Vendredi le 13 avril 2012. Vol. 6, no. 11
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Voler avec des ailes fragiles
Un avenir précaire pour les jeunes adultes issus des centres jeunesse
Caroline Montpetit, Le Devoir (06-04-12)
Antoine* a été placé dans un foyer pour enfants de la Protection de la jeunesse à l'âge de cinq ans. Avant, il vivait avec sa mère, souffrant de déficience, qui vivait elle-même sous le contrôle du grand-père d'Antoine, qui maintenait la mère et l'enfant sous clé et contrôlait jusqu'à leur accès au garde-manger. Enfant sauvage, Antoine ne savait pas parler. Après le foyer pour enfants, Antoine a fréquenté un foyer pour pré-adolescent, puis pour adolescents, avant d'intégrer le centre de réadaptation, géré par le centre jeunesse de Laval.
Aujourd'hui, Antoine a 17 ans. Dans quelques mois, il sera un adulte. Il devra alors quitter la Protection de la jeunesse et voler de ses propres ailes.
Pour aller où? Il ne le sait pas encore. Dyslexique, Antoine sait à peine lire. Mais il a une passion pour les ordinateurs. Il y a quelques semaines, il participait à un des ateliers de cuisine du frère Toc, qui fait partie d'un ensemble d'activités organisées dans le cadre du programme de qualification des jeunes, qui suit les jeunes considérés comme vulnérables jusqu'à l'âge de 19 ans.
À l'atelier du frère Toc, les jeunes du centre jeunesse de Laval s'activent pour faire un repas de cabane à sucre, oeufs dans le sirop, jambon, pain doré, etc.
«À leur majorité, presque tous les jeunes veulent faire l'essai de retourner chez leurs parents, raconte Julien Chauret. Et plusieurs y retournent effectivement. Mais ce sont des jeunes qui ont un historique de placement, et le pronostic qu'ils retournent vivre dans leur famille est sombre.»
Que font donc ces jeunes qui quittent la Protection de la jeunesse après une longue histoire de placement? «On n'a pas de données là-dessus», constate Julien Chauret, qui tente cependant d'instaurer une sorte de formulaire qui permettrait de les suivre dans leur vie d'adulte.
«On veut faire un follow-up pour essayer de les retracer. Par Facebook, il y a moyen de leur soumettre un questionnaire», dit Julien Chauret.
Un quart d'entre eux expérimentent l'itinérance
En fait, le peu d'informations que l'on possède sur les jeunes de la Protection de la jeunesse devenus adultes sont assez sombres. Près du quart des jeunes expérimenteraient au moins un épisode d'itinérance après l'atteinte de la majorité après la sortie, écrivent les auteurs Martin Goyette et Marie-Ève Turcotte, dans le livre Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté, à partir de données nationales et internationales. 25 % qui vivent des épisodes d'itinérance, c'est énorme. «Et d'après moi, c'est très conservateur», dit Martin Goyette, qui est aussi professeur à l'ENAP et qui a beaucoup travaillé sur ces questions, en entrevue. Environ la moitié travaillent, mais leurs emplois sont peu rémunérés et peu gratifiants, toujours selon cet article. Plus de la moitié ont des problèmes de santé mentale. Près du quart ont déjà essayé de se suicider.
Au début des années 2000, le suicide d'un jeune de 18 ans, après son départ de la famille d'accueil où il était hébergé jusque-là, avait été dénoncé dans un rapport du coroner, et avait alerté les pouvoirs publics sur l'urgence d'agir. Et c'est justement depuis quelques années que le programme de qualification des jeunes, implanté dans tout le Québec, offre aux jeunes le soutien d'un intervenant, dans leur démarche d'autonomie, jusqu'à l'âge de 19 ans. Mais ce programme ne s'adresse qu'aux jeunes les plus mal en point du réseau de Protection de la jeunesse, soit environ 10 % de la clientèle totale des centres jeunesse. Et ce programme ne peut pallier le manque de logements salubres et abordables ou le manque d'emplois et de ressources dans la communauté.
Parce que 18 ans, c'est tôt pour prendre son envol, souvent sans même avoir décroché un diplôme de secondaire, et souvent sans pouvoir compter sur aucun réseau.
Aussi, le centre jeunesse de Laval a ouvert depuis un an et demi une nouvelle ressource, le centre multiservice, qui accueillera six jeunes, garçons et filles, jusqu'à 20 ans moins un jour. Une première au Québec. Alice, une longue et pâle jeune femme de 17 ans, la seule de cet atelier du frère Toc à avoir atteint la 4e secondaire, y a trouvé une place in extremis, il y a quelques semaines.
«Tu es chanceuse», lui lance Julien Chauret. Les jeunes choisis pour habiter le centre multiservice doivent démontrer qu'ils sont inscrits dans une démarche d'autonomie, que ce soit une démarche scolaire ou une démarche professionnelle.
«On parle d'autonomie, mais je préfère souvent parler d'une saine dépendance», dit Julien Chauret.
Idéaliser ses parents
En fait, seulement 10 % des jeunes des centres jeunesse atteignent l'autonomie financière avant l'âge de 21 ans. Et 30 % des jeunes bénéficiant de l'aide sociale proviennent de la clientèle des centres jeunesse, dit Martin Goyette, qui croit d'ailleurs que les programmes de réinsertion sociale existants, outre le programme de qualification des jeunes, se préoccupent trop uniquement d'insertion scolaire et professionnelle et pas assez de bâtir des réseaux sociaux, par exemple.
Sophie, quant à elle, occupe un emploi au Relais communautaire du quartier. Un stage. Elle s'apprête à déménager dans un logement supervisé par le Bureau de consultation jeunesse. C'est, croit-elle, ce qui lui convient le mieux pour l'instant. Sophie se serait qualifiée pour le centre multiservice, mais elle préférait aller vivre plus près de son travail et de son père.
«Je suis très proche de mon père», dit celle qui a été placée par le centre jeunesse à l'âge de trois ans, qui a aussi résidé en centre de réadaptation et qui est maintenant dans un foyer de groupe.
Selon Julien Chauret, les jeunes ont souvent tendance à idéaliser leurs parents. Il arrive qu'ils soient désillusionnés lorsqu'ils retournent dans leur famille à leur majorité. Et leur histoire, qui compte souvent des épisodes de consommation de drogue, de délinquance, voire de prostitution, fait qu'on ne les encourage pas nécessairement à se regrouper entre eux.
«Il arrive que les jeunes décident de devenir colocataires, mais souvent ça ne dure pas. Ils vont penser qu'il suffit de faire des excuses à leur propriétaire pour régler le problème. Dans la réalité, ça n'est pas comme ça que ça marche», dit-il.
Selon l'analyse du centre jeunesse de Laval «les jeunes qui s'impliquent davantage dans leur démarche sont ceux qui réussissent à "accrocher" à un intervenant, et qui s'impliquent dans la démarche d'autonomie en interdépendance avec de dernier, c'est-à-dire en acceptant le soutien face à certaines responsabilités et en assument seuls certaines autres».
Dans la cuisine du centre communautaire de Laval, Julien Chauret se dit chanceux d'avoir connu plusieurs jeunes qui suivent l'atelier de cuisine dans leur enfance. Un hasard, puisqu'il travaillait alors en foyer pour enfants. C'est là qu'il a connu Antoine, entre autres, alors qu'il était enfant. Un lien rare, et fragile. Peut-être sa principale planche de salut. Jusqu'à 19 ans, pas plus.
*Tous les noms des jeunes sont fictifs
Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications
par Paul de Broeck et Marc Robillard.
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Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,
le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.
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Des chercheurs touchent
beaucoup d'argent pour
attaquer la science
L'historienne américaine Naomi Oreskes décrypte les origines et les motivations du climato-scepticisme
Propos recueillis par Stéphane Foucart, Le Monde (30-03-12)
Historienne des sciences de la Terre, professeure à l'université de Californie à San Diego (Etats-Unis), Naomi Oreskes est coauteur, avec Erik Conway, d'un ouvrage de référence sur les racines du climatoscepticisme, qui paraît en français - Les Marchands de doute (Le Pommier, 524 pp., 29 euros). De passage à Paris, où elle donne une série de conférences, elle a accordé un entretien au Monde.
Existe-t-il un vrai débat scientifique sur la réalité du changement climatique ?
Non. Il n'y a pas de débat scientifique sur le fait que le réchauffement a bien lieu et qu'il est principalement le fait des gaz à effet de serre anthropiques et de la déforestation. D'ailleurs, les bouleversements actuels sont en accord avec ce qui a été prévu de longue date par les spécialistes.
Avoir un débat scientifique sur telle ou telle question obéit à des règles précises : il se tient entre experts du domaine qui publient leurs résultats dans des publications soumises à la revue par les pairs, c'est-à-dire à l'expertise du reste de leur communauté. Rien de cela ne caractérise ceux qui s'opposent à la science climatique.
Aux Etats-Unis, qui sont les "experts" qui contestent la science climatique ?
La plupart de ceux qui mettent en cause la science climatique, ou qui assurent qu'il y a un débat sur ses principaux constats, ont auparavant contesté la réalité des pluies acides, du trou dans la couche d'ozone, ou encore de la nocivité du tabac... C'est le premier indice qu'il ne s'agit pas réellement de science, car vous ne trouverez jamais un vrai chercheur naviguant entre des sujets aussi variés et exigeant des compétences aussi différentes.
Le fait que ces scientifiques aient défendu l'industrie du tabac jusque dans les années 1990 - alors que les dégâts de la cigarette étaient déjà massifs - est le plus frappant. Nous avons découvert que plusieurs d'entre eux avaient été rémunérés par l'industrie du tabac via des organisations écranscomme le TASSC - The Advancement of Sound Science Coalition ("Coalition pour la promotion d'une science solide").
En réalité, cette organisation, qui pourtant se revendique de la science, a été créée par le groupe Philip Morris pour attaquer l'Environmental Protection Agency (EPA), et ce afin d'éviter qu'une législation contre le tabagisme passif ne soit adoptée.
Quelles sont leurs motivations ?
C'est une grande interrogation : pourquoi des scientifiques parfois connus ont-ils engagé leur réputation pour défendre l'industrie du tabac qui tue les gens ? On aurait pu imaginer que leur seul moteur était l'argent. Mais c'est largement insuffisant. Nous montrons qu'au moins pour les scientifiques au cœur de ce feuilleton, les motivations étaient plus politiques et idéologiques que financières. Ils étaient des tenants de ce qu'on peut appeler le "fondamentalisme du libre marché", fondé sur le refus de toute réglementation.
Beaucoup étaient animés par la peur que les réglementations environnementales contre les pluies acides, le trou d'ozone ou le tabac n'ouvrent la voie à un Etat de plus en plus intrusif et oppressif. Il n'en reste pas moins que certains chercheurs, en activité aujourd'hui, touchent beaucoup d'argent pour attaquer la science.
Lorsque vous avez publié votre livre, imaginiez-vous que le déni de la science climatique serait une thèse défendue aujourd'hui, aux Etats-Unis, par les républicains ?
Non, pas dans nos pires cauchemars ! Après l'ouragan Katrina en 2005, nous pensions vraiment que les gens réaliseraient que le changement climatique est une réalité. Nous pensions que notre livre serait surtout intéressant d'un point de vue historique... Les années qui ont suivi ont montré qu'il était ancré pour longtemps dans l'actualité.
En Europe, on voit apparaître dans le débat public les arguments contre les sciences de l'environnement forgés des années auparavant aux Etats-Unis. Comment expliquer ce succès ?
Notre travail a consisté à analyser l'offre, pas la demande ! Mais il y a plusieurs pistes pour répondre. Cette campagne a été à la fois systématique et très bien financée, elle a eu recours à des cabinets de relations publiques qui ont travaillé à bien "enrober" les messages à faire passer, afin de les rendre les plus efficaces possibles, etc.
D'un côté, les scientifiques décryptent un dossier compliqué - le climat - et anticipent la survenue d'événements extrêmes (cyclones, sécheresses...) ; de l'autre, certains disent qu'il ne faut pas s'inquiéter, car le capitalisme et les lois du marché s'occuperont de tout... Quel est le message que vous préférez entendre ?
En France, les climatosceptiques se recrutent à droite comme à gauche...
L'histoire du climato-scepticisme est avant tout une histoire américaine qui prend sa source dans l'angoisse face au communisme... C'est le produit, à l'origine, d'un petit groupe de scientifiques qui ont fait leur carrière pendant la guerre froide et qui, après l'effondrement de l'URSS, ont vu dans les préoccupations environnementales un avatar du socialisme. Cette histoire résonne avec la culture américaine, qui repose sur l'individualisme et la tendance à considérer que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.
En Europe, socialisme et environnementalisme ont une connotation différente. Mais je vois cette campagne contre la science climatique comme une sorte de maladie qui s'est propagée. Et il y a toujours des raisons différentes de tomber malade !
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Pas d'écran contre la
violence à la télé
Une étude démontre que les enfants qui y sont exposés en subissent les répercussions à long terme
André Noël, La Presse (10-04-12)
Pour la première fois, une enquête de longue haleine réalisée au Québec montre que les scènes de violence à la télévision peuvent perturber les enfants de 3 et 4 ans pendant des années.
D'autres recherches avaient déjà indiqué que des enfants qui voient régulièrement des images violentes à l'écran, même avec des personnages dessinés, sont plus à risque d'avoir des comportements agressifs ou antisociaux.
Mais l'enquête menée par des chercheurs de l'hôpital Sainte-Justine auprès de 2120 enfants québécois depuis l'âge de 5 mois jusqu'à la deuxième année du primaire révèle que les scènes de violence ont un impact à long terme.
Les résultats seront publiés dans la livraison de mai du Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics. Les auteurs ne décrivent pas un phénomène marginal: malgré les avertissements des pédiatres, 73% des parents estiment que leurs enfants voient des scènes violentes à la télévision au moins une fois par semaine.
Des années plus tard
Les chercheurs ont choisi les bébés au hasard et les ont suivis chaque année pendant huit ans. Ils ont demandé à leurs parents s'ils avaient regardé des scènes violentes à 41 mois et à 53 mois.
Puis, quand les enfants sont entrés en deuxième année du primaire, ils ont demandé aux enseignants de remplir des questionnaires détaillés sur leur comportement.
Les enseignants devaient indiquer par exemple si les enfants étaient insensibles aux émotions de leurs camarades, s'ils avaient de la difficulté à se concentrer en classe ou s'ils paraissaient plus tristes que la moyenne.
Les enseignants signalaient aussi si les enfants avaient ou non des bons résultats scolaires. Enfin, les élèves ont fait leur propre évaluation et dit s'ils aimaient apprendre à lire, à écrire et à compter.
Les chercheurs ont été étonnés de constater que le fait de voir même peu d'émissions violentes à l'âge préscolaire avait des conséquences négatives des années plus tard.
«Toute exposition à des émissions considérées comme violentes par les parents était associée à de légères augmentations de comportements antisociaux, selon les signalements faits par les enseignants», notent-ils.
«Nos résultats les plus inédits révèlent que les enfants exposés à n'importe quelle quantité d'émissions violentes manifestent ensuite une augmentation des symptômes négatifs, de façon légère mais significative. En deuxième année du primaire, ils étaient moins enthousiastes que les autres enfants et paraissaient plus tristes ou moins heureux.
«Ces résultats confirment des études antérieures suggérant que l'exposition à des scènes violentes peuvent prédisposer les enfants à des sentiments durables d'anxiété, d'émotions négatives et de dépression qui, à leur tour, risquent d'engendrer des psychopathologies au cours de leur vie.
«Les enfants plus agressifs éprouveront probablement plus de problèmes interpersonnels, lesquels peuvent entraîner la tristesse ou la détresse, deux sentiments associés au rejet social...
«L'exposition dès le jeune âge à des émissions violentes était associée [dans l'étude] à des résultats scolaires inférieurs à la moyenne. Le visionnement de scènes violentes à la télévision était aussi associé à une propension à la distraction, à l'inattention et au manque de concentration en classe, selon les enseignants. Ces enfants montraient aussi moins d'intérêt pour l'apprentissage des matières scolaires.
«Cette étude est la première en son genre à suggérer que l'exposition à la violence dans les médias pendant la prime enfance semble avoir un impact à long terme chez les enfants.»
Effet «boule de neige»
Les auteurs craignent l'effet «boule de neige». Si les enfants du primaire sont plus agressifs parce qu'ils ont été marqués par des émissions violentes, ils courent plus de risques d'être rejetés par leurs camarades. À son tour, le sentiment de rejet nuit à l'apprentissage, puis amène les jeunes à moins aimer l'école, ce qui peut mener au décrochage scolaire.
«D'un point de vue de la santé de la population, même de faibles niveaux de sous-performance et de problèmes d'attention ont un coût important pour la société, si on les envisage sur une période de toute une vie.»
Les chercheurs, Caroline Fitzpatrick, Tracie Barnett et Linda S. Pagani, proposent la réalisation d'enquêtes sur l'impact des vidéos ou des jeux d'ordinateur violents. Leur article, qui vient d'être mis en ligne, s'intitule «Early Exposure to Media Violence and Later Child Adjustment».
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Un ouvrage se voit au
point de rencontre entre
la laïcité et le religieux
«Tout le monde s'approprie le religieux à sa façon, à certaines doses, à certains moments de la vie aussi»
Jacinthe Leblanc, Le Devoir (07-04-12)
Dans une société en rupture avec son passé catholique chrétien, Martine Pelletier et Patrick Snyder, tous deux professeurs à la Faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke, ont décidé de creuser la question du religieux moderne. Ce projet voit le jour à la suite de conférences publiques annuelles, organisées maintenant depuis quatre ans, sur les différentes interrogations par rapport au religieux.
C'est au printemps 2011 que l'ouvrage collectif Qu'est-ce que le religieux contemporain? paraît. Un an plus tard, il trouve encore sa place dans les enjeux actuels, puisqu'il «accompagne le mouvement de réflexion sur ces grands enjeux-là», souligne Martine Pelletier, codirectrice du livre avec Patrick Snyder. Elle constate par ailleurs un certain délestage du catholicisme au Québec, ainsi qu'une diminution du nombre des croyants, diminution qui s'accentue chez ceux se disant pratiquants.
Le religieux contemporain, c'est quoi?
«C'est d'abord se poser la question du religieux aujourd'hui, explique madame Pelletier. Ça englobe toutes les questions qui touchent autant aux grandes traditions religieuses, mais aussi aux questions spirituelles. Donc, les questions d'existence, les questions de sens.» Ce concept se trouve ainsi à être un mélange de questionnements et de sens auxquels les traditions offrent des clés de compréhension du monde actuel.
Le religieux contemporain se veut également une façon d'interpréter de grandes questions existentielles, précise madame Pelletier, telles que: «C'est quoi ça, le fait d'exister? Et qu'est-ce qui fait qu'on est dans la vie? Qu'est-ce qui fait qu'on meurt? Qu'est-ce qui fait qu'on souffre? Qu'est-ce qui fait qu'on est heureux?»
Trouver un horizon commun
Diriger un ouvrage collectif est une aventure parsemée de défis. Le principal souci pour les auteurs du livre consistait à trouver un horizon commun et à «apporter le plus de facettes possible» autour de la question de départ. Le défi a été relevé grâce à l'articulation du livre en trois axes, ce qui, pour la professeure, «donne aussi l'originalité du travail».
Le premier axe du livre, c'est «la mutation du religieux, comment le religieux a changé dans le temps et dans l'histoire». Ensuite viennent «[...] les lieux d'expression du religieux contemporain aujourd'hui, c'est-à-dire comment on voit le religieux ressurgir en politique, par exemple. Ou comment on voit la question du religieux ressurgir dans les questions féministes, dans la question des médias, ça, c'est ma spécialité, ou dans la question de l'environnement», mentionne Martine Pelletier. Le dernier axe de l'ouvrage porte «sur la question: "Est-ce qu'il y a encore des chances pour la foi chrétienne, pour la grande tradition qui a été dominante au Québec?" Comment on se positionne par rapport à ça?»
Une couverture réfléchie
La page couverture de l'ouvrage collectif décrit bien la diversité des gens, des opinions et des valeurs présente dans une société multiculturelle comme le Québec. «C'est une espèce de place publique où on voit des gens qui marchent. Et le pavé est uni. Donc, il y a une espèce de base d'existence commune et les personnages ont des couleurs et des teintes variées.» Et ainsi, ajoute madame Pelletier, «chacun s'approprie son existence, s'approprie sa compréhension du monde et on partage quand même le même milieu».
Consciente de la philosophie derrière l'image, la professeure en théologie et études religieuses y voit l'idée d'un symbole décrivant bien l'esprit du livre, qui est de faire voir le plus d'aspects possible autour de la question principale. Malgré tout, «[...] le livre est parti d'une question et la question reste ouverte. On ne prétend pas y répondre», conclut-elle.
Un enjeu bien présent: la laïcité
Le livre présente un terrain commun avec la laïcité, qui, selon Martine Pelletier, connaît une montée, au moment où le catholicisme apparaît en déclin. Cette croissance de la laïcité se perçoit de plus en plus dans les établissements publics, comme les écoles et les milieux hospitaliers, où l'identité religieuse officielle sur la place publique disparaît tranquillement. «Et cette montée de la laïcité, quand on la regarde, moi j'aurais tendance à mettre un "s" à ce fameux mot-là, parce qu'il y a une laïcité qui est émergente, qui est très radicale, qui veut faire table rase de tout ce qui s'appelle le religieux, le sacré et tout ce genre de rapport à la foi ou à l'expérience sensible de la foi que les gens en font», explique madame Pelletier.
Le religieux s'efface au profit de la neutralité dans l'arène publique. Une rencontre entre la laïcité et le religieux est-elle possible? Pour le collectif d'auteurs, oui. Le religieux contemporain trouverait donc sa place, selon Martine Pelletier, «dans l'expression privée, dans l'expression communautaire, dans les lieux qui appartiennent aux familles, par exemple». Elle fait le parallèle avec l'école québécoise, où celle-ci n'a pas un rôle de promotion de la foi, mais plutôt un rôle de guide dans le cheminement spirituel. «Ce déplacement-là, pour moi, est un bel indicateur de la rencontre entre le religieux contemporain et la laïcité montante dans nos sociétés», termine-t-elle.
Proposant un ouvrage collectif, les auteurs se sont entendus pour que tous les droits d'auteur recueillis grâce à la vente du livre se transforment en bourses d'étude pour les étudiants de la Faculté de théologie et d'études religieuses.
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Transparence? Kessé ça?
Vincent Marissal, La Presse (09-04-12)
À écouter les réponses parfois farfelues de certains représentants québécois du gouvernement Harper, c'est à se demander s'ils comprennent seulement de quoi ils parlent, mais chose certaine, ils n'éprouvent aucun scrupule à dire n'importe quoi. Au contraire, ils semblent même y prendre un plaisir juvénile.
Non seulement cela ne les dérange pas de servir de traducteurs aux ministres qui ne parlent pas français, mais ils recrachent dans les médias des lignes de presse prémâchées qui ne résistent pas à la moindre analyse et qu'ils sont incapables de défendre au-delà de la première sous-question. Cela donne des réponses absurdes teintées de mauvaise foi, de faussetés, de clichés, le tout dans un mélange d'incompétence et de je-m'en-foutisme.
Un bel exemple, jeudi soir dernier, à l'émission 24 heures en 60 minutes d'Anne-Marie Dussault, à RDI, où le sénateur (tiens, un autre non-élu qui parle au nom du gouvernement) Jean-Guy Dagenais a tenté de nous convaincre que la demande du gouvernement du Québec de préserver les données du registre des armes d'épaule constituait de... l'«ingérence» !
«Les données appartiennent au gouvernement fédéral», a d'abord lancé le sénateur, qui, rappelons-le, défendait ledit registre lorsqu'il était président de l'Association des policiers provinciaux. Ottawa partage tous les jours des données fiscales avec les provinces, mais dans le cas du registre des armes, les données seraient propriété exclusive du fédéral. Pourtant, tous les Canadiens ont payé pour ce registre et, en définitive, les données leur appartiennent.
Mais bon, ne nous égarons pas dans des considérations trop profondes, le sénateur n'était là que pour réciter les lignes de son maître, ce qu'il a eu du mal à faire sans s'empêtrer dans une explication absconse.
«Vous savez, y'a des questions de fédéralisme et de provincionalisme (sic), mais le registre appartient au fédéral (...)», a-t-il dit, visiblement dépassé par la question, très simple, de ma consoeur qui lui demandait comment l'attitude de son gouvernement cadrait dans ses promesses de fédéralisme d'ouverture.
Une fois l'entrevue terminée, on a entendu le sénateur, hors d'ondes, ricaner en disant: «Provincionalisme, eh bien, je viens d'inventer un mot, moi!»
Au moins, le sénateur Dagenais se trouve drôle, et on ne pourra lui reprocher de se prendre trop au sérieux. Le malheur, c'est qu'il a la même approche avec les dossiers qu'il défend.
Cela me rappelle un autre phare intellectuel de ce gouvernement, le ministre des Anciens combattants, Steven Blaney, qui a déjà dit que l'âge d'Omar Khadr n'a rien à voir avec son sort à Guantánamo... Tout le débat tourne autour des traités protégeant les enfants soldats, mais l'âge de l'accusé n'a rien à voir là-dedans! C'est comme si on disait que le taux d'alcoolémie n'a rien à voir dans une cause de conduite avec les facultés affaiblies. Ce serait risible si M. Blaney ne parlait pas au nom du gouvernement du Canada...
En plus d'être mû par une idéologie inflexible dans ses priorités, ce gouvernement affiche trop souvent un mélange d'arrogance, de nonchalance, voire carrément d'incompétence dans la conduite des affaires de l'État. Le principe de responsabilité, par contre, est en train de foutre le camp, même si Stephen Harper s'est fait élire en promettant la transparence et la saine gestion à Ottawa.
Plus le temps passe, plus on se rend compte que ce gouvernement est dirigé par un idéologue froid, tacticien redoutable et déterminé, régnant sur une bande de sous-fifres tout juste bons à répéter la bonne parole de leur chef.
Comme ils ne dirigent rien, ils ne peuvent être tenus responsables de quoi que ce soit. On l'a vu au cours des derniers jours avec le scandale financier des F-35, ces coûteux et inadéquats chasseurs devant remplacer les vieux CF-18.
Le rapport du vérificateur est aussi clair que dévastateur: le gouvernement savait que l'achat et l'entretien des nouveaux avions coûteraient près de trois fois plus cher qu'il ne l'a dit et répété pendant des années. Ce ne sont pas 9 milliards, mais 25 milliards, on ne parle donc pas ici d'une modeste erreur à la marge.
Par ailleurs, on apprend que la Défense nationale a fait des pressions auprès des autres ministères et que le Canada n'est pas lié par contrat, contrairement à ce que le gouvernement Harper n'a cessé de répéter sur toutes les tribunes.
Le plus gros contrat militaire de l'histoire du Canada vire en un fiasco monstre, confirmé par le plus dur rapport du vérificateur depuis les commandites, mais au gouvernement, c'est la routine, comme si rien n'était arrivé. Personne ne prend la responsabilité, personne ne casque. M. Harper «accepte» les conclusions du VG, mais pas question de démettre son ministre de la Défense, Peter MacKay. Le même M. MacKay qui est revenu d'un voyage de pêche dans un hélico de l'armée.
Le gouvernement Harper ne prend pas ses responsabilités, il nie la réalité.
Trois fois plus cher pour des avions? Bof. Des millions de la sécurité du G20 dans la circonscription de Tony Clement? Vous dites? Une pénurie d'isotopes médicaux causée par l'incurie d'une ministre? Pas grave. Passe-droits du ministre Paradis à un ancien député conservateur? Broutille.
En six ans, le seul ministre qui a été puni pour mauvaise conduite, c'est Maxime Bernier, qui a oublié des documents chez sa copine.
Stephen Harper s'est fait élire en promettant le retour de la responsabilité. On assiste plutôt à la généralisation de l'impunité.
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Le bénévolat stratégique
Quoi de mieux que de servir les autres et d'y trouver un profit personnel?
Claude Turcotte, Le Devoir (02-04-12)
La popote roulante peut parfois conduire très loin. Valérie Millette en est la preuve. Tout a commencé à Sorel, alors qu'elle était étudiante au cégep. Son premier engagement dans le bénévolat fut justement de s'impliquer dans ce service de livraison à domicile de repas chauds pour les personnes âgées. «C'était une bonne expérience à mettre sur mon curriculum vitæ et une manière de développer différentes habiletés. Mais dans le fond, ça m'a donné beaucoup plus que ça», dit-elle en début d'entrevue.
Depuis 2010, elle est coordonnatrice du centre de bénévolat LIVE de l'Université Concordia, qui a été la première université au Québec à mettre en place un tel service pour faire la liaison entre les membres de la communauté universitaire désireux de s'impliquer et les organismes communautaires à la recherche de bénévoles.
Après ses études collégiales, Mme Millette a fait un baccalauréat en administration avec une mineure en relations humaines à Concordia. «Pour le travail avec les gens», précise-t-elle. Comme la piqûre du bénévolat ne l'avait pas quittée, une fois installée à Montréal, elle a pris contact avec le Centre d'action bénévole (CABM), où elle a été conseillère en placement pendant cinq ans. La mission du CABM, qui fête ses 75 ans, est de promouvoir l'action bénévole auprès de la population.
Mme Millette a poursuivi diverses activités bénévoles pendant les cinq ans qu'ont duré ses études universitaires, ce qui lui a permis de développer des contacts, de faire du réseautage et l'a même amenée à occuper plusieurs emplois dans ce domaine, notamment comme coordonnatrice dans des organismes de bénévolat. «Connaître les gens, les organismes et les possibilités facilite grandement le cheminement d'une carrière», a-t-elle pu constater. Pour sa maîtrise en management et en sciences de l'administration, elle devait effectuer une recherche et rédiger une thèse. Évidemment, elle a choisi de fouiller dans le domaine qui lui était déjà familier, le bénévolat. Son mémoire visait donc à comprendre «comment organiser les tâches pour améliorer la motivation, la satisfaction et la performance des bénévoles».
L'essentiel de sa réponse à cette question pourrait sans doute se ramener à ce constat: «Les bénévoles sont davantage motivés quand ils choisissent un poste qui correspond à leurs valeurs et intérêts. Il est plus probable de voir un bénévole s'engager à long terme quand il s'implique dans une cause qui lui tient vraiment à coeur ou quand la tâche lui apporte du plaisir. Bien sûr, quand on travaille avec des bénévoles, la reconnaissance est très importante.»
Quelles sont donc les motivations des gens attirés par le bénévolat? Selon elle, il y a presque autant de motivations que de personnes, et chaque personne peut avoir plus d'une motivation. Elle note tout de même une constante: dans 95 % des cas, il y a une volonté de s'impliquer pour une cause en particulier. «Bien des gens s'intéressent à l'environnement et à la justice sociale. Mais, ça ne s'arrête pas là. Il y a les domaines de la santé, de l'éducation, le combat contre la pauvreté, la défense des droits de la personne et le développement international. Mon premier conseil à ceux qui veulent s'impliquer est de trouver une cause qui leur tient à coeur.»
Après ses études, elle a travaillé pour l'Entraide universitaire mondiale du Canada, où elle a agi comme recruteur de bénévoles pour des projets internationaux. L'évolution de sa carrière l'a aussi conduite à assumer la direction par intérim d'un centre du quartier Côte-des-Neiges. Depuis cinq ans, elle anime des ateliers offerts aux gestionnaires de ressources bénévoles au CABM.
Alors qu'elle débutait dans son poste de conseillère en emploi à Concordia, Mme Millette a été approchée pour aider à démarrer un comité d'initiatives bénévoles à l'université. Se rendant compte de l'ampleur de l'engagement communautaire qui existait déjà, le comité a décidé de créer un endroit où toutes les personnes intéressées par le bénévolat pourraient trouver les informations dont elles ont besoin. La première initiative de Mme Millette fut la mise en place d'un site Web (volunteer.concordia.ca); la seconde fut la création du prix de reconnaissance bénévole. En juin 2010, le centre de bénévolat Concordia, baptisé LIVE (Leadership, Initiative and Volunteer Engagement), a vu le jour.
Le bénévolat ou l'art de jumeler passion et stratégie
Depuis le début, plus de 1000 étudiants ont bénéficié de rencontres individuelles au centre de bénévolat LIVE, où ils reçoivent des conseils et suggestions en rapport avec leurs besoins et leurs intérêts. «Il faut trouver du bénévolat qui va aider l'étudiant. On va décortiquer de quel genre d'expérience il peut avoir besoin, trouver des occasions de développer des compétences qui lui seront utiles au moment de sa recherche d'emploi. Même si l'on ne trouve pas toujours des expériences identiques à celles qu'il vivra plus tard, il y a toujours moyen de travailler sur des compétences transférables essentielles à l'embauche.»
En fait, le bénévolat peut aider un étudiant à montrer ses capacités de travailler en équipe, de faire preuve de leadership, de gérer un projet, etc. «Les meilleures possibilités de bénévolat sont celles où un étudiant peut travailler pour une cause qui le passionne tout en atteignant plusieurs objectifs liés à son développement de carrière. C'est à cette idée que je me réfère quand je parle de bénévolat stratégique», ajoute-t-elle.
Mme Millette résume toute cette démarche dans les termes suivants: «Au fond, le bénévolat est un échange. Les bénévoles offrent leur temps et leurs compétences et reçoivent tout autant. Quand ça fonctionne bien, c'est vraiment gagnant-gagnant.»
Quelle est la réaction des étudiants qui ont recours à ce service? «Ceux qui nous découvrent sont très contents. Ils nous disent souvent que nous leur simplifions grandement la vie. Pour ceux qui n'avaient jamais pensé au bénévolat, ça peut être une révélation», répond-elle. Des étudiants de toutes les facultés ont recours à l'expertise du centre, qui s'adapte à leurs besoins respectifs. Au total, jusqu'à maintenant, près de 4000 étudiants de Concordia ont bénéficié des services du centre, que ce soit en assistant à un atelier ou à une foire du bénévolat, en visitant le centre ou en participant à une activité de groupe.
Au demeurant, le centre n'est pas uniquement au service des étudiants, il peut aussi être utile aux professeurs et aux autres employés. Par exemple, certains collègues de Mme Millette font appel à ses compétences en gestion de ressources de bénévolat pour démarrer de nouveaux projets. En outre, il y a parfois des professeurs qui la consultent à l'approche de leur retraite en espérant pouvoir réaliser un rêve de bénévolat qu'ils caressent depuis longtemps.
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Les barbares
Michel David, Le Devoir (05-04-12)
Le proverbe du chien qu'on accuse d'avoir la rage ne donne pas la pleine mesure de la barbarie avec laquelle le gouvernement Harper s'est employé à détruire l'organisme Droits et Démocratie.
En parachutant un groupe de militants sionistes dans son conseil d'administration, il a littéralement inoculé le virus de la rage à ce centre de coopération internationale que le gouvernement Mulroney avait voulu indépendant du gouvernement et qui illustrait parfaitement les valeurs démocratiques traditionnellement associées au Canada.
Quand une véritable chasse aux sorcières avait été lancée pour débusquer d'éventuels sympathisants de la cause palestinienne, la totalité des employés avaient signé une lettre réclamant la démission du président du conseil d'administration, Aurel Braun, et de ses acolytes.
En février 2011, la veuve de l'ancien président du centre, Rémy Beauregard, victime d'une crise cardiaque après une réunion particulièrement houleuse avec le conseil d'administration, avait expliqué en larmes à un comité de la Chambre des communes que ce harcèlement systématique avait précipité sa mort.
Un rapport de la firme Deloitte et Touche a réfuté toutes les allégations de mauvaise administration à l'endroit de M. Beauregard. Après le sabotage autorisé par le gouvernement, invoquer les «nombreux problèmes» survenus à Droits et Démocratie pour justifier sa fermeture, comme l'a fait le ministre des Affaires étrangères, John Baird, était le comble du cynisme. L'intégrer aux activités du ministère constitue un musellement.
Annoncée dans la foulée du budget Flaherty, cette liquidation symbolise parfaitement le parti pris idéologique auquel le premier ministre Harper peut laisser libre cours depuis la victoire conservatrice du 2 mai dernier.
Le mandat du centre était d'«encourager et appuyer les valeurs universelles des droits humains et [...] promouvoir les institutions et les pratiques démocratiques partout dans le monde». Pourquoi le gouvernement Harper encouragerait-il à l'extérieur du pays ce qu'il bafoue systématiquement à l'intérieur?
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La destruction du registre des armes à feu est aussi un acte de barbarie. En voulant effacer les données, les conservateurs se comportent comme des Vandales qui préfèrent tout raser plutôt que de laisser derrière eux les vestiges d'une société plus avancée.
Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, qui n'en finit plus de se heurter à l'intransigeance d'Ottawa, semblait réellement exaspéré quand il a annoncé qu'en désespoir de cause, le Québec s'adresserait aux tribunaux pour empêcher le gouvernement Harper de commettre l'irréparable.
M. Fournier a de quoi être déboussolé. Le PLQ a toujours préconisé un fédéralisme reposant sur ce que l'ancien ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, appelait dans son rapport le principe de «courtoisie», de «loyauté» ou encore de «convivialité».
En vertu de ce principe, les relations fédérales-provinciales doivent être placées sous le signe de «l'ouverture à l'opinion des autres partenaires fédératifs» et d'une «obligation de bonne foi dans les pourparlers».
À l'époque, M. Pelletier souhaitait que ce principe soit enchâssé dans la Constitution canadienne, comme c'est le cas en Suisse ou en Belgique. Sans que toute possibilité de conflit soit éliminée pour autant, il y voyait une dimension symbolique considérable.
Le problème est que les barbares ne sont généralement pas très portés sur la courtoisie, ni sur la convivialité. M. Fournier a pu constater personnellement dans le dossier de la justice criminelle et du projet de loi C-10 que le gouvernement Harper n'avait ni «ouverture à l'opinion des autres partenaires», ni «bonne foi dans les pourparlers».
Il est normal que les tribunaux aient occasionnellement à trancher un litige entre les membres d'une fédération qui ne s'entendent pas sur le partage des pouvoirs. Le cas du registre des armes à feu est très différent. Ottawa ne veut pas exercer sa compétence, mais plutôt empêcher le Québec d'exercer la sienne. Le débat n'est plus d'ordre juridique, mais idéologique.
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L'enjeu politique demeure cependant bien réel. Le fédéralisme de courtoisie n'était peut-être qu'un mirage, mais on pouvait toujours l'opposer à la souveraineté. Si le registre devait disparaître, comment expliquerait-on aux Québécois que les tragédies de Polytechnique et de Dawson sont peu de chose par rapport au bonheur de vivre dans ce merveilleux pays?
Il est vrai qu'il ne faut pas confondre le Canada anglais avec le gouvernement Harper, mais le Québec semble bien seul dans sa bataille pour le maintien du registre des armes à feu. La première ministre de l'Alberta, Alison Redford, a indiqué qu'elle ne s'opposerait pas au transfert des données vers des registres provinciaux, mais on ne peut certainement pas parler d'une levée de boucliers.
Les valeurs progressistes dont le Québec se réclame sont sans doute partagées par bon nombre de Canadiens d'un océan à l'autre, mais le collègue Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, soulignait hier qu'après avoir longtemps été le pôle politique et intellectuel dominant, Montréal avait cédé ce rôle à Calgary. Et que c'est maintenant l'Ouest canadien qui impose sa vision du pays.
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F-35 - Ils mentent
Josée Boileau, Le Devoir (11-04-12)
Les conservateurs auront beau tourner leurs explications dans tous les sens, ils ont caché la vérité aux Canadiens dans le dossier des F-35. Et cacher la vérité, sciemment, en se moquant en plus de ceux qui les questionnaient, cela s'appelle mentir.
Si le ministre de la Défense Peter MacKay pense s'en tirer parce qu'il a admis qu'il savait depuis deux ans que les avions de chasse F-35 allaient coûter plus cher que prévu, mais que son silence s'explique par un jeu comptable dont les règles viennent de changer, il se trompe. Car il nous trompe.
Il faut absolument, dans cette histoire, remonter en mars 2011, quand le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, avait fait voir, dans un rapport détaillé de près de 70 pages, toute l'improvisation qui entourait le projet d'achat des F-35. Le gouvernement avait refusé de collaborer à l'exercice, mais M. Page avait pu déterminer, par une analyse rigoureuse, que les avions coûteraient deux fois plus cher que prévu.
La réaction gouvernementale avait été vindicative, les conservateurs s'accrochant farouchement à leur évaluation. Le ministre MacKay affirmait même: «Je ne sais pas d'où viennent tous les chiffres qui circulent, mais nos meilleures estimations parlent de 70 à 75 millions par avion», pour un total de 15 milliards. (Le vrai coût d'achat est plutôt de l'ordre de 25 milliards, nous a dit le vérificateur général la semaine dernière, très près du total de 29 milliards auquel arrivait le directeur du budget.)
Stephen Harper, lui, avait ignoré M. Page, affirmant ne pas avoir envie d'embarquer «dans une longue guerre de chiffres». Ce qui n'avait pas empêché le ministère de la Défense, quelques jours plus tard, de publier un tableau comparatif sommaire qui plantait allègrement les estimations du directeur, l'accusant de manquer de preuves, de faire des erreurs de calcul, de ne pas fournir des données complètes! Du grand grotesque.
L'équipe de M. Page s'était donc défendue dans un nouveau rapport qui démontrait par A + B que le ministère de la Défense sous-estimait de manière incompréhensible les coûts de l'appareil. Et pas parce qu'on avait omis de compter le prix de l'essence et les salaires des pilotes (explication maintenant donnée par le ministre MacKay), mais parce que le coût d'acquisition de base de l'appareil posait en soi problème — à quoi s'ajoutait ensuite une mauvaise évaluation des frais d'entretien. Les 75 millions du gouvernement n'avaient qu'une source, le fabricant du F-35, Lockheed Martin. Il «ne reflète aucun autre chiffre publié par un organisme public», lit-on dans ce deuxième rapport, qui cite par ailleurs des documents évoquant plutôt des coûts de l'ordre de 133 millions à 151 millions $US par appareil.
Le gouvernement n'a eu que dédain pour cette démonstration, que mépris pour l'opposition qui réclamait la transparence. Et jamais alors n'a-t-il même évoqué les coûts d'entretien derrière lesquels M. MacKay se retranche depuis le rapport du vérificateur général Michael Ferguson.
Le gouvernement conservateur ne peut toutefois pas envoyer promener le v.g. comme il l'a fait de M. Page. Il cherche donc à tourner la page en racontant n'importe quoi, présentant même comme nouveauté comptable ce qui fait partie depuis des années des règles du Conseil du Trésor.
Tant d'hypocrisie et d'incompétence appellent la démission de M. MacKay. Mais il n'est que le pantin du premier ministre dans ce dossier, lui qui tient au F-35 parce qu'il répond le mieux à ses ambitions guerrières internationales. Hélas, notre système ne prévoit rien pour démettre un premier ministre. Même quand il ment, et s'en moque.
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Aide internationale
Indigne du Canada
Bernard Descôteaux, Le Devoir (02-04-12)
Le Canada n'a jamais été parmi les pays les plus généreux du monde en ce qui a trait à l'aide au développement. Les premiers de classe se trouvent parmi les pays d'Europe du Nord. Plusieurs y consacrent plus de 0,7 % de leur PIB. Le champion est la Suède avec 1,02 % de son PIB.
Le Canada apporte bien sûr sa contribution. Dans une juste proportion? Cela est à voir. Alors qu'elle était en 1991 à hauteur de 0,49 % de son PIB, elle n'est toutefois plus aujourd'hui que de 0,31 %. En chiffres absolus, on ne constaterait pas de diminution, sauf que, l'économie ayant fait des bonds importants en 20 ans, l'effort consenti a considérablement diminué. Ce sera encore plus marqué les prochaines années puisque le programme budgétaire du gouvernement Harper prévoit des diminutions des sommes consenties à l'aide au développement.
Il n'y a certes pas de quoi être fier. On est loin de ce qui pourrait être qualifié de juste part. Il y a toutefois plus préoccupant. Il y a ce que le gouvernement conservateur veut qu'il soit fait de cet argent. À travers les décisions prises ces dernières années se dégage une trame qui consiste à contraindre les organismes non gouvernementaux qui se consacrent à l'aide internationale à coller étroitement aux priorités gouvernementales qui sont nettement colorées idéologiquement.
Cette volonté nouvelle des conservateurs remet en cause la tradition humanitaire canadienne faite d'abord d'engagement personnel de citoyens qui consacrent temps ou argent aux causes qui leur tiennent à coeur. Ainsi sont nées la plupart des ONG vouées à l'aide humanitaire qui, au fil des années et des décennies, ont développé des expertises que les gouvernements ont reconnues en en faisant des partenaires. Ce sont elles qui, partout dans le monde, incarnent la générosité canadienne. Or, ces partenaires, le gouvernement de l'heure veut qu'ils soient des exécutants. Plus question d'indépendance et d'autonomie.
Les cas suivants illustrent bien ce changement de cap: celui d'Alternatives, qui a vu son soutien financier réduit comme une peau de chagrin parce que l'organisme était jugé trop militant en faveur de la cause palestinienne. Celui de Développement et Paix, qui n'a rien d'extrême sauf, aux yeux des conservateurs, sa préoccupation pour la défense des droits de la personne. Il a vu ses budgets abaissés des deux tiers. Puis celui de Droits et Démocratie, qui sera tout simplement aboli. Il avait été créé par une loi en 1988 par le gouvernement Mulroney, qui voulait ainsi garantir son financement et son indépendance. Son tort? Avoir trop mis l'accent sur la promotion des droits et pas assez sur la démocratie. L'argent économisé servira très probablement à financer le futur Bureau des religions, dont la création a été annoncée l'an dernier, qui servira à promouvoir la liberté de religion à travers le monde.
Des années d'efforts et d'argent investis par des militants sincères de l'action humanitaire seront ainsi réduites à néant. On ne ferait pas mieux si l'on voulait décourager l'engagement des citoyens. Ceux qui recevaient leur aide ne comprendront pas. Ils ne sauront pas que cela est la conséquence de choix idéologiques dont ils n'ont rien à faire. Cela est indigne d'un Canada qui se prétend généreux.
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Crise alimentaire
Banalité du mal
Serge Truffaut, Le Devoir (10-04-12)
De passage à Montréal, l'essayiste et ex-rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation Jean Ziegler a souligné, et non révélé ou confié, que le nombre d'affamés dans le monde va grossissant. Après d'autres économistes, l'auteur de Destruction massive - Géopolitique de la faim édité par Le Seuil ne cesse de vitupérer contre l'origine d'une sous-alimentation gigantesque: la spéculation. Bienvenue dans l'univers de la désensibilisation au mal.
Le monde compte actuellement un milliard de personnes sous-alimentées qui se répartissent entre les pays de la Corne de l'Afrique, de l'Amérique centrale, de l'Amérique du Sud et même dans certaines enclaves de villes européennes. Fait singulier? Toutes les 15 secondes, un enfant de moins de dix ans succombe. Cette lèpre a produit des dégâts que l'on sait monstrueux alors que l'infrastructure agricole de la planète Terre pourrait nourrir, selon les études chiffrées de la FAO, pas moins de 12 milliards d'être humains.
Les raisons officielles établies par l'ONU sont les suivantes: production de biocarburants, dumping des produits agricoles, achats et locations de terres ici et là dans le monde par les fonds souverains et les multinationales, endettement des pays pauvres et, enfin, la spéculation. Selon la hiérarchisation effectuée par les agences de l'ONU, cette dernière figure en tête de liste loin devant les autres.
Il en est ainsi parce qu'en 1999 les banques de Wall Street ont obtenu de l'administration Clinton la déréglementation des marchés des contrats à terme leur accordant de fait le pouvoir de détenir des participations importantes dans les sociétés du secteur. En 2004, elles ont convaincu l'administration Bush de leur accorder un autre chapelet de déréglementations. Ensuite? En 2008, dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, Goldman Sachs, J. P. Morgan ainsi que des fonds spéculatifs américains, britanniques et allemands ont décidé une chose toute simple: plaquer les recettes et les instruments conçus pour le marché immobilier, les subprimes en particulier, au monde agricole.
En moins de deux, c'est le cas de le dire, les assauts spéculatifs menés avec une agressivité telle qu'elle révélait un appât du gain démesuré ont fait exploser les valeurs des matières premières. Résultats? En moins d'un an, l'indice des prix des aliments augmentait de 40 %, celui des céréales de 71 %. Quoi d'autre? La concentration conséquente à cette furia boursière s'est traduite par ceci: 10 multinationales contrôlent 85 % du commerce des aliments.
Selon une étude réalisée par Heiner Flassbeck, économiste en chef de la CNUCED, une agence de l'ONU, la situation qui prévaut aujourd'hui relève de l'irréel. Plus précisément, les prix imposés sont autant d'échos au dysfonctionnement d'une industrie en proie à la spéculation la plus folle qui soit. Exemple parmi d'autres: l'Éthiopie compte un contingent imposant d'affamés alors que la superficie des terres fertiles et cultivées suffirait amplement à nourrir tous ses habitants. Comment se fait-il? Le pays exporte une part des denrées alimentaires vers les nations choisies par les spéculateurs.
Depuis l'amorce de la flambée des coûts, les politiciens sont abonnés au silence même s'ils savent pertinemment que la mécanique mise en place est synonyme, pour reprendre le titre de Ziegler, de destruction massive. Leur attitude est une autre illustration de la banalité du mal.