer la science.

Lorsque vous avez publié votre livre, imaginiez-vous que le déni de la science climatique serait une thèse défendue aujourd'hui, aux Etats-Unis, par les républicains ?

Non, pas dans nos pires cauchemars ! Après l'ouragan Katrina en 2005, nous pensions vraiment que les gens réaliseraient que le changement climatique est une réalité. Nous pensions que notre livre serait surtout intéressant d'un point de vue historique... Les années qui ont suivi ont montré qu'il était ancré pour longtemps dans l'actualité.

En Europe, on voit apparaître dans le débat public les arguments contre les sciences de l'environnement forgés des années auparavant aux Etats-Unis. Comment expliquer ce succès ?

Notre travail a consisté à analyser l'offre, pas la demande ! Mais il y a plusieurs pistes pour répondre. Cette campagne a été à la fois systématique et très bien financée, elle a eu recours à des cabinets de relations publiques qui ont travaillé à bien "enrober" les messages à faire passer, afin de les rendre les plus efficaces possibles, etc.

D'un côté, les scientifiques décryptent un dossier compliqué - le climat - et anticipent la survenue d'événements extrêmes (cyclones, sécheresses...) ; de l'autre, certains disent qu'il ne faut pas s'inquiéter, car le capitalisme et les lois du marché s'occuperont de tout... Quel est le message que vous préférez entendre ?

En France, les climatosceptiques se recrutent à droite comme à gauche...

L'histoire du climato-scepticisme est avant tout une histoire américaine qui prend sa source dans l'angoisse face au communisme... C'est le produit, à l'origine, d'un petit groupe de scientifiques qui ont fait leur carrière pendant la guerre froide et qui, après l'effondrement de l'URSS, ont vu dans les préoccupations environnementales un avatar du socialisme. Cette histoire résonne avec la culture américaine, qui repose sur l'individualisme et la tendance à considérer que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.

En Europe, socialisme et environnementalisme ont une connotation différente. Mais je vois cette campagne contre la science climatique comme une sorte de maladie qui s'est propagée. Et il y a toujours des raisons différentes de tomber malade !


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Pas d'écran contre la

violence à la télé

Une étude démontre que les enfants qui y sont exposés en subissent les répercussions à long terme611-3

André Noël, La Presse (10-04-12)

Pour la première fois, une enquête de longue haleine réalisée au Québec montre que les scènes de violence à la télévision peuvent perturber les enfants de 3 et 4 ans pendant des années.

D'autres recherches avaient déjà indiqué que des enfants qui voient régulièrement des images violentes à l'écran, même avec des personnages dessinés, sont plus à risque d'avoir des comportements agressifs ou antisociaux.

Mais l'enquête menée par des chercheurs de l'hôpital Sainte-Justine auprès de 2120 enfants québécois depuis l'âge de 5 mois jusqu'à la deuxième année du primaire révèle que les scènes de violence ont un impact à long terme.

Les résultats seront publiés dans la livraison de mai du Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics. Les auteurs ne décrivent pas un phénomène marginal: malgré les avertissements des pédiatres, 73% des parents estiment que leurs enfants voient des scènes violentes à la télévision au moins une fois par semaine. 

Des années plus tard

Les chercheurs ont choisi les bébés au hasard et les ont suivis chaque année pendant huit ans. Ils ont demandé à leurs parents s'ils avaient regardé des scènes violentes à 41 mois et à 53 mois.

Puis, quand les enfants sont entrés en deuxième année du primaire, ils ont demandé aux enseignants de remplir des questionnaires détaillés sur leur comportement.

Les enseignants devaient indiquer par exemple si les enfants étaient insensibles aux émotions de leurs camarades, s'ils avaient de la difficulté à se concentrer en classe ou s'ils paraissaient plus tristes que la moyenne.

Les enseignants signalaient aussi si les enfants avaient ou non des bons résultats scolaires. Enfin, les élèves ont fait leur propre évaluation et dit s'ils aimaient apprendre à lire, à écrire et à compter.

Les chercheurs ont été étonnés de constater que le fait de voir même peu d'émissions violentes à l'âge préscolaire avait des conséquences négatives des années plus tard.

«Toute exposition à des émissions considérées comme violentes par les parents était associée à de légères augmentations de comportements antisociaux, selon les signalements faits par les enseignants», notent-ils.

«Nos résultats les plus inédits révèlent que les enfants exposés à n'importe quelle quantité d'émissions violentes manifestent ensuite une augmentation des symptômes négatifs, de façon légère mais significative. En deuxième année du primaire, ils étaient moins enthousiastes que les autres enfants et paraissaient plus tristes ou moins heureux.

«Ces résultats confirment des études antérieures suggérant que l'exposition à des scènes violentes peuvent prédisposer les enfants à des sentiments durables d'anxiété, d'émotions négatives et de dépression qui, à leur tour, risquent d'engendrer des psychopathologies au cours de leur vie.

«Les enfants plus agressifs éprouveront probablement plus de problèmes interpersonnels, lesquels peuvent entraîner la tristesse ou la détresse, deux sentiments associés au rejet social...

«L'exposition dès le jeune âge à des émissions violentes était associée [dans l'étude] à des résultats scolaires inférieurs à la moyenne. Le visionnement de scènes violentes à la télévision était aussi associé à une propension à la distraction, à l'inattention et au manque de concentration en classe, selon les enseignants. Ces enfants montraient aussi moins d'intérêt pour l'apprentissage des matières scolaires.

«Cette étude est la première en son genre à suggérer que l'exposition à la violence dans les médias pendant la prime enfance semble avoir un impact à long terme chez les enfants.»

Effet «boule de neige»

Les auteurs craignent l'effet «boule de neige». Si les enfants du primaire sont plus agressifs parce qu'ils ont été marqués par des émissions violentes, ils courent plus de risques d'être rejetés par leurs camarades. À son tour, le sentiment de rejet nuit à l'apprentissage, puis amène les jeunes à moins aimer l'école, ce qui peut mener au décrochage scolaire.

«D'un point de vue de la santé de la population, même de faibles niveaux de sous-performance et de problèmes d'attention ont un coût important pour la société, si on les envisage sur une période de toute une vie.»

Les chercheurs, Caroline Fitzpatrick, Tracie Barnett et Linda S. Pagani, proposent la réalisation d'enquêtes sur l'impact des vidéos ou des jeux d'ordinateur violents. Leur article, qui vient d'être mis en ligne, s'intitule «Early Exposure to Media Violence and Later Child Adjustment».


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Un ouvrage se voit au

point de rencontre entre

la laïcité et le religieux

«Tout le monde s'approprie le religieux à sa façon, à certaines doses, à certains moments de la vie aussi»611-4

Jacinthe Leblanc, Le Devoir (07-04-12)

Dans une société en rupture avec son passé catholique chrétien, Martine Pelletier et Patrick Snyder, tous deux professeurs à la Faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke, ont décidé de creuser la question du religieux moderne. Ce projet voit le jour à la suite de conférences publiques annuelles, organisées maintenant depuis quatre ans, sur les différentes interrogations par rapport au religieux.

C'est au printemps 2011 que l'ouvrage collectif Qu'est-ce que le religieux contemporain? paraît. Un an plus tard, il trouve encore sa place dans les enjeux actuels, puisqu'il «accompagne le mouvement de réflexion sur ces grands enjeux-là», souligne Martine Pelletier, codirectrice du livre avec Patrick Snyder. Elle constate par ailleurs un certain délestage du catholicisme au Québec, ainsi qu'une diminution du nombre des croyants, diminution qui s'accentue chez ceux se disant pratiquants.

Le religieux contemporain, c'est quoi?


«C'est d'abord se poser la question du religieux aujourd'hui, explique madame Pelletier. Ça englobe toutes les questions qui touchent autant aux grandes traditions religieuses, mais aussi aux questions spirituelles. Donc, les questions d'existence, les questions de sens.» Ce concept se trouve ainsi à être un mélange de questionnements et de sens auxquels les traditions offrent des clés de compréhension du monde actuel.

Le religieux contemporain se veut également une façon d'interpréter de grandes questions existentielles, précise madame Pelletier, telles que: «C'est quoi ça, le fait d'exister? Et qu'est-ce qui fait qu'on est dans la vie? Qu'est-ce qui fait qu'on meurt? Qu'est-ce qui fait qu'on souffre? Qu'est-ce qui fait qu'on est heureux?»

Trouver un horizon commun

Diriger un ouvrage collectif est une aventure parsemée de défis. Le principal souci pour les auteurs du livre consistait à trouver un horizon commun et à «apporter le plus de facettes possible» autour de la question de départ. Le défi a été relevé grâce à l'articulation du livre en trois axes, ce qui, pour la professeure, «donne aussi l'originalité du travail».

Le premier axe du livre, c'est «la mutation du religieux, comment le religieux a changé dans le temps et dans l'histoire». Ensuite viennent «[...] les lieux d'expression du religieux contemporain aujourd'hui, c'est-à-dire comment on voit le religieux ressurgir en politique, par exemple. Ou comment on voit la question du religieux ressurgir dans les questions féministes, dans la question des médias, ça, c'est ma spécialité, ou dans la question de l'environnement», mentionne Martine Pelletier. Le dernier axe de l'ouvrage porte «sur la question: "Est-ce qu'il y a encore des chances pour la foi chrétienne, pour la grande tradition qui a été dominante au Québec?" Comment on se positionne par rapport à ça?»

Une couverture réfléchie

La page couverture de l'ouvrage collectif décrit bien la diversité des gens, des opinions et des valeurs présente dans une société multiculturelle comme le Québec. «C'est une espèce de place publique où on voit des gens qui marchent. Et le pavé est uni. Donc, il y a une espèce de base d'existence commune et les personnages ont des couleurs et des teintes variées.» Et ainsi, ajoute madame Pelletier, «chacun s'approprie son existence, s'approprie sa compréhension du monde et on partage quand même le même milieu».

Consciente de la philosophie derrière l'image, la professeure en théologie et études religieuses y voit l'idée d'un symbole décrivant bien l'esprit du livre, qui est de faire voir le plus d'aspects possible autour de la question principale. Malgré tout, «[...] le livre est parti d'une question et la question reste ouverte. On ne prétend pas y répondre», conclut-elle.
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Un enjeu bien présent: la laïcité


Le livre présente un terrain commun avec la laïcité, qui, selon Martine Pelletier, connaît une montée, au moment où le catholicisme apparaît en déclin. Cette croissance de la laïcité se perçoit de plus en plus dans les établissements publics, comme les écoles et les milieux hospitaliers, où l'identité religieuse officielle sur la place publique disparaît tranquillement. «Et cette montée de la laïcité, quand on la regarde, moi j'aurais tendance à mettre un "s" à ce fameux mot-là, parce qu'il y a une laïcité qui est émergente, qui est très radicale, qui veut faire table rase de tout ce qui s'appelle le religieux, le sacré et tout ce genre de rapport à la foi ou à l'expérience sensible de la foi que les gens en font», explique madame Pelletier.

Le religieux s'efface au profit de la neutralité dans l'arène publique. Une rencontre entre la laïcité et le religieux est-elle possible? Pour le collectif d'auteurs, oui. Le religieux contemporain trouverait donc sa place, selon Martine Pelletier, «dans l'expression privée, dans l'expression communautaire, dans les lieux qui appartiennent aux familles, par exemple». Elle fait le parallèle avec l'école québécoise, où celle-ci n'a pas un rôle de promotion de la foi, mais plutôt un rôle de guide dans le cheminement spirituel. «Ce déplacement-là, pour moi, est un bel indicateur de la rencontre entre le religieux contemporain et la laïcité montante dans nos sociétés», termine-t-elle.

Proposant un ouvrage collectif, les auteurs se sont entendus pour que tous les droits d'auteur recueillis grâce à la vente du livre se transforment en bourses d'étude pour les étudiants de la Faculté de théologie et d'études religieuses.


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Transparence? Kessé ça?

Vincent Marissal, La Presse (09-04-12)

À écouter les réponses parfois farfelues de certains représentants québécois du gouvernement Harper, c'est à se demander s'ils comprennent seulement de quoi ils parlent, mais chose certaine, ils n'éprouvent aucun scrupule à dire n'importe quoi. Au contraire, ils semblent même y prendre un plaisir juvénile.

Non seulement cela ne les dérange pas de servir de traducteurs aux ministres qui ne parlent pas français, mais ils recrachent dans les médias des lignes de presse prémâchées qui ne résistent pas à la moindre analyse et qu'ils sont incapables de défendre au-delà de la première sous-question. Cela donne des réponses absurdes teintées de mauvaise foi, de faussetés, de clichés, le tout dans un mélange d'incompétence et de je-m'en-foutisme.

Un bel exemple, jeudi soir dernier, à l'émission 24 heures en 60 minutes d'Anne-Marie Dussault, à RDI, où le sénateur (tiens, un autre non-élu qui parle au nom du gouvernement) Jean-Guy Dagenais a tenté de nous convaincre que la demande du gouvernement du Québec de préserver les données du registre des armes d'épaule constituait de... l'«ingérence» !

«Les données appartiennent au gouvernement fédéral», a d'abord lancé le sénateur, qui, rappelons-le, défendait ledit registre lorsqu'il était président de l'Association des policiers provinciaux. Ottawa partage tous les jours des données fiscales avec les provinces, mais dans le cas du registre des armes, les données seraient propriété exclusive du fédéral. Pourtant, tous les Canadiens ont payé pour ce registre et, en définitive, les données leur appartiennent. 

Mais bon, ne nous égarons pas dans des considérations trop profondes, le sénateur n'était là que pour réciter les lignes de son maître, ce qu'il a eu du mal à faire sans s'empêtrer dans une explication absconse.

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«Vous savez, y'a des questions de fédéralisme et de provincionalisme (sic), mais le registre appartient au     fédéral (...)», a-t-il dit, visiblement dépassé par la question, très simple, de ma consoeur qui lui demandait comment l'attitude de son gouvernement cadrait dans ses promesses de fédéralisme d'ouverture.

Une fois l'entrevue terminée, on a entendu le sénateur, hors d'ondes, ricaner en disant: «Provincionalisme, eh bien, je viens d'inventer un mot, moi!»

Au moins, le sénateur Dagenais se trouve drôle, et on ne pourra lui reprocher de se prendre trop au sérieux. Le malheur, c'est qu'il a la même approche avec les dossiers qu'il défend.

Cela me rappelle un autre phare intellectuel de ce gouvernement, le ministre des Anciens combattants, Steven Blaney, qui a déjà dit que l'âge d'Omar Khadr n'a rien à voir avec son sort à Guantánamo... Tout le débat tourne autour des traités protégeant les enfants soldats, mais l'âge de l'accusé n'a rien à voir là-dedans! C'est comme si on disait que le taux d'alcoolémie n'a rien à voir dans une cause de conduite avec les facultés affaiblies. Ce serait risible si M. Blaney ne parlait pas au nom du gouvernement du Canada...

En plus d'être mû par une idéologie inflexible dans ses priorités, ce gouvernement affiche trop souvent un mélange d'arrogance, de nonchalance, voire carrément d'incompétence dans la conduite des affaires de l'État. Le principe de responsabilité, par contre, est en train de foutre le camp, même si Stephen Harper s'est fait élire en promettant la transparence et la saine gestion à Ottawa.

Plus le temps passe, plus on se rend compte que ce gouvernement est dirigé par un idéologue froid, tacticien redoutable et déterminé, régnant sur une bande de sous-fifres tout juste bons à répéter la bonne parole de leur chef.

Comme ils ne dirigent rien, ils ne peuvent être tenus responsables de quoi que ce soit. On l'a vu au cours des derniers jours avec le scandale financier des F-35, ces coûteux et inadéquats chasseurs devant remplacer les vieux CF-18.

Le rapport du vérificateur est aussi clair que dévastateur: le gouvernement savait que l'achat et l'entretien des nouveaux avions coûteraient près de trois fois plus cher qu'il ne l'a dit et répété pendant des années. Ce ne sont pas 9 milliards, mais 25 milliards, on ne parle donc pas ici d'une modeste erreur à la marge.

Par ailleurs, on apprend que la Défense nationale a fait des pressions auprès des autres ministères et que le Canada n'est pas lié par contrat, contrairement à ce que le gouvernement Harper n'a cessé de répéter sur toutes les tribunes.

Le plus gros contrat militaire de l'histoire du Canada vire en un fiasco monstre, confirmé par le plus dur rapport du vérificateur depuis les commandites, mais au gouvernement, c'est la routine, comme si rien n'était arrivé. Personne ne prend la responsabilité, personne ne casque. M. Harper «accepte» les conclusions du VG, mais pas question de démettre son ministre de la Défense, Peter MacKay. Le même M. MacKay qui est revenu d'un voyage de pêche dans un hélico de l'armée.

Le gouvernement Harper ne prend pas ses responsabilités, il nie la réalité.

Trois fois plus cher pour des avions? Bof. Des millions de la sécurité du G20 dans la circonscription de Tony Clement? Vous dites? Une pénurie d'isotopes médicaux causée par l'incurie d'une ministre? Pas grave. Passe-droits du ministre Paradis à un ancien député conservateur? Broutille.

En six ans, le seul ministre qui a été puni pour mauvaise conduite, c'est Maxime Bernier, qui a oublié des documents chez sa copine.

Stephen Harper s'est fait élire en promettant le retour de la responsabilité. On assiste plutôt à la généralisation de l'impunité.


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Le bénévolat stratégique

Quoi de mieux que de servir les autres et d'y trouver un profit personnel?

Claude Turcotte, Le Devoir (02-04-12)611-7

La popote roulante peut parfois conduire très loin. Valérie Millette en est la preuve. Tout a commencé à Sorel, alors qu'elle était étudiante au cégep. Son premier engagement dans le bénévolat fut justement de s'impliquer dans ce service de livraison à domicile de repas chauds pour les personnes âgées. «C'était une bonne expérience à mettre sur mon curriculum vitæ et une manière de développer différentes habiletés. Mais dans le fond, ça m'a donné beaucoup plus que ça», dit-elle en début d'entrevue.

Depuis 2010, elle est coordonnatrice du centre de bénévolat LIVE de l'Université Concordia, qui a été la première université au Québec à mettre en place un tel service pour faire la liaison entre les membres de la communauté universitaire désireux de s'impliquer et les organismes communautaires à la recherche de bénévoles.

Après ses études collégiales, Mme Millette a fait un baccalauréat en administration avec une mineure en relations humaines à Concordia. «Pour le travail avec les gens», précise-t-elle. Comme la piqûre du bénévolat ne l'avait pas quittée, une fois installée à Montréal, elle a pris contact avec le Centre d'action bénévole (CABM), où elle a été conseillère en placement pendant cinq ans. La mission du CABM, qui fête ses 75 ans, est de promouvoir l'action bénévole auprès de la population.

Mme Millette a poursuivi diverses activités bénévoles pendant les cinq ans qu'ont duré ses études universitaires, ce qui lui a permis de développer des contacts, de faire du réseautage et l'a même amenée à occuper plusieurs emplois dans ce domaine, notamment comme coordonnatrice dans des organismes de bénévolat. «Connaître les gens, les organismes et les possibilités facilite grandement le cheminement d'une carrière», a-t-elle pu constater. Pour sa maîtrise en management et en sciences de l'administration, elle devait effectuer une recherche et rédiger une thèse. Évidemment, elle a choisi de fouiller dans le domaine qui lui était déjà familier, le bénévolat. Son mémoire visait donc à comprendre «comment organiser les tâches pour améliorer la motivation, la satisfaction et la performance des bénévoles».

L'essentiel de sa réponse à cette question pourrait sans doute se ramener à ce constat: «Les bénévoles sont davantage motivés quand ils choisissent un poste qui correspond à leurs valeurs et intérêts. Il est plus probable de voir un bénévole s'engager à long terme quand il s'implique dans une cause qui lui tient vraiment à coeur ou quand la tâche lui apporte du plaisir. Bien sûr, quand on travaille avec des bénévoles, la reconnaissance est très importante.»

Quelles sont donc les motivations des gens attirés par le bénévolat? Selon elle, il y a presque autant de motivations que de personnes, et chaque personne peut avoir plus d'une motivation. Elle note tout de même une constante: dans 95 % des cas, il y a une volonté de s'impliquer pour une cause en particulier. «Bien des gens s'intéressent à l'environnement et à la justice sociale. Mais, ça ne s'arrête pas là. Il y a les domaines de la santé, de l'éducation, le combat contre la pauvreté, la défense des droits de la personne et le développement international. Mon premier conseil à ceux qui veulent s'impliquer est de trouver une cause qui leur tient à coeur.»

Après ses études, elle a travaillé pour l'Entraide universitaire mondiale du Canada, où elle a agi comme recruteur de bénévoles pour des projets internationaux. L'évolution de sa carrière l'a aussi conduite à assumer la direction par intérim d'un centre du quartier Côte-des-Neiges. Depuis cinq ans, elle anime des ateliers offerts aux gestionnaires de ressources bénévoles au CABM.

Alors qu'elle débutait dans son poste de conseillère en emploi à Concordia, Mme Millette a été approchée pour aider à démarrer un comité d'initiatives bénévoles à l'université. Se rendant compte de l'ampleur de l'engagement communautaire qui existait déjà, le comité a décidé de créer un endroit où toutes les personnes intéressées par le bénévolat pourraient trouver les informations dont elles ont besoin. La première initiative de Mme Millette fut la mise en place d'un site Web (volunteer.concordia.ca); la seconde fut la création du prix de reconnaissance bénévole. En juin 2010, le centre de bénévolat Concordia, baptisé LIVE (Leadership, Initiative and Volunteer Engagement), a vu le jour.

Le bénévolat ou l'art de jumeler passion et stratégie

Depuis le début, plus de 1000 étudiants ont bénéficié de rencontres individuelles au centre de bénévolat LIVE, où ils reçoivent des conseils et suggestions en rapport avec leurs besoins et leurs intérêts. «Il faut trouver du bénévolat qui va aider l'étudiant. On va décortiquer de quel genre d'expérience il peut avoir besoin, trouver des occasions de développer des compétences qui lui seront utiles au moment de sa recherche d'emploi. Même si l'on ne trouve pas toujours des expériences identiques à celles qu'il vivra plus tard, il y a toujours moyen de travailler sur des compétences transférables essentielles à l'embauche.»

En fait, le bénévolat peut aider un étudiant à montrer ses capacités de travailler en équipe, de faire preuve de leadership, de gérer un projet, etc. «Les meilleures possibilités de bénévolat sont celles où un étudiant peut travailler pour une cause qui le passionne tout en atteignant plusieurs objectifs liés à son développement de carrière. C'est à cette idée que je me réfère quand je parle de bénévolat stratégique», ajoute-t-elle.

Mme Millette résume toute cette démarche dans les termes suivants: «Au fond, le bénévolat est un échange. Les bénévoles offrent leur temps et leurs compétences et reçoivent tout autant. Quand ça fonctionne bien, c'est vraiment gagnant-gagnant.»

Quelle est la réaction des étudiants qui ont recours à ce service? «Ceux qui nous découvrent sont très contents. Ils nous disent souvent que nous leur simplifions grandement la vie. Pour ceux qui n'avaient jamais pensé au bénévolat, ça peut être une révélation», répond-elle. Des étudiants de toutes les facultés ont recours à l'expertise du centre, qui s'adapte à leurs besoins respectifs. Au total, jusqu'à maintenant, près de 4000 étudiants de Concordia ont bénéficié des services du centre, que ce soit en assistant à un atelier ou à une foire du bénévolat, en visitant le centre ou en participant à une activité de groupe.

Au demeurant, le centre n'est pas uniquement au service des étudiants, il peut aussi être utile aux professeurs et aux autres employés. Par exemple, certains collègues de Mme Millette font appel à ses compétences en gestion de ressources de bénévolat pour démarrer de nouveaux projets. En outre, il y a parfois des professeurs qui la consultent à l'approche de leur retraite en espérant pouvoir réaliser un rêve de bénévolat qu'ils caressent depuis longtemps.


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Les barbares

Michel David, Le Devoir (05-04-12)

Le proverbe du chien qu'on accuse d'avoir la rage ne donne pas la pleine mesure de la barbarie avec laquelle le gouvernement Harper s'est employé à détruire l'organisme Droits et Démocratie.

En parachutant un groupe de militants sionistes dans son conseil d'administration, il a littéralement inoculé le virus de la rage à ce centre de coopération internationale que le gouvernement Mulroney avait voulu indépendant du gouvernement et qui illustrait parfaitement les valeurs démocratiques traditionnellement associées au Canada.

Quand une véritable chasse aux sorcières avait été lancée pour débusquer d'éventuels sympathisants de la cause palestinienne, la totalité des employés avaient signé une lettre réclamant la démission du président du conseil d'administration, Aurel Braun, et de ses acolytes.

En février 2011, la veuve de l'ancien président du centre, Rémy Beauregard, victime d'une crise cardiaque après une réunion particulièrement houleuse avec le conseil d'administration, avait expliqué en larmes à un comité de la Chambre des communes que ce harcèlement systématique avait précipité sa mort.

Un rapport de la firme Deloitte et Touche a réfuté toutes les allégations de mauvaise administration à l'endroit de M. Beauregard. Après le sabotage autorisé par le gouvernement, invoquer les «nombreux problèmes» survenus à Droits et Démocratie pour justifier sa fermeture, comme l'a fait le ministre des Affaires étrangères, John Baird, était le comble du cynisme. L'intégrer aux activités du ministère constitue un musellement.

Annoncée dans la foulée du budget Flaherty, cette liquidation symbolise parfaitement le parti pris idéologique auquel le premier ministre Harper peut laisser libre cours depuis la victoire conservatrice du 2 mai dernier.

Le mandat du centre était d'«encourager et appuyer les valeurs universelles des droits humains et [...] promouvoir les institutions et les pratiques démocratiques partout dans le monde». Pourquoi le gouvernement Harper encouragerait-il à l'extérieur du pays ce qu'il bafoue systématiquement à l'intérieur?

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La destruction du registre des armes à feu est aussi un acte de barbarie. En voulant effacer les données, les conservateurs se comportent comme des Vandales qui préfèrent tout raser plutôt que de laisser derrière eux les vestiges d'une société plus avancée.

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, qui n'en finit plus de se heurter à l'intransigeance d'Ottawa, semblait réellement exaspéré quand il a annoncé qu'en désespoir de cause, le Québec s'adresserait aux tribunaux pour empêcher le gouvernement Harper de commettre l'irréparable.

M. Fournier a de quoi être déboussolé. Le PLQ a toujours préconisé un fédéralisme reposant sur ce que l'ancien ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, appelait dans son rapport le principe de «courtoisie», de «loyauté» ou encore de «convivialité».

En vertu de ce principe, les relations fédérales-provinciales doivent être placées sous le signe de «l'ouverture à l'opinion des autres partenaires fédératifs» et d'une «obligation de bonne foi dans les pourparlers».

À l'époque, M. Pelletier souhaitait que ce principe soit enchâssé dans la Constitution canadienne, comme c'est le cas en Suisse ou en Belgique. Sans que toute possibilité de conflit soit éliminée pour autant, il y voyait une dimension symbolique considérable.

Le problème est que les barbares ne sont généralement pas très portés sur la courtoisie, ni sur la convivialité. M. Fournier a pu constater personnellement dans le dossier de la justice criminelle et du projet de loi C-10 que le gouvernement Harper n'avait ni «ouverture à l'opinion des autres partenaires», ni «bonne foi dans les pourparlers».

Il est normal que les tribunaux aient occasionnellement à trancher un litige entre les membres d'une fédération qui ne s'entendent pas sur le partage des pouvoirs. Le cas du registre des armes à feu est très différent. Ottawa ne veut pas exercer sa compétence, mais plutôt empêcher le Québec d'exercer la sienne. Le débat n'est plus d'ordre juridique, mais idéologique.

***

L'enjeu politique demeure cependant bien réel. Le fédéralisme de courtoisie n'était peut-être qu'un mirage, mais on pouvait toujours l'opposer à la souveraineté. Si le registre devait disparaître, comment expliquerait-on aux Québécois que les tragédies de Polytechnique et de Dawson sont peu de chose par rapport au bonheur de vivre dans ce merveilleux pays?

Il est vrai qu'il ne faut pas confondre le Canada anglais avec le gouvernement Harper, mais le Québec semble bien seul dans sa bataille pour le maintien du registre des armes à feu. La première ministre de l'Alberta, Alison Redford, a indiqué qu'elle ne s'opposerait pas au transfert des données vers des registres provinciaux, mais on ne peut certainement pas parler d'une levée de boucliers.

Les valeurs progressistes dont le Québec se réclame sont sans doute partagées par bon nombre de Canadiens d'un océan à l'autre, mais le collègue Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, soulignait hier qu'après avoir longtemps été le pôle politique et intellectuel dominant, Montréal avait cédé ce rôle à Calgary. Et que c'est maintenant l'Ouest canadien qui impose sa vision du pays.  


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F-35 - Ils mentent

Josée Boileau, Le Devoir (11-04-12)

Les conservateurs auront beau tourner leurs explications dans tous les sens, ils ont caché la vérité aux Canadiens dans le dossier des F-35. Et cacher la vérité, sciemment, en se moquant en plus de ceux qui les questionnaient, cela s'appelle mentir.

Si le ministre de la Défense Peter MacKay pense s'en tirer parce qu'il a admis qu'il savait depuis deux ans que les avions de chasse F-35 allaient coûter plus cher que prévu, mais que son silence s'explique par un jeu comptable dont les règles viennent de changer, il se trompe. Car il nous trompe.

Il faut absolument, dans cette histoire, remonter en mars 2011, quand le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, avait fait voir, dans un rapport détaillé de près de 70 pages, toute l'improvisation qui entourait le projet d'achat des F-35. Le gouvernement avait refusé de collaborer à l'exercice, mais M. Page avait pu déterminer, par une analyse rigoureuse, que les avions coûteraient deux fois plus cher que prévu.

La réaction gouvernementale avait été vindicative, les conservateurs s'accrochant farouchement à leur évaluation. Le ministre MacKay affirmait même: «Je ne sais pas d'où viennent tous les chiffres qui circulent, mais nos meilleures estimations parlent de 70 à 75 millions par avion», pour un total de 15 milliards. (Le vrai coût d'achat est plutôt de l'ordre de 25 milliards, nous a dit le vérificateur général la semaine dernière, très près du total de 29 milliards auquel arrivait le directeur du budget.)

Stephen Harper, lui, avait ignoré M. Page, affirmant ne pas avoir envie d'embarquer «dans une longue guerre de chiffres». Ce qui n'avait pas empêché le ministère de la Défense, quelques jours plus tard, de publier un tableau comparatif sommaire qui plantait allègrement les estimations du directeur, l'accusant de manquer de preuves, de faire des erreurs de calcul, de ne pas fournir des données complètes! Du grand grotesque.

L'équipe de M. Page s'était donc défendue dans un nouveau rapport qui démontrait par A + B que le ministère de la Défense sous-estimait de manière incompréhensible les coûts de l'appareil. Et pas parce qu'on avait omis de compter le prix de l'essence et les salaires des pilotes (explication maintenant donnée par le ministre MacKay), mais parce que le coût d'acquisition de base de l'appareil posait en soi problème — à quoi s'ajoutait ensuite une mauvaise évaluation des frais d'entretien. Les 75 millions du gouvernement n'avaient qu'une source, le fabricant du F-35, Lockheed Martin. Il «ne reflète aucun autre chiffre publié par un organisme public», lit-on dans ce deuxième rapport, qui cite par ailleurs des documents évoquant plutôt des coûts de l'ordre de 133 millions à 151 millions $US par appareil.

Le gouvernement n'a eu que dédain pour cette démonstration, que mépris pour l'opposition qui réclamait la transparence. Et jamais alors n'a-t-il même évoqué les coûts d'entretien derrière lesquels M. MacKay se retranche depuis le rapport du vérificateur général Michael Ferguson.

Le gouvernement conservateur ne peut toutefois pas envoyer promener le v.g. comme il l'a fait de M. Page. Il cherche donc à tourner la page en racontant n'importe quoi, présentant même comme nouveauté comptable ce qui fait partie depuis des années des règles du Conseil du Trésor.

Tant d'hypocrisie et d'incompétence appellent la démission de M. MacKay. Mais il n'est que le pantin du premier ministre dans ce dossier, lui qui tient au F-35 parce qu'il répond le mieux à ses ambitions guerrières internationales. Hélas, notre système ne prévoit rien pour démettre un premier ministre. Même quand il ment, et s'en moque.


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Aide internationale

Indigne du Canada

Bernard Descôteaux, Le Devoir (02-04-12)

Le Canada n'a jamais été parmi les pays les plus généreux du monde en ce qui a trait à l'aide au développement. Les premiers de classe se trouvent parmi les pays d'Europe du Nord. Plusieurs y consacrent plus de 0,7 % de leur PIB. Le champion est la Suède avec 1,02 % de son PIB.

Le Canada apporte bien sûr sa contribution. Dans une juste proportion? Cela est à voir. Alors qu'elle était en 1991 à hauteur de 0,49 % de son PIB, elle n'est toutefois plus aujourd'hui que de 0,31 %. En chiffres absolus, on ne constaterait pas de diminution, sauf que, l'économie ayant fait des bonds importants en 20 ans, l'effort consenti a considérablement diminué. Ce sera encore plus marqué les prochaines années puisque le programme budgétaire du gouvernement Harper prévoit des diminutions des sommes consenties à l'aide au développement.

Il n'y a certes pas de quoi être fier. On est loin de ce qui pourrait être qualifié de juste part. Il y a toutefois plus préoccupant. Il y a ce que le gouvernement conservateur veut qu'il soit fait de cet argent. À travers les décisions prises ces dernières années se dégage une trame qui consiste à contraindre les organismes non gouvernementaux qui se consacrent à l'aide internationale à coller étroitement aux priorités gouvernementales qui sont nettement colorées idéologiquement.

Cette volonté nouvelle des conservateurs remet en cause la tradition humanitaire canadienne faite d'abord d'engagement personnel de citoyens qui consacrent temps ou argent aux causes qui leur tiennent à coeur. Ainsi sont nées la plupart des ONG vouées à l'aide humanitaire qui, au fil des années et des décennies, ont développé des expertises que les gouvernements ont reconnues en en faisant des partenaires. Ce sont elles qui, partout dans le monde, incarnent la générosité canadienne. Or, ces partenaires, le gouvernement de l'heure veut qu'ils soient des exécutants. Plus question d'indépendance et d'autonomie.

Les cas suivants illustrent bien ce changement de cap: celui d'Alternatives, qui a vu son soutien financier réduit comme une peau de chagrin parce que l'organisme était jugé trop militant en faveur de la cause palestinienne. Celui de Développement et Paix, qui n'a rien d'extrême sauf, aux yeux des conservateurs, sa préoccupation pour la défense des droits de la personne. Il a vu ses budgets abaissés des deux tiers. Puis celui de Droits et Démocratie, qui sera tout simplement aboli. Il avait été créé par une loi en 1988 par le gouvernement Mulroney, qui voulait ainsi garantir son financement et son indépendance. Son tort? Avoir trop mis l'accent sur la promotion des droits et pas assez sur la démocratie. L'argent économisé servira très probablement à financer le futur Bureau des religions, dont la création a été annoncée l'an dernier, qui servira à promouvoir la liberté de religion à travers le monde.

Des années d'efforts et d'argent investis par des militants sincères de l'action humanitaire seront ainsi réduites à néant. On ne ferait pas mieux si l'on voulait décourager l'engagement des citoyens. Ceux qui recevaient leur aide ne comprendront pas. Ils ne sauront pas que cela est la conséquence de choix idéologiques dont ils n'ont rien à faire. Cela est indigne d'un Canada qui se prétend généreux. 


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 Crise alimentaire

 Banalité du mal

Serge Truffaut, Le Devoir (10-04-12)

De passage à Montréal, l'essayiste et ex-rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation Jean Ziegler a souligné, et non révélé ou confié, que le nombre d'affamés dans le monde va grossissant. Après d'autres économistes, l'auteur de Destruction massive - Géopolitique de la faim édité par Le Seuil ne cesse de vitupérer contre l'origine d'une sous-alimentation gigantesque: la spéculation. Bienvenue dans l'univers de la désensibilisation au mal.

Le monde compte actuellement un milliard de personnes sous-alimentées qui se répartissent entre les pays de la Corne de l'Afrique, de l'Amérique centrale, de l'Amérique du Sud et même dans certaines enclaves de villes européennes. Fait singulier? Toutes les 15 secondes, un enfant de moins de dix ans succombe. Cette lèpre a produit des dégâts que l'on sait monstrueux alors que l'infrastructure agricole de la planète Terre pourrait nourrir, selon les études chiffrées de la FAO, pas moins de 12 milliards d'être humains.

Les raisons officielles établies par l'ONU sont les suivantes: production de biocarburants, dumping des produits agricoles, achats et locations de terres ici et là dans le monde par les fonds souverains et les multinationales, endettement des pays pauvres et, enfin, la spéculation. Selon la hiérarchisation effectuée par les agences de l'ONU, cette dernière figure en tête de liste loin devant les autres.

Il en est ainsi parce qu'en 1999 les banques de Wall Street ont obtenu de l'administration Clinton la déréglementation des marchés des contrats à terme leur accordant de fait le pouvoir de détenir des participations importantes dans les sociétés du secteur. En 2004, elles ont convaincu l'administration Bush de leur accorder un autre chapelet de déréglementations. Ensuite? En 2008, dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, Goldman Sachs, J. P. Morgan ainsi que des fonds spéculatifs américains, britanniques et allemands ont décidé une chose toute simple: plaquer les recettes et les instruments conçus pour le marché immobilier, les subprimes en particulier, au monde agricole.

En moins de deux, c'est le cas de le dire, les assauts spéculatifs menés avec une agressivité telle qu'elle révélait un appât du gain démesuré ont fait exploser les valeurs des matières premières. Résultats? En moins d'un an, l'indice des prix des aliments augmentait de 40 %, celui des céréales de 71 %. Quoi d'autre? La concentration conséquente à cette furia boursière s'est traduite par ceci: 10 multinationales contrôlent 85 % du commerce des aliments.

Selon une étude réalisée par Heiner Flassbeck, économiste en chef de la CNUCED, une agence de l'ONU, la situation qui prévaut aujourd'hui relève de l'irréel. Plus précisément, les prix imposés sont autant d'échos au dysfonctionnement d'une industrie en proie à la spéculation la plus folle qui soit. Exemple parmi d'autres: l'Éthiopie compte un contingent imposant d'affamés alors que la superficie des terres fertiles et cultivées suffirait amplement à nourrir tous ses habitants. Comment se fait-il? Le pays exporte une part des denrées alimentaires vers les nations choisies par les spéculateurs.

Depuis l'amorce de la flambée des coûts, les politiciens sont abonnés au silence même s'ils savent pertinemment que la mécanique mise en place est synonyme, pour reprendre le titre de Ziegler, de destruction massive. Leur attitude est une autre illustration de la banalité du mal. 


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 Des clichés sur les aînés

Stéphane Baillargeon, Le Devoir (07-04-12)

L'opposition a sorti le gourdin contre le blanchon automatisé du ministre Yves Bolduc cette semaine à l'Assemblée nationale et les médias ont vite rapporté la controverse. Normal. Cette histoire de robot antidépresseur a permis encore une fois de concentrer les habituels clichés âgistes sur les coûts réputés exorbitants de l'entretien des vieux, décrits par euphémisme comme des «personnes du troisième âge».

«La question de l'âgisme est tout aussi "dangereuse" que la question du racisme ou du sexisme, dit Martine Lagacé, professeure agrégée du Département de communication de l'Université d'Ottawa, sans commenter précisément cette histoire de toutous bébés phoques. Sauf qu'on parle très peu de cette forme d'exclusion. L'âgisme est même très souvent toléré dans notre société et dans les médias.»

Le débat sur le toutou à 6000 $ portait sur les ressources allouées aux soins «pour les aînés». Le ministre de la Santé a expliqué les vertus thérapeutiques d'un toutou bébé phoque que ses fonctionnaires sont en train d'expérimenter dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

«Les personnes âgées réagissent aux émotions et sont capables d'avoir des émotions avec ça», a proposé le docteur en chef. Peine perdue. L'opposition a continué à décrier le manque de ressources pour s'assurer «que les bains soient donnés et que les repas soient mangeables [...] au lieu de faire appel à des clowns».

La professeure Lagacé s'intéresse à la discrimination envers les personnes âgées et aux rapports intergénérationnels depuis son doctorat en psycho sociale (1997) qui analysait l'impact des stéréotypes sur des fonctionnaires fédéraux en retraite anticipée. Avec ses collègues psychologues, médiologues ou économistes, depuis quinze ans, elle scrute les clichés colportés dans la société et au travail en particulier.

L'espérance de vie s'allonge et les stéréotypes s'étendent. Les clichés sur les vieux renversent ceux sur les jeunes. La vieillesse est technophobe, la jeunesse, technophile. Les travailleurs de plus de 45-50 ans sont blasés, improductifs, conservateurs, tandis que les moins de 40-45 ans se révèlent motivés, dynamiques, progressistes. Et puis, les vieux sont laids et les jeunes sont beaux, évidemment.

Ces lieux communs ont des effets très pernicieux. «La présence de stéréotypes âgistes en milieu de travail ou auprès des retraités a un impact psychologique important, poursuit la spécialiste. Les clichés affectent leur santé psychologique et leur estime. Ils poussent aussi des travailleurs à la retraite.»

Tout ça a un énorme coût socioéconomique qu'un collègue de Mme Lagacé est en train de mesurer au Canada. Reste la cause, ou à tout le moins «les véhicules de transmission» de ces images déformantes, qu'une première analyse médiatique pionnière vient de cerner. Des études ultérieures s'intéresseront à d'autres paroles publiques, les discours politiques et médicaux notamment.

La professeure a concentré l'enquête pionnière sur La Presse et The Globe and Mail. Un premier recensement a permis de choisir un peu plus de mille articles publiés pendant certaines semaines de 2000, de 2005 et de 2009. Un second tri a ramené l'échantillon à 120 textes, soit 60 pour chacun des grands quotidiens, tous soumis à une fine analyse de contenu considérant chaque fois les thèmes abordés, la longueur de l'article, le ton général ou le vocabulaire dans ce monde où les euphémismes abondent: seniors, elders, aînés... «Le mot soigné cache une vision négative», résume la chercheuse qui a présenté une version préliminaire de son enquête à l'Observatoire Vieillissement et Société le mois dernier.

Vrai négatif, faux positif


Et alors, quelles sont les grandes conclusions? «Quand la presse canadienne parle du vieillissement, elle en parle de manière très polarisée, résume la chercheuse. D'un côté, on en parle de manière négative en répétant que c'est une mauvaise affaire de vieillir, un poids lourd pour la société. Dans cette vision, les personnes âgées sont des victimes et elles exigent des soins sans rien donner en retour. D'un autre côté, les médias en parlent avec des exemples exceptionnels, en louangeant tel monsieur de 85 ans capable de nager sept kilomètres, ce qui renforce au fond le cliché du vieux habituellement incapable, y compris pour les autres personnes âgées.»

Le traitement médiatique oscille entre le vrai négatif et le faux positif. «Ce langage polarisé ne correspond pas à la réalité du vieillissement, poursuit Mme Lagacé. Les faux positifs créent de l'âgisme dans la génération des personnes âgées. Le discours négatif qui décrit les personnes âgées comme des gens séniles dans le besoin crée un âgisme intergénérationnel.»

Les exégètes des médias n'ont pas vu de différence notable entre les deux journaux. Le Globe comme La Presse traitent d'ailleurs le plus souvent la vieillesse sous l'angle économique, ce qui accentue la perspective utilitaire, pour ne pas dire néolibérale.

«Le Globe se concentre plus sur la démographie, le tsunami gris qui s'en vient. La Presse s'attarde plus à la retraite, demande sans cesse combien ça va coûter d'entretenir les retraités. Ce discours sous-tend que la personne âgée n'est plus productive au sens économique et néolibéral. On oublie toute sa présence sociale.»

À peine une douzaine d'articles portaient sur les rapports intergénérationnels positifs. Douze sur cent vingt...

Autre constat: les vieilles femmes n'existent presque pas dans le corpus. Cette double norme discriminatoire corrobore des études antérieures sur l'absence des femmes âgées à la télé.

Reste à savoir si les médias créent les clichés ou les reproduisent. Martine Lagacé pense que les deux possibilités ne s'excluent pas. Les journalistes semblent méconnaître la réalité des personnes âgées et tombent vite dans les redites et les poncifs.

«Dans La Presse, les CHSLD sont presque toujours présentés comme des mouroirs. Il y a une part de vérité. Mais il y a aussi de beaux endroits et de belles histoires à raconter», dit la professeure, qui recommande aux médias de faire de la vieillesse une spécialité, comme l'éducation ou la danse contemporaine.

«Le vieillissement de la population, ce n'est pas qu'une mauvaise nouvelle, conclut Martine Lagacé. La preuve: le Japon traite très bien ses personnes âgées et c'est une société moderne et beaucoup plus vieillissante que la nôtre. Seulement, au Japon, les croyances autour du vieillissement sont beaucoup plus positives, revalorisantes pour le travailleur vieillissant et les personnes aînées. »


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Jésus qui?

Stéphane Laporte, La Presse (07-04-12)

 Le carême? Personne ne l'a fait. Les Québécois mangent plus de poulet halal que de poisson le vendredi. Le dimanche des Rameaux? C'est quoi? Une vente d'arbustes chez Rona ou Réno-Dépôt? Le Vendredi saint? Attendez que je me souvienne... Ce n'est pas la commémoration du massacre des Nordiques?

 De la fête de Pâques, il ne reste plus que le congé. Absolument rien autour de nous ne nous rappelle que ce long week-end est censé être la célébration d'une fête religieuse.

Jusqu'à l'année dernière, on pouvait compter sur la télé. Il suffisait de l'allumer pour voir le divin et lisse visage de Charlton Heston. Et on allumait, nous aussi: ça doit être Pâques...

Cette année, cherchez-le, Charlton Heston! Lui qui était si présent, lorsque nous étions enfants.

Hier soir, Vendredi saint, aux Grands Films de Radio-Canada, normalement, on aurait eu Ben-Hur, Les dix commandements, Spartacus ou le Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli. Ben non! Ce n'était pas ça. C'était La proposition, comédie romantique avec Sandra Bullock. Au cinéma de fin de soirée, on a programmé Je m'appelle Eugène, film suisse.

Ce soir, en ce Samedi saint, sur TVA à 19h, on a un film racontant la vie d'un héros bon aux pouvoirs magiques. Mais ce n'est pas Jésus. C'est Harry Potter. Pendant qu'à Radio-Canada, on a pensé à notre vie spirituelle en diffusant Cruising Bar II.

Demain, au cours de la sacrée soirée de Pâques, V diffuse une comédie avec Jack Nicholson tandis que Télé-Québec projette un drame sur la mafia italienne. La seule référence religieuse à l'antenne sera Dieu merci! à TVA. Éric Salvail, riez pour nous!

Bien sûr, en fouillant dans votre TV Hebdo, vous finirez par trouver les classiques du week-end saint, mais ils n'ont plus droit aux cases grand public, comme jadis. Les dix commandements sera à l'affiche demain à minuit, ce qui est plus une heure de film de cul que de film de culte. Si ça vous intéresse, ça se termine à 4h15 du matin. Ça vous donnera le temps de prendre votre douche avant de regarder Ben-Hur, à 7h45 à TVA ou à 14h30 à Radio-Canada. Eh oui, Ben-Hur est aux deux.

Si les grandes fresques bibliques sont reléguées aux heures des infopubs de bain adapté, c'est qu'elles n'intéressent plus personne. Même pas à Pâques.

Avant, on les regardait pour se donner bonne conscience, en se disant, c'est moins pire que d'aller à la messe. Maintenant, on les a trop vus, on est tannés, on ne veut même plus se donner bonne conscience.

Notre conscience est occupée à faire du ménage, à manger du chocolat, à visiter New York. Notre conscience va très bien merci.

Faites un vox pop et demandez aux gens: en quel honneur profitons-nous de ce congé pascal? Plus de gens vous répondront que ça doit être l'anniversaire de Pascale Nadeau plutôt que la résurrection de Jésus.

La formule peut choquer, mais elle décrit bien l'humeur générale: on se crisse du Christ.

Ça devait arriver tôt ou tard. L'homme s'est fait discret depuis 2000 ans. Il avait pourtant promis de revenir. Jésus est comme le nouveau CHUM, il se fait tellement attendre qu'on finit par ne plus y croire.

Pourtant, il y a quelque chose de tellement subversif dans son histoire qu'il demeure, pour moi, un modèle. LE modèle.

Oubliez le pape, l'Église, les guerres saintes et les scandales sexuels, et pensez uniquement à la vie de celui en qui des millions de gens croient toujours aujourd'hui. Avec plus ou moins de ferveur, selon que l'on soit au Québec ou ailleurs.

C'est quoi, la vie de Jésus? C'est la vie d'un paumé. Jésus était pauvre. Jésus était un prisonnier. Jésus était un condamné à mort. Qu'on a tué. Il n'y a pas de destin plus misérable. À contre-courant de tous les exemples de réussite qu'on glorifie.

Qu'a-t-il fait pour traverser le temps? Des miracles? Peut-être. En tout cas, sûrement un. Celui d'avoir dit, il y a énormément longtemps, «aimez-vous les uns les autres», et le fait qu'on le cite encore aujourd'hui.

Je sais bien qu'il s'en est dit beaucoup, des belles phrases sur l'amour. Saint-Exupéry a dit: «Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction.» Les Beatles ont dit: «All you need is love.» Patrick Norman a dit: «Le coeur devient moins lourd quand on est en amour.» Mais «aimez-vous les uns les autres», c'est ce qui s'est dit de plus beau, de plus simple, de plus vrai, de toute l'histoire de l'humanité.

La raison de la vie, le secret du bonheur, il réside dans ces six mots.

Voilà pourquoi, ce week-end, on peut bien faire le ménage de son garage avec son voisin, visiter New York avec sa blonde, bruncher avec sa vieille mère ou regarder une comédie avec son enfant, si on le fait en aimant ceux avec qui on est, on fête Pâques.

On fête le message qui a survécu à toutes les horreurs du monde.

Car on a beau tuer l'amour, il ressuscite toujours.

Jésus qui? Jésus, le gars qui a dit: «Aimez-vous.»

Joyeuses Pâques! 


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La Pâque des non-croyants

Cette fête continue à jouer un rôle irremplaçable dans nos sociétés même si elle vide de signification

Raynald Valois, La Presse (07-04-12) 

 Quand Pâques refleurit au soleil, tout le monde s'affaire à préparer ses réceptions, à grand renfort de bonne chère, de bon vin et de chocolat. Pourquoi tout ce branle-bas de combat? De fait, à peu près personne ne se demande vraiment en quel honneur on s'excite autant ce jour-là. Pourtant, qui souhaiterait que ces célébrations disparaissent, même si elles semblent aujourd'hui absolument vides de signification?

Cependant, quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elles continuent à jouer un rôle irremplaçable dans nos sociétés, malgré la façade d'indifférence généralisée à l'égard des questions les plus troublantes pour le genre humain. En apparence, nous nous préoccupons surtout de la santé financière de nos foyers et de nos États, des problèmes écologiques, de l'engorgement des urgences, des droits de scolarité, de la crise de l'euro, du nucléaire iranien, des talibans, etc.

On entend et lit peu de chroniques sur le vrai sens de Pâques, sur la mort et sur l'au-delà. Hormis, peut-être, lors des grandes catastrophes, il y a très peu d'espace dans le discours public pour ce genre d'interrogations. Pourtant, l'angoisse existentielle est bien présente, mais facilement masquée derrière toutes ces alarmes qui font la une de nos médias. Peut-être a-t-on tendance à voir des menaces et des démons partout, parce qu'on a tiré un voile sur la seule vraie menace, celle de la mort qui nous attend tous inexorablement?

Cela expliquerait pourquoi les célébrations religieuses se perpétuent et qu'on y tienne tant, même si on ne croit plus à grand-chose. Elles répondent à un besoin humain toujours aussi actuel. Jadis, on pleurait ensemble une mort exemplaire, dans un supplice exemplaire, celui de la croix. Et tout le monde en était ému, y projetant sa propre souffrance et celle de tous ces humains qui sont broyés par la haine, la bêtise ou simplement le destin. Il suffit d'écouter une musique aussi sublime que La Passion selon saint Mathieu de J.-S. Bach, pour communier, encore maintenant, à cette compassion, qui est déjà une anticipation de la grande tristesse de l'ultime séparation.

On l'oublie parfois, mais les événements qui font l'objet de ces commémorations n'appartiennent pas seulement à notre tradition. L'esclavage, la souffrance et la mort ont toujours affligé l'humanité. Partout sur la Terre et depuis les origines, on a craint le Mal et la Mort et on a inventé toutes sortes de rites, comme les sacrifices d'animaux et même d'humains, pour s'en protéger.

Les Égyptiens ont eu leurs dieux morts et ressuscité Osiris et Horus, et les Grecs ont eu Dionysos, le dieu deux fois né, ou encore le Phénix, qui renaissait de ses cendres. Il en est de même pour tous les drames cosmiques associés partout dans le monde à la régénération annuelle de la végétation, où l'on célébrait la victoire de la vie sur la mort.

Mais de nos jours, la religion ne nous est plus d'un grand secours, même si nous craignons de voir le monde basculer dans le chaos. C'est à ce moment que la réflexion philosophique peut nous venir en aide et nous rappeler que nos vies, de même que l'existence de l'univers entier, sont pleines de sens et que tout peut renaître. Comment imaginer que toutes ces merveilles, dont nous profitons quotidiennement, soient là sans aucune raison, et que leur destin final soit le retour au néant? Comment croire que nous soyons sortis de rien pour retourner à rien, comme par hasard? Et le monde entier pourrait-il être apparu par la force de lois naturelles venues d'on ne sait où? Serait-il absolument inexplicable, pour ne pas dire absurde?

Alors il faut bien qu'une Intelligence suprême l'ait conçu et lui ait donné l'existence. Ceci n'est pas un mythe inventé des poètes ou des esprits en délire. C'est le genre de doctrine que l'immense majorité des philosophes ont démontrée depuis des siècles: puisqu'il existe quelque chose plutôt que rien, quelque chose qui aurait bien pu ne pas être, il faut absolument qu'une Cause première - absolue, infinie et éternelle - soit à l'origine du grand Tout.

Et comment croire que l'Être suprême qui est derrière tout cela puisse nous avoir créés pour nous plonger dans la misère? Dieu serait-il un sadique qui s'amuserait à entretenir la souffrance universelle? Quel non-sens et quel affront à notre intelligence!

Beaucoup de gens qui nient l'existence de Dieu n'osent pas espérer que le soleil puisse finir par dissiper les nuages qui assombrissent l'avenir de l'humanité: celle-ci serait corrompue et courrait à sa perte. C'est le genre de pessimisme qui empoisonne notre atmosphère. Ce sentiment est si répandu en Occident et si ardemment cultivé par nos médias, qui ne cessent de faire l'étalage des horreurs qui frappent nos sociétés!

Comme Dieu nous a créés libres, notre destin dépend autant de nous que de lui. Nous pouvons et devons faire des choix. Par conséquent, il est inévitable que nous commettions parfois des erreurs, même de très graves. Alors nous nous sentons perdus et condamnés à tout jamais. C'est d'ailleurs probablement pour s'autopunir que les humains ont inventé l'Enfer et s'en sont servis comme d'un épouvantail depuis deux mille ans. Finalement ne serait-ce pas le sentiment de culpabilité qui nous ferait le plus souffrir et qui nous porterait à désespérer de Dieu?

Pourtant, nos erreurs ne sont pas irréparables. De même, nos souffrances peuvent servir à nous apprendre des choses qui nous rendront meilleurs et plus heureux. La vie est ainsi faite que l'on ne comprend pas grand-chose, si ça ne fait pas un peu mal. Bien plus, il est clair que nous refuserions un bonheur qui nous tomberait dessus sans que nous l'ayons acquis par nos propres forces. En fait, ce soi-disant cadeau ne pourrait pas être un vrai bonheur.

Dans le fond, c'est ce genre de vérités, que tous les hommes ont perçues intuitivement et qu'ils ont exprimées à travers des symboles et des histoires merveilleuses de mort et de résurrection, qui leur servaient à garder vivante l'espérance en la victoire finale du Bien sur le Mal.

Aujourd'hui nous ne sommes plus aussi sensibles à ce langage imagé: nous sommes devenus trop raisonneurs et trop froidement réalistes. En retour, heureusement, il nous reste justement la Raison, qui peut nous aider là où l'imagination nous fait défaut. Tout le monde est philosophe à sa manière et peut se servir de sa propre réflexion pour comprendre que la vie a un sens et que la mort n'est qu'un passage difficile.

Et puisque Pâques inaugure la saison des amours, pourquoi ne pas y fêter Dieu comme le grand Entremetteur et voir la Résurrection, comme l'éternelle consécration de nos plus merveilleux moments d'extase?

L'auteur donnera une conférence intitulée «Dieu est-il responsable de nos malheurs?», le mardi 17 avril, au Centre St-Pierre, à 19h, à Montréal. 


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Bully : BRISER LE SILENCE

Marc-André Lussier, La Presse (07-04-12)611-8

Bully (Intimidation en version française) a déjà fait couler beaucoup d’encre. Le documentaire de Lee Hirsch s’intéresse au sort de cinq familles américaines marquées par le drame de l’intimidation. Cinq histoires pour briser le silence. Dans deux d’entre elles, on pleure le suicide d’un enfant.

Pendant toute une année scolaire, le cinéaste et son équipe, munis d’un équipement très léger, se sont plus particulièrement immiscés dans la vie d’Alex. Ce jeune garçon de 14 ans, qui fréquente une école de Sioux City dans l’Iowa, est régulièrement pris à partie par ses camarades à cause de son aspect physique un peu « différent ». Alex doit aussi vivre constamment sous la menace verbale et physique des jeunes matamores qui s’amusent à ses dépens. Les trajets en autobus sont infernales. Et portent atteinte à l’intégrité physique du jeune homme de façon si grave que Lee Hirsch a décidé de montrer aux autorités les images qu’il avait captées. Le bullying fait tellement partie des mœurs que les agresseurs n’ont pourtant que faire de la présence d’une caméra.

« Cela ne m’a pas surpris qu’ils agissent ainsi, a commenté le réalisateur plus tôt cette semaine au cours d’un entretien téléphonique. Les caméras font partie de la vie des jeunes. Elles sont partout. Ils ne sont pas intimidés du tout. Même si notre présence à leurs côtés était discrète pendant toute cette année, il n’aura pas fallu beaucoup de temps avant qu’ils fassent comme si nous n’existions pas ! »

Un cycle sans fin

L’intimidation en milieu scolaire existe depuis toujours. Lee Hirsch en a lui-même souffert à l’époque où il fréquentait une école secondaire au Vermont. À cette intimidation de cour d’école s’est aussi ajoutée celle issue des réseaux sociaux. Le cycle n’a désormais plus de fin. Et certains jeunes décident tristement d’en finir.

« Le problème était déjà très répandu à l’époque où je fréquentais l’école, mais on a l’impression qu’il est devenu encore plus aigu aujourd’hui, fait remarquer le cinéaste. À travers ce film, j’ai voulu donner une voix à ces 13 millions d’enfants qui sont victimes d’intimidation en Amérique. Ce phénomène n’est malheureusement pas exclusif aux États-Unis. Il traverse les frontières, les classes sociales, les âges aussi. Il s’agit d’un problème universel qui mine les rapports humains partout dans le monde. »

Parmi toutes celles qui ont été portées à l’attention du cinéaste, les cinq histoires évoquées dans Bully font partie des plus édifiantes.

« J’ai choisi de faire d’Alex le personnage principal du film car son histoire est exemplaire, souligne Lee Hirsch. De plus, l’établissement scolaire qu’il fréquente nous a laissé l’accès pendant toute l’année. D’une certaine façon, c’était assez courageux de leur part. Ils n’ont pas le beau rôle. Les agresseurs peuvent continuer leur jeu en toute impunité car les autorités les laissent pratiquement faire. D’ailleurs, les adultes de l’établissement ne semblaient pas trop savoir que faire de notre présence. À la fin, ils se sont certainement réjouis de notre départ. Je dois toutefois saluer le fait que ces gens ont honoré leur parole. Ils ont respecté leur engagement. Je l’apprécie grandement. »

Faire œuvre utile

Bully touche une corde sensible. Un élan de solidarité s’est créé avant même la sortie du film. La valeur sociale du documentaire prend ici tout son sens. Bully fera en outre l’objet de nombreuses projections spéciales destinées aux organismes voués à la protection des enfants, et aux intervenants du système d’éducation.

« On voudrait compter tous les jeunes d’Amérique du Nord qui verront le film, précise Lee Hirsch. On espère atteindre le million d’enfants. Nous avons reçu de nombreux appuis de la part de différents organismes. Plusieurs vedettes populaires soutiennent notre cause. On aimerait que ce million de jeunes spectateurs devienne réalité. »

Quand on lui fait remarquer que la culture d’intimidation a aujourd’hui contaminé toutes les sphères de l’activité humaine, politique, médias, téléréalités, etc., Lee Hirsch revendique la conscientisation.

« Je ne suis pas naïf, dit-il. Le problème de l’intimidation ne pourra jamais être complètement éradiqué. Mais on peut le résorber. C’est justement parce que la culture des adultes est contaminée par ce fléau qu’il faut d’abord réagir à la source. Le changement des mentalités viendra des enfants eux mêmes. Les réseaux sociaux peuvent aussi être un relais formidable pour cette conscientisation. Les jeunes partagent leurs histoires. Une pétition contenant plus de 500 000 signatures a circulé afin que le film devienne accessible à tous les publics aux États-Unis. Je trouve cette énergie très belle, très positive. Et ça donne foi en l’avenir. »

Autrement dit, Bully lance enfin une discussion sur un drame trop longtemps glissé sous le tapis. Lee Hirsch fait assurément ici œuvre utile. Il croit profondément aux vertus du cinéma pour aider à progresser vers une meilleure compréhension.

« Chaque geste compte, affirme-t-il. Le plus beau de l’affaire avec ce film, c’est que des jeunes se sentent désormais moins seuls à vivre le problème. Certains d’entre eux décident même de se tenir debout devant leur intimidateur. En quelque sorte, Bully est une thérapie collective. Je ne sais pas si un film peut changer le monde mais j’aime le croire. J’ai vu Cry Freedom quand j’étais jeune et ce film a carrément transformé ma vie. Pour toujours. »

Bully
(Intimidation en version française) prend l’affiche le 13 avril.
 
 

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L'application de la semaine

Le Multidictionnaire: 30 000 entrées en toute mobilité611-9

Maryse Tessier, La Presse (04-04-12) 

 Le Multidictionnaire de la langue française prend d'assaut l'App Store.

Pour en savoir plus

Pour 16,99$, les détenteurs d'un iPod Touch ou d'un iPhone ont accès non seulement aux 30 000 entrées de 611-10l'ouvrage, mais aussi à 300 exercices, accompagnés de leur corrigé, qui permettent de tester ses connaissances de la langue de Molière.

 La date de sortie sur appareils Android n'est pas encore planifiée. 

Cette application est idéale pour les cours d'été... et pour faire de la place dans le sac à dos.

 

   


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 Le piège Internet

Christian Rioux, Le Devoir (30-03-12)

La nouvelle a fait le tour du monde en quelques jours. En France, Loys Bonod est devenu une vedette des médias. On l'a interviewé sur les radios populaires. Ce professeur de 36 ans a même participé à des tribunes téléphoniques. Une renommée à laquelle les professeurs de lettres classiques ne sont guère habitués, mais qui devrait attirer l'attention de tous les fanatiques des nouvelles technologies à l'école et autres twitterature.

Qu'a donc fait Loys Bonod pour avoir droit à une telle célébrité médiatique? Il a piégé ses élèves de première, ce qui équivaut à peu près à la première année du cégep. L'expérience vaut d'être racontée en détail tant elle illustre la naïveté du discours aujourd'hui dominant qui prêche l'utilisation tous azimuts des nouveaux médias à l'école.

Ce jeune professeur du lycée Chaptal à Paris avait souvent été frappé de lire dans les dissertations de ses élèves des expressions syntaxiques obscures répétées dans plusieurs copies. En cherchant sur Internet, quelle ne fut pas sa surprise de les retrouver dans des corrigés de dissertation vendus sur la Toile pour moins de trois dollars.

Il y a plus d'un an, il a décidé d'en avoir le coeur net et de «pourrir le Web» à sa façon, dit-il. Dans sa bibliothèque, il sélectionne un très beau poème baroque de Charles de Vion d'Alibray, un poète du XVIIe siècle. Il crée un compte pour devenir contributeur de Wikipédia et modifie la notice du poète y ajoutant quelques informations farfelues. Il lui invente notamment une muse, Mlle Anne de Beaunais (bonnet d'âne), qui aurait inspiré au poète des vers lyriques et sombres.

Il publie ensuite des questions d'étudiants sur Internet commentant ledit poème. Il y répond aussitôt en se faisant passer pour un érudit. Ses réponses sont pourtant totalement ineptes et même délirantes. Il s'agissait de se donner un peu de «crédibilité» pour ensuite proposer à des sites payants des corrigés de dissertation. Ces corrigés sont évidemment lamentables et contiennent des fautes d'orthographe soigneusement dissimulées. On les publie pourtant intégralement, probablement sans les lire. Bonod utilise un nom d'emprunt qui ne s'invente pas: Lucas Ciarlatano!

À la rentrée scolaire, le professeur donne deux semaines à ses élèves pour commenter le poème. Il précise bien qu'il n'y a aucune recherche à faire, les élèves ayant déjà eu un cours sur l'époque baroque. Il s'agit d'un simple exercice de réflexion personnelle sur un texte par ailleurs magnifique. Résultat: 51 des 65 élèves ont plus ou moins recopié ce qu'ils ont trouvé sur Internet. Certains ont simplement récupéré de fausses informations sans les recouper, les vérifier ni citer leurs sources. D'autres ont recopié des paragraphes entiers trahissant une incompréhension totale du texte.

Cette anecdote ne serait qu'une supercherie sans conséquence si Loys Bonod n'en tirait une leçon qui devrait être gravée en lettres d'or dans toutes les classes: «les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique». Et il ajoute que «leur servitude à l'égard d'Internet va même à l'encontre de l'autonomie de pensée et de la culture personnelle que l'école est supposée leur donner. En voulant faire entrer le numérique à l'école, on oublie qu'il y est déjà entré depuis longtemps et que, sous sa forme sauvage, il creuse la tombe de l'école républicaine».

On dira que ce professeur est un vieil éléphant rabougri. Manque de chance, Loys Bonod est un passionné d'Internet qui publie même un blogue. Que nous apprend cette expérience originale? Que la Toile avec ses multiples notices anonymes n'est pas le lieu d'une information vérifiée et de qualité. Jamais ces élèves n'auraient reproduit de telles inepties s'ils étaient allés dans une bibliothèque. Les livres, les revues ou les banques de données qu'ils auraient alors consultés auraient été choisis par des bibliothécaires compétents. Ils auraient été publiés par des éditeurs au moins capables de porter un certain regard critique sur le texte et d'en corriger les fautes.

Jeter des élèves sans la moindre formation sur la Toile, c'est comme jeter un apprenti nageur à la mer en pleine tempête au lieu de lui apprendre à nager dans une piscine ou une baie abritée. Depuis quand apprend-on à marcher dans la rue Sainte-Catherine à l'heure de pointe?

Mais il y a pire. En cultivant la frénésie d'Internet, comme on le fait partout, on instille chez l'élève l'idée encore plus nocive qu'il peut avoir accès à la connaissance en un seul clic. Et surtout sans le moindre effort. On cultive donc ainsi sa dépendance à l'égard d'autrui. Pressés de se précipiter sur l'écran, la plupart des élèves du lycée Chaptal n'ont même pas pris le temps de lire attentivement le sonnet que leur professeur avait soigneusement sélectionné pour eux. L'eurent-ils fait qu'ils auraient déjà eu quelque chose à écrire.

Ce professeur n'est pas un ennemi d'Internet. Au contraire. Simplement, un professeur cultivé et compétent qui refuse de succomber à la dictature de l'air du temps. Et Loys Bonod de conclure: «On ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui.»

 


 

3 avril 2012

Vendredi le 6 avril 2012. Vol. 6, no. 10

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BUDGET FLAHERTY

Il y a des risques à négliger la

recherche fondamentale

«Si on va trop loin, on prendra du retard» par rapport à l'Europe et aux États-Unis estiment les scientifiques

Mélissa Guillemette, Le Devoir (31-03-12)ledevoir 610

La communauté scientifique se réjouit des investissements maintenus dans le domaine de la recherche dans le budget fédéral déposé jeudi. Mais l'orientation du financement vers des projets qui serviront aux entreprises canadiennes en inquiète plus d'un.

Si les organismes fédéraux liés à la recherche doivent aussi couper dans leur budget, de nouveaux investissements importants serviront à renforcer les liens entre les chercheurs et l'entreprise. Le gouvernement écrit qu'il «s'engage à adopter une nouvelle approche pour appuyer l'innovation, en ciblant les ressources sur les besoins du secteur privé.»

Ainsi, le Conseil national de recherche du Canada (CNRC) recevra par exemple une enveloppe de 67 millions pour réorienter ses activités vers la recherche «dirigée» vers l'entreprise et «pertinente pour l'industrie».

Ce passage dans le budget a fait sursauter l'historien et sociologue des sciences Yves Gingras. «C'est quand même des chercheurs gouvernementaux, rappelle le professeur à l'UQAM. Ou bien on ferme les centres de recherche et les industries se paieront des scientifiques pour leur recherche et développement...»

Par conséquent, on misera davantage sur la recherche appliquée, qui donne des résultats à court terme, que sur la recherche fondamentale, c'est-à-dire plus théorique et expérimentale.

L'administratrice pour l'Association francophone pour le savoir Louise Dandurand compare la recherche appliquée à un arbre et la croissance économique à ses fruits. La recherche fondamentale constitue le terreau qui nourrit le tout. «Les instances publiques doivent subventionner la recherche fondamentale, surtout que si le Canada abaisse son financement, ce n'est pas l'industrie qui va compenser. Une entreprise veut améliorer sa rentabilité rapidement et c'est normal.»

Le spécialiste des lasers ultrarapides à l'Institut national de la recherche scientifique, Jean-Claude Kieffer, connaît bien l'utilité de la recherche fondamentale au CNRC. Il travaille avec des collègues de l'Institut Steacie des sciences moléculaires qui développent des technologies sophistiquées ayant le potentiel d'avoir des retombées... à long terme.

Sans cette recherche fondamentale, le Canada risque de stagner, juge le chercheur. «Il ne faut pas oublier que les autres pays, en Europe ou aux États-Unis, continuent d'investir dans ces recherches de base et de développement de technologies de pointe. Si on va trop loin, on prendra du retard.»

***

Avec la collaboration de Pauline Gravel


 CARTOUCHE

Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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TRISOMIE 21

Ma belle Marie...

Anik Larose (Mère de Marie Bélanger), Le Devoir (31-03-12)

Marie, ma fille, ma belle adolescente... Tu auras 17 ans le 19 avril prochain. Comme la vie va, comme le temps est bon et nous donne, jour après jour, la chance de nous connaître mieux, de nous aimer encore plus. Tu es arrivée dans ma vie le jour de mes 29 ans. J'avais tout préparé: ta chambre, mon cœur de maman, une belle vie heureuse avec un papa qui t'aime et t'ouvre grands les bras. trisomie21     

Mais tu es arrivée avec un petit quelque chose en plus, un chromosome accroché bien malgré nous à la 21e paire... Tu es porteuse d'une trisomie 21. Ce fut un choc. Ton père et moi avions du mal à comprendre pourquoi la vie nous présentait cette épreuve. Et puis, tout doucement, tu es venue te blottir dans mes bras et notre fabuleuse histoire d'amour a commencé. Tu m'as regardée droit dans les yeux et j'ai senti que tu me demandais de t'aimer comme tu étais et qu'ensemble, nous franchirions les obstacles un à un, avec la conviction que ta vie serait remplie, valorisante et ancrée dans notre communauté.    

Le temps a fait son oeuvre. Un frère et une soeur sont venus dans ta vie. Comme tu es une soeur aimante et attentive pour eux! Malgré les petites chicanes d'une famille pleine de vie, ils te le rendent bien. Par ta seule présence, tu nous as permis de nous révéler à nous-mêmes, tu as fait de nous des personnes plus ouvertes, plus tolérantes, plus respectueuses des différences.
Nous t'en serons toujours reconnaissants, ma belle Marie. 

Prendre ta place, celle qui te revient

Tu as fréquenté la garderie avec beaucoup de bonheur. Tu aimais tellement jouer avec tes amis et apprendre mille choses qui t'auront été très utiles sur le chemin de l'école primaire. Avec ces mêmes camarades, tu as fait ton entrée à la grande école comme les enfants de ton âge. Dans cette école de quartier, tu as appris à lire, à compter et à prendre de l'autonomie. En retour, tu as laissé ta marque dans cette école et auprès de ces élèves qui seront certainement beaucoup plus réceptifs aux personnes qui vivent comme toi avec une déficience intellectuelle.    

Tu étais un petit rayon de soleil et sur ton passage, bien des adultes ont dû remettre en question leur approche face aux enfants ayant des besoins particuliers. Crois-moi, Marie, il y en a des adultes qui ont du mal à comprendre que tu n'enlèves rien à personne mais que tu souhaites juste prendre ta place, la place qui te revient...   

Et aujourd'hui, tu es au secondaire. Tu continues de nous épater. Comme un coffre aux trésors, tu nous fais découvrir toutes les facettes de ta personnalité, tes forces et ta détermination afin de franchir les obstacles.

Dépistage prénatal

Mais au même moment où tu poursuis ta route avec toute l'énergie qu'on te connaît, notre société bien-pensante considère Marie que ta vie ne vaut rien... Bien entendu, on ne l'exprime pas ainsi. On met en place un programme public de dépistage prénatal de la trisomie 21 afin de permettre aux femmes enceintes de connaître la probabilité que leur bébé soit porteur de cette «tare génétique».

Si ces tests étaient faits afin de permettre de contrer les effets du chromosome supplémentaire et de guérir ces enfants à naître, je ne pourrais que louanger cette initiative. Bien malheureusement, il n'en est rien. C'est bien pour les éliminer et «épargner» à la société ces personnes handicapées qui ultimement sont perçues comme coûtant beaucoup trop cher et rapportant trop peu.

Le 16 avril prochain, c'est au tour de la région de Laval de déployer ce programme public, la ville où nous vivons. En 2012, on veut dépister la trisomie 21 mais, dans les prochaines années, ce sera le tour de quelle différence? Que dira le corps médical à toutes ces futures mamans qui seront inquiétées très souvent pour rien? Est-ce que les enfants dans le ventre de leur mère devront recevoir l'aval de la médecine pour avoir le droit de vivre? Quoi te dire face à la société qui te crie haut et fort que, si elle avait eu la possibilité il y a 17 ans de dépister ta différence, tu ne ferais pas la joie de ta famille aujourd'hui?

Regarde-moi bien, Marie... Dans mes yeux tu verras tout l'amour d'une mère pour sa fille. Tu oublieras peut-être que les humains sont calculateurs et intransigeants. Il faudra encore se battre et prouver la pertinence de ta venue en ce bas monde. Et si seulement on prenait la peine de savoir qui tu es, peut-être que les savants calculs de nos décideurs sur les coûts/bénéfices prendraient le large? N'est-il pas vrai qu'une société civilisée, c'est une société qui accueille et prend soin des plus vulnérables?


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La culture de l'humiliation

Marc Cassivi, La Presse (03-04-12)

Alex est né à 26 semaines, bien avant terme. On lui donnait 24 heures à vivre. Il a survécu. Alex vit à Sioux City, dans l’Iowa. Il est l’aîné d’une famille de quatre enfants. Un adolescent atypique, maladroit, au physique ingrat. Un nerd, un weirdo, un punching bag maigrelet et bringuebalant, qui se fait régulièrement traiter de « face de poisson » par ses camarades de classe. Quand ils sont polis...

Alex avait 14 ans lorsque le documentariste Lee Hirsch a décidé de le filmer pendant une année scolaire complète. Pour témoigner de l’intimidation dont est victime ce garçon sans malice, au cœur pur, qui a eu le malheur de naître prématurément et d’être resté « différent » des autres.

Bully, dont la première montréalaise a eu lieu hier soir (le film sera à l’affiche la semaine prochaine), est un documentaire troublant, extrêmement émouvant, qui s’intéresse au sort de cinq familles de différentes régions rurales des États-Unis. Deux d’entre elles sont en deuil d’un enfant qui s’est suicidé à force d’être intimidé (l’un n’avait que 11 ans). Les trois autres tentent de protéger leur enfant d’une pratique qui semble être perçue, aux États-Unis, comme une fatalité.

Il est vrai que l’intimidation, particulièrement dans le cadre scolaire, a toujours été plus ou moins tolérée. Ici comme ailleurs. Les geeks se faisaient ridiculiser devant leur casier à mon école aussi, il y a 25 ans. Et on ne courait pas toujours à leur défense.

En voyant Bully, on se dit que les choses n’ont pas changé pour le mieux. Et que la violence et la cruauté des rapports entre adolescents ne semblent plus avoir de limites. Comme le dit la mère d’Alex dans le documentaire de Lee Hirsch : « Quand j’étais petite et qu’il y avait du grabuge dans l’autobus scolaire, le chauffeur s’arrêtait et intervenait. Aujourd’hui, personne ne fait plus rien. »

Dans l’autobus qui le mène de la maison à l’école, Alex se fait non seulement traiter de tous les noms (tapette, salope, etc.), mais on le menace, devant les caméras, de le poignarder et de le laisser pour mort, sans que quiconque ne bronche. Bonjour la solidarité étudiante.

Le « crime » d’Alex ? Avoir voulu se faire un ami. Ce qui n’est pas simple lorsqu’on est constamment isolé, marginalisé, et que l’on n’a pas su développer de capacités sociales. Est-ce une raison pour être méprisé, ridiculisé, menacé physiquement et psychologiquement ?

Bien sûr que non. « Boys will be boys », répondent pourtant les éducateurs, impuissants, dépassés par les événements, minimisant un phénomène grave qui, à force d’être publicisé, commence à être considéré pour ce qu’il est : un problème de société.

Comme spectateur, je me suis senti solidaire du désespoir de ces parents dignes et meurtris, à qui l’on ne propose aucune solution. Furieux de tant de laxisme, ébranlé par ce que subissent ces enfants, simplement parce qu’ils sont différents.

« Des gens que nous côtoyions depuis des années ne nous adressent plus la parole depuis que notre fille a fait son coming out », raconte le père d’une adolescente ostracisée autant par ses camarades de classe que par ses professeurs dans un village de l’Oklahoma. « On nous a appris à l’église qu’être gai était un péché. Avoir un enfant homosexuel remet les choses en perspective », dit sa mère. Les discours rétrogrades sur l’homosexualité se font malheureusement entendre à l’extérieur de la Bible Belt américaine...

Je trouve difficile de me faire des amis », avoue Alex, parfaitement lucide, au premier jour de son année scolaire, appréhendant le pire. Même ainsi averti, le spectateur ne peut imaginer ce qu’il va découvrir à l’écran. Alex se faisant humilier, verbalement et physiquement, devant les caméras. Non, ceci n’est pas une fiction.

Je me suis même demandé si ses tortionnaires, qui le frappent, l’insultent et le blessent à coup de stylos, n’en avaient pas ajouté une couche pour le documentaire de Lee Hirsch. Devant tant de violence gratuite, craignant pour la sécurité d’Alex, le cinéaste a dû interrompre son tournage pour montrer ces images troublantes à la direction de l’école et aux parents.

« Si ceux-là ne sont pas mes amis, qui sont mes amis ? », demande candidement Alex à sa mère, stupéfaite de découvrir son fils, de plus en plus enfermé dans son mutisme, souffrant du syndrome de Stockholm. En voyant tous ces jeunes en intimider un autre à visage découvert, je me suis demandé de mon côté comment ils pouvaient être aussi insensibles. Non seulement à la détresse de ce préadolescent maladroit, mais aussi aux caméras qui rendent compte de tous leurs actes.

Par quelle logique tordue en est-on arrivé à trouver acceptable, même à 14 ou 15 ans, de menacer quelqu’un de mort, en l’humiliant et en le frappant, devant une caméra ? Par exhibitionnisme ? Par désir de se voir agir en mammifère dominant ? Par soif de reconnaissance publique ?

Il faut dire que nous vivons à une époque qui non seulement tolère l’humiliation, mais l’encourage. Lorsque je constate l’intérêt que suscite une téléréalité comme Occupation double, qui repose essentiellement sur l’humiliation de concurrents à peine mieux traités que des animaux en cage, je me dis que l’on participe à cette désensibilisation collective face à l’humiliation.

Que l’on ne s’étonne pas ensuite de voir un modèle que l’on exploite sans gêne, sous prétexte qu’il s’agit d’un divertissement entre adultes consentants, être reproduit dans les cours d’école. Avec les conséquences tragiques que l’on sait.


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L'homo tabarnacus

Patrick Lagacé, La Presse (31-03-12)

Le Québec adore quand un des siens brille aux États-Unis: de Céline Dion  à Robert Lepage en passant par le Cirque du Soleil, rien ne nous rend  plus fiers que d'être remarqué là-bas. Cette semaine, le Québec a brillé  par un de ses plus célèbres jurons, lancé dans la série-culte Mad Men,  sur le monde de la publicité new-yorkaise des années 60: «Câlisse!»

Quand la comédienne Jessica Paré a largué ce «câlisse» qui n'est utilisé nulle part ailleurs dans le monde, ce fut une sorte de confirmation métaphorique: on existe!

«"Câlisse", c'est fondamentalement québécois. C'est l'âme du Québec qui ressortait dans une série américaine», dit Olivier Bauer, professeur de théologie à l'Université de Montréal et auteur de L'hostie, une passion québécoise.

Oui, bon, «câlisse», c'est fondamentalement québécois, mais était-ce dans le répertoire d'une Québécoise des années 60?

Pas sûr, croit Jean-François Royal, directeur du Musée des religions du monde, à Nicolet: «À cette époque, les jurons de femmes étaient plus du type "Bonne sainte Anne!" ou "Doux Jésus!" "Câlisse" était davantage un juron d'hommes.»

Mais ne cherchons pas d'anachronisme là où il n'y en a peut-être pas, restons positifs: le «câlisse» de la Megan Draper de Jessica Paré suintait l'authenticité, selon Benoît Melançon, prof de littérature à l'Université de Montréal, animateur du blogue L'Oreille tendue, centré sur la langue et, ponctuellement, sur les jurons.

 tabarnacus

«Ce n'était pas un comédien français qui disait "tabernacle"! Quand Jessica Paré dit "câlisse", on sent qu'il fallait que ça sorte, il n'y a pas de filtre. On se reconnaît.»

Jean-François Royal en connaît un bout sur nos mots salés: le Musée présente ces jours-ci l'exposition Tabarnak, l'expo qui jure, et écouter parler son directeur, c'est plonger au coeur de la relation entre l'homo quebecensis et ses jurons. En vrac:

> Comme «câlisse», «tabarnak» est un des jurons les plus résilients du vocabulaire, contrairement à «torieux», dérivé de «tort à Dieu», qui est arrivé avec nos ancêtres français et qui a mal résisté au temps.

> «Hostie» s'est glissé dans nos bouches au début du XXe siècle, à la faveur d'un décret de l'Église: plutôt que communier une fois l'an, il fallait désormais le faire une fois par semaine.

> De 1875 à 1925, il y avait des concours de jurons dans les camps de bûcherons québécois.

***

Si «hostie» s'est contracté pour devenir, dixit Olivier Bauer, une fonction phatique anodine (une façon de soutenir l'attention: le «'sti», à la fin d'une phrase, en transition vers une autre), le «tabarnak», lui, reste le roi incontesté de tous les jurons québécois, celui qui marque une sainte colère...

C'est ce qui ressort d'un sondage Lagacé&Lagacé mené de façon intrépide sur Twitter, hier auprès de abonnés. «Tabarnak», c'est le signe que l'heure est grave, que le choqué est vraiment choqué. Et c'est ce que Jean-François Royal constate, lui aussi, au contact des ados qui visitent son musée. «Ils nous le disent: Quand mon père lâche un "tabarnak", je sais que là, ça va mal, qu'il n'est vraiment pas content!»

Mais le juron québécois, comme tant d'autres choses, n'est pas imperméable aux métissages et aux influences. Il intègre, notent MM. Royal et Bauer, de plus en plus de gros mots anglais: fuck, fucking, shit, bitch s'immiscent dans nos chapelets de jurons issus de la liturgie.

Olivier Bauer: «Les objets liturgiques sont de moins en moins chargés de symbolique.» Jean-François Royal: «Les jeunes jurent, sans savoir ce qu'est une hostie, un calice, un tabernacle. L'un d'eux m'a dit: Quand je sacre, je parle d'une coupe de vin? C'est poche...»

Peut-être, aussi, que l'anglais est la nouvelle frontière du juron, pour marquer encore plus vivement sa colère, son irritation. Témoignage de Melissa Martinez, qui m'a dit sur Twitter: «Pour moi, avoir fucking faim, c'est avoir plus faim que crissement faim.»

Tenez-vous-le pour dit, crisse.


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L'autre ring

Michel David, Le Devoir (03-04-12)

Avec ses airs de prince héritier, Justin Trudeau tombe sur les nerfs de bien des gens au Québec, mais le voir infliger un K.-O. technique au sénateur Patrick Brazeau a dû en réjouir plusieurs.     

Il n'a peut-être pas l'envergure intellectuelle de son père, mais il faut lui reconnaître un réel courage, de même qu'un remarquable talent pour la mise en scène. Tant qu'à faire de la politique-spectacle, aussi bien la faire avec style.    

Il faut sans doute se réjouir que le combat de samedi ait permis d'amasser 230 000 $ pour la lutte contre le cancer, mais sa dimension politique n'échappait à personne, comme en témoignent les huées que le gratin conservateur présent au Hampton Inn d'Ottawa a réservées au député libéral de Papineau, qu'il rêvait manifestement de voir expédier au tapis pour le compte.    

M. Brazeau avait versé dans l'euphémisme en disant que M. Trudeau et lui n'étaient pas «sur la même longueur d'onde dans la vie». Au-delà de la personnalité des deux protagonistes, ce combat illustrait on ne peut mieux la tournure de plus en plus musclée que prend le débat gauche-droite au Canada.    

M. Trudeau avait provoqué une véritable commotion à la mi-février, en déclarant qu'il ne reconnaissait plus dans le Canada de Stephen Harper ce «pays d'ouverture, de respect, de compassion» qu'il avait toujours été. À tel point qu'il pourrait à terme «songer à vouloir faire du Québec un pays».    

Avec ses tatouages, ses allures de matamore et son objectif avoué de faire mal à son adversaire, il n'était pas difficile de voir en M. Brazeau un symbole du pays «mesquin, petit d'esprit, fermé, anti-intellectuel» contre lequel M. Trudeau promettait de se battre «jusqu'à son dernier souffle».    

En réalité, c'est le premier ministre Harper qu'on rêverait de voir au plancher, terrassé par un Québécois furieux de voir ses valeurs piétinées. Plusieurs souverainistes ont même dû oublier pendant un moment que le héros de la soirée était un Trudeau. En revanche, la totale absence de français attestait qu'on se trouvait bien dans la capitale canadienne.

***

Lors du récent congrès néodémocrate, les délégués ont pu entendre un témoignage vidéo de Brian Mulroney, qui rendait hommage à Jack Layton, dont il disait se souvenir «avec énormément d'affection et de respect».    

Certes, M. Mulroney a quitté la politique depuis près de vingt ans, ce qui lui permet de passer outre plus facilement aux considérations partisanes, mais c'est aussi que sa vision du pays n'était pas aussi incompatible avec les idéaux de M. Layton que peut l'être celle de M. Harper.    

On s'est souvent moqué de l'expression «progressiste-conservateur», mais cela traduisait très bien la relative modération qui caractérisait le parti des Stanfield, Clark ou Mulroney, qui ne remettaient pas en question l'État-providence.    

Au milieu des années 1980, la conclusion d'un accord de libre-échange avec les États-Unis a donné lieu à un débat assez acrimonieux, mais les craintes de ceux qui prédisaient la fin des grands programmes sociaux canadiens se sont révélées sans fondement.    

Maintenant que M. Harper détient une majorité qui lui permet de laisser libre cours à l'aversion que lui inspire le welfare state, les Canadiens auront droit à un affrontement idéologique comme ils n'en ont encore jamais connu.    

Ce n'est qu'à son septième budget que Jim Flaherty a enfin eu l'occasion d'en présenter un à son goût et il a eu l'effet d'un choc. Les modifications annoncées au régime de sécurité de la vieillesse constituent la plus sérieuse atteinte au filet de sécurité sociale progressivement mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale et le pire est peut-être à venir.    

Justin Trudeau a eu le bon goût de décliner la demande de M. Brazeau, qui réclamait une revanche, mais le combat s'annonce encore plus dur dans le ring politique. Avec Thomas Mulcair, cela risque même d'être d'un combat extrême.

***

Hier, dans le foyer de la Chambre des communes, le sénateur vaincu a honoré son pari en faisant raccourcir sa queue de cheval d'une vingtaine de centimètres, après avoir endossé le chandail aux couleurs libérales qu'il devra porter pendant une semaine.    

Tout en saluant cette élégance dans une défaite qui a certainement été très dure pour son ego, on peut souligner que la présence au Sénat d'un homme dont les antécédents militaires semblent être le principal mérite laisse perplexe. Les autochtones ont sans doute leur place à la Chambre haute, mais on aurait pu trouver un meilleur représentant que cet admirateur de Rocky.    

Elle est bien loin l'époque où M. Harper dénonçait cette planque où les amis du régime se prélassent jusqu'à l'âge de 75 ans en touchant un salaire de 133 000 $, sans parler de dépenses qui dépassent parfois les 300 000 $.    

Âgé de seulement 37 ans, le sénateur Brazeau peut envisager l'avenir avec l'optimisme qu'inspire une sécurité financière assurée. Peut-être même réussira-t-il à trouver un autre adversaire à massacrer. 


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«Matériel»

Denise Bombardier, Le Devoir (31-03-12)

C'est de ce mot que le «libertin» Dominique Strauss-Kahn désignait les prostituées dans des SMS envoyés à ses amis des «parties fines» qu'ils organisaient pour leur idole, candidat espéré à la présidence de la République française et à l'époque grand patron du FMI. «Matériel», un choix de mot «pas très sophistiqué», a-t-il admis devant les policiers qui l'interrogeaient alors. C'est bien connu, les Français éduqués ont toujours des problèmes de vocabulaire. Les mots ne sont jamais innocents. On en veut pour preuve l'adoption généralisée de l'expression «travailleuses du sexe». Mise en avant aussi par des féministes angéliques sous prétexte de ne pas accabler ces femmes victimes ou victimisées, elle banalise cette forme d'esclavage, et ce, sous les applaudissements discrets de tous les proxénètes et mafieux de la planète.      

Faut-il s'étonner que DSK, grand consommateur de prostituées et agresseur sexuel de top niveau, «échappe» le mot «matériel», qui exprime exactement sa pensée à l'endroit de ces femmes, objets sexuels qu'il déshumanise pour mieux en abuser? Est-on surpris que la culture machiste française ait choisi les mots «libertin» et «parties fines» pour désigner des harceleurs et exploiteurs sexuels se défoulant dans des bouges haut ou bas de gamme au cours d'activités orgiaques contre argent sonnant? À vrai dire, toute conception romanesque de l'exploitation sexuelle se fait au détriment de victimes, femmes et enfants au premier chef, et au profit de consommateurs assoiffés de «matériel».    

Doit-on aussi se surprendre qu'en Ontario, la province où a failli sévir la charia en lieu et place de notre droit pour régir les conflits entre couples musulmans et la garde de leurs enfants, et ce, avec la bénédiction de féministes patentées, en Ontario, donc, la Cour d'appel, dans un jugement unanime, invalide les dispositions du Code criminel interdisant de tenir des maisons de débauche et de vivre du fruit de la prostitution, sauf s'il y a exploitation, est-il précisé? Il faut être reconnaissant au Conseil du statut de la femme du Québec d'avoir immédiatement condamné ce jugement. Pour notre Conseil, la prostitution n'est pas un travail mais un esclavage et une exploitation des femmes. Le Québec, société distincte, prend ici son sens le plus noble.    

Les «travailleuses du sexe» revendiquent leur statut haut et fort, mais l'on peut mettre en doute leur combat sans les accabler ou les condamner moralement. La prostitution, dans sa réalité et non dans les fantasmes qu'elle suscite, relève de l'exploitation et a toujours été un esclavage. Le commerce du sexe depuis la nuit des temps dépouille les femmes de leur dignité et de leur intégrité. Et qu'est-ce donc que cet argument massue en faveur de la législation de la prostitution au seul fait de l'existence du «plus vieux métier du monde»? La peine de mort, la torture, la pédophilie, le meurtre existent aussi depuis des millénaires. Grâce à des luttes séculaires inspirées par les philosophes qui magnifiaient l'homme et le sacralisaient en quelque sorte, nous en sommes arrivés à combattre ces pratiques barbares et régressives dont on sait, hélas, qu'elles perdurent. La prostitution, dont les naïfs prétendaient qu'elle diminuerait, du moins en Occident à cause de la révolution sexuelle, n'est pas freinée. Il s'agit donc de l'encadrer par des législations protégeant avant tout les victimes que sont les prostituées elles-mêmes.    

Des femmes choisissent sciemment de se prostituer, comment le nier? Le lucre n'est pas réservé qu'aux hommes. Cependant, c'est un «métier» qu'on ne choisit pas parmi d'autres. Et nous voilà renvoyés dans les abysses du mystère de la sexualité humaine. Vendre son corps, l'exposer aux outrages d'hommes tordus ou frustrés ou impuissants, surmonter un dégoût inévitable, un sentiment enfoui de dégradation, relèverait-il du travail au même titre que d'être caissière, secrétaire, institutrice? Comment peut-on débattre de la sorte en départageant le pour et le contre tout en revendiquant par ailleurs l'égalité des sexes?    

Les Suédois, à ce jour, ont répondu de la façon à la fois la plus réaliste et la plus respectueuse à ce problème. Ils ont décriminalisé les prostituées qu'ils souhaitent aider à se réhabiliter et ils criminalisent les maisons de débauche et les clients. La décision de la Cour d'appel de l'Ontario, certainement inspirée par le féminisme particulier de la province qui appuyait l'adoption de la charia dans le passé, se veut moderne et progressiste. Mais n'indiquerait-elle pas plutôt une dérive du progrès, une ignorance des conséquences de l'institutionnalisation des maisons closes transformées en PME et sous le contrôle des proxénètes locaux ou internationaux? Mais avant tout, ce jugement est la démonstration des limites du droit en matière d'encadrement d'activités sexuelles.    

À notre époque de liberté des moeurs, alors que les femmes revendiquent leur sexualité hors mariage, les hommes continuent d'aller au bordel, des prostituées s'affichent comme «travailleuses du sexe» et féministes pendant qu'est dénoncée l'exploitation sexuelle des femmes ailleurs sur la planète entière. Les mères-maquerelles ont toujours existé, mais la prostitution avec ses règles, ses lois, ses codes, son vocabulaire, est depuis des siècles définie par des hommes. Quelles femmes auraient inventé l'expression «parties fines» pour décrire un rituel qui les transforme en «matériel» pour le bon plaisir des hommes? Des prostituées revendiquent un statut de «travailleuses» dans une quête de reconnaissance sociale. Mais cela ne change pas la nature de la prostitution, qui demeure la forme la plus répandue de l'esclavagisme moderne. 


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Vives les riches

Manon Cornelier, Le Devoir (02-04-12)

Les moins nantis et les gagne-petit n'ont pas la cote par les temps qui courent. Pas à Ottawa, en tout cas. La classe moyenne a droit à quelques attentions et les bien nantis, à de multiples bonbons, mais les pauvres, eux, doivent se satisfaire de la portion congrue. Le budget présenté jeudi dernier par le ministre des Finances, Jim Flaherty, en est une démonstration de plus.     

Deux mesures l'illustrent à la perfection: les changements faits à l'assurance emploi et ceux apportés à la Sécurité de la vieillesse (SV).    

Commençons par l'assurance emploi. Il a toujours été possible de travailler tout en recevant des prestations, mais, passé un certain seuil, il était entendu que le revenu gagné était déduit du chèque hebdomadaire d'assurance emploi. Depuis 2008, un prestataire peut, sans pénalité, gagner le plus haut des deux montants suivants: 75 $ ou l'équivalent de 40 % de ses prestations.    

Le gouvernement propose maintenant qu'un prestataire puisse gagner jusqu'à 50 % de sa prestation avant d'être pénalisé. C'est une très bonne affaire pour une grande partie des prestataires. Mais elle a un défaut. Elle ne prévoit aucun montant plancher, ce qui veut dire que tous ceux qui reçoivent moins de 150 $ par semaine en prestations perdront au change.     

Recevoir moins de 150 $ par semaine n'est pas si exceptionnel que cela. Les prestations ne représentent que 55 % du salaire gagné. Pour recevoir 150 $, une personne doit avoir gagné 272,72 $ en moyenne par semaine durant la période exigée pour être admissible.    

Depuis mai 2011, le salaire minimum est de 9,65 $ l'heure au Québec. Dans le cas des employés à pourboires, il est de 8,35 $ l'heure. Pour gagner ce modeste salaire de 272,72 $, un travailleur doit travailler environ 28 heures par semaine en moyenne, un travailleur à pourboires, plus de 32 heures, soit beaucoup plus que la moyenne dans le secteur de la restauration, selon Statistique Canada (23,2 heures par semaine en 2011).    

Ce sont donc tous ces petits salariés qui, mis au chômage, vont écoper, alors que rien ne l'exigeait. Le gouvernement aurait très bien pu adopter le nouveau seuil de 50 % tout en conservant un montant plancher. Il en a décidé autrement et se retrouve ainsi à punir les chômeurs vivant les situations financières les plus précaires.

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Le rehaussement de l'âge d'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse suit la même logique. Il désavantage avant tout les personnes qui, pour des raisons familiales, ont peu ou pas travaillé à l'extérieur du foyer et les petits salariés sans fonds de pension qui, faute de moyens, n'ont pas suffisamment d'économies pour leur retraite. En faisant passer l'âge de la retraite de 65 à 67 ans, on force ces personnes à prolonger leur vie active, que ça leur chante ou pas.    

Il aurait été pourtant possible de les protéger tout en faisant les économies souhaitées (si tant est qu'elles soient nécessaires). Il aurait simplement fallu modifier dès maintenant le seuil du revenu à partir duquel une personne voit ses prestations de la SV disparaître. Actuellement, toute personne âgée de plus de 65 ans qui gagne un revenu de 69 562 $ ou moins par année reçoit une allocation de la SV. Les personnes ayant un revenu supérieur voient la prestation décroître, pour complètement disparaître quand leur revenu dépasse 112 772 $.    

Abaisser ce seuil plutôt que de hausser l'âge d'admissibilité serait plus équitable, car on épargnerait les petits salariés tout en évitant de faire porter le fardeau de la réforme par les générations futures de retraités. Avec cette solution, les retraités mieux nantis seraient mis à contribution tout de suite. Le hic pour le gouvernement est que cela risquerait d'indisposer un électorat qu'il courtise.

***

Le peu de souci que les conservateurs ont pour les moins nantis se reflète aussi dans certains de leurs projets d'avenir. S'ils tiennent tant à éliminer le déficit avant les prochaines élections, c'est avant tout pour mettre en oeuvre certaines promesses électorales importantes. Lors de la dernière campagne, Stephen Harper s'est engagé, une fois le déficit effacé, à autoriser les familles avec enfants à fractionner, pour fins d'impôt, jusqu'à 50 000 $ de leurs revenus. Il a aussi promis de hausser à 10 000 $ par année les contributions qu'une personne peut faire à un compte d'épargne libre d'impôt (CÉLI).    

Ces deux mesures, dont la facture totale dépasserait les 2,5 milliards par an, sont pratiquement sans effet pour les gens à faible revenu. Il faut avoir les moyens nécessaires pour mettre des fonds dans un CÉLI. Quant au fractionnement du revenu pour fins d'impôt, il peut être très avantageux pour les familles de la classe moyenne dont le revenu familial dépasse 60 000 $, mais il l'est encore plus pour celles dont le revenu dépasse 90 000 $. Il est en revanche complètement inutile pour les familles monoparentales.    

En 2007, les services de recherche de la Bibliothèque du Parlement avaient calculé que le fractionnement du revenu des familles avec enfants aurait pu coûter à l'État environ 2,2 milliards. Les retombées se partageaient ainsi entre les différentes tranches de revenus: 1,3 milliard aux familles dont le revenu était supérieur à 90 000 $ par année, 661 millions pour celles gagnant de 60 000 à 90 000 $, 166 millions pour celles gagnant de 30 000 à 60 000 $ et... 12 millions pour toutes les autres.


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Il est possible de remettre

l'économie sur ses rails

Les coopérative du monde créent plus d'emplois que les multinationales

Normand Thériault, Le Devoir (31-03-12)

economie sur railsL'Occident est en crise. Et si terroristes à l'œuvre il y a, ils sont pour plus d'un inscrits dans une mouvance, celle dite capitaliste. Aussi, au moment où tout semble vaciller, quand les gouvernements ne semblent avoir d'autre modèle de correction financière que celui qui refile les factures des erreurs passées aux classes moyennes, voici qu'un autre discours se fait entendre: il décrit une autre économie où la priorité est accordée à la personne et non à la recherche du simple profit. Place à l'aventure collective en cette Année internationale des coopératives.

Au Québec, le modèle coopératif est inscrit dans la vie quotidienne. Il est d'ailleurs impossible de traverser une ville ou un village, et, dans les grands centres, même une agglomération, sans que le regard enregistre une enseigne où le vert domine: les caisses populaires, après un premier local ouvert à Lévis par un Alphonse Desjardins en 1900, sont devenues une composante quasi naturelle du paysage québécois. Et qui est fermier ne peut non plus oeuvrer sans méconnaître l'existence d'une Coop fédérée. Et qui est ministre, du budget surtout, ne peut déposer une planification sans qu'un représentant des coopératives d'habitation dénonce toute proposition s'il n'est alors pas fait état d'une mesure qui permette l'augmentation du parc locatif communautaire.

Et ainsi de suite, quand on aborde ailleurs le monde artistique où, s'il y a là des compagnies à l'oeuvre, plus d'une se voit être la propriété de ses membres: le réseau des galeries d'art parallèles est à cet égard exemplaire.

Pérennité

Et la formule coopérative est une formule heureuse. Comme le rapporte Étienne Plamondon Émond, «au Québec, le taux de survie des coopératives est établi à 44,3 % après dix ans, alors que celui de l'ensemble des entreprises n'atteint que 19,5 % pour la même période de temps. Après cinq ans, ce sont 65 % des coopératives qui demeurent en activité, comparativement à 44,3 % des entreprises québécoises».

Aussi, quand les Aveos ferment, quand MABE (une entreprise qu'autrefois CAMCO avait héritée de General Electric) déménage ou que Shell ferme ses raffineries et que AtraZeneca décide de rationaliser ses activités, c'est à coups de 1800, de 740, de 800 ou de 132 emplois perdus qu'il faut capitaliser les profits. Devant une telle situation, que faire? «Il faut s'intéresser directement à l'économie, puisque l'économie ne s'intéresse pas à nous! C'est-à-dire qu'elle nous laisse en plan, sur le bord du chemin, comme chômeurs... Il y a heureusement des solutions de rechange, dont les mouvements coopératifs», dira alors Louis Favreau, du GESQ, le Groupe d'économie solidaire du Québec.

Intervention


Et si dans une entreprise il y actionnariat, il peut être maîtrisé par ses membres: alors qu'autant il est difficile de se faire entendre lors des réunions des grandes banques, autant il est possible, et chacun est invité à répétition à le faire, d'intervenir dans les assemblées des caisses, comme des divers fonds de travailleurs.

Là, il sera question d'oeuvrer d'abord au profit du bien commun plutôt que de sacrifier des «biens», souvent humains, à la seule recherche d'un éventuel profit: il y a plus d'avantages à faire affaire avec des sociétaires plutôt qu'avec des actionnaires.

Puissance

On parle donc d'un modèle coopératif. Et les données qui le décrivent impressionnent. L'Alliance coopérative internationale rappelle d'ailleurs que les coopératives maintiennent sur la planète 100 millions d'emplois, soit beaucoup plus que les multinationales, et que leur chiffre d'affaires, même si on ne prend en compte que les 300 plus grandes d'entre elles, en fait, mis en référence aux pays, la neuvième puissance économique planétaire!

Pourtant, cela n'a pas empêché dans un passé récent qu'un secteur comme celui de l'assurance a vécu une vague de démutualisation: faut-il voir là un hasard quand on apprend que Sun Life vit présentement des jours difficiles?

Solution

Il faut remettre l'économie sur ses rails. Pour certains, ce sera un «plan Nord» qui peut se résumer à une simple dilapidation des ressources naturelles. Pour d'autres, il s'agira de recapitaliser des banques devenues frileuses, qui ne prêtent alors plus. Certains auront même une formule plus radicale encore: étrangler des pays en les obligeant à emprunter à fort taux d'intérêt et à aussi couper dans les «dépenses», ces sommes qui seraient normalement mises au service des personnes.

Et alors, on n'«investit» plus dans les personnes, en éducation ou en santé, mais on soutient par des transferts financiers des entreprises à numéros où l'anonymat règne dès qu'il est question d'identifier un dirigeant.

Nous en sommes là. Il y un choix à faire: ou on parle de solidarité et d'initiatives locales, ou on dépend d'un modèle économique qui se décrit en termes de cotes boursières, là où la mesure des choses n'est pas l'intérêt collectif, mais le gain en capital. Et que ce gain soit fait au détriment de qui travaille et de qui est l'usager, cela importe peu, pourvu que gain il y a.

Qui gagne alors dans un tel jeu? Et qui peut aussi se permettre d'ignorer qu'au Québec sept citoyens sur dix sont membres d'une entreprise inscrite dans le mouvement coopératif?


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L'aide aux peuples démunis

À qui profite le coup de l'ACDI

porté à Développement et paix?

Jean-Claude Leclerc, Le Devoir (02-04-12)

Si le cabinet Harper avait réduit des deux tiers les fonds alloués à Radio-Canada, le pays aurait compris qu'on veut en finir avec la société d'État. La réduction étant plutôt de 10 %, il n'y aura pas de tempête politique au Canada. Par contre, la subvention que l'ACDI verse à Développement et paix, coupée des deux tiers, annonce, sinon la fin d'une importante ONG, du moins une diversion radicale de l'aide aux pays pauvres. À qui donc profite ce coup de l'Agence canadienne de développement international?

Dès la création de Développement et paix, en 1967, dans la foulée du concile Vatican II, l'aide financière promise par l'Église catholique aux peuples démunis était convoitée par deux «groupes de pression» déjà implantés dans le tiers-monde: des évêques en mal de bâtir des cathédrales en pays de bidonvilles (comme Haïti) et des firmes cherchant fortune en Afrique et en Amérique latine, continents menacés, disait-on, par le «communisme athée».

À cette époque, les Églises des pays riches, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, ne furent pas seules à voir dans le «développement» le nouveau nom de la «paix». Des gouvernements, au titre d'une «coopération internationale» à portée plus générale, ont créé la Banque mondiale, pour financer des travaux, ainsi que diverses organisations de «coopérants». Au Canada, avec l'ACDI, Ottawa visait également à plaire au Québec par le soutien de projets dans la Francophonie.

Le premier président de l'ACDI, Paul Gérin-Lajoie — aujourd'hui engagé dans l'alphabétisation des enfants en pays pauvres — avait dû rassurer les gens d'affaires qui s'inquiétaient qu'on dépense l'argent des contribuables à «faire la charité» ailleurs. L'ex-ministre les avait invités à se prévaloir eux aussi des fonds de l'ACDI. Des entreprises ne furent pas lentes à voir qu'il y avait de l'argent à faire là-bas. L'aide humanitaire aura même servi de couverture aux entreprises bénéficiaires de l'aide canadienne.

Pendant près de 40 ans, ce modus vivendi ACDI-ONG-entreprises a traversé avec succès les changements de cabinet à Ottawa et les bouleversements politiques ailleurs sur la planète. Nos firmes de génie préféraient, bien sûr, la construction de barrages en Asie plutôt que le creusage de puits au Sahel. Mais les ONG découvrirent qu'éducation, santé et autres exigences du développement ne pouvaient se passer d'un minimum de progrès économique. Ainsi, certaines s'engagèrent-elles dans des projets agricoles.

Au fil des ans, appui du public oblige, l'ACDI se convertira aux tendances à la mode: environnement, droits fondamentaux, promotion de la femme et, récemment, saine gouvernance. C'était sans compter sur l'arrivée d'un gouvernement Harper. L'ACDI s'est d'abord empressée de donner au chef conservateur un programme d'aide aux femmes enceintes. Les Africaines, enceintes ou non, ne votent pas au Canada, mais les militantes pro-vie, oui. Ce n'était là qu'un début.

Les sociétés minières, en effet, ne votent pas, et la plupart d'entre elles ont rarement perdu du temps en projets humanitaires. Néanmoins, à l'ère du village planétaire, la connivence avec un régime pourri, le mépris d'une population indigène, le saccage de terres agricoles pouvaient ternir l'image du Canada. Coïncidence malencontreuse, quelques ONG osaient même se porter à la défense de populations ainsi opprimées. L'agence allait devoir s'en occuper!

Tout d'abord, dans un «projet-pilote», l'ACDI a conscrit quelques minières et ONG dans des partenariats. Vision mondiale, Plan Canada et l'Entraide universitaire mondiale ne connaissent rien aux mines? Pas de problème! Barrick Gold, IAMGOLD et Rio Tinto ne connaissent pas grand-chose au monde rural? Pas de problème non plus! Ottawa, explique Bev Oda, la ministre, veut rendre l'aide «plus efficace», explorer de «nouvelles approches» et exploiter l'expérience du «secteur privé».

Et puis, peu après, l'ACDI allait déclasser Développement et paix, une organisation qu'elle a pourtant reconnue et soutenue depuis des décennies. Non seulement l'agence fédérale a-t-elle réduit des deux tiers les fonds prévus dans une nouvelle entente quinquennale, mais elle a dicté les noms des sept pays où ces sommes devaient être affectées. Développement et paix devra donc sabrer ses effectifs et diminuer ses appuis aux projets en marche ailleurs.

L'organisation va se retirer de l'Afrique (sauf du Congo). Elle avait déjà réduit de plus de la moitié les subsides qu'elle octroyait à une trentaine de partenaires. L'ACDI maintient, certes, le financement de projets alimentaires et de coopératives agricoles en Colombie et au Cambodge. Mais le Mexique est rayé de la liste des pays reconnus dans l'entente avec Développement et paix.

Les ONG d'ici avaient fait un pari fort risqué en misant sur les fonds de l'ACDI. Car les dons venus du public n'allaient pas nécessairement, en cas de perte des subventions, suffire à assurer le respect de leurs engagements à l'étranger. Mises en concurrence pour des fonds aléatoires, maintes ONG risquaient, en plus, de sacrifier leur mission et leur autonomie aux nouvelles «conditions» posées par l'ACDI. Tel est le dilemme dans lequel Développement et paix est tombé.

Les évêques du Canada ont émis une protestation — un peu trop diplomatique, il est vrai — et invité les fidèles à donner encore plus à cette organisation de solidarité internationale. Mais quelques membres de l'épiscopat portent une part de responsabilité dans la présente crise, ayant mis en doute certains des projets de leur propre organisation. Minée de l'intérieur, Développement et paix va-t-elle maintenant pouvoir résister à la liquidation qui la guette?

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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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Combien ça rapporte, un diplômé?

Michel Girard, La Presse (02-04-12)

 (Montréal) Nombre de détracteurs du gel des droits de scolarité universitaire estiment qu'il est inéquitable de faire supporter ce gel par l'ensemble des contribuables. Leur principal argument? Le gouvernement du Québec n'a pas à éponger à même les impôts de tous ses contribuables le manque à gagner que représente le gel des droits de scolarité. 

Ils trouvent notamment odieux de faire payer ce gel par la masse de non-diplômés universitaires que l'on retrouve chez les petits salariés de divers secteurs (construction, manufacturier, financier, etc.), les employés de bureau, les retraités, les familles monoparentales, etc. C'est scandaleux, affirment certains, de faire payer les gens à faible revenu pour permettre à de futurs diplômés de gagner des revenus élevés.

Beaucoup de désinformation a circulé dans le but de miner la bataille des étudiants qui s'opposent à la hausse prochaine des droits de scolarité. Permettez-moi de remettre les pendules à l'heure... juste! Avec quoi? Avec des statistiques, simple question d'éviter que les émotions prennent le dessus sur les chiffres.

Commençons avec les statistiques fiscales des particuliers. La dernière année d'imposition provinciale disponible est celle de 2009, dont le rapport vient d'être rendu public par le gouvernement du Québec. 

Sur les 6,2 millions de contribuables qui ont produit leur déclaration, à peine 2,8 millions ont réellement payé de l'impôt, soit 45% de l'ensemble des contribuables. Ils se sont partagé une facture totale d'impôt provincial de 16,9 milliards de dollars. Ce chiffre tient évidemment compte des nombreux crédits d'impôt remboursables (pour 4,1 milliards) que le gouvernement du Québec verse aux familles avec enfants (crédits de soutien aux enfants, des droits de garde); aux gens défavorisés (crédits pour la TVQ, les impôts fonciers, les frais médicaux, etc.); aux personnes âgées (crédit pour maintien à domicile).

C'est donc dire qu'au bout du compte, il y a 55% des contribuables québécois (soit 3,4 millions de contribuables) qui n'ont pas versé un cent d'impôt net. Ils se retrouvent pour la très grande majorité dans la catégorie des revenus inférieurs à 30 000$. Parenthèse: c'est grâce aux crédits d'impôt remboursables que ces moins nantis ont pu finalement se partager une aide financière (nette d'impôt) de quelque 1,8 milliard.

Cela dit, regardons maintenant qui paie la fameuse facture des 16,9 milliards d'impôts des particuliers.

Les contribuables gagnant entre 30 000$ et 49 999$ de revenu ont assumé 21% de la facture fiscale alors qu'ils représentent 23,1% des contribuables. Ils ont versé en 2009 la somme totale de 3,55 milliards d'impôts.

Pour leur part, les citoyens gagnant de 50 000$ à 99 999$ représentaient 18,1% des contribuables. Mais ils ont épongé presque la moitié (47,7%) de la facture fiscale: ils ont payé 8,1 milliards d'impôt provincial.

Bien qu'ils ne soient que 250 000 à gagner plus de 100 000$ au Québec, nos «riches» contribuables ont versé en impôt provincial la jolie somme de 6,9 milliards de dollars. Même s'ils ne représentent que 4,1% des contribuables, ils assument presque 41% de la facture de l'impôt des particuliers.

Si vous faites le décompte, vous constaterez que ces 45% de contribuables ont finalement versé 18,5 milliards d'impôts, soit 1,6 milliard de plus que la facture nette de 16,9 milliards. Il faut savoir que ce 1,6 milliard supplémentaire a été transféré en aide gouvernementale directe aux plus démunis, soit les gens gagnant 20 000$ ou moins.

Qui donc serait appelé à assumer la grosse part du manque à gagner d'un gel des droits de scolarité? Eh oui! les contribuables qui gagnent 50 000$ et plus, et plus particulièrement les riches de 100 000$ et plus.

Seront-ils pour autant vraiment perdants à financer collectivement le gel des droits de scolarité? On parle ici d'une somme de 1625$ par année universitaire, à partir de 2016.

Non!

Pourquoi? Parce que les diplômés universitaires, une fois rendus sur le marché du travail, vont faire partie des vaches à lait de la fiscalité québécoise. Ce sera un renvoi d'ascenseur.

Selon la dernière étude disponible (décembre 2008) sur «Le taux de rendement du baccalauréat: pour les diplômés et pour l'État», réalisée par Marius Demers, économiste au ministère de l'Éducation, le détenteur d'un diplôme universitaire va payer au cours de sa vie active énormément plus d'impôts et de taxes que les non-diplômés.

D'après cette étude, le diplômé type d'un bac verse pendant sa vie active (17 à 64 ans) la somme de 916 043$ en taxes et impôts.

C'est 379 187$ de plus que le détenteur type d'un diplôme d'études collégiales. Par rapport au détenteur d'un diplôme d'études secondaires, l'écart grimpe à 503 668$. Et face au non-diplômé de l'école secondaire? Rien de moins que 644 277$.

Ma chronique de lundi dernier, «Gel des droits de scolarité: un bon placement gouvernemental», a généré beaucoup de commentaires tranchants. Les étudiants en grève et leurs supporteurs ont grandement apprécié mon appui. Mais chez les farouches opposants au gel des droits de scolarité, plusieurs trouvent que je suis carrément dans les patates en alléguant que c'est payant pour la société de financer les études universitaires.

J'espère que les chiffres fiscaux les convaincront.


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 S.O.S. savoir

Pierre Allard, Le Droit (02-04-12)

Il fallait sans doute s'y attendre avec ce gouvernement, mais le budget Flaherty semble confirmer les pires craintes. Dans son assaut contre l'information, et particulièrement contre tout savoir qui pourrait contredire ses thèses, le gouvernement Harper a mis le pied sur l'accélérateur et le public a raison de s'inquiéter de l'avenir qu'il nous réserve.

On a vu, avec l'abolition du formulaire long obligatoire du recensement de 2011 et dans la démarche canadienne de retrait de l'Accord de Kyoto, que le gouvernement actuel est imperméable aux arguments fondés sur l'expérience et la recherche scientifique. Pour ne pas recevoir certains messages, on élimine certains messagers.

Dans le budget fédéral de jeudi dernier, de nouvelles directives viennent assombrir l'horizon du savoir. Entre autres, le ministre Flaherty a dit souhaiter que le Conseil national de recherches « réoriente ses activités vers la recherche dirigée par l'entreprise et pertinente pour l'industrie ».

Cela aura au moins deux conséquences : diminuer et/ou éliminer des projets de recherche fondamentale essentiels pour l'avenir du pays, et mettre une partie importante de la Fonction publique à la disposition de l'entreprise privée. 

Il serait sans doute opportun de rappeler à qui de droit que la Fonction publique du Canada doit demeurer une administration « publique », c'est-à-dire une administration au service du public, et non un outil idéologique du gouvernement Harper ou une succursale de l'industrie privée.

Il y a également fort à parier que les subventions fédérales en recherche universitaire seront axées sur la recherche appliquée, en partenariat avec le secteur privé. Les universités, bastions de la liberté du savoir, auront des décisions difficiles à prendre d'ici quelques années.

On ne connaît pas, par ailleurs, l'étendue des effets des compressions de 5 à 10 % dans des ministères névralgiques - Environnement, Agriculture et Agroalimentaire, Ressources naturelles et Pêches Océans, Statistique Canada - mais il y a lieu de se méfier. Combien de chercheurs et d'experts mettra-t-on à la porte ?

Sur le front de l'information et de la culture, on s'interroge aussi au sujet des conséquences des coupes sur les activités de Radio-Canada et de CBC. Des groupes se portent déjà à la défense des diffuseurs publics, mais il faudra un effort concerté pour tenter, dans la mesure du possible, de protéger tout l'éventail de services publics.

Enfin, le budget a sonné le glas de deux organismes d'information du gouvernement fédéral, le Conseil canadien du bien-être social et la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Le premier collecte et rend publiques des données sur la pauvreté au Canada, tandis que le mandat du second porte sur le développement durable.

De toute évidence, ces agences ne sont pas prioritaires pour un gouvernement qui a pu, cependant, trouver plus d'un demi-milliard de dollars pour augmenter le soutien au capital de risque dans le secteur privé. C'est désolant !


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Travailler jusqu'à 67 ans

Alain Dubuc, La Presse (02-04-12)

Lorsque le premier ministre Stephen Harper, cet hiver dans une conférence en Suisse, a laissé entendre que son gouvernement songeait à prolonger l'âge de la retraite, cela a créé des réactions plutôt vives au Canada.

Le projet décrit dans le budget qu'a déposé jeudi le ministre des Finances Jim Flaherty devrait toutefois calmer les appréhensions. La démarche proposée pour reporter à 67 ans l'âge où l'on touche les chèques de sécurité de la vieillesse est graduelle et raisonnable.

Mais pourquoi? C'est une mesure qui cherche à refléter des transformations économiques et sociales, bien plus qu'une façon de réduire les dépenses publiques. Il s'agit d'une tendance lourde. La plupart des pays industrialisés reportent l'âge de la retraite. De plus en plus, les citoyens eux-mêmes choisissent de travailler plus longtemps, notamment parce qu'ils n'ont pas assez épargné pour leur retraite.

Résumons le projet. À partir de 2023, l'âge où l'on touche sa pension va augmenter graduellement, un mois à la fois, pour atteindre 67 ans en 2029. Les gens qui avaient 54 ans ou plus en mars 2012 ne sont pas touchés. Et ceux qui ont entre 50 et 54 ans auront droit à leur retraite quelque part entre 65 et 67 ans, selon une progression graduelle. Les gens qui ont 50 ans ou moins devront attendre à 67 ans.

C'est inéquitable, parce que les baby-boomers sont épargnés, mais pas ceux qui les suivent. Mais c'était inévitable, car on ne peut pas changer les règles du jeu de la retraite soudainement. Il fallait laisser du temps aux gens pour se préparer.

Mais il est clair que les conservateurs n'ont pas pris cette décision pour régler leur déficit. La sécurité de la vieillesse coûte actuellement 38 milliards au trésor fédéral. Avec le vieillissement, cette somme grimpera à environ 110 milliards dans vingt ans. La retraite à 67 ans permettra alors des économies de 10 milliards. Mais ce sera dans 17 ans, un horizon qui dépasse l'univers temporel d'un politicien.

Cette décision se justifie par trois réalités démographiques. La première, c'est le prolongement de la vie. L'espérance de vie à 65 ans est maintenant de 85 ans - 83,3 pour les hommes et 86,5 pour les femmes. On vit longtemps après l'âge théorique de la retraite, et de plus en plus en bonne santé. Assez pour se demander s'il est sage d'abandonner trop tôt la vie active.

Par ailleurs, il y a un déséquilibre croissant au Canada, et encore plus au Québec, entre les vieux et les jeunes. En 1970, on comptait sept travailleurs pour chaque retraité. Cette proportion est actuellement de quatre pour un. Dans vingt ans, elle sera de deux pour un. Le fardeau du vieillissement sera donc lourd pour ceux qui nous suivent. Le report de la retraite aidera ceux qui paieront des impôts dans deux décennies.

Enfin, ce déséquilibre a un impact de nature économique: la baisse de la population active. Le nombre de gens qui quittent le marché du travail pour la retraite sera supérieur au nombre de jeunes qui se mettent à travailler. Ça arrivera dans un an ou deux au Québec. Ce renversement a des incidences fiscales, mais il ralentira aussi la croissance. Pour éviter les pénuries de main-d'oeuvre, et pour soutenir l'économie, il est souhaitable que les gens restent au travail plus longtemps.

Bref, l'essence même de cette réforme est d'encourager progressivement les gens à travailler plus longtemps. C'est certainement dans l'intérêt de la société. Mais cela sera aussi dans l'intérêt personnel de bien des gens, soit parce que le travail contribue à leur qualité de vie, soit parce qu'ils n'ont pas assez d'argent pour prendre leur retraite.


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Journée mondiale du livre et du droit d'auteur

(Re)trouver le goût de lire

Daniel Lemay, La Presse (04-04-12) 

Si l'appétit vient en mangeant, comment vient le goût de la lecture? Vous voilà... (Photo fournie par la JMLDA)Si l'appétit vient en mangeant, comment vient le goût de la lecture? Vous voilà alignés avec les vedettes de la 17e Journée mondiale du livre et du droit d'auteur si vous avez répondu que «Le goût de lire vient en lisant». Comme chaque année, cette manifestation parrainée par l'UNESCO se tient le 23 avril, date de la mort de Miguel de Cervantes et de William Shakespeare, les deux en 1616. 

Cervantes, auteur de Don Quichotte, le premier roman moderne, et William Shakespeare, le plus grand nom de tous ceux qui ont écrit dans la langue de... Shakespeare. Ces illustres auteurs pourraient constituer un point de départ pour les groupes cibles de la JMLDA de cette année: ceux qui ont «perdu le goût de lire» et ceux qui «n'ont pas encore découvert les plaisirs de la lecture». Mais il y en a d'autres, comme l'ont suggéré hier la porte-parole de la Journée mondiale de la lecture, Chrystine Brouillet, et les jeunes vedettes montréalaises qui se joignent à elle cette année. 

Suggestions 

Pour (re)trouver le goût de lire, Mme Brouillet suggère Le sourire de la petite juive d'Abla Farhoud (vlb éditeur, 2011), un roman dont l'action se passe rue Hutchison, la frontière (multiethnique) entre le Mile End et Outremont. Un peu curieusement, c'est le seul roman de la liste... Le comédien Patrick Hivon encourage les gens à lire Entre la ville et l'écorce, recueil de poésie du comédien et réalisateur Robin Aubert publié par l'Oie de Cravan (2011). Le chef cuisinier Louis-François Marcotte, lui, suggère la biographie de René Angelil: Le maître du jeu, de Georges-Hébert Germain, publié chez Libre Expression en 2009. 

Direction santé avec l'ex-hockeyeur George Laraque et Le rapport Campbell (titre français de The China Study), vaste étude (Chine-É.-U.) sur les liens entre l'alimentation - les produits animaux surtout - et le cancer (Éd. Ariane, 2011). La danseuse et animatrice Geneviève Guérard, quant à elle, a beaucoup aimé On veut votre bien et on l'aura de Jacques Nantel et Ariane Krol, sur «la dangereuse efficacité du marketing» (Transcontinental, 2011). L'animatrice et chanteuse Julie Saint-Pierre, finalement, a été séduite par Écrire une chanson de Robert Léger, un ancien de Beau Dommage qui en a déjà écrit des pas pires comme Tous les palmiers (Québec-Amérique, 2011). 

Le 23 avril, la 17e Journée mondiale de la lecture et du droit d'auteur propose une foule d'activités, listées sur www.jmlda.gc.ca, site où les mordus de lecture peuvent déposer leurs suggestions dans la nouvelle «Bibliothèque du public». À explorer en se rappelant le mot de Shakespeare: «C'est une chose merveilleuse que l'instinct»...


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17e journée mondiale du livre du droit d'auteur

Place à la lecture virale

Catherine Lalonde, Le Devoir (04-04-12)

De Cervantes à Georges Laraque, de Michael Delisle à Élise Turcotte, la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur mise, pour sa 17e édition, sur la lecture virale. Le livre qui passe de main en main, le plaisir de lecture qu'on recommande aux amis, le bouquin qu'on achète trois fois pour l'offrir parce qu'on l'a tant aimé seront mis à l'honneur, le 23 avril, sur le thème «Le goût de lire vient en lisant».


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La belle vie

Michèle Ouimet, La Presse (04-04-12) 

Comme ça, des étudiants en grève osent boire de la sangria sur une terrasse à Outremont. 

C'est ce que Richard Martineau, chroniqueur-vedette au Journal de Montréal et à LCN, a écrit sur Twitter: «Vu sur une terrasse à Outremont, cinq étudiants avec carré rouge mangeant, buvant de la sangria et parlant au cellulaire. La belle vie.»

Invité dimanche à l'émission Tout le monde en parle, Richard Martineau s'est expliqué. Ce qui est scandaleux, a-t-il précisé, ce n'est ni la sangria ni le cellulaire, mais Outremont.

Pourquoi Outremont? La sangria s'y vend-elle plus cher? Outremont est-il un territoire sacré que seuls les riches peuvent fouler? Richard Martineau n'a pas développé sa pensée. «Pensée» est un grand mot: coup de gueule serait plus juste. 

Les propos caricaturaux de Richard Martineau sont symptomatiques d'une condescendance affichée par certains politiciens et journalistes. Le ton est paternaliste, teinté d'un brin de mépris. On traite les étudiants d'enfants gâtés qui refusent de payer leur juste part, de futurs médecins qui vont rouler sur l'or et qui osent demander aux travailleurs de payer pour leur éducation. Honte à eux.

Enfants gâtés, les étudiants? Loin de là: 40% ne reçoivent aucune aide financière de leurs parents; 80% travaillent et étudient à temps plein; la moitié gagne moins de 12 200$ par année; les deux tiers n'habitent pas chez leurs parents; le quart d'entre eux hériteront d'une dette frôlant les 18 000$ à la fin de leur baccalauréat.

Ces chiffres sont tirés d'une étude réalisée par la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) en 2010. Personne ne les a contestés.

Richard Martineau aurait dû potasser un peu son sujet avant de déchirer sa chemise, mais il aurait gâché l'effet de toge de son coup de gueule. Hé oui, des étudiants boivent de la sangria, et certains poussent l'audace jusqu'à s'aventurer à Outremont. Avec un cellulaire, en plus. Et alors? Ça n'enlève rien à la légitimité de leur grève. Doivent-ils s'habiller comme des gueux pour être pris au sérieux?

Il faut en finir avec le gel, répètent les politiciens, sauf que le gel n'existe plus depuis cinq ans. Un autre mythe qui a la vie dure. En 2007, le gouvernement a augmenté les droits de scolarité de 50$ par semestre. Depuis, la facture est passée de 1668$ à 2168$, une hausse de 30%. Où ça, le gel?

Québec vient de décréter une nouvelle hausse, 75% étalée sur cinq ans. Les droits vont presque doubler, grimpant de 2168$ en 2012 à 3793$ en 2017. C'est vrai que les droits ont été gelés pendant de longues années, mais depuis 1989, ils explosent. Ils sont passés de 547$ à 2168$, une hausse de 300%.

Le programme de prêts et bourses a été bonifié, sauf que l'endettement, aussi, sera automatiquement «bonifié». Plus de prêts = plus de dettes. Facile à comprendre.

De 1960 à 1990, le Québec a fait le choix de maintenir les droits de scolarité autour de 500$. Le but: pousser les jeunes à fréquenter l'université, chasse gardée d'une élite. Le succès est spectaculaire. En 1962, 23 000 étudiants fréquentaient l'université. Aujourd'hui, ils sont 266 000, un bond de 1000%.

Mais les acquis restent fragiles. Il ne faut pas compromettre ces progrès en augmentant de façon sauvage les droits de scolarité. Une indexation, à la limite, mais 75%, c'est indécent.

Certains groupes de droite, comme les lucides de Lucien Bouchard et CIRANO, prêchent en faveur d'une hausse différenciée des droits de scolarité, soit une grosse facture pour médecine, droit, gestion et autres médecine dentaire et pharmacie. Leurs arguments: ce sont des facultés qui coûtent cher, et les futurs diplômés vont empocher de bons salaires. À eux d'essuyer le gros de la hausse. Épargnons les petits - sociologie, philosophie, littérature - qui, eux, hériteraient d'une hausse plus modeste.

Sauf que cette solution comporte son lot d'effets pervers. Seuls le Québec et Terre-Neuve ont des droits égaux pour tous. Ailleurs, c'est le fouillis. À l'Université de Toronto, par exemple, les droits varient de 8000$ à 41 000$ par année. Qui est prêt à payer 30 000$ et plus? L'élite de l'élite? La crème de la crème?

La ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a tourné le dos à cette solution. Une bonne décision. C'est bien la seule.


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L'exécution

Agnès Gruda, La Presse (04-04-12) 

C'est par un bref communiqué, tout juste 243 mots dans sa version française, que le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a scellé hier le sort de l'organisme Droits et Démocratie.

Quatre petits paragraphes comme épitaphe pour un organisme qui a fait rayonner le Canada, pendant près d'un quart de siècle, dans les coins les plus malmenés de la planète. Avouez que c'est maigre. 

execution

Mais cette annonce n'est pas seulement laconique. C'est aussi un monument de mauvaise foi. Le communiqué rappelle les récents «problèmes» de Droits et Démocratie et souligne qu'ils ont été «exposés sur la place publique.» On devine que, aux yeux du ministre, l'organisme a un peu contribué à sa chute. 

Sauf que, dans sa précipitation, le ministre Baird omet de dire que les problèmes de Droits et Démocratie ont été créés de toutes pièces par son propre gouvernement. Et que la crise qui a secoué cet organisme, il y a un peu plus de deux ans, était le résultat d'une prise de contrôle hostile qui présageait, hélas, ce qui allait suivre. 

Droits et Démocratie a été fondé en 1988 par un autre gouvernement conservateur, celui de Brian Mulroney. Son mandat: promouvoir les valeurs démocratiques et les droits de l'homme là où ils sont le plus menacés. L'organisme est censé être indépendant du gouvernement qui l'a créé, et qui nomme néanmoins son conseil d'administration et son président. C'est un peu contradictoire. Mais comme preuve de la neutralité politique de la nouvelle créature, son premier patron est nul autre que l'ancien chef néo-démocrate Ed Broadbent. 

Pendant plus de 20 ans, Droits et Démocratie est donc présent dans des pays qui bafouent les droits de leurs citoyens: Afghanistan, Colombie, Égypte, Zimbabwe. Et aussi, de façon plutôt marginale, en Palestine. L'organisme n'est pas là pour faire la charité. Il essaie d'outiller les hommes et les femmes qui habitent ces pays pour qu'ils puissent défendre leurs droits. À l'occasion, cela implique un discours politique critique. 

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Stephen Harper entreprend de domestiquer la bête. Comment? En changeant progressivement le conseil d'administration de Droits et Démocratie. Les nouveaux venus viennent d'un terreau idéologique bien particulier: la droite conservatrice pro-israélienne. Parmi eux, il y a l'avocat Jacques Gauthier, auteur d'une thèse qui affirme que Jérusalem appartient légalement au peuple juif. Michael Van Pelt, qui dirige une organisation évangélique chrétienne. Et David Matas, avocat de B'nai Brith. Leur cible: le président de l'organisme, Rémy Beauregard. 

Pendant des mois, ce dernier vit un cauchemar administratif. On lui reproche tout et son contraire. Il doit faire appel à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir son propre rapport d'évaluation! Il y apprend qu'on lui reproche notamment de ne pas avoir embauché d'employés juifs. Les administrateurs d'un organisme chargé de lutter contre la discrimination scrutent les origines ethniques de leurs employés: c'est du délire. 

Rémy Beauregard a beau accepter de mettre fin aux projets palestiniens qui titillent les nouveaux administrateurs, rien n'y fait. Il est poussé vers la sortie. 

C'est quand il est terrassé par un infarctus, au lendemain d'une réunion houleuse, que la crise de Droits et Démocratie éclate dans les médias, en janvier 2010. Les nouveaux administrateurs, qui laissent planer des doutes sur la probité de sa gestion, déclenchent une enquête coûteuse. Celle-ci ne trouve rien à se mettre sous la dent. Un nouveau président est nommé. Les vagues se calment. 

Mais le problème de fond reste. Le gouvernement Harper n'aime pas les organisations qui tiennent un discours trop politique à l'étranger. Il asphyxie plusieurs ONG, comme Kairos ou Alternatives, qu'il juge trop militantes. Avec Droits et Démocratie, c'est plus difficile. Son existence est sanctionnée par une loi. Les conservateurs doivent être majoritaires pour lui couper la tête... 

C'est chose faite. Et quoi qu'en dise le ministre Baird, ça n'a rien à voir avec les problèmes internes de l'organisation. Ottawa a fini par avoir la peau d'une organisation que les conservateurs de Stephen Harper voulaient décapiter depuis le début. C'est tout.


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La faim, même en avril

Patrick Lagacé, La Presse (04-04-12) 

Chaque année en décembre, à l'aube de la fête du p'tit Jésus, les guignolées de toutes sortes sollicitent notre coeur et notre portefeuille. Et au fond du théâtre des bons sentiments, il y a toujours des voix qui tonnent: «Eh, oh! Les pauvres ont faim toute l'année! Pas juste à Noël!» 

Très juste.

C'est pourquoi, en cette fin mars frette et humide, je m'étais pointé dans le coin le plus affreux de la ville, j'ai nommé le chemin de la Côte-de-Liesse, qui est l'équivalent urbanistique du virus Ebola, pour aller visiter Moisson Montréal. Pour parler de la faim, loin de Noël...

Le pusher des banques alimentaires, c'est principalement «Moisson»: 200 organismes sont approvisionnés par l'organisme. Une aide qui touche chaque mois 150 000 Montréalais, dont 41 000 enfants. 

Danny Michaud est le directeur général de Moisson Montréal. Sa principale qualité, ce n'est pas d'avoir le coeur sur la main, comme on pourrait le croire du boss d'un organisme qui nourrit les pauvres.

Non, Danny est d'abord et avant tout un... gestionnaire.

Un gestionnaire d'entrepôt. Pas de farces!

Parce que Moisson, c'est ça: un entrepôt. Et avant d'atterrir ici, dans un entrepôt au bord du tronçon routier le plus soviétique de Montréal, Danny avait passé sa carrière dans le secteur de l'alimentation. Il gérait des entrepôts, principalement.

En marchant dans l'entrepôt de Moisson Montréal, au milieu des employés et des bénévoles, Danny Michaud ne m'a pas parlé pas de faim et de charité. Il m'a parlé de pertes, d'inventaire, d'efficacité énergétique, de contrôle de la qualité, d'indicateurs de performance, d'amélioration du nombre de palettes à traiter dans une heure donnée...

«Un de mes premiers projets, dit Danny, a été de baisser les coûts de collecte de déchets. On a fait passer ça de 144 000$ à 50 000$, en se mettant au recyclage. On va produire du compost, aussi, ça va permettre de faire un peu d'argent...»

Si vous croyez que nous sommes loin de l'aide aux pauvres, vous êtes dans le champ. On est en plein dedans: quand votre budget est de 3,8 millions de dollars par année, chaque sou épargné est un sou gagné...

«Là, on travaille sur la transformation. C'est fou, quand tu y penses: l'été, on a trop de fruits et de légumes frais. On en perd. L'hiver, c'est le contraire. On va s'arranger pour couper et surgeler tout ça. Non seulement on va réduire les pertes, mais on va avoir du stock à l'année.»

Les pertes, justement: Danny est heureux de m'annoncer que, depuis la réorganisation de l'entrepôt, elles sont passées de 30% à moins de 5%. Encore du fric épargné, qui fera transiter encore mieux les 11 millions de kilogrammes de nourriture qui passent dans l'entrepôt.

C'est donc un jeune cadre dynamique de 38 ans qui me parle, pas un pèlerin de la charité. Pas une bonne pâte qui travaille pour le salut de l'âme laïque de son prochain. Un logisticien, quoi. «La philanthropie, dit Danny, je ne connaissais pas ça avant d'être recruté ici.»

Ce qui empêche Danny de dormir, le soir, ce n'est pas les façons de maximiser l'efficacité de l'entrepôt. Ça, il sait comment. Non, ce sont les 3,8 millions de dollars que Moisson Montréal doit trouver chaque année - auprès des gouvernements, des fondations, de Centraide, de dons d'entreprises et de particuliers - qui tracassent notre homme.

D'autant plus que cette foutue économie qui tousse, il en est doublement tributaire. «Quand ça va mal, plus de gens perdent leur job; plus de gens ont besoin de Moisson Montréal. Quand ça va mal, les entreprises ont moins d'argent et moins de bouffe à donner aussi.»

Mais, Danny, j'étais venu jaser de la faim qui n'est pas un phénomène confiné aux Fêtes et qui ne se règle surtout pas qu'avec des paniers de Noël...

«Tu sais que 13% des gens qui fréquentent les banques alimentaires sont des travailleurs? Disons que t'es au salaire minimum, ou juste au-dessus. T'habites Montréal. Comment tu fais pour arriver? Et depuis le krach de 2008, autre phénomène: avec les rentes de retraite qui ont fondu, beaucoup de retraités ont besoin d'aide alimentaire...»

Bref, c'est ce que je voulais vous dire: 14 semaines après Noël et à presque 38 du prochain, il y a encore des gens qui ont faim, dans cette ville. Il n'y a pas de Guignolée des médias en vue, l'ombre du p'tit Jésus n'est pas là pour nous inciter à donner, mais Moisson Montréal a encore besoin de fric. Et tous les autres organismes qui nourrissent les gens aussi.

Je dis ça comme ça.

C'est fou, quand on y pense... Non, pas la faim - ça, ce n'est pas fou. Ça, c'est scandaleux. Ce qui est fou, c'est le budget de Moisson Montréal. J'étais sûr que c'était de l'ordre de la dizaine de millions, au moins.

Mais non: 3,8 millions l'an dernier.

C'est quoi, 3,8 millions?

C'est rien.

Est-ce assez pour acheter le lave-glace de nos futurs avions de combat F-35?

Probablement pas.


 

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