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Bon Weekend
12 avril 2012

Vendredi le 13 avril 2012. Vol. 6, no. 11

labibfranco.canalblog.com

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Voler avec des ailes fragiles

Un avenir précaire pour les jeunes adultes issus des centres jeunesse

Caroline Montpetit, Le Devoir (06-04-12)611-1

Antoine* a été placé dans un foyer pour enfants de la Protection de la jeunesse à l'âge de cinq ans. Avant, il vivait avec sa mère, souffrant de déficience, qui vivait elle-même sous le contrôle du grand-père d'Antoine, qui maintenait la mère et l'enfant sous clé et contrôlait jusqu'à leur accès au garde-manger. Enfant sauvage, Antoine ne savait pas parler. Après le foyer pour enfants, Antoine a fréquenté un foyer pour pré-adolescent, puis pour adolescents, avant d'intégrer le centre de réadaptation, géré par le centre jeunesse de Laval.

Aujourd'hui, Antoine a 17 ans. Dans quelques mois, il sera un adulte. Il devra alors quitter la Protection de la jeunesse et voler de ses propres ailes.

Pour aller où?  Il ne le sait pas encore. Dyslexique, Antoine sait à peine lire. Mais il a une passion pour les ordinateurs. Il y a quelques semaines, il participait à un des ateliers de cuisine du frère Toc, qui fait partie d'un ensemble d'activités organisées dans le cadre du programme de qualification des jeunes, qui suit les jeunes considérés comme vulnérables jusqu'à l'âge de 19 ans.

À l'atelier du frère Toc, les jeunes du centre jeunesse de Laval s'activent pour faire un repas de cabane à sucre, oeufs dans le sirop, jambon, pain doré, etc.

«À leur majorité, presque tous les jeunes veulent faire l'essai de retourner chez leurs parents, raconte Julien Chauret. Et plusieurs y retournent effectivement. Mais ce sont des jeunes qui ont un historique de placement, et le pronostic qu'ils retournent vivre dans leur famille est sombre.»

Que font donc ces jeunes qui quittent la Protection de la jeunesse après une longue histoire de placement? «On n'a pas de données là-dessus», constate Julien Chauret, qui tente cependant d'instaurer une sorte de formulaire qui permettrait de les suivre dans leur vie d'adulte.

«On veut faire un follow-up pour essayer de les retracer. Par Facebook, il y a moyen de leur soumettre un questionnaire», dit Julien Chauret.

Un quart d'entre eux expérimentent l'itinérance


En fait, le peu d'informations que l'on possède sur les jeunes de la Protection de la jeunesse devenus adultes sont assez sombres. Près du quart des jeunes expérimenteraient au moins un épisode d'itinérance après l'atteinte de la majorité après la sortie, écrivent les auteurs Martin Goyette et Marie-Ève Turcotte, dans le livre Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté, à partir de données nationales et internationales. 25 % qui vivent des épisodes d'itinérance, c'est énorme. «Et d'après moi, c'est très conservateur», dit Martin Goyette, qui est aussi professeur à l'ENAP et qui a beaucoup travaillé sur ces questions, en entrevue. Environ la moitié travaillent, mais leurs emplois sont peu rémunérés et peu gratifiants, toujours selon cet article. Plus de la moitié ont des problèmes de santé mentale. Près du quart ont déjà essayé de se suicider.

Au début des années 2000, le suicide d'un jeune de 18 ans, après son départ de la famille d'accueil où il était hébergé jusque-là, avait été dénoncé dans un rapport du coroner, et avait alerté les pouvoirs publics sur l'urgence d'agir. Et c'est justement depuis quelques années que le programme de qualification des jeunes, implanté dans tout le Québec, offre aux jeunes le soutien d'un intervenant, dans leur démarche d'autonomie, jusqu'à l'âge de 19 ans. Mais ce programme ne s'adresse qu'aux jeunes les plus mal en point du réseau de Protection de la jeunesse, soit environ 10 % de la clientèle totale des centres jeunesse. Et ce programme ne peut pallier le manque de logements salubres et abordables ou le manque d'emplois et de ressources dans la communauté.

Parce que 18 ans, c'est tôt pour prendre son envol, souvent sans même avoir décroché un diplôme de secondaire, et souvent sans pouvoir compter sur aucun réseau.

Aussi, le centre jeunesse de Laval a ouvert depuis un an et demi une nouvelle ressource, le centre multiservice, qui accueillera six jeunes, garçons et filles, jusqu'à 20 ans moins un jour. Une première au Québec. Alice, une longue et pâle jeune femme de 17 ans, la seule de cet atelier du frère Toc à avoir atteint la 4e secondaire, y a trouvé une place in extremis, il y a quelques semaines.

«Tu es chanceuse», lui lance Julien Chauret. Les jeunes choisis pour habiter le centre multiservice doivent démontrer qu'ils sont inscrits dans une démarche d'autonomie, que ce soit une démarche scolaire ou une démarche professionnelle.

«On parle d'autonomie, mais je préfère souvent parler d'une saine dépendance», dit Julien Chauret.

Idéaliser ses parents

En fait, seulement 10 % des jeunes des centres jeunesse atteignent l'autonomie financière avant l'âge de 21 ans. Et 30 % des jeunes bénéficiant de l'aide sociale proviennent de la clientèle des centres jeunesse, dit Martin Goyette, qui croit d'ailleurs que les programmes de réinsertion sociale existants, outre le programme de qualification des jeunes, se préoccupent trop uniquement d'insertion scolaire et professionnelle et pas assez de bâtir des réseaux sociaux, par exemple.

Sophie, quant à elle, occupe un emploi au Relais communautaire du quartier. Un stage. Elle s'apprête à déménager dans un logement supervisé par le Bureau de consultation jeunesse. C'est, croit-elle, ce qui lui convient le mieux pour l'instant. Sophie se serait qualifiée pour le centre multiservice, mais elle préférait aller vivre plus près de son travail et de son père.

«Je suis très proche de mon père», dit celle qui a été placée par le centre jeunesse à l'âge de trois ans, qui a aussi résidé en centre de réadaptation et qui est maintenant dans un foyer de groupe.

Selon Julien Chauret, les jeunes ont souvent tendance à idéaliser leurs parents. Il arrive qu'ils soient désillusionnés lorsqu'ils retournent dans leur famille à leur majorité. Et leur histoire, qui compte souvent des épisodes de consommation de drogue, de délinquance, voire de prostitution, fait qu'on ne les encourage pas nécessairement à se regrouper entre eux.

«Il arrive que les jeunes décident de devenir colocataires, mais souvent ça ne dure pas. Ils vont penser qu'il suffit de faire des excuses à leur propriétaire pour régler le problème. Dans la réalité, ça n'est pas comme ça que ça marche», dit-il.

Selon l'analyse du centre jeunesse de Laval «les jeunes qui s'impliquent davantage dans leur démarche sont ceux qui réussissent à "accrocher" à un intervenant, et qui s'impliquent dans la démarche d'autonomie en interdépendance avec de dernier, c'est-à-dire en acceptant le soutien face à certaines responsabilités et en assument seuls certaines autres».

Dans la cuisine du centre communautaire de Laval, Julien Chauret se dit chanceux d'avoir connu plusieurs jeunes qui suivent l'atelier de cuisine dans leur enfance. Un hasard, puisqu'il travaillait alors en foyer pour enfants. C'est là qu'il a connu Antoine, entre autres, alors qu'il était enfant. Un lien rare, et fragile. Peut-être sa principale planche de salut. Jusqu'à 19 ans, pas plus.

*Tous les noms des jeunes sont fictifs


 Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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Des chercheurs touchent

beaucoup d'argent pour

attaquer la science

L'historienne américaine Naomi Oreskes décrypte les origines et les motivations du climato-scepticisme

Propos recueillis par Stéphane Foucart,  Le Monde (30-03-12)611-2

Historienne des sciences de la Terre, professeure à l'université de Californie à San Diego (Etats-Unis), Naomi Oreskes est coauteur, avec Erik Conway, d'un ouvrage de référence sur les racines du climatoscepticisme, qui paraît en français - Les Marchands de doute (Le Pommier, 524 pp., 29 euros). De passage à Paris, où elle donne une série de conférences, elle a accordé un entretien au Monde.

Existe-t-il un vrai débat scientifique sur la réalité du changement climatique ?

Non. Il n'y a pas de débat scientifique sur le fait que le réchauffement a bien lieu et qu'il est principalement le fait des gaz à effet de serre anthropiques et de la déforestation. D'ailleurs, les bouleversements actuels sont en accord avec ce qui a été prévu de longue date par les spécialistes.

Avoir un débat scientifique sur telle ou telle question obéit à des règles précises : il se tient entre experts du domaine qui publient leurs résultats dans des publications soumises à la revue par les pairs, c'est-à-dire à l'expertise du reste de leur communauté. Rien de cela ne caractérise ceux qui s'opposent à la science climatique.

Aux Etats-Unis, qui sont les "experts" qui contestent la science climatique ?

La plupart de ceux qui mettent en cause la science climatique, ou qui assurent qu'il y a un débat sur ses principaux constats, ont auparavant contesté la réalité des pluies acides, du trou dans la couche d'ozone, ou encore de la nocivité du tabac... C'est le premier indice qu'il ne s'agit pas réellement de science, car vous ne trouverez jamais un vrai chercheur naviguant entre des sujets aussi variés et exigeant des compétences aussi différentes.

Le fait que ces scientifiques aient défendu l'industrie du tabac jusque dans les années 1990 - alors que les dégâts de la cigarette étaient déjà massifs - est le plus frappant. Nous avons découvert que plusieurs d'entre eux avaient été rémunérés par l'industrie du tabac via des organisations écranscomme le TASSC - The Advancement of Sound Science Coalition ("Coalition pour la promotion d'une science solide").

En réalité, cette organisation, qui pourtant se revendique de la science, a été créée par le groupe Philip Morris pour attaquer l'Environmental Protection Agency (EPA), et ce afin d'éviter qu'une législation contre le tabagisme passif ne soit adoptée.

Quelles sont leurs motivations ?

C'est une grande interrogation : pourquoi des scientifiques parfois connus ont-ils engagé leur réputation pour défendre l'industrie du tabac qui tue les gens ? On aurait pu imaginer que leur seul moteur était l'argent. Mais c'est largement insuffisant. Nous montrons qu'au moins pour les scientifiques au cœur de ce feuilleton, les motivations étaient plus politiques et idéologiques que financières. Ils étaient des tenants de ce qu'on peut appeler le "fondamentalisme du libre marché", fondé sur le refus de toute réglementation.

Beaucoup étaient animés par la peur que les réglementations environnementales contre les pluies acides, le trou d'ozone ou le tabac n'ouvrent la voie à un Etat de plus en plus intrusif et oppressif. Il n'en reste pas moins que certains chercheurs, en activité aujourd'hui, touchent beaucoup d'argent pour attaquer la science.

Lorsque vous avez publié votre livre, imaginiez-vous que le déni de la science climatique serait une thèse défendue aujourd'hui, aux Etats-Unis, par les républicains ?

Non, pas dans nos pires cauchemars ! Après l'ouragan Katrina en 2005, nous pensions vraiment que les gens réaliseraient que le changement climatique est une réalité. Nous pensions que notre livre serait surtout intéressant d'un point de vue historique... Les années qui ont suivi ont montré qu'il était ancré pour longtemps dans l'actualité.

En Europe, on voit apparaître dans le débat public les arguments contre les sciences de l'environnement forgés des années auparavant aux Etats-Unis. Comment expliquer ce succès ?

Notre travail a consisté à analyser l'offre, pas la demande ! Mais il y a plusieurs pistes pour répondre. Cette campagne a été à la fois systématique et très bien financée, elle a eu recours à des cabinets de relations publiques qui ont travaillé à bien "enrober" les messages à faire passer, afin de les rendre les plus efficaces possibles, etc.

D'un côté, les scientifiques décryptent un dossier compliqué - le climat - et anticipent la survenue d'événements extrêmes (cyclones, sécheresses...) ; de l'autre, certains disent qu'il ne faut pas s'inquiéter, car le capitalisme et les lois du marché s'occuperont de tout... Quel est le message que vous préférez entendre ?

En France, les climatosceptiques se recrutent à droite comme à gauche...

L'histoire du climato-scepticisme est avant tout une histoire américaine qui prend sa source dans l'angoisse face au communisme... C'est le produit, à l'origine, d'un petit groupe de scientifiques qui ont fait leur carrière pendant la guerre froide et qui, après l'effondrement de l'URSS, ont vu dans les préoccupations environnementales un avatar du socialisme. Cette histoire résonne avec la culture américaine, qui repose sur l'individualisme et la tendance à considérer que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.

En Europe, socialisme et environnementalisme ont une connotation différente. Mais je vois cette campagne contre la science climatique comme une sorte de maladie qui s'est propagée. Et il y a toujours des raisons différentes de tomber malade !


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Pas d'écran contre la

violence à la télé

Une étude démontre que les enfants qui y sont exposés en subissent les répercussions à long terme611-3

André Noël, La Presse (10-04-12)

Pour la première fois, une enquête de longue haleine réalisée au Québec montre que les scènes de violence à la télévision peuvent perturber les enfants de 3 et 4 ans pendant des années.

D'autres recherches avaient déjà indiqué que des enfants qui voient régulièrement des images violentes à l'écran, même avec des personnages dessinés, sont plus à risque d'avoir des comportements agressifs ou antisociaux.

Mais l'enquête menée par des chercheurs de l'hôpital Sainte-Justine auprès de 2120 enfants québécois depuis l'âge de 5 mois jusqu'à la deuxième année du primaire révèle que les scènes de violence ont un impact à long terme.

Les résultats seront publiés dans la livraison de mai du Journal of Developmental & Behavioral Pediatrics. Les auteurs ne décrivent pas un phénomène marginal: malgré les avertissements des pédiatres, 73% des parents estiment que leurs enfants voient des scènes violentes à la télévision au moins une fois par semaine. 

Des années plus tard

Les chercheurs ont choisi les bébés au hasard et les ont suivis chaque année pendant huit ans. Ils ont demandé à leurs parents s'ils avaient regardé des scènes violentes à 41 mois et à 53 mois.

Puis, quand les enfants sont entrés en deuxième année du primaire, ils ont demandé aux enseignants de remplir des questionnaires détaillés sur leur comportement.

Les enseignants devaient indiquer par exemple si les enfants étaient insensibles aux émotions de leurs camarades, s'ils avaient de la difficulté à se concentrer en classe ou s'ils paraissaient plus tristes que la moyenne.

Les enseignants signalaient aussi si les enfants avaient ou non des bons résultats scolaires. Enfin, les élèves ont fait leur propre évaluation et dit s'ils aimaient apprendre à lire, à écrire et à compter.

Les chercheurs ont été étonnés de constater que le fait de voir même peu d'émissions violentes à l'âge préscolaire avait des conséquences négatives des années plus tard.

«Toute exposition à des émissions considérées comme violentes par les parents était associée à de légères augmentations de comportements antisociaux, selon les signalements faits par les enseignants», notent-ils.

«Nos résultats les plus inédits révèlent que les enfants exposés à n'importe quelle quantité d'émissions violentes manifestent ensuite une augmentation des symptômes négatifs, de façon légère mais significative. En deuxième année du primaire, ils étaient moins enthousiastes que les autres enfants et paraissaient plus tristes ou moins heureux.

«Ces résultats confirment des études antérieures suggérant que l'exposition à des scènes violentes peuvent prédisposer les enfants à des sentiments durables d'anxiété, d'émotions négatives et de dépression qui, à leur tour, risquent d'engendrer des psychopathologies au cours de leur vie.

«Les enfants plus agressifs éprouveront probablement plus de problèmes interpersonnels, lesquels peuvent entraîner la tristesse ou la détresse, deux sentiments associés au rejet social...

«L'exposition dès le jeune âge à des émissions violentes était associée [dans l'étude] à des résultats scolaires inférieurs à la moyenne. Le visionnement de scènes violentes à la télévision était aussi associé à une propension à la distraction, à l'inattention et au manque de concentration en classe, selon les enseignants. Ces enfants montraient aussi moins d'intérêt pour l'apprentissage des matières scolaires.

«Cette étude est la première en son genre à suggérer que l'exposition à la violence dans les médias pendant la prime enfance semble avoir un impact à long terme chez les enfants.»

Effet «boule de neige»

Les auteurs craignent l'effet «boule de neige». Si les enfants du primaire sont plus agressifs parce qu'ils ont été marqués par des émissions violentes, ils courent plus de risques d'être rejetés par leurs camarades. À son tour, le sentiment de rejet nuit à l'apprentissage, puis amène les jeunes à moins aimer l'école, ce qui peut mener au décrochage scolaire.

«D'un point de vue de la santé de la population, même de faibles niveaux de sous-performance et de problèmes d'attention ont un coût important pour la société, si on les envisage sur une période de toute une vie.»

Les chercheurs, Caroline Fitzpatrick, Tracie Barnett et Linda S. Pagani, proposent la réalisation d'enquêtes sur l'impact des vidéos ou des jeux d'ordinateur violents. Leur article, qui vient d'être mis en ligne, s'intitule «Early Exposure to Media Violence and Later Child Adjustment».


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Un ouvrage se voit au

point de rencontre entre

la laïcité et le religieux

«Tout le monde s'approprie le religieux à sa façon, à certaines doses, à certains moments de la vie aussi»611-4

Jacinthe Leblanc, Le Devoir (07-04-12)

Dans une société en rupture avec son passé catholique chrétien, Martine Pelletier et Patrick Snyder, tous deux professeurs à la Faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke, ont décidé de creuser la question du religieux moderne. Ce projet voit le jour à la suite de conférences publiques annuelles, organisées maintenant depuis quatre ans, sur les différentes interrogations par rapport au religieux.

C'est au printemps 2011 que l'ouvrage collectif Qu'est-ce que le religieux contemporain? paraît. Un an plus tard, il trouve encore sa place dans les enjeux actuels, puisqu'il «accompagne le mouvement de réflexion sur ces grands enjeux-là», souligne Martine Pelletier, codirectrice du livre avec Patrick Snyder. Elle constate par ailleurs un certain délestage du catholicisme au Québec, ainsi qu'une diminution du nombre des croyants, diminution qui s'accentue chez ceux se disant pratiquants.

Le religieux contemporain, c'est quoi?


«C'est d'abord se poser la question du religieux aujourd'hui, explique madame Pelletier. Ça englobe toutes les questions qui touchent autant aux grandes traditions religieuses, mais aussi aux questions spirituelles. Donc, les questions d'existence, les questions de sens.» Ce concept se trouve ainsi à être un mélange de questionnements et de sens auxquels les traditions offrent des clés de compréhension du monde actuel.

Le religieux contemporain se veut également une façon d'interpréter de grandes questions existentielles, précise madame Pelletier, telles que: «C'est quoi ça, le fait d'exister? Et qu'est-ce qui fait qu'on est dans la vie? Qu'est-ce qui fait qu'on meurt? Qu'est-ce qui fait qu'on souffre? Qu'est-ce qui fait qu'on est heureux?»

Trouver un horizon commun

Diriger un ouvrage collectif est une aventure parsemée de défis. Le principal souci pour les auteurs du livre consistait à trouver un horizon commun et à «apporter le plus de facettes possible» autour de la question de départ. Le défi a été relevé grâce à l'articulation du livre en trois axes, ce qui, pour la professeure, «donne aussi l'originalité du travail».

Le premier axe du livre, c'est «la mutation du religieux, comment le religieux a changé dans le temps et dans l'histoire». Ensuite viennent «[...] les lieux d'expression du religieux contemporain aujourd'hui, c'est-à-dire comment on voit le religieux ressurgir en politique, par exemple. Ou comment on voit la question du religieux ressurgir dans les questions féministes, dans la question des médias, ça, c'est ma spécialité, ou dans la question de l'environnement», mentionne Martine Pelletier. Le dernier axe de l'ouvrage porte «sur la question: "Est-ce qu'il y a encore des chances pour la foi chrétienne, pour la grande tradition qui a été dominante au Québec?" Comment on se positionne par rapport à ça?»

Une couverture réfléchie

La page couverture de l'ouvrage collectif décrit bien la diversité des gens, des opinions et des valeurs présente dans une société multiculturelle comme le Québec. «C'est une espèce de place publique où on voit des gens qui marchent. Et le pavé est uni. Donc, il y a une espèce de base d'existence commune et les personnages ont des couleurs et des teintes variées.» Et ainsi, ajoute madame Pelletier, «chacun s'approprie son existence, s'approprie sa compréhension du monde et on partage quand même le même milieu».

Consciente de la philosophie derrière l'image, la professeure en théologie et études religieuses y voit l'idée d'un symbole décrivant bien l'esprit du livre, qui est de faire voir le plus d'aspects possible autour de la question principale. Malgré tout, «[...] le livre est parti d'une question et la question reste ouverte. On ne prétend pas y répondre», conclut-elle.
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Un enjeu bien présent: la laïcité


Le livre présente un terrain commun avec la laïcité, qui, selon Martine Pelletier, connaît une montée, au moment où le catholicisme apparaît en déclin. Cette croissance de la laïcité se perçoit de plus en plus dans les établissements publics, comme les écoles et les milieux hospitaliers, où l'identité religieuse officielle sur la place publique disparaît tranquillement. «Et cette montée de la laïcité, quand on la regarde, moi j'aurais tendance à mettre un "s" à ce fameux mot-là, parce qu'il y a une laïcité qui est émergente, qui est très radicale, qui veut faire table rase de tout ce qui s'appelle le religieux, le sacré et tout ce genre de rapport à la foi ou à l'expérience sensible de la foi que les gens en font», explique madame Pelletier.

Le religieux s'efface au profit de la neutralité dans l'arène publique. Une rencontre entre la laïcité et le religieux est-elle possible? Pour le collectif d'auteurs, oui. Le religieux contemporain trouverait donc sa place, selon Martine Pelletier, «dans l'expression privée, dans l'expression communautaire, dans les lieux qui appartiennent aux familles, par exemple». Elle fait le parallèle avec l'école québécoise, où celle-ci n'a pas un rôle de promotion de la foi, mais plutôt un rôle de guide dans le cheminement spirituel. «Ce déplacement-là, pour moi, est un bel indicateur de la rencontre entre le religieux contemporain et la laïcité montante dans nos sociétés», termine-t-elle.

Proposant un ouvrage collectif, les auteurs se sont entendus pour que tous les droits d'auteur recueillis grâce à la vente du livre se transforment en bourses d'étude pour les étudiants de la Faculté de théologie et d'études religieuses.


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Transparence? Kessé ça?

Vincent Marissal, La Presse (09-04-12)

À écouter les réponses parfois farfelues de certains représentants québécois du gouvernement Harper, c'est à se demander s'ils comprennent seulement de quoi ils parlent, mais chose certaine, ils n'éprouvent aucun scrupule à dire n'importe quoi. Au contraire, ils semblent même y prendre un plaisir juvénile.

Non seulement cela ne les dérange pas de servir de traducteurs aux ministres qui ne parlent pas français, mais ils recrachent dans les médias des lignes de presse prémâchées qui ne résistent pas à la moindre analyse et qu'ils sont incapables de défendre au-delà de la première sous-question. Cela donne des réponses absurdes teintées de mauvaise foi, de faussetés, de clichés, le tout dans un mélange d'incompétence et de je-m'en-foutisme.

Un bel exemple, jeudi soir dernier, à l'émission 24 heures en 60 minutes d'Anne-Marie Dussault, à RDI, où le sénateur (tiens, un autre non-élu qui parle au nom du gouvernement) Jean-Guy Dagenais a tenté de nous convaincre que la demande du gouvernement du Québec de préserver les données du registre des armes d'épaule constituait de... l'«ingérence» !

«Les données appartiennent au gouvernement fédéral», a d'abord lancé le sénateur, qui, rappelons-le, défendait ledit registre lorsqu'il était président de l'Association des policiers provinciaux. Ottawa partage tous les jours des données fiscales avec les provinces, mais dans le cas du registre des armes, les données seraient propriété exclusive du fédéral. Pourtant, tous les Canadiens ont payé pour ce registre et, en définitive, les données leur appartiennent. 

Mais bon, ne nous égarons pas dans des considérations trop profondes, le sénateur n'était là que pour réciter les lignes de son maître, ce qu'il a eu du mal à faire sans s'empêtrer dans une explication absconse.

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«Vous savez, y'a des questions de fédéralisme et de provincionalisme (sic), mais le registre appartient au     fédéral (...)», a-t-il dit, visiblement dépassé par la question, très simple, de ma consoeur qui lui demandait comment l'attitude de son gouvernement cadrait dans ses promesses de fédéralisme d'ouverture.

Une fois l'entrevue terminée, on a entendu le sénateur, hors d'ondes, ricaner en disant: «Provincionalisme, eh bien, je viens d'inventer un mot, moi!»

Au moins, le sénateur Dagenais se trouve drôle, et on ne pourra lui reprocher de se prendre trop au sérieux. Le malheur, c'est qu'il a la même approche avec les dossiers qu'il défend.

Cela me rappelle un autre phare intellectuel de ce gouvernement, le ministre des Anciens combattants, Steven Blaney, qui a déjà dit que l'âge d'Omar Khadr n'a rien à voir avec son sort à Guantánamo... Tout le débat tourne autour des traités protégeant les enfants soldats, mais l'âge de l'accusé n'a rien à voir là-dedans! C'est comme si on disait que le taux d'alcoolémie n'a rien à voir dans une cause de conduite avec les facultés affaiblies. Ce serait risible si M. Blaney ne parlait pas au nom du gouvernement du Canada...

En plus d'être mû par une idéologie inflexible dans ses priorités, ce gouvernement affiche trop souvent un mélange d'arrogance, de nonchalance, voire carrément d'incompétence dans la conduite des affaires de l'État. Le principe de responsabilité, par contre, est en train de foutre le camp, même si Stephen Harper s'est fait élire en promettant la transparence et la saine gestion à Ottawa.

Plus le temps passe, plus on se rend compte que ce gouvernement est dirigé par un idéologue froid, tacticien redoutable et déterminé, régnant sur une bande de sous-fifres tout juste bons à répéter la bonne parole de leur chef.

Comme ils ne dirigent rien, ils ne peuvent être tenus responsables de quoi que ce soit. On l'a vu au cours des derniers jours avec le scandale financier des F-35, ces coûteux et inadéquats chasseurs devant remplacer les vieux CF-18.

Le rapport du vérificateur est aussi clair que dévastateur: le gouvernement savait que l'achat et l'entretien des nouveaux avions coûteraient près de trois fois plus cher qu'il ne l'a dit et répété pendant des années. Ce ne sont pas 9 milliards, mais 25 milliards, on ne parle donc pas ici d'une modeste erreur à la marge.

Par ailleurs, on apprend que la Défense nationale a fait des pressions auprès des autres ministères et que le Canada n'est pas lié par contrat, contrairement à ce que le gouvernement Harper n'a cessé de répéter sur toutes les tribunes.

Le plus gros contrat militaire de l'histoire du Canada vire en un fiasco monstre, confirmé par le plus dur rapport du vérificateur depuis les commandites, mais au gouvernement, c'est la routine, comme si rien n'était arrivé. Personne ne prend la responsabilité, personne ne casque. M. Harper «accepte» les conclusions du VG, mais pas question de démettre son ministre de la Défense, Peter MacKay. Le même M. MacKay qui est revenu d'un voyage de pêche dans un hélico de l'armée.

Le gouvernement Harper ne prend pas ses responsabilités, il nie la réalité.

Trois fois plus cher pour des avions? Bof. Des millions de la sécurité du G20 dans la circonscription de Tony Clement? Vous dites? Une pénurie d'isotopes médicaux causée par l'incurie d'une ministre? Pas grave. Passe-droits du ministre Paradis à un ancien député conservateur? Broutille.

En six ans, le seul ministre qui a été puni pour mauvaise conduite, c'est Maxime Bernier, qui a oublié des documents chez sa copine.

Stephen Harper s'est fait élire en promettant le retour de la responsabilité. On assiste plutôt à la généralisation de l'impunité.


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Le bénévolat stratégique

Quoi de mieux que de servir les autres et d'y trouver un profit personnel?

Claude Turcotte, Le Devoir (02-04-12)611-7

La popote roulante peut parfois conduire très loin. Valérie Millette en est la preuve. Tout a commencé à Sorel, alors qu'elle était étudiante au cégep. Son premier engagement dans le bénévolat fut justement de s'impliquer dans ce service de livraison à domicile de repas chauds pour les personnes âgées. «C'était une bonne expérience à mettre sur mon curriculum vitæ et une manière de développer différentes habiletés. Mais dans le fond, ça m'a donné beaucoup plus que ça», dit-elle en début d'entrevue.

Depuis 2010, elle est coordonnatrice du centre de bénévolat LIVE de l'Université Concordia, qui a été la première université au Québec à mettre en place un tel service pour faire la liaison entre les membres de la communauté universitaire désireux de s'impliquer et les organismes communautaires à la recherche de bénévoles.

Après ses études collégiales, Mme Millette a fait un baccalauréat en administration avec une mineure en relations humaines à Concordia. «Pour le travail avec les gens», précise-t-elle. Comme la piqûre du bénévolat ne l'avait pas quittée, une fois installée à Montréal, elle a pris contact avec le Centre d'action bénévole (CABM), où elle a été conseillère en placement pendant cinq ans. La mission du CABM, qui fête ses 75 ans, est de promouvoir l'action bénévole auprès de la population.

Mme Millette a poursuivi diverses activités bénévoles pendant les cinq ans qu'ont duré ses études universitaires, ce qui lui a permis de développer des contacts, de faire du réseautage et l'a même amenée à occuper plusieurs emplois dans ce domaine, notamment comme coordonnatrice dans des organismes de bénévolat. «Connaître les gens, les organismes et les possibilités facilite grandement le cheminement d'une carrière», a-t-elle pu constater. Pour sa maîtrise en management et en sciences de l'administration, elle devait effectuer une recherche et rédiger une thèse. Évidemment, elle a choisi de fouiller dans le domaine qui lui était déjà familier, le bénévolat. Son mémoire visait donc à comprendre «comment organiser les tâches pour améliorer la motivation, la satisfaction et la performance des bénévoles».

L'essentiel de sa réponse à cette question pourrait sans doute se ramener à ce constat: «Les bénévoles sont davantage motivés quand ils choisissent un poste qui correspond à leurs valeurs et intérêts. Il est plus probable de voir un bénévole s'engager à long terme quand il s'implique dans une cause qui lui tient vraiment à coeur ou quand la tâche lui apporte du plaisir. Bien sûr, quand on travaille avec des bénévoles, la reconnaissance est très importante.»

Quelles sont donc les motivations des gens attirés par le bénévolat? Selon elle, il y a presque autant de motivations que de personnes, et chaque personne peut avoir plus d'une motivation. Elle note tout de même une constante: dans 95 % des cas, il y a une volonté de s'impliquer pour une cause en particulier. «Bien des gens s'intéressent à l'environnement et à la justice sociale. Mais, ça ne s'arrête pas là. Il y a les domaines de la santé, de l'éducation, le combat contre la pauvreté, la défense des droits de la personne et le développement international. Mon premier conseil à ceux qui veulent s'impliquer est de trouver une cause qui leur tient à coeur.»

Après ses études, elle a travaillé pour l'Entraide universitaire mondiale du Canada, où elle a agi comme recruteur de bénévoles pour des projets internationaux. L'évolution de sa carrière l'a aussi conduite à assumer la direction par intérim d'un centre du quartier Côte-des-Neiges. Depuis cinq ans, elle anime des ateliers offerts aux gestionnaires de ressources bénévoles au CABM.

Alors qu'elle débutait dans son poste de conseillère en emploi à Concordia, Mme Millette a été approchée pour aider à démarrer un comité d'initiatives bénévoles à l'université. Se rendant compte de l'ampleur de l'engagement communautaire qui existait déjà, le comité a décidé de créer un endroit où toutes les personnes intéressées par le bénévolat pourraient trouver les informations dont elles ont besoin. La première initiative de Mme Millette fut la mise en place d'un site Web (volunteer.concordia.ca); la seconde fut la création du prix de reconnaissance bénévole. En juin 2010, le centre de bénévolat Concordia, baptisé LIVE (Leadership, Initiative and Volunteer Engagement), a vu le jour.

Le bénévolat ou l'art de jumeler passion et stratégie

Depuis le début, plus de 1000 étudiants ont bénéficié de rencontres individuelles au centre de bénévolat LIVE, où ils reçoivent des conseils et suggestions en rapport avec leurs besoins et leurs intérêts. «Il faut trouver du bénévolat qui va aider l'étudiant. On va décortiquer de quel genre d'expérience il peut avoir besoin, trouver des occasions de développer des compétences qui lui seront utiles au moment de sa recherche d'emploi. Même si l'on ne trouve pas toujours des expériences identiques à celles qu'il vivra plus tard, il y a toujours moyen de travailler sur des compétences transférables essentielles à l'embauche.»

En fait, le bénévolat peut aider un étudiant à montrer ses capacités de travailler en équipe, de faire preuve de leadership, de gérer un projet, etc. «Les meilleures possibilités de bénévolat sont celles où un étudiant peut travailler pour une cause qui le passionne tout en atteignant plusieurs objectifs liés à son développement de carrière. C'est à cette idée que je me réfère quand je parle de bénévolat stratégique», ajoute-t-elle.

Mme Millette résume toute cette démarche dans les termes suivants: «Au fond, le bénévolat est un échange. Les bénévoles offrent leur temps et leurs compétences et reçoivent tout autant. Quand ça fonctionne bien, c'est vraiment gagnant-gagnant.»

Quelle est la réaction des étudiants qui ont recours à ce service? «Ceux qui nous découvrent sont très contents. Ils nous disent souvent que nous leur simplifions grandement la vie. Pour ceux qui n'avaient jamais pensé au bénévolat, ça peut être une révélation», répond-elle. Des étudiants de toutes les facultés ont recours à l'expertise du centre, qui s'adapte à leurs besoins respectifs. Au total, jusqu'à maintenant, près de 4000 étudiants de Concordia ont bénéficié des services du centre, que ce soit en assistant à un atelier ou à une foire du bénévolat, en visitant le centre ou en participant à une activité de groupe.

Au demeurant, le centre n'est pas uniquement au service des étudiants, il peut aussi être utile aux professeurs et aux autres employés. Par exemple, certains collègues de Mme Millette font appel à ses compétences en gestion de ressources de bénévolat pour démarrer de nouveaux projets. En outre, il y a parfois des professeurs qui la consultent à l'approche de leur retraite en espérant pouvoir réaliser un rêve de bénévolat qu'ils caressent depuis longtemps.


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Les barbares

Michel David, Le Devoir (05-04-12)

Le proverbe du chien qu'on accuse d'avoir la rage ne donne pas la pleine mesure de la barbarie avec laquelle le gouvernement Harper s'est employé à détruire l'organisme Droits et Démocratie.

En parachutant un groupe de militants sionistes dans son conseil d'administration, il a littéralement inoculé le virus de la rage à ce centre de coopération internationale que le gouvernement Mulroney avait voulu indépendant du gouvernement et qui illustrait parfaitement les valeurs démocratiques traditionnellement associées au Canada.

Quand une véritable chasse aux sorcières avait été lancée pour débusquer d'éventuels sympathisants de la cause palestinienne, la totalité des employés avaient signé une lettre réclamant la démission du président du conseil d'administration, Aurel Braun, et de ses acolytes.

En février 2011, la veuve de l'ancien président du centre, Rémy Beauregard, victime d'une crise cardiaque après une réunion particulièrement houleuse avec le conseil d'administration, avait expliqué en larmes à un comité de la Chambre des communes que ce harcèlement systématique avait précipité sa mort.

Un rapport de la firme Deloitte et Touche a réfuté toutes les allégations de mauvaise administration à l'endroit de M. Beauregard. Après le sabotage autorisé par le gouvernement, invoquer les «nombreux problèmes» survenus à Droits et Démocratie pour justifier sa fermeture, comme l'a fait le ministre des Affaires étrangères, John Baird, était le comble du cynisme. L'intégrer aux activités du ministère constitue un musellement.

Annoncée dans la foulée du budget Flaherty, cette liquidation symbolise parfaitement le parti pris idéologique auquel le premier ministre Harper peut laisser libre cours depuis la victoire conservatrice du 2 mai dernier.

Le mandat du centre était d'«encourager et appuyer les valeurs universelles des droits humains et [...] promouvoir les institutions et les pratiques démocratiques partout dans le monde». Pourquoi le gouvernement Harper encouragerait-il à l'extérieur du pays ce qu'il bafoue systématiquement à l'intérieur?

***

La destruction du registre des armes à feu est aussi un acte de barbarie. En voulant effacer les données, les conservateurs se comportent comme des Vandales qui préfèrent tout raser plutôt que de laisser derrière eux les vestiges d'une société plus avancée.

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, qui n'en finit plus de se heurter à l'intransigeance d'Ottawa, semblait réellement exaspéré quand il a annoncé qu'en désespoir de cause, le Québec s'adresserait aux tribunaux pour empêcher le gouvernement Harper de commettre l'irréparable.

M. Fournier a de quoi être déboussolé. Le PLQ a toujours préconisé un fédéralisme reposant sur ce que l'ancien ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, appelait dans son rapport le principe de «courtoisie», de «loyauté» ou encore de «convivialité».

En vertu de ce principe, les relations fédérales-provinciales doivent être placées sous le signe de «l'ouverture à l'opinion des autres partenaires fédératifs» et d'une «obligation de bonne foi dans les pourparlers».

À l'époque, M. Pelletier souhaitait que ce principe soit enchâssé dans la Constitution canadienne, comme c'est le cas en Suisse ou en Belgique. Sans que toute possibilité de conflit soit éliminée pour autant, il y voyait une dimension symbolique considérable.

Le problème est que les barbares ne sont généralement pas très portés sur la courtoisie, ni sur la convivialité. M. Fournier a pu constater personnellement dans le dossier de la justice criminelle et du projet de loi C-10 que le gouvernement Harper n'avait ni «ouverture à l'opinion des autres partenaires», ni «bonne foi dans les pourparlers».

Il est normal que les tribunaux aient occasionnellement à trancher un litige entre les membres d'une fédération qui ne s'entendent pas sur le partage des pouvoirs. Le cas du registre des armes à feu est très différent. Ottawa ne veut pas exercer sa compétence, mais plutôt empêcher le Québec d'exercer la sienne. Le débat n'est plus d'ordre juridique, mais idéologique.

***

L'enjeu politique demeure cependant bien réel. Le fédéralisme de courtoisie n'était peut-être qu'un mirage, mais on pouvait toujours l'opposer à la souveraineté. Si le registre devait disparaître, comment expliquerait-on aux Québécois que les tragédies de Polytechnique et de Dawson sont peu de chose par rapport au bonheur de vivre dans ce merveilleux pays?

Il est vrai qu'il ne faut pas confondre le Canada anglais avec le gouvernement Harper, mais le Québec semble bien seul dans sa bataille pour le maintien du registre des armes à feu. La première ministre de l'Alberta, Alison Redford, a indiqué qu'elle ne s'opposerait pas au transfert des données vers des registres provinciaux, mais on ne peut certainement pas parler d'une levée de boucliers.

Les valeurs progressistes dont le Québec se réclame sont sans doute partagées par bon nombre de Canadiens d'un océan à l'autre, mais le collègue Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, soulignait hier qu'après avoir longtemps été le pôle politique et intellectuel dominant, Montréal avait cédé ce rôle à Calgary. Et que c'est maintenant l'Ouest canadien qui impose sa vision du pays.  


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F-35 - Ils mentent

Josée Boileau, Le Devoir (11-04-12)

Les conservateurs auront beau tourner leurs explications dans tous les sens, ils ont caché la vérité aux Canadiens dans le dossier des F-35. Et cacher la vérité, sciemment, en se moquant en plus de ceux qui les questionnaient, cela s'appelle mentir.

Si le ministre de la Défense Peter MacKay pense s'en tirer parce qu'il a admis qu'il savait depuis deux ans que les avions de chasse F-35 allaient coûter plus cher que prévu, mais que son silence s'explique par un jeu comptable dont les règles viennent de changer, il se trompe. Car il nous trompe.

Il faut absolument, dans cette histoire, remonter en mars 2011, quand le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, avait fait voir, dans un rapport détaillé de près de 70 pages, toute l'improvisation qui entourait le projet d'achat des F-35. Le gouvernement avait refusé de collaborer à l'exercice, mais M. Page avait pu déterminer, par une analyse rigoureuse, que les avions coûteraient deux fois plus cher que prévu.

La réaction gouvernementale avait été vindicative, les conservateurs s'accrochant farouchement à leur évaluation. Le ministre MacKay affirmait même: «Je ne sais pas d'où viennent tous les chiffres qui circulent, mais nos meilleures estimations parlent de 70 à 75 millions par avion», pour un total de 15 milliards. (Le vrai coût d'achat est plutôt de l'ordre de 25 milliards, nous a dit le vérificateur général la semaine dernière, très près du total de 29 milliards auquel arrivait le directeur du budget.)

Stephen Harper, lui, avait ignoré M. Page, affirmant ne pas avoir envie d'embarquer «dans une longue guerre de chiffres». Ce qui n'avait pas empêché le ministère de la Défense, quelques jours plus tard, de publier un tableau comparatif sommaire qui plantait allègrement les estimations du directeur, l'accusant de manquer de preuves, de faire des erreurs de calcul, de ne pas fournir des données complètes! Du grand grotesque.

L'équipe de M. Page s'était donc défendue dans un nouveau rapport qui démontrait par A + B que le ministère de la Défense sous-estimait de manière incompréhensible les coûts de l'appareil. Et pas parce qu'on avait omis de compter le prix de l'essence et les salaires des pilotes (explication maintenant donnée par le ministre MacKay), mais parce que le coût d'acquisition de base de l'appareil posait en soi problème — à quoi s'ajoutait ensuite une mauvaise évaluation des frais d'entretien. Les 75 millions du gouvernement n'avaient qu'une source, le fabricant du F-35, Lockheed Martin. Il «ne reflète aucun autre chiffre publié par un organisme public», lit-on dans ce deuxième rapport, qui cite par ailleurs des documents évoquant plutôt des coûts de l'ordre de 133 millions à 151 millions $US par appareil.

Le gouvernement n'a eu que dédain pour cette démonstration, que mépris pour l'opposition qui réclamait la transparence. Et jamais alors n'a-t-il même évoqué les coûts d'entretien derrière lesquels M. MacKay se retranche depuis le rapport du vérificateur général Michael Ferguson.

Le gouvernement conservateur ne peut toutefois pas envoyer promener le v.g. comme il l'a fait de M. Page. Il cherche donc à tourner la page en racontant n'importe quoi, présentant même comme nouveauté comptable ce qui fait partie depuis des années des règles du Conseil du Trésor.

Tant d'hypocrisie et d'incompétence appellent la démission de M. MacKay. Mais il n'est que le pantin du premier ministre dans ce dossier, lui qui tient au F-35 parce qu'il répond le mieux à ses ambitions guerrières internationales. Hélas, notre système ne prévoit rien pour démettre un premier ministre. Même quand il ment, et s'en moque.


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Aide internationale

Indigne du Canada

Bernard Descôteaux, Le Devoir (02-04-12)

Le Canada n'a jamais été parmi les pays les plus généreux du monde en ce qui a trait à l'aide au développement. Les premiers de classe se trouvent parmi les pays d'Europe du Nord. Plusieurs y consacrent plus de 0,7 % de leur PIB. Le champion est la Suède avec 1,02 % de son PIB.

Le Canada apporte bien sûr sa contribution. Dans une juste proportion? Cela est à voir. Alors qu'elle était en 1991 à hauteur de 0,49 % de son PIB, elle n'est toutefois plus aujourd'hui que de 0,31 %. En chiffres absolus, on ne constaterait pas de diminution, sauf que, l'économie ayant fait des bonds importants en 20 ans, l'effort consenti a considérablement diminué. Ce sera encore plus marqué les prochaines années puisque le programme budgétaire du gouvernement Harper prévoit des diminutions des sommes consenties à l'aide au développement.

Il n'y a certes pas de quoi être fier. On est loin de ce qui pourrait être qualifié de juste part. Il y a toutefois plus préoccupant. Il y a ce que le gouvernement conservateur veut qu'il soit fait de cet argent. À travers les décisions prises ces dernières années se dégage une trame qui consiste à contraindre les organismes non gouvernementaux qui se consacrent à l'aide internationale à coller étroitement aux priorités gouvernementales qui sont nettement colorées idéologiquement.

Cette volonté nouvelle des conservateurs remet en cause la tradition humanitaire canadienne faite d'abord d'engagement personnel de citoyens qui consacrent temps ou argent aux causes qui leur tiennent à coeur. Ainsi sont nées la plupart des ONG vouées à l'aide humanitaire qui, au fil des années et des décennies, ont développé des expertises que les gouvernements ont reconnues en en faisant des partenaires. Ce sont elles qui, partout dans le monde, incarnent la générosité canadienne. Or, ces partenaires, le gouvernement de l'heure veut qu'ils soient des exécutants. Plus question d'indépendance et d'autonomie.

Les cas suivants illustrent bien ce changement de cap: celui d'Alternatives, qui a vu son soutien financier réduit comme une peau de chagrin parce que l'organisme était jugé trop militant en faveur de la cause palestinienne. Celui de Développement et Paix, qui n'a rien d'extrême sauf, aux yeux des conservateurs, sa préoccupation pour la défense des droits de la personne. Il a vu ses budgets abaissés des deux tiers. Puis celui de Droits et Démocratie, qui sera tout simplement aboli. Il avait été créé par une loi en 1988 par le gouvernement Mulroney, qui voulait ainsi garantir son financement et son indépendance. Son tort? Avoir trop mis l'accent sur la promotion des droits et pas assez sur la démocratie. L'argent économisé servira très probablement à financer le futur Bureau des religions, dont la création a été annoncée l'an dernier, qui servira à promouvoir la liberté de religion à travers le monde.

Des années d'efforts et d'argent investis par des militants sincères de l'action humanitaire seront ainsi réduites à néant. On ne ferait pas mieux si l'on voulait décourager l'engagement des citoyens. Ceux qui recevaient leur aide ne comprendront pas. Ils ne sauront pas que cela est la conséquence de choix idéologiques dont ils n'ont rien à faire. Cela est indigne d'un Canada qui se prétend généreux. 


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 Crise alimentaire

 Banalité du mal

Serge Truffaut, Le Devoir (10-04-12)

De passage à Montréal, l'essayiste et ex-rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation Jean Ziegler a souligné, et non révélé ou confié, que le nombre d'affamés dans le monde va grossissant. Après d'autres économistes, l'auteur de Destruction massive - Géopolitique de la faim édité par Le Seuil ne cesse de vitupérer contre l'origine d'une sous-alimentation gigantesque: la spéculation. Bienvenue dans l'univers de la désensibilisation au mal.

Le monde compte actuellement un milliard de personnes sous-alimentées qui se répartissent entre les pays de la Corne de l'Afrique, de l'Amérique centrale, de l'Amérique du Sud et même dans certaines enclaves de villes européennes. Fait singulier? Toutes les 15 secondes, un enfant de moins de dix ans succombe. Cette lèpre a produit des dégâts que l'on sait monstrueux alors que l'infrastructure agricole de la planète Terre pourrait nourrir, selon les études chiffrées de la FAO, pas moins de 12 milliards d'être humains.

Les raisons officielles établies par l'ONU sont les suivantes: production de biocarburants, dumping des produits agricoles, achats et locations de terres ici et là dans le monde par les fonds souverains et les multinationales, endettement des pays pauvres et, enfin, la spéculation. Selon la hiérarchisation effectuée par les agences de l'ONU, cette dernière figure en tête de liste loin devant les autres.

Il en est ainsi parce qu'en 1999 les banques de Wall Street ont obtenu de l'administration Clinton la déréglementation des marchés des contrats à terme leur accordant de fait le pouvoir de détenir des participations importantes dans les sociétés du secteur. En 2004, elles ont convaincu l'administration Bush de leur accorder un autre chapelet de déréglementations. Ensuite? En 2008, dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, Goldman Sachs, J. P. Morgan ainsi que des fonds spéculatifs américains, britanniques et allemands ont décidé une chose toute simple: plaquer les recettes et les instruments conçus pour le marché immobilier, les subprimes en particulier, au monde agricole.

En moins de deux, c'est le cas de le dire, les assauts spéculatifs menés avec une agressivité telle qu'elle révélait un appât du gain démesuré ont fait exploser les valeurs des matières premières. Résultats? En moins d'un an, l'indice des prix des aliments augmentait de 40 %, celui des céréales de 71 %. Quoi d'autre? La concentration conséquente à cette furia boursière s'est traduite par ceci: 10 multinationales contrôlent 85 % du commerce des aliments.

Selon une étude réalisée par Heiner Flassbeck, économiste en chef de la CNUCED, une agence de l'ONU, la situation qui prévaut aujourd'hui relève de l'irréel. Plus précisément, les prix imposés sont autant d'échos au dysfonctionnement d'une industrie en proie à la spéculation la plus folle qui soit. Exemple parmi d'autres: l'Éthiopie compte un contingent imposant d'affamés alors que la superficie des terres fertiles et cultivées suffirait amplement à nourrir tous ses habitants. Comment se fait-il? Le pays exporte une part des denrées alimentaires vers les nations choisies par les spéculateurs.

Depuis l'amorce de la flambée des coûts, les politiciens sont abonnés au silence même s'ils savent pertinemment que la mécanique mise en place est synonyme, pour reprendre le titre de Ziegler, de destruction massive. Leur attitude est une autre illustration de la banalité du mal. 


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 Des clichés sur les aînés

Stéphane Baillargeon, Le Devoir (07-04-12)

L'opposition a sorti le gourdin contre le blanchon automatisé du ministre Yves Bolduc cette semaine à l'Assemblée nationale et les médias ont vite rapporté la controverse. Normal. Cette histoire de robot antidépresseur a permis encore une fois de concentrer les habituels clichés âgistes sur les coûts réputés exorbitants de l'entretien des vieux, décrits par euphémisme comme des «personnes du troisième âge».

«La question de l'âgisme est tout aussi "dangereuse" que la question du racisme ou du sexisme, dit Martine Lagacé, professeure agrégée du Département de communication de l'Université d'Ottawa, sans commenter précisément cette histoire de toutous bébés phoques. Sauf qu'on parle très peu de cette forme d'exclusion. L'âgisme est même très souvent toléré dans notre société et dans les médias.»

Le débat sur le toutou à 6000 $ portait sur les ressources allouées aux soins «pour les aînés». Le ministre de la Santé a expliqué les vertus thérapeutiques d'un toutou bébé phoque que ses fonctionnaires sont en train d'expérimenter dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

«Les personnes âgées réagissent aux émotions et sont capables d'avoir des émotions avec ça», a proposé le docteur en chef. Peine perdue. L'opposition a continué à décrier le manque de ressources pour s'assurer «que les bains soient donnés et que les repas soient mangeables [...] au lieu de faire appel à des clowns».

La professeure Lagacé s'intéresse à la discrimination envers les personnes âgées et aux rapports intergénérationnels depuis son doctorat en psycho sociale (1997) qui analysait l'impact des stéréotypes sur des fonctionnaires fédéraux en retraite anticipée. Avec ses collègues psychologues, médiologues ou économistes, depuis quinze ans, elle scrute les clichés colportés dans la société et au travail en particulier.

L'espérance de vie s'allonge et les stéréotypes s'étendent. Les clichés sur les vieux renversent ceux sur les jeunes. La vieillesse est technophobe, la jeunesse, technophile. Les travailleurs de plus de 45-50 ans sont blasés, improductifs, conservateurs, tandis que les moins de 40-45 ans se révèlent motivés, dynamiques, progressistes. Et puis, les vieux sont laids et les jeunes sont beaux, évidemment.

Ces lieux communs ont des effets très pernicieux. «La présence de stéréotypes âgistes en milieu de travail ou auprès des retraités a un impact psychologique important, poursuit la spécialiste. Les clichés affectent leur santé psychologique et leur estime. Ils poussent aussi des travailleurs à la retraite.»

Tout ça a un énorme coût socioéconomique qu'un collègue de Mme Lagacé est en train de mesurer au Canada. Reste la cause, ou à tout le moins «les véhicules de transmission» de ces images déformantes, qu'une première analyse médiatique pionnière vient de cerner. Des études ultérieures s'intéresseront à d'autres paroles publiques, les discours politiques et médicaux notamment.

La professeure a concentré l'enquête pionnière sur La Presse et The Globe and Mail. Un premier recensement a permis de choisir un peu plus de mille articles publiés pendant certaines semaines de 2000, de 2005 et de 2009. Un second tri a ramené l'échantillon à 120 textes, soit 60 pour chacun des grands quotidiens, tous soumis à une fine analyse de contenu considérant chaque fois les thèmes abordés, la longueur de l'article, le ton général ou le vocabulaire dans ce monde où les euphémismes abondent: seniors, elders, aînés... «Le mot soigné cache une vision négative», résume la chercheuse qui a présenté une version préliminaire de son enquête à l'Observatoire Vieillissement et Société le mois dernier.

Vrai négatif, faux positif


Et alors, quelles sont les grandes conclusions? «Quand la presse canadienne parle du vieillissement, elle en parle de manière très polarisée, résume la chercheuse. D'un côté, on en parle de manière négative en répétant que c'est une mauvaise affaire de vieillir, un poids lourd pour la société. Dans cette vision, les personnes âgées sont des victimes et elles exigent des soins sans rien donner en retour. D'un autre côté, les médias en parlent avec des exemples exceptionnels, en louangeant tel monsieur de 85 ans capable de nager sept kilomètres, ce qui renforce au fond le cliché du vieux habituellement incapable, y compris pour les autres personnes âgées.»

Le traitement médiatique oscille entre le vrai négatif et le faux positif. «Ce langage polarisé ne correspond pas à la réalité du vieillissement, poursuit Mme Lagacé. Les faux positifs créent de l'âgisme dans la génération des personnes âgées. Le discours négatif qui décrit les personnes âgées comme des gens séniles dans le besoin crée un âgisme intergénérationnel.»

Les exégètes des médias n'ont pas vu de différence notable entre les deux journaux. Le Globe comme La Presse traitent d'ailleurs le plus souvent la vieillesse sous l'angle économique, ce qui accentue la perspective utilitaire, pour ne pas dire néolibérale.

«Le Globe se concentre plus sur la démographie, le tsunami gris qui s'en vient. La Presse s'attarde plus à la retraite, demande sans cesse combien ça va coûter d'entretenir les retraités. Ce discours sous-tend que la personne âgée n'est plus productive au sens économique et néolibéral. On oublie toute sa présence sociale.»

À peine une douzaine d'articles portaient sur les rapports intergénérationnels positifs. Douze sur cent vingt...

Autre constat: les vieilles femmes n'existent presque pas dans le corpus. Cette double norme discriminatoire corrobore des études antérieures sur l'absence des femmes âgées à la télé.

Reste à savoir si les médias créent les clichés ou les reproduisent. Martine Lagacé pense que les deux possibilités ne s'excluent pas. Les journalistes semblent méconnaître la réalité des personnes âgées et tombent vite dans les redites et les poncifs.

«Dans La Presse, les CHSLD sont presque toujours présentés comme des mouroirs. Il y a une part de vérité. Mais il y a aussi de beaux endroits et de belles histoires à raconter», dit la professeure, qui recommande aux médias de faire de la vieillesse une spécialité, comme l'éducation ou la danse contemporaine.

«Le vieillissement de la population, ce n'est pas qu'une mauvaise nouvelle, conclut Martine Lagacé. La preuve: le Japon traite très bien ses personnes âgées et c'est une société moderne et beaucoup plus vieillissante que la nôtre. Seulement, au Japon, les croyances autour du vieillissement sont beaucoup plus positives, revalorisantes pour le travailleur vieillissant et les personnes aînées. »


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Jésus qui?

Stéphane Laporte, La Presse (07-04-12)

 Le carême? Personne ne l'a fait. Les Québécois mangent plus de poulet halal que de poisson le vendredi. Le dimanche des Rameaux? C'est quoi? Une vente d'arbustes chez Rona ou Réno-Dépôt? Le Vendredi saint? Attendez que je me souvienne... Ce n'est pas la commémoration du massacre des Nordiques?

 De la fête de Pâques, il ne reste plus que le congé. Absolument rien autour de nous ne nous rappelle que ce long week-end est censé être la célébration d'une fête religieuse.

Jusqu'à l'année dernière, on pouvait compter sur la télé. Il suffisait de l'allumer pour voir le divin et lisse visage de Charlton Heston. Et on allumait, nous aussi: ça doit être Pâques...

Cette année, cherchez-le, Charlton Heston! Lui qui était si présent, lorsque nous étions enfants.

Hier soir, Vendredi saint, aux Grands Films de Radio-Canada, normalement, on aurait eu Ben-Hur, Les dix commandements, Spartacus ou le Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli. Ben non! Ce n'était pas ça. C'était La proposition, comédie romantique avec Sandra Bullock. Au cinéma de fin de soirée, on a programmé Je m'appelle Eugène, film suisse.

Ce soir, en ce Samedi saint, sur TVA à 19h, on a un film racontant la vie d'un héros bon aux pouvoirs magiques. Mais ce n'est pas Jésus. C'est Harry Potter. Pendant qu'à Radio-Canada, on a pensé à notre vie spirituelle en diffusant Cruising Bar II.

Demain, au cours de la sacrée soirée de Pâques, V diffuse une comédie avec Jack Nicholson tandis que Télé-Québec projette un drame sur la mafia italienne. La seule référence religieuse à l'antenne sera Dieu merci! à TVA. Éric Salvail, riez pour nous!

Bien sûr, en fouillant dans votre TV Hebdo, vous finirez par trouver les classiques du week-end saint, mais ils n'ont plus droit aux cases grand public, comme jadis. Les dix commandements sera à l'affiche demain à minuit, ce qui est plus une heure de film de cul que de film de culte. Si ça vous intéresse, ça se termine à 4h15 du matin. Ça vous donnera le temps de prendre votre douche avant de regarder Ben-Hur, à 7h45 à TVA ou à 14h30 à Radio-Canada. Eh oui, Ben-Hur est aux deux.

Si les grandes fresques bibliques sont reléguées aux heures des infopubs de bain adapté, c'est qu'elles n'intéressent plus personne. Même pas à Pâques.

Avant, on les regardait pour se donner bonne conscience, en se disant, c'est moins pire que d'aller à la messe. Maintenant, on les a trop vus, on est tannés, on ne veut même plus se donner bonne conscience.

Notre conscience est occupée à faire du ménage, à manger du chocolat, à visiter New York. Notre conscience va très bien merci.

Faites un vox pop et demandez aux gens: en quel honneur profitons-nous de ce congé pascal? Plus de gens vous répondront que ça doit être l'anniversaire de Pascale Nadeau plutôt que la résurrection de Jésus.

La formule peut choquer, mais elle décrit bien l'humeur générale: on se crisse du Christ.

Ça devait arriver tôt ou tard. L'homme s'est fait discret depuis 2000 ans. Il avait pourtant promis de revenir. Jésus est comme le nouveau CHUM, il se fait tellement attendre qu'on finit par ne plus y croire.

Pourtant, il y a quelque chose de tellement subversif dans son histoire qu'il demeure, pour moi, un modèle. LE modèle.

Oubliez le pape, l'Église, les guerres saintes et les scandales sexuels, et pensez uniquement à la vie de celui en qui des millions de gens croient toujours aujourd'hui. Avec plus ou moins de ferveur, selon que l'on soit au Québec ou ailleurs.

C'est quoi, la vie de Jésus? C'est la vie d'un paumé. Jésus était pauvre. Jésus était un prisonnier. Jésus était un condamné à mort. Qu'on a tué. Il n'y a pas de destin plus misérable. À contre-courant de tous les exemples de réussite qu'on glorifie.

Qu'a-t-il fait pour traverser le temps? Des miracles? Peut-être. En tout cas, sûrement un. Celui d'avoir dit, il y a énormément longtemps, «aimez-vous les uns les autres», et le fait qu'on le cite encore aujourd'hui.

Je sais bien qu'il s'en est dit beaucoup, des belles phrases sur l'amour. Saint-Exupéry a dit: «Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction.» Les Beatles ont dit: «All you need is love.» Patrick Norman a dit: «Le coeur devient moins lourd quand on est en amour.» Mais «aimez-vous les uns les autres», c'est ce qui s'est dit de plus beau, de plus simple, de plus vrai, de toute l'histoire de l'humanité.

La raison de la vie, le secret du bonheur, il réside dans ces six mots.

Voilà pourquoi, ce week-end, on peut bien faire le ménage de son garage avec son voisin, visiter New York avec sa blonde, bruncher avec sa vieille mère ou regarder une comédie avec son enfant, si on le fait en aimant ceux avec qui on est, on fête Pâques.

On fête le message qui a survécu à toutes les horreurs du monde.

Car on a beau tuer l'amour, il ressuscite toujours.

Jésus qui? Jésus, le gars qui a dit: «Aimez-vous.»

Joyeuses Pâques! 


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La Pâque des non-croyants

Cette fête continue à jouer un rôle irremplaçable dans nos sociétés même si elle vide de signification

Raynald Valois, La Presse (07-04-12) 

 Quand Pâques refleurit au soleil, tout le monde s'affaire à préparer ses réceptions, à grand renfort de bonne chère, de bon vin et de chocolat. Pourquoi tout ce branle-bas de combat? De fait, à peu près personne ne se demande vraiment en quel honneur on s'excite autant ce jour-là. Pourtant, qui souhaiterait que ces célébrations disparaissent, même si elles semblent aujourd'hui absolument vides de signification?

Cependant, quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'elles continuent à jouer un rôle irremplaçable dans nos sociétés, malgré la façade d'indifférence généralisée à l'égard des questions les plus troublantes pour le genre humain. En apparence, nous nous préoccupons surtout de la santé financière de nos foyers et de nos États, des problèmes écologiques, de l'engorgement des urgences, des droits de scolarité, de la crise de l'euro, du nucléaire iranien, des talibans, etc.

On entend et lit peu de chroniques sur le vrai sens de Pâques, sur la mort et sur l'au-delà. Hormis, peut-être, lors des grandes catastrophes, il y a très peu d'espace dans le discours public pour ce genre d'interrogations. Pourtant, l'angoisse existentielle est bien présente, mais facilement masquée derrière toutes ces alarmes qui font la une de nos médias. Peut-être a-t-on tendance à voir des menaces et des démons partout, parce qu'on a tiré un voile sur la seule vraie menace, celle de la mort qui nous attend tous inexorablement?

Cela expliquerait pourquoi les célébrations religieuses se perpétuent et qu'on y tienne tant, même si on ne croit plus à grand-chose. Elles répondent à un besoin humain toujours aussi actuel. Jadis, on pleurait ensemble une mort exemplaire, dans un supplice exemplaire, celui de la croix. Et tout le monde en était ému, y projetant sa propre souffrance et celle de tous ces humains qui sont broyés par la haine, la bêtise ou simplement le destin. Il suffit d'écouter une musique aussi sublime que La Passion selon saint Mathieu de J.-S. Bach, pour communier, encore maintenant, à cette compassion, qui est déjà une anticipation de la grande tristesse de l'ultime séparation.

On l'oublie parfois, mais les événements qui font l'objet de ces commémorations n'appartiennent pas seulement à notre tradition. L'esclavage, la souffrance et la mort ont toujours affligé l'humanité. Partout sur la Terre et depuis les origines, on a craint le Mal et la Mort et on a inventé toutes sortes de rites, comme les sacrifices d'animaux et même d'humains, pour s'en protéger.

Les Égyptiens ont eu leurs dieux morts et ressuscité Osiris et Horus, et les Grecs ont eu Dionysos, le dieu deux fois né, ou encore le Phénix, qui renaissait de ses cendres. Il en est de même pour tous les drames cosmiques associés partout dans le monde à la régénération annuelle de la végétation, où l'on célébrait la victoire de la vie sur la mort.

Mais de nos jours, la religion ne nous est plus d'un grand secours, même si nous craignons de voir le monde basculer dans le chaos. C'est à ce moment que la réflexion philosophique peut nous venir en aide et nous rappeler que nos vies, de même que l'existence de l'univers entier, sont pleines de sens et que tout peut renaître. Comment imaginer que toutes ces merveilles, dont nous profitons quotidiennement, soient là sans aucune raison, et que leur destin final soit le retour au néant? Comment croire que nous soyons sortis de rien pour retourner à rien, comme par hasard? Et le monde entier pourrait-il être apparu par la force de lois naturelles venues d'on ne sait où? Serait-il absolument inexplicable, pour ne pas dire absurde?

Alors il faut bien qu'une Intelligence suprême l'ait conçu et lui ait donné l'existence. Ceci n'est pas un mythe inventé des poètes ou des esprits en délire. C'est le genre de doctrine que l'immense majorité des philosophes ont démontrée depuis des siècles: puisqu'il existe quelque chose plutôt que rien, quelque chose qui aurait bien pu ne pas être, il faut absolument qu'une Cause première - absolue, infinie et éternelle - soit à l'origine du grand Tout.

Et comment croire que l'Être suprême qui est derrière tout cela puisse nous avoir créés pour nous plonger dans la misère? Dieu serait-il un sadique qui s'amuserait à entretenir la souffrance universelle? Quel non-sens et quel affront à notre intelligence!

Beaucoup de gens qui nient l'existence de Dieu n'osent pas espérer que le soleil puisse finir par dissiper les nuages qui assombrissent l'avenir de l'humanité: celle-ci serait corrompue et courrait à sa perte. C'est le genre de pessimisme qui empoisonne notre atmosphère. Ce sentiment est si répandu en Occident et si ardemment cultivé par nos médias, qui ne cessent de faire l'étalage des horreurs qui frappent nos sociétés!

Comme Dieu nous a créés libres, notre destin dépend autant de nous que de lui. Nous pouvons et devons faire des choix. Par conséquent, il est inévitable que nous commettions parfois des erreurs, même de très graves. Alors nous nous sentons perdus et condamnés à tout jamais. C'est d'ailleurs probablement pour s'autopunir que les humains ont inventé l'Enfer et s'en sont servis comme d'un épouvantail depuis deux mille ans. Finalement ne serait-ce pas le sentiment de culpabilité qui nous ferait le plus souffrir et qui nous porterait à désespérer de Dieu?

Pourtant, nos erreurs ne sont pas irréparables. De même, nos souffrances peuvent servir à nous apprendre des choses qui nous rendront meilleurs et plus heureux. La vie est ainsi faite que l'on ne comprend pas grand-chose, si ça ne fait pas un peu mal. Bien plus, il est clair que nous refuserions un bonheur qui nous tomberait dessus sans que nous l'ayons acquis par nos propres forces. En fait, ce soi-disant cadeau ne pourrait pas être un vrai bonheur.

Dans le fond, c'est ce genre de vérités, que tous les hommes ont perçues intuitivement et qu'ils ont exprimées à travers des symboles et des histoires merveilleuses de mort et de résurrection, qui leur servaient à garder vivante l'espérance en la victoire finale du Bien sur le Mal.

Aujourd'hui nous ne sommes plus aussi sensibles à ce langage imagé: nous sommes devenus trop raisonneurs et trop froidement réalistes. En retour, heureusement, il nous reste justement la Raison, qui peut nous aider là où l'imagination nous fait défaut. Tout le monde est philosophe à sa manière et peut se servir de sa propre réflexion pour comprendre que la vie a un sens et que la mort n'est qu'un passage difficile.

Et puisque Pâques inaugure la saison des amours, pourquoi ne pas y fêter Dieu comme le grand Entremetteur et voir la Résurrection, comme l'éternelle consécration de nos plus merveilleux moments d'extase?

L'auteur donnera une conférence intitulée «Dieu est-il responsable de nos malheurs?», le mardi 17 avril, au Centre St-Pierre, à 19h, à Montréal. 


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Bully : BRISER LE SILENCE

Marc-André Lussier, La Presse (07-04-12)611-8

Bully (Intimidation en version française) a déjà fait couler beaucoup d’encre. Le documentaire de Lee Hirsch s’intéresse au sort de cinq familles américaines marquées par le drame de l’intimidation. Cinq histoires pour briser le silence. Dans deux d’entre elles, on pleure le suicide d’un enfant.

Pendant toute une année scolaire, le cinéaste et son équipe, munis d’un équipement très léger, se sont plus particulièrement immiscés dans la vie d’Alex. Ce jeune garçon de 14 ans, qui fréquente une école de Sioux City dans l’Iowa, est régulièrement pris à partie par ses camarades à cause de son aspect physique un peu « différent ». Alex doit aussi vivre constamment sous la menace verbale et physique des jeunes matamores qui s’amusent à ses dépens. Les trajets en autobus sont infernales. Et portent atteinte à l’intégrité physique du jeune homme de façon si grave que Lee Hirsch a décidé de montrer aux autorités les images qu’il avait captées. Le bullying fait tellement partie des mœurs que les agresseurs n’ont pourtant que faire de la présence d’une caméra.

« Cela ne m’a pas surpris qu’ils agissent ainsi, a commenté le réalisateur plus tôt cette semaine au cours d’un entretien téléphonique. Les caméras font partie de la vie des jeunes. Elles sont partout. Ils ne sont pas intimidés du tout. Même si notre présence à leurs côtés était discrète pendant toute cette année, il n’aura pas fallu beaucoup de temps avant qu’ils fassent comme si nous n’existions pas ! »

Un cycle sans fin

L’intimidation en milieu scolaire existe depuis toujours. Lee Hirsch en a lui-même souffert à l’époque où il fréquentait une école secondaire au Vermont. À cette intimidation de cour d’école s’est aussi ajoutée celle issue des réseaux sociaux. Le cycle n’a désormais plus de fin. Et certains jeunes décident tristement d’en finir.

« Le problème était déjà très répandu à l’époque où je fréquentais l’école, mais on a l’impression qu’il est devenu encore plus aigu aujourd’hui, fait remarquer le cinéaste. À travers ce film, j’ai voulu donner une voix à ces 13 millions d’enfants qui sont victimes d’intimidation en Amérique. Ce phénomène n’est malheureusement pas exclusif aux États-Unis. Il traverse les frontières, les classes sociales, les âges aussi. Il s’agit d’un problème universel qui mine les rapports humains partout dans le monde. »

Parmi toutes celles qui ont été portées à l’attention du cinéaste, les cinq histoires évoquées dans Bully font partie des plus édifiantes.

« J’ai choisi de faire d’Alex le personnage principal du film car son histoire est exemplaire, souligne Lee Hirsch. De plus, l’établissement scolaire qu’il fréquente nous a laissé l’accès pendant toute l’année. D’une certaine façon, c’était assez courageux de leur part. Ils n’ont pas le beau rôle. Les agresseurs peuvent continuer leur jeu en toute impunité car les autorités les laissent pratiquement faire. D’ailleurs, les adultes de l’établissement ne semblaient pas trop savoir que faire de notre présence. À la fin, ils se sont certainement réjouis de notre départ. Je dois toutefois saluer le fait que ces gens ont honoré leur parole. Ils ont respecté leur engagement. Je l’apprécie grandement. »

Faire œuvre utile

Bully touche une corde sensible. Un élan de solidarité s’est créé avant même la sortie du film. La valeur sociale du documentaire prend ici tout son sens. Bully fera en outre l’objet de nombreuses projections spéciales destinées aux organismes voués à la protection des enfants, et aux intervenants du système d’éducation.

« On voudrait compter tous les jeunes d’Amérique du Nord qui verront le film, précise Lee Hirsch. On espère atteindre le million d’enfants. Nous avons reçu de nombreux appuis de la part de différents organismes. Plusieurs vedettes populaires soutiennent notre cause. On aimerait que ce million de jeunes spectateurs devienne réalité. »

Quand on lui fait remarquer que la culture d’intimidation a aujourd’hui contaminé toutes les sphères de l’activité humaine, politique, médias, téléréalités, etc., Lee Hirsch revendique la conscientisation.

« Je ne suis pas naïf, dit-il. Le problème de l’intimidation ne pourra jamais être complètement éradiqué. Mais on peut le résorber. C’est justement parce que la culture des adultes est contaminée par ce fléau qu’il faut d’abord réagir à la source. Le changement des mentalités viendra des enfants eux mêmes. Les réseaux sociaux peuvent aussi être un relais formidable pour cette conscientisation. Les jeunes partagent leurs histoires. Une pétition contenant plus de 500 000 signatures a circulé afin que le film devienne accessible à tous les publics aux États-Unis. Je trouve cette énergie très belle, très positive. Et ça donne foi en l’avenir. »

Autrement dit, Bully lance enfin une discussion sur un drame trop longtemps glissé sous le tapis. Lee Hirsch fait assurément ici œuvre utile. Il croit profondément aux vertus du cinéma pour aider à progresser vers une meilleure compréhension.

« Chaque geste compte, affirme-t-il. Le plus beau de l’affaire avec ce film, c’est que des jeunes se sentent désormais moins seuls à vivre le problème. Certains d’entre eux décident même de se tenir debout devant leur intimidateur. En quelque sorte, Bully est une thérapie collective. Je ne sais pas si un film peut changer le monde mais j’aime le croire. J’ai vu Cry Freedom quand j’étais jeune et ce film a carrément transformé ma vie. Pour toujours. »

Bully
(Intimidation en version française) prend l’affiche le 13 avril.
 
 

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L'application de la semaine

Le Multidictionnaire: 30 000 entrées en toute mobilité611-9

Maryse Tessier, La Presse (04-04-12) 

 Le Multidictionnaire de la langue française prend d'assaut l'App Store.

Pour en savoir plus

Pour 16,99$, les détenteurs d'un iPod Touch ou d'un iPhone ont accès non seulement aux 30 000 entrées de 611-10l'ouvrage, mais aussi à 300 exercices, accompagnés de leur corrigé, qui permettent de tester ses connaissances de la langue de Molière.

 La date de sortie sur appareils Android n'est pas encore planifiée. 

Cette application est idéale pour les cours d'été... et pour faire de la place dans le sac à dos.

 

   


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 Le piège Internet

Christian Rioux, Le Devoir (30-03-12)

La nouvelle a fait le tour du monde en quelques jours. En France, Loys Bonod est devenu une vedette des médias. On l'a interviewé sur les radios populaires. Ce professeur de 36 ans a même participé à des tribunes téléphoniques. Une renommée à laquelle les professeurs de lettres classiques ne sont guère habitués, mais qui devrait attirer l'attention de tous les fanatiques des nouvelles technologies à l'école et autres twitterature.

Qu'a donc fait Loys Bonod pour avoir droit à une telle célébrité médiatique? Il a piégé ses élèves de première, ce qui équivaut à peu près à la première année du cégep. L'expérience vaut d'être racontée en détail tant elle illustre la naïveté du discours aujourd'hui dominant qui prêche l'utilisation tous azimuts des nouveaux médias à l'école.

Ce jeune professeur du lycée Chaptal à Paris avait souvent été frappé de lire dans les dissertations de ses élèves des expressions syntaxiques obscures répétées dans plusieurs copies. En cherchant sur Internet, quelle ne fut pas sa surprise de les retrouver dans des corrigés de dissertation vendus sur la Toile pour moins de trois dollars.

Il y a plus d'un an, il a décidé d'en avoir le coeur net et de «pourrir le Web» à sa façon, dit-il. Dans sa bibliothèque, il sélectionne un très beau poème baroque de Charles de Vion d'Alibray, un poète du XVIIe siècle. Il crée un compte pour devenir contributeur de Wikipédia et modifie la notice du poète y ajoutant quelques informations farfelues. Il lui invente notamment une muse, Mlle Anne de Beaunais (bonnet d'âne), qui aurait inspiré au poète des vers lyriques et sombres.

Il publie ensuite des questions d'étudiants sur Internet commentant ledit poème. Il y répond aussitôt en se faisant passer pour un érudit. Ses réponses sont pourtant totalement ineptes et même délirantes. Il s'agissait de se donner un peu de «crédibilité» pour ensuite proposer à des sites payants des corrigés de dissertation. Ces corrigés sont évidemment lamentables et contiennent des fautes d'orthographe soigneusement dissimulées. On les publie pourtant intégralement, probablement sans les lire. Bonod utilise un nom d'emprunt qui ne s'invente pas: Lucas Ciarlatano!

À la rentrée scolaire, le professeur donne deux semaines à ses élèves pour commenter le poème. Il précise bien qu'il n'y a aucune recherche à faire, les élèves ayant déjà eu un cours sur l'époque baroque. Il s'agit d'un simple exercice de réflexion personnelle sur un texte par ailleurs magnifique. Résultat: 51 des 65 élèves ont plus ou moins recopié ce qu'ils ont trouvé sur Internet. Certains ont simplement récupéré de fausses informations sans les recouper, les vérifier ni citer leurs sources. D'autres ont recopié des paragraphes entiers trahissant une incompréhension totale du texte.

Cette anecdote ne serait qu'une supercherie sans conséquence si Loys Bonod n'en tirait une leçon qui devrait être gravée en lettres d'or dans toutes les classes: «les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique». Et il ajoute que «leur servitude à l'égard d'Internet va même à l'encontre de l'autonomie de pensée et de la culture personnelle que l'école est supposée leur donner. En voulant faire entrer le numérique à l'école, on oublie qu'il y est déjà entré depuis longtemps et que, sous sa forme sauvage, il creuse la tombe de l'école républicaine».

On dira que ce professeur est un vieil éléphant rabougri. Manque de chance, Loys Bonod est un passionné d'Internet qui publie même un blogue. Que nous apprend cette expérience originale? Que la Toile avec ses multiples notices anonymes n'est pas le lieu d'une information vérifiée et de qualité. Jamais ces élèves n'auraient reproduit de telles inepties s'ils étaient allés dans une bibliothèque. Les livres, les revues ou les banques de données qu'ils auraient alors consultés auraient été choisis par des bibliothécaires compétents. Ils auraient été publiés par des éditeurs au moins capables de porter un certain regard critique sur le texte et d'en corriger les fautes.

Jeter des élèves sans la moindre formation sur la Toile, c'est comme jeter un apprenti nageur à la mer en pleine tempête au lieu de lui apprendre à nager dans une piscine ou une baie abritée. Depuis quand apprend-on à marcher dans la rue Sainte-Catherine à l'heure de pointe?

Mais il y a pire. En cultivant la frénésie d'Internet, comme on le fait partout, on instille chez l'élève l'idée encore plus nocive qu'il peut avoir accès à la connaissance en un seul clic. Et surtout sans le moindre effort. On cultive donc ainsi sa dépendance à l'égard d'autrui. Pressés de se précipiter sur l'écran, la plupart des élèves du lycée Chaptal n'ont même pas pris le temps de lire attentivement le sonnet que leur professeur avait soigneusement sélectionné pour eux. L'eurent-ils fait qu'ils auraient déjà eu quelque chose à écrire.

Ce professeur n'est pas un ennemi d'Internet. Au contraire. Simplement, un professeur cultivé et compétent qui refuse de succomber à la dictature de l'air du temps. Et Loys Bonod de conclure: «On ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui.»

 


 

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