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Bon Weekend
8 juin 2012

Vendredi le 8 juin. Vol. 6, no. 18

labibfranco.canalblog.com

 

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Internet - Sordide 2.0

Marie-Andrée Chouimard, Le Devoir (07-06-12)  

L'horreur en direct, filmée par le présumé tueur Luka Rocco Magnotta, circule encore sur la Toile, et ce, malgré le fait que la distribution de la fin cruelle de l’étudiant Jun Lin contrevienne clairement à l’article 163 du Code criminel portant sur le caractère obscène de l’exploitation de la sexualité, du crime, de l’horreur et de la cruauté. Mais là où elle est espérée, la matraque de la loi et l’ordre s’agite bien mollement.

Les scènes terribles vues par un trop grand nombre nourrissent une curiosité morbide, et par ricochet l’industrie de l’atrocité. La charge virale de la vidéo maudite mêlant décapitation, démembrement et nécrophilie a touché plus vivement que les autres la génération abonnée à cette vie cybernautique. Dans les cours d’école et même le secret de la classe, des yeux mi-fascinés mi-horrifiés ont vu l’indicible, comme en témoignent ces jours-ci des enseignants décontenancés par le « hit » qu’a fait cette morbidité extrême.

 

Paradoxalement, en voulant savoir, les curieux satisfont l’objectif du metteur en scène-acteur-tueur. De multiples empreintes laissées sur ce monde sans frontières qu’est l’Internet le montrent depuis des années superstar de lui-même, avide d’une attention peut-être jamais reçue. Il a éliminé des chatons de manière abjecte sur vidéo, créé de multiples avatars sur autant de pages Facebook, voulu participer à une téléréalité porno, même confié sans ambages un goût pour la mort et l’envie de s’y plonger.

 

 

 

Ces meurtres sordides ne sont pas nés avec l’univers 2.0 ni non plus d’ailleurs la fascination malsaine qui a poussé des consommateurs à appuyer sur le clic diabolique. Mais l’accès facile à ces images, sans effort, sans même la volonté, est nouveau. Combien de jeunes ont vu apparaître sur leur page Facebook la vidéo du meurtre de Jun Lin recommandée par un « ami » ?

 

On peut se désoler de cette vie par procuration sur Internet, mais surtout, ne pas s’en étonner. Avec quel naturel désarmant une portion de la génération Facebook mélange maintenant la vie virtuelle avec le cadre de la réalité ! N’a-t-on pas vu récemment un jeune tabassé être entouré de vidéastes en herbe qui ont songé d’abord à filmer la violence avant de secourir la victime ? Troublant pêle-mêle dans lequel la banalisation du sordide a englouti au passage le bon jugement, celui qui aurait dû empêcher la mise en ligne de cette vidéo dégradante, celui qui aurait dû empêcher l’auditoire d’y succomber.

Cet événement est troublant à plus d’un égard. La nature du crime laisse pantois. La mise en scène orchestrée par le présumé tueur afin de tourner le regard de la planète sur lui est tordue. La « normalité » qui se dégage de l’accès si facile à cette horreur contribue à banaliser le drame. Tant que cela reste impuni, la banalité risque de conduire à l’insensibilité. 


  Bon Weekend est publié par LaBibFranco Publications

par Paul de Broeck et Marc Robillard. 

LaBibFranco fait partie de l’E.S.C. Franco-Cité. 

Directeur: Marc Bertrand.  Adjoints: Valérie Roy, Anik Charrette et Annick Ducharme.

LaBibFranco Publications, 623 ch. Smyth, Ottawa, Ontario, Canada.  K1G 1N7

Tél. 613-521-4999, poste #2467.  Téléc. 613-521-8499   LaBibFraco@Gmail.com

Avec plus de 20 000 élèves fréquentant 38 écoles élémentaires, 10 écoles secondaires et son école pour adultes,

le CECCE est le plus important réseau canadien d’écoles de langue française à l’extérieur du Québec.


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En français S.V.P.

Guy Charron, La Presse (04-06-12)618-5

Selon les derniers constats de l'Office québécois de la langue française, 43% des francophones ne demandent pas d'être servis en français lorsqu'on les aborde en anglais dans les commerces.

C'est assez honteux et même incroyable. Mais pour l'avoir constaté souvent à Montréal, je crois malheureusement que cette donnée est véridique.

On ne peut pas blâmer le gouvernement, le maire, les anglophones, le «système» ou sa belle-mère quand on est seul devant ce commis qui nous parle anglais et qu'on poursuit la conversation en anglais pour ne pas lui déplaire, ou comme certains diront timidement, «pour pratiquer mon anglais» !

C'est facile d'être courageux «en gang», mais seul devant un commis, 43% des francophones s'écrasent lâchement et se soumettent de vivre ce moment en anglais.

Ces 43% sont bien braves en groupe, ou dans leur salon avec des amis ou dans leur cuisine en famille, ou sur l'internet de façon anonyme, mais ils sont sans une once de courage et incapables de dire simplement et poliment au commis «parlez-moi en français s.v.p.» ! Ils fondent!

Pourtant, c'est facile, c'est simple et ça marche presque toujours. Et vous prendrez confiance en vous!

Il ne sert à rien d'être agressif et impoli avec le commis. Le simple fait de dire «en français s.v.p.» à ce commis est immensément courageux et important pour le respect de notre langue.

De plus, le commis est là pour vous servir dans votre langue, le français, même si vous parlez les deux langues.

Le bénéfice du bilinguisme n'est pas de se faire servir en anglais chez nous. On n'apprend pas l'anglais pour cela.

Pensez-vous que les Allemands, les Espagnols, les Italiens se font servir chez eux autrement que dans leur langue maternelle pour acheter un journal ou une chemise, même s'ils maîtrisent bien l'anglais?

Le respect commence par soi-même et le respect implique une petite dose de courage individuel.

Ce n'est pas la faute du gouvernement ou du maire Tremblay si vous manquez de courage pour vous faire servir en français. Il suffit de le demander au commis. 

Essayez-le cette semaine, faites le test de vous faire servir en français par ce commis qui vous adresse la parole en anglais et vous grandirez! Montréal et le Québec aussi grandiront avec sagesse et confiance, si tout ce 43% le fait.

La vraie définition du courage est de se faire respecter chez soi dans sa langue.

Sans tambours, ni trompettes, juste un peu de courage personnel, un citoyen averti à la fois!

Soyez un citoyen courageux plutôt que de vous écraser comme un citoyen francophone soumis et inférieur. Le vrai courage d'être francophone au Québec dans cette grande Amérique du Nord, c'est cela!

N'oublions jamais que comme francophones, nous représentons à peine 2% de ce grand continent. Se battre pour notre langue est un peu le devoir de chacun. Je mets ce fameux 43% au défi d'essayer de simplement dire «en français, s.v.p.» très poliment avec le sourire.

On peut déplacer des montagnes avec de l'intelligence et de la courtoisie. La langue des commerçants est l'argent. Achetez seulement en français et ils vendront leurs marchandises en français, c'est la loi du commerce.

Ce contrôle vous appartient, pas au commerçant. 


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Des sondages

contradictoires? 

Bertrand Gagnon, Le Devoir (04-06-12) 

En février, au début du conflit étudiant, les sondages d618-1onnaient une forte majorité en faveur de la hausse des droits de scolarité, soit 68 % contre 32 %. Cela manquait de nuance parce qu’il n’y avait que deux choix proposés, soit la hausse ou le gel des droits de scolarité.

Dans le sondage CROP/Radio-Canada du 25 mai dernier, quatre choix étaient proposés. L’abolition des droits de scolarité obtenait 11 % d’appuis, le gel 13 %, l’indexation au coût de la vie 45 % et l’augmentation 27 %. Une hausse des droits obtenait donc l’appui de 72 % de la population, mais la majorité des gens favorables à la hausse préféraient l’indexation à la hausse prévue par le gouvernement.

Si l’on résume, il y a 27 % de gens favorables au gouvernement (hausse rapide) et 69 % défavorables (gratuité, gel et hausse modérée). Il reste 4 % de gens qui ne savent pas ou ne se prononcent pas.

Le lendemain (samedi 26 mai), La Presse rapportait que la majorité était favorable au gouvernement sur la question des droits de scolarité, soit 64 % contre 36 %. Pourtant, il s’agissait aussi d’un sondage CROP qui semblait contredire un autre sondage CROP. La maison de sondage CROP est sérieuse.

Comment se fait-il que l’appui au gouvernement soit de 64 % dans un sondage et de 27 % dans l’autre ? Le problème vient dans la question qui n’avait que deux volets. Êtes-vous en faveur de la position du gouvernement (hausse des droits de scolarité sur sept ans) ou celle des étudiants (gel des droits de scolarité) ? Ce sondage ne s’adressait qu’à une minorité, soit ceux qui préfèrent un gel (13 %) ou une hausse rapide (27 %). Qu’ont répondu ceux qui sont favorables à la gratuité (11 %) ou à une hausse modérée (45 %) ?

Vision simpliste

La vie n’est pas un western, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. C’est un peu la vision simpliste qu’avait George W. Bush lorsqu’il disait : « Vous êtes avec moi ou contre moi. » La réponse est peut-être simplement ni l’un ni l’autre. Étant favorable à une hausse modérée (indexation au coût de la vie) des droits de scolarité, j’aurais répondu ni l’un ni l’autre à la question telle qu’elle était formulée par La Presse. Pourtant, dans ce sondage, il n’y a aucune abstention.

Durant la crise, plusieurs observateurs ont eu cette vision simpliste. Ainsi, si on n’appuyait pas le gouvernement, on était pour la violence. Certains ont même affirmé que ceux qui portent le carré rouge étaient pour la violence. Personnellement, ce que j’ai vu dans ce conflit, c’est que la très grande majorité est contre la violence. J’ai vu aussi de la violence, mais de chaque côté.

Malheureusement, c’est souvent ce qui arrive lorsque les choses traînent et que des observateurs ont une vision simpliste. Les éléments radicaux en profitent. En suivant cette même logique, certains observateurs ont conclu qu’une minorité (les méchants) avait pris en otage la majorité (les bons) !

C’est avec cette vision simpliste que certains observateurs ont mentionné qu’à l’issue du conflit, il devait y avoir un gagnant et un perdant alors qu’il n’y a pas beaucoup de gagnants lorsque les choses traînent. Pour certains, en négociant, le gouvernement aurait perdu. Le gouvernement a peut-être perdu, mais les étudiants ont beaucoup perdu aussi.

Le malentendu du départ

Depuis le début du conflit, la stratégie du gouvernement semble avoir été de croire qu’il n’y avait rien à négocier puisqu’une forte majorité de la population l’appuyait. Mais 68 % de gens étaient-ils vraiment derrière lui ? On peut en douter.

Mais le gouvernement, se croyant fort de l’appui d’une majorité de la population, n’a pas cru bon de négocier quoi que ce soit. En réalité, il n’avait l’appui que de 27 % de la population.

Induits en erreur par des sondages imprécis, beaucoup de gens ont ainsi, de bonne foi, appuyé le gouvernement en se basant sur le fait que la majorité était favorable à la hausse.

Les fédérations étudiantes veulent la gratuité ou le gel des droits de scolarité, ce qui rejoint environ le quart de la population (11 % pour la gratuité et 13 % pour le gel). De son côté, le gouvernement veut faire du rattrapage avec une hausse rapide, ce qui rejoint aussi environ le quart de la population (27 % pour une augmentation). Chacune des parties ne bénéficiant que de l’appui d’une minorité de la population, elles devront mettre un peu d’eau dans leur vin pour arriver à une entente.

Si les deux parties semblent plus préoccupées du bien paraître que du bien qu’elles devraient apporter à la société en négociant sérieusement, il n’y aura pas de solution. En restant sur leurs positions, elles perdent, à mon avis, bien plus la face que si elles négociaient intelligemment.

Les étudiants, à la rigueur, ont le droit d’être immatures (ce qui ne veut pas dire que l’on doit tout leur passer) car ils sont jeunes et ceci explique peut-être cela, mais on attend alors de nos dirigeants d’agir avec un peu plus de circonspection et d’essayer de trouver des solutions alternatives plutôt que de s’entêter à leur tour en attendant que ça s’arrange tout seul. En fait, c’est même pour cela qu’ils sont élus, essayer de résoudre les problèmes plutôt que de laisser pourrir les choses.

Pour l’année scolaire qui vient, on pourrait résoudre la crise en indexant au coût de la vie les droits de scolarité, ce qui satisferait la majorité de ceux qui sont favorables à une hausse.

Pour les années suivantes, on devrait tenir des états généraux sur la place de l’éducation dans la société et son financement. C’est sans oublier les efforts qui pourraient être consentis pour examiner l’efficacité avec laquelle nos institutions d’enseignement sont dirigées.


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Jack Lang dénonce une

mesure injuste et violente

Christian Rioux, Le Devoir (03-06-12) 

L’ancien ministre français de l’Éducation et de la Culture Jack Lang a dénoncé hier la hausse des droits de scolarité et apporté son soutien au combat des étudiants québécois. Selon l’ancien ministre de François Mitterrand, qui demeure l’une des personnalités politiques les plus populaires de France, cette hausse est une mesure injuste et violente. 

« J’aime beaucoup le Québec. C’est un pays qui a fait tellement de choses pour la langue française et pour la culture. Pour moi, c’est un pays de grande civilisation. Je suis d’autant plus étonné que le gouvernement du Québec ait pris une décision aussi injuste à l’égard des étudiants. Imposer des droits d’inscription aussi élevés, c’est une mesure presque violente. »

L’ancien ministre socialiste, joint hier dans les Vosges, s’en prend aussi à la loi 78 qui limite le droit de manifester. « Le Québec est un pays de liberté. Je ne peux pas comprendre que des mesures répressives aussi draconiennes soient prises contre les étudiants et contre les manifestants. Il semble qu’il y ait aussi eu parfois des actes un peu durs de la part des forces de l’ordre vis-à-vis des étudiants. C’est attristant et je me sens totalement solidaire des étudiants. »

L’ancien ministre de l’Éducation affirme que, lorsqu’il était ministre, jamais il n’aurait adopté de telles mesures. « Je considère que l’on doit favoriser autant que possible l’égalité d’accès au savoir quelle que soit l’origine sociale au lieu d’établir des discriminations par l’argent. » Il se dit d’autant plus déçu que, jusque-là, dit-il, le Québec s’était démarqué du modèle américain. « Ce n’était pas la philosophie du Québec, quels qu’aient été les gouvernements. Dans le passé, le Québec avait mené des politiques exemplaires en matière d’accès à la culture, à l’école, à l’université. Il avait réussi à sauvegarder une identité en Amérique. Il était un modèle de résistance culturelle, intellectuelle et politique. Quand on est un ami du Québec, on est vraiment attristé. »

Lorsqu’on lui demande où il trouverait l’argent pour financer les universités, il répond que « c’est un choix politique, un choix de société. Si l’école, l’université et le savoir sont la base d’une société, il faut un effort national, collectif et assurer l’égalité d’accès des élèves et des familles ». 

Fin connaisseur du Québec, l’ancien ministre semblait à la fois étonné et attristé des événements récents. « Je soutiens les étudiants québécois. Il faut tout faire pour trouver un compromis. J’espère que le gouvernement va entrer dans une vraie négociation avec les étudiants », dit-il.


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Les sacres du printemps

Insultes, injures, et gros mots exultent dans la rue

Catherine Lalonde, Le Devoir (02-06-12)  

Les percussions sur casseroles, qu’on entend depuis les618-2 alentours du 20 mai, n’enterrent pas tout. Depuis le début de la crise fusent des slogans pas piqués des vers : « La loi spéciale / On s’en câlisse », « Charest / Ta yeule / On peut s’crosser tu-seuls » ou « Charest / Salaud / Le peuple aura ta peau ». Sur les pancartes, s’affichent en majuscules et caractères gras des « Charest va chier », « Citoyens en tabarnak », « Fuck la hausse » et autres « Décâlisse ». Insultes, injures, invectives et gros mots exultent, sans que les bouches soient passées au savon. Zoom sur les langues sales des manifestations.

Petit ménage de printemps, pour mieux jongler ensuite dans ces tournures pleines de sève. Dans la rue poussent les insultes « qui disqualifient autrui, comme si on dit, par exemple, « Charest est un dictateur », illustre au hasard la sociolinguiste et spécialiste de l’agression verbale Diane Vincent. L’injure, elle, qualifie négativement l’adversaire. On s’attaque à l’autre plutôt qu’à ses idées, en le traitant de « corrompu » ou de « crosseur ». Finalement, le bon vieux sacre, québécisme hyperconnu : gros mot ou juron, il est nom commun, invective, verbe, adjectif, adverbe, polymorphe selon les besoins, toujours amplificateur d’intensité. 

« Je n’ai pas l’impression que ça sacrait autant pendant les manifs avant Octobre 1970. Le sacre était encore tabou à l’époque », indique la professeure à l’Université Laval. Dans le documentaire Taire des hommes, sur le lundi de la matraque de 1968, Jacques Lanctôt s’étonnait d’ailleurs du langage peu chrétien des policiers. « Le sacre s’est démocratisé après la Révolution tranquille. [Le groupe d’humoristes] Les Cyniques ont été les premiers à utiliser des sacres dans leurs shows, qui n’étaient, pour cette raison, pas diffusés à la radio ni à la télévision », poursuit Mme Vincent. 

Ce serait la première fois au Québec qu’on trouve les sacres si nombreux sur la place publique. « Les voir autant, en grosses lettres, on n’est pas habitué. On continue à les utiliser davantage en privé. Sur les pancartes, c’est comme un cri, ça fait sortir le méchant. On exprime la colère avec tous les moyens dont on dispose, et ces moyens relèvent toujours de la transgression. » 

Dominique Garand est spécialiste des polémiques littéraires. « De la Conquête à aujourd’hui, je n’ai pas trouvé ici beaucoup d’injures équivalentes à ce qu’on peut voir en France, quand Céline traite Sartre de ténia, par exemple. Pierre Falardeau est peut-être celui qui en a joué le plus. » Le professeur à l’UQAM n’est pas étonné de ce souffle de sacres. « La manifestation n’est pas un lieu de discussion : c’est un rassemblement où on cherche à créer une énergie, pas une discussion. Ce langage ne conduit pas à la pensée : on y trouve l’émotion, l’expression d’une humeur, une volonté, un positionnement. En ce sens, c’est une forme d’engagement. Et il ne faut pas oublier la dimension humoristique, libératrice. C’est rigolo. » 

La poésie, toujours comme une scoute prête à varloper la parole, inclut depuis belle lurette sacres et injures à ses vers. Qu’on pense au Mal au pays de Gérald Godin, en 1975, qui chute sur « jériboires d’hosties toastées/de sacraments d’étoles/de crucifix de calvaires/de trous-de-cul/j’ai mal à mon pays/jusqu’à la fin des temps. » Ou à l’Ode à l’ennemi de Claude Gauvreau, déboulant en un « cochons de crosseurs de fréchets de cochons d’huiles de cochons de caïmans de ronfleurs de calices de cochons […] » quasi interminable. 

Aveu d’impuissance

Dans une crise sociale, que signifie le recours à la parole vernaculaire ? « L’injure est un aveu d’impuissance dans la discussion, précise Dominique Garand. Elle peut être symptôme d’une carence d’arguments, d’un déséquilibre dans le rapport de force, d’une agression qui appelle une dénonciation puissante. L’injure signale que la discussion a basculé du côté des rapports de force. Elle est souvent l’arme du faible : le manifeste du Front de libération du Québec injuriait Trudeau, et ce dernier pouvait répliquer avec la Loi sur les mesures de guerre en poursuivant son discours paisible. » 

Arme du faible, l’injure ? Ne voit-on pas en boucle sur les réseaux sociaux certains membres des forces policières en tartiner allégrement leurs interventions, à coups « d’ostie de vidange » et d’antinomique « ti-criss d’obèse » ? (voir la lettre de Benoît Jutras en page B 5) « La société doit refuser qu’en position de pouvoir, on injurie le dominé. Le policier ne devrait pas avoir le droit d’utiliser ce type de langage. Ça ajoute à la force du coup de matraque, ou de l’arrestation, et ça le justifie : l’injure fait partie du processus de déshumanisation de l’autre. Une fois qu’on s’est convaincu qu’il est une larve, le débordement est facile. Certains agents de la paix perdent leur fonction. Sur le plan éthique, le fait de préserver une limite langagière pourrait peut-être, en théorie, limiter les dégâts de force physique. » 

Et les manifestants qui sacrent et injurient ? Ils ne sont pas en position de force. Ils sont en colère et ne sont pas entendus. « Il y a toujours un calcul stratégique dans l’utilisation de l’injure, une question de distance à considérer. Si j’avais à l’époque traité George Bush de trou de cul, ç’aurait eu peu d’impact. » Plus la distance est grande, plus le langage peut gonfler. On peut penser que plus le gouvernement refuse d’entendre le roulis des casseroles, plus la colère risque de s’exprimer par des extrêmes langagiers. Et comme le citoyen qui tape son chaudron n’est pas en dialogue avec Jean Charest, « la fonction de l’injure se limite à créer une communion dans la haine - on le voit aussi sur Facebook - avec le vague espoir que la communauté détestante s’élargira jusqu’à devenir une réelle menace politique. La crise actuelle démontre qu’un rassemblement de 200 000 personnes et plus n’est même pas suffisant pour ébranler le pouvoir. » 


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Les défenseurs des

libertés civiles accentuent

leur opposition

Fabien Deglise, Le Devoir (04-06-12) 618-3

C’était à l’origine un simple traité international visant à unir les États contre le piratage et la contrefaçon. C’est en train de devenir la bête noire des défenseurs des libertés civiles.

Depuis quelques jours, l’opposition a repris de plus belle contre l’Accord commercial relatif à la contrefaçon (connu sous l’acronyme anglo ACTA, pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement), alors que l’Union européenne (UE) poursuit l’examen de ce document en vue de sa prochaine ratification.

Mouvement de foule en ligne, appels lancés à descendre dans les rues des grandes métropoles européennes samedi prochain, duels de députés européens, coup d’éclat dans quelques parlements nationaux, dont celui de la Pologne et des Pays-Bas où le rejet de l’accord signé par l’UE a été évoqué… six mois après son adoption par une trentaine de pays, dont le Canada, les États-Unis, l’Australie et 22 des 27 composantes de l’Union européenne, les craintes face à ce traité, négocié dans l’ombre, peinent toujours à se dissiper malgré les tentatives de réhabilitation du document amorcé en Europe tout comme au Canada. Et les détracteurs d’ici et d’ailleurs comptent désormais sur le poids de l’opposition qui s’organise dans les vieux pays pour faire capoter sa ratification et surtout pour faire émerger le même genre de mouvement en Amérique du Nord.

« L’ACTA soulève des questions importantes sur la question des droits d’auteur, sur la libre circulation du savoir et les libertés individuelles dans les univers numériques », résume Olivier Charbonneau, bibliothécaire à l’Université Concordia qui suit de près l’évolution de ce traité international. Il est également blogueur. Son espace en ligne se nomme Culturelibre.ca. « C’est un sujet complexe, difficile à cerner pour la plupart des gens, mais ce n’est pas une raison pour y être indifférent ».

L’avis est partagé par des centaines de groupes dans le monde versés dans la gestion des archives, dans celui du patrimoine écrit, dans la protection des droits numériques des internautes ou encore dans la défense d’une certaine neutralité de la Toile qui s’inquiètent de la teneur de ce document qui, malgré les appels à la prudence, poursuit sa marche vers une ratification. Six des trente signataires doivent l’adopter pour qu’il entre en vigueur. Aucun ne l’a fait pour le moment.

L’évolution de l’ACTA est pour le moins étonnante. À l’origine, ce traité international, initié par l’administration de George W. Bush en 2007 visait principalement à harmoniser les législations nationales afin de faciliter la lutte contre la contrefaçon et le piratage à des fins de commerciales, une activité en phase ascendante un peu partout sur la planète. Le respect de la propriété intellectuelle, et des produits de consommation y étant assujettis, était alors au coeur de cet exercice législatif mondial, tout comme d’ailleurs, la lutte contre les faux médicaments et les contenus culturels (principalement américains) piratés à la source et distribués sur le Net.Louable au demeurant, l’ACTA, avec ses 45 articles, n’a toutefois jamais réussi à convaincre, en raison entre autres de l’aura de mystère qui a entouré son élaboration. « C’est un traité qui va avoir des incidences sur les législations de chaque État, qui va modifier la vie des gens et qui, pendant trois ans, s’est mis en place dans le plus grand secret, rappelle M. Charbonneau. Quand on parle de modifier le cadre du droit d’auteur, quand on souhaite transformer ce marché qui affecte plusieurs personnes, il faut que cela se fasse dans la plus grande transparence ». Une transparence acquise en octobre dernier dans les pays ayant signé l’accord et où le document s’est alors retrouvé dans l’espace public. Sans finalement rien changer à la méfiance.

La critique reste féroce surtout en raison de la présence de l’article 27 du traité perçu par les détracteurs de l’entente comme une composante liberticide qui va à terme encourager une certaine répression sur le Web en transformant au passage les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en collaborateur du pouvoir, selon eux. On résume : cette disposition ordonne en effet « à un fournisseur de divulguer rapidement au détenteur du droit [de propriété intellectuelle] des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné » que l’on soupçonne d’enfreindre ce droit, peut-on lire. Or, cette notion d’infraction demeure « vague » et « sujette à l’interprétation », disent-ils. Quant à la question du « piratage portant atteinte à un droit d’auteur ou à des droits connexes, commis à l’échelle commerciale », l’absence de précision là aussi ouvrirait la porte aux dérives. 

Bref, le texte serait porteur d’un « grand flou, qui laisse une trop grande marge de manoeuvre aux États membres dans son application », dénonçait en avril dernier dans les pages des Échos en France le député européen François Castex. Marge qui pour Jérémie Zimmermann, du groupe de pression pro-liberté numérique la Quadrature du Net, pourrait se traduire « par des mesures de filtrage » au profit des pouvoirs économiques et aux dépens des utilisateurs. 

« L’influence des lobbies est facilement perceptible derrière ce texte », dit M. Charbonneau, et bien sûr, pour le monde des bibliothèques et des archives [qui ne cesse de sonner l’alarme en évoquant entre autres la criminalisation du contournement des verrous numériques], cela va avoir des conséquences. « L’ACTA pourrait tuer les bibliothèques et les archives tout en mettant un frein à la circulation du savoir. Nous sommes dépositaires d’une quantité phénoménale de contenus dans nos collections, contenus que nous essayons d’inscrire dans les univers numériques, afin d’en faciliter leur diffusion. » Or, si cette diffusion, selon lui, se fait toujours dans le respect de droit d’auteur, elle nécessite aussi des exceptions que l’ACTA n’a pas l’air d’avoir prises en compte. 

Du côté d’Ottawa toutefois, les critiques ne semblent pas émouvoir le gouvernement Harper, qui a indiqué la semaine dernière au Devoir vouloir continuer « d’oeuvrer de concert avec ses partenaires internationaux en vue de la ratification de l’ACTA », a résumé Caitlin Workman, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle rappelle que, pour le Canada, cet accord vise à instaurer un « régime qui va assurer une forte protection des droits de propriété intellectuelle essentiel à toute économie du savoir », et ce, pour « favoriser l’innovation, attirer les nouveaux investissements et stimuler la croissance économique ». 

 


PAGE 7 

Ni le savoir, ni le voir

Stéphane Laporte, La Presse (02-06-12)

Je n'ai pas envie de connaître tous les détails de l'affaire Magnotta. Pas envie d'apprendre comment le démembreur a découpé sa victime. Ça m'écoeure. Pas dans le sens de lever le coeur. Au contraire. Ça me le descend au plus bas, au plus sombre de l'âme humaine.  

Le grand Deschamps disait: «On ne veut pas le sawouère, on veut le wouère!» Moi, je ne veux pas le sawouère, et je ne veux surtout pas le wouère!  

Je ne comprends pas les milliers de personnes qui se sont empressées d'aller regarder, sur le Net, la vidéo du sordide meurtre. Ce n'est pas un clip de Marilyn Manson, ce n'est pas Freddy 13e partie, c'est la mort d'un homme. Un vrai homme. Le plaisir du sadique, c'est justement que l'on regarde son film. C'est pour ça qu'il a commis cette ignoble chose. Peut-on se garder une petite gêne? Peut-on faire plaisir à quelqu'un d'autre qui le mérite davantage? 

Je n'ai pas envie de connaître tous les détails de l'affaire Magnotta, mais je vais les connaître quand même. C'est impossible d'y échapper.  

Avant, quand on ne voulait pas entendre parler d'un fait divers, on avait juste à ne pas écouter Claude Poirier; 10-4, c'était réglé. Maintenant tout le monde couvre les chiens et les humains écrasés, c'est la priorité. Le démoniaque Luka Rocco Magnotta a même volé la vedette à l'ange Gabriel Nadeau-Dubois. C'était la manchette principale sur toutes les plates-formes, sur tous les sites d'information.  

On ne nous épargne aucun détail. C'est tout juste si on n'invite pas le propriétaire d'Au pied de cochon pour faire une démonstration. Sur un petit veau, bien sûr.  

Il y a des nouvelles dégueulasses, parfois, auxquelles il faut faire face: les guerres, les famines, les catastrophes naturelles. Ça nous perturbe. Mais ça éveille notre conscience. Ça nous pousse à changer, ça nous pousse à aider. Les comptes rendus des accidents d'autos nous incitent à être plus prudents. Mais la connaissance des horreurs de Magnotta ne nous rendra pas moins susceptibles de nous faire dépecer. Ça ne nous apprend rien, si ce n'est qu'il y a de dangereux maniaques sur cette planète, mais ça, ça fait 4 millions d'années qu'on le sait.  

Admettons que c'est une nouvelle pertinente, parce que hors du commun. C'est faible comme argument, mais acceptons-le, pour l'exercice. Un coup qu'on la sait, est-ce qu'on peut passer à autre chose? Le mort ne peut pas être plus mort. Pas besoin d'en faire un feuilleton. De nous présenter la filmographie complète de Rocco, sa liste des bonnes adresses et ses photos Facebook. Pas besoin, non plus, de nous faire l'inventaire de toutes les autres affaires similaires. Pourquoi vouloir nous faire peur à ce point? Passons à autre chose. 

Je sais bien que si on le fait, si on étire la sauce, c'est parce que, contrairement à moi, il y a plein de gens fascinés par ces histoires d'horreur. Le répugnant est un «gros vendeur». Alors que faire pour protéger les coeurs sensibles comme le mien, sans frustrer les coeurs capables d'en prendre? 

Pourquoi ne pas parler des faits divers à la fin des bulletins? Racontez-moi la politique, racontez-moi le monde, racontez-moi le temps, racontez-moi le sport, et terminez avec la section criminelle. Comme ça je pourrais changer de poste en sachant tout ce que je voulais savoir. Dans la presse écrite, c'est plus simple, quand on veut éviter un sujet, on n'a qu'à tourner la page. Sur le Net, on n'a qu'à cliquer ailleurs. Mais à la télé et à la radio, on n'a pas le choix, il faut suivre l'ordre du bulletin. Et on ne me fera pas croire que les perversions d'un dérangé sont prioritaires. 

Comprenez-moi bien, il y a des faits divers qui deviennent des faits de société. L'affaire Guy Turcotte en est un malheureux exemple. Mais l'affaire Magnotta n'a pas cette portée. En tout cas, pas pour le moment. C'est une nouvelle spécialisée. C'est Allô-Police. Que ceux qui en sont curieux aient accès aux faits, mais que ceux qui ne veulent rien savoir puissent les éviter. 

Parce que lorsque l'on traite les émules d'Hannibal Lecter comme s'ils étaient la personnalité la plus hot de l'heure, tous domaines confondus, on ne fait que jouer leur jeu. On leur donne l'importance qu'ils recherchent en commettant ces actes. C'est malsain. 

Un peu moins de spectaculaire, un peu plus de pudeur s'imposent. 

Je sais qu'on est tannés d'entendre parler du conflit étudiant, mais il y a sûrement d'autres sujets moins désespérants... 

Qu'attend le Canadien pour nommer Patrick Roy? Et que ma ville retrouve, enfin, son sourire. 


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Écoutons-les!

Pierre Marc Tremblay, La Presse (02-06-12) 

618-4Plus le conflit étudiant s'est prolongé, plus on a entendu parler d'enfants-rois, égoïstes et trop gâtés, qui veulent tout et tout de suite. Leurs revendications n'ont aucune crédibilité, elles ne sont que l'expression d'une attitude «je, me, moi». 

Si là est la vérité, alors mea culpa. Je suis l'un des parents irresponsables qui ont formé ces enfants à qui tout est dû. Mais en réalité, je crois qu'il est plus que temps de s'élever au-dessus de ces clichés et de ces étiquettes superficielles. En persistant dans cette voie, on ne règle rien et on ne fait que renforcer les barrières générationnelles. 

Moi, je vois des jeunes qui ont des valeurs et qui les défendent avec conviction. Des jeunes qui s'insurgent contre le gâchis actuel. Bien au-delà de la hausse des droits de scolarité, ils dénoncent un monde aux inégalités grandissantes, dans lequel les institutions et les politiciens sont corrompus.  Ils sont révoltés par les activités antisociales et antienvironnementales, les crises économiques à répétition et les crises financières scandaleuses. Ils réclament une redéfinition des règles de notre communauté, une plus grande justice sociale, une meilleure répartition de la richesse collective, la fin du gaspillage, des mensonges et des demi-vérités. Ils remettent en question la société dans laquelle ils ont grandi. Ils ont des rêves et des ambitions. Peut-on vraiment les blâmer? N'avons-nous pas été jeunes nous aussi? Chaque nouvelle génération ne cherche-t-elle pas à corriger les erreurs de la précédente, tout en profitant de ses bons coups? 

Dans nos restaurants, dont certains souffrent davantage du conflit, nous employons beaucoup d'étudiants. Nous n'avons jamais été surpris de leurs exigences. Avant eux, nous avons prôné un meilleur équilibre entre le travail et le plaisir, les horaires flexibles et la possibilité de travailler à l'extérieur du bureau. 

Il n'est donc pas étonnant que pour ces jeunes branchés sur la technologie, complètement ouverts sur le monde, indépendants et libres d'esprit, ces valeurs soient plus pertinentes que jamais. Ils ne peuvent plus se contenter du statu quo et de la routine. Ils refusent les structures archaïques et l'autorité hiérarchique rigide. Ils exigent plutôt un leadership inspirant, mouvant, organique, basé sur la compétence et l'ouverture. Et quand on le leur procure, ils s'épanouissent et développent rapidement leur autonomie. 

Au lieu de les juger, nous devrions nous réjouir. Nous les avons mieux élevés que nous le croyons et aujourd'hui, ils sont porteurs d'un changement qui est plus que nécessaire. Au lieu de les traiter avec condescendance, nous devrions être fiers d'eux. Ils sont en train de nous sortir de notre torpeur collective. Au cours des dernières années, nous sommes restés plutôt passifs devant l'inacceptable. Aujourd'hui, les étudiants nous donnent le goût et l'énergie de faire ce qui doit être fait. 

L'heure est à la recherche du bien commun. Je dis au gouvernement et à tous les adultes que l'arrogance et le paternalisme ne devraient plus en aucun temps dicter notre comportement. 

Plus que jamais, il faut se parler et s'écouter, dans l'espace public et dans chacune des familles. Comme l'écrivait tout récemment l'auteur Stéphane Laporte, «un gouvernement a le devoir d'aimer sa jeunesse comme les parents ont le devoir d'aimer leurs enfants». Aimons cette nouvelle génération comme nous avons nous-mêmes souhaité être aimés de la génération qui nous a précédés.


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Lettre sur la philosophie

au collégial

Louis Cornellier, Le Devoir (02-06-12)

Cher Sébastien Mussi, Ayant moi-même rédigé, il y a quelques années, une Lettre à mes collègues sur l’enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial (Nota bene, 2006), j’ai lu avec intérêt votre ouvrage Dans la classe. Essai sur l’enseignement à l’heure de la réforme. 

Les réflexions et discussions sur ce que devrait être un bon enseignement de ces matières sont au coeur de ma vie. Je crois profondément à la nécessité de fréquenter la littérature et la philosophie pour mener une vie bonne. « On peut vivre sans philosophie, écrivait Jankélévitch, mais on vit moins bien. » Je fais mien ce credo. Or, sans l’école, sans les cégeps plus spécifiquement au Québec, la littérature et la philosophie demeureraient l’apanage de quelques privilégiés. Votre livre, que vous présentez comme celui d’un praticien sans prétention, aborde ces questions. Il était donc pour moi et pour tous ceux qui partagent le souci d’une vie vécue avec la culture. 

J’ai d’abord lu, dans vos pages, une grande inquiétude. Les cégeps, écrivez-vous, depuis quelques années, subissent une alarmante mutation. Sous la pression des forces du marché, ces établissements, conçus pour permettre « l’accès à une éducation supérieure de qualité égale pour tous » et à une culture générale, seraient devenus des structures « dont les objectifs principaux sont la rentabilité et la production de main-d’oeuvre pour des entreprises spécifiques […] aussi bien que pour ce qu’on appelle en général l’“ économie du savoir ”». Les cégeps, en d’autres termes, se seraient mis au service exclusif de l’économie, au détriment de leur mission culturelle. 

Je partage en partie votre inquiétude. Enseignant moi aussi dans un cégep, je constate la tendance au virage entrepreneurial dans ces établissements. Ils continuent, comme vous le notez, de se réclamer de la pédagogie humaniste, mais ils sont devenus obsédés par des principes de standardisation empruntés au monde de l’entreprise et par une logique de concurrence entre les établissements. Dans ces conditions, l’enseignement de la littérature et de la philosophie est soumis à une injonction à laquelle il ne peut se soumettre sans se trahir. Enseigner ces matières dans le but d’améliorer l’employabilité des étudiants n’a, en effet, pas de sens. Là-dessus, nous sommes d’accord. 

Pour illustrer la gravité de cette mutation que vous dénoncez, vous vous en prenez à ce que vous appelez « la réforme », qui a imposé, dans les cégeps, à partir de 1994, l’approche par compétences et l’approche dite « programme » (qui consiste à relier tous les cours suivis par un étudiant à son programme spécifique, c’est-à-dire, par exemple, à adapter les cours de philo pour infirmières en se centrant sur l’éthique de la santé). Même la littérature et la philosophie dans cette conception de l’enseignement, doivent s’inscrire dans une stricte logique utilitaire. Il y a là, c’est vrai, un danger. 

 Votre démonstration, toutefois, manque de rigueur, en ce qu’elle applique à l’univers collégial des critiques, souvent outrancières, formulées à l’encontre de la réforme du primaire et du secondaire. La vaste majorité des enseignants, au cégep, sont issus des filières disciplinaires (littérature, philosophie, mathématiques, etc.) et non de la filière pédagogique. Presque 20 ans après la réforme du collégial, la théorie socioconstructiviste (selon laquelle il revient à l’étudiant de construire lui-même son propre savoir dans une logique relativiste) ne trouve aucun défenseur dans le corps enseignant et l’approche par compétences n’a incité aucun professeur de littérature ou de philosophie à délaisser les connaissances et à s’enfermer dans le seul présent. La réforme, c’est vrai, visait à techniciser nos cours, mais, parce que nos matières ne se prêtent pas à cette manoeuvre sans mourir, nous avons résisté en rusant, en mettant, pour ainsi dire, l’approche par compétences à notre main. 

Vous avez donc raison, cher Sébastien Mussi, d’être inquiet du virage économiste entrepris par les cégeps, mais vous avez tort de croire qu’il a réussi dans les classes de philosophie. Vos collègues, la plupart d’entre eux à tout le moins, ne se contentent pas « de fournir aux étudiants un métier ou des compétences, des moyens de survie pour ce présent ». Ils continuent d’enseigner pour, comme vous le souhaitez, les « initier à un monde déjà vieux, à ce monde que les adultes actuels ont contribué à former et que nous allons laisser en héritage à ces jeunes à qui nous enseignons ». Tant que la littérature et la philosophie auront une place dans le cursus collégial - c’est la raison pour laquelle le vrai combat est là, dans la place qui leur est faite -, cette mission essentielle sera sauvegardée puisqu’elle constitue l’esprit même de ces matières, malgré l’air du temps. 

Vous écrivez de fort belles et justes choses sur l’acte d’enseigner, qui « ne consiste pas en premier lieu à « faire apprendre », mais à tenir […] une parole dont la fonction est de transmettre, c’est-à-dire de faire récit, de raconter ». Ce qui importe, précisez-vous, c’est moins le contenu spécifique de ce qui est transmis qu’un « rapport à la connaissance », « un certain regard sur le monde ». 

Aussi, je comprends mal l’injuste sort que vous réservez à ma proposition de mettre au programme surtout des oeuvres récentes (XXe et XXIe siècles) et relativement accessibles. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans le présent et la facilité. Il s’agit plutôt de montrer que les penseurs d’aujourd’hui, pour réfléchir au présent, ont besoin du passé. On ébranle ainsi le préjugé de nos étudiants et de l’époque, qui croient trop souvent que la philosophie est une vieille chose dépassée. On montre que la philosophie tire sa pertinence actuelle d’un rapport profond et critique à la tradition, que sa « contemporanéité », pour reprendre un de vos termes qui résume ce qui fait la valeur de la philosophie, a nécessairement une épaisseur historique. 

Vous mentionnez qu’on enseigne à partir de notre propre expérience d’élève. La vôtre, notez-vous, n’a pas été particulièrement heureuse avant l’université. La mienne le fut, du début à la fin. Cela explique peut-être votre ton dramatique et mon approche joyeuse. Amis de la philosophie et professeurs dans l’âme, nous demeurons des alliés.

 


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Attache-toi, mon fils

Diane Gariépy, La Presse (04-06-12)618-6

Mon fils, je t'écris parce que j'ai besoin de temps pour trouver les bons mots pour ce que j'ai à te dire. Je voudrais très fort que tu lises ce message jusqu'au bout. Que tu le relises encore après, pour bien saisir mes intentions.

Je t'aime. Cette réalité est indéniable. Tu es, toi, ton frère et ta soeur les êtres pour qui je ferais tout. C'est pour ça que je t'écris. 

J'ai vu une publicité à la télévision. Pour la première fois, j'ai compris qu'elle s'adressait aux personnes qui deviennent d'innocentes victimes. Nous les parents, ta famille élargie, ton entourage, tous ceux qui t'aiment et que tu aimes. 

Dans cette pub, il y a deux personnes assises l'une en face de l'autre. Deux frères. L'un parle à l'autre et l'autre lui pose toujours la même question. Il a, depuis plusieurs années, perdu l'usage de sa mémoire à court terme... À très court terme. Il ne retient aucune information plus de 30 secondes. Et dans son cas, c'est une grande amélioration. Durant quelques années, il ne se souvenait pas de ce qu'on venait tout juste de lui dire. Cette partie de son cerveau a gravement été affectée par un accident de voiture. Il n'a aucune autonomie, il ne peut même plus rêver. Il n'a plus d'avenir. À 20 ans, le reste de sa vie va être bien long. 

Il roulait trop vite, sans s'attacher. 

Continue à lire, je t'en prie. Fais ça pour moi. 

Je ne vais pas te parler de statistiques puisque nous les connaissons tous. Non plus du développement du cerveau qui se fait plus lentement chez les garçons. Les derniers réseaux finissent de se tisser vers l'âge de 25 ans. Cela veut dire que, souvent, ce sont les impulsions qui mènent à des comportements irrationnels. C'est de ça dont je vais te parler. 

Pense à nous, à ta famille, mais surtout à toi. À la fragilité de la vie. 

Ta soeur m'a dit qu'elle était inquiète de la façon dont tu comportes au volant. Tu roules vite, sans respecter les limites de vitesse, sans ceinture attachée... Elle est inquiète parce qu'elle t'aime. 

Je t'ai souvent fait part de mes craintes. Je ne veux pas te perdre. Pense à ton frère qui aurait pu perdre la vie en 2008. C'est presque un miracle qu'il n'ait pas eu de conséquence grave à la suite de cet accident. 

Perdre la vie, c'est définitif et dévastateur pour ceux qui restent. Mais demeurer handicapé pour la plus grande partie de ta vie, ça l'est pour toi aussi. Essaie juste de t'imaginer cloué dans un corps qui ne répond plus, abandonné par la vie... par ta propre faute. 

Pense à tes amis qui te font confiance, qui ont eux aussi confiance en la vie qui s'ouvre devant vous. Imagine ta vie, si tes amis perdent la leur, en montant dans ta voiture... Tu as la responsabilité de leur sécurité. Pense aux remords que tu devras porter sur tes épaules pour le reste de tes jours. Ça te sera tellement insupportable. 

Attachez votre ceinture de sécurité... de grâce. Un simple clic. Deux secondes de votre temps. 

Ça ne sauve pas toutes les vies. La vitesse, l'alcool et bien d'autres causes encore ont fait bien des ravages, mais ça en préserve plus que moins. 

Je ne sais pas ce qu'il adviendrait si la route t'arrachait à moi. Je veux vraiment que tu comprennes que la vie est bien fragile, mais elle peut être magnifique quand on a encore tout ce qu'il faut pour en faire ce qu'on veut. 

La décision t'appartient. Je ne vais pas te rappeler constamment d'être prudent. C'est à toi de le faire, de te conduire comme un être qui réfléchit aux conséquences de ses actes.


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Décès de Ray Bradbury

Agence France-Presse, Le Devoir (07-06-12)618-7

L’écrivain Ray Bradbury, l’un des maîtres américains de la science-fiction, est mort à l’âge de 91 ans, a annoncé sa famille. Il était un poète inquiet de la survie spirituelle de l’humanité face au matérialisme de la société.

Il est notamment le père de classiques du genre comme Fahrenheit 451 (1953), inspiré par les autodafés nazis de livres écrits par des juifs, ou encore Chroniques martiennes (1950), sur les risques de déshumanisation par rapport à l’avancée des sciences.

Interrogé sur son processus créatif, il répondait que « l’écriture s’apparente à un noyau de passion enrobé d’une coquille d’intelligence », celle-ci ne devant « servir qu’à s’assurer qu’on ne fait pas de grosses bêtises ». « Dans la vie, comme dans l’écriture, il faut agir par passion : les gens voient que vous êtes honnête et vous pardonnent beaucoup », soulignait-il.

En 2010, dans un entretien accordé au Los Angeles Times, l’auteur réputé618-8 pour son franc-parler estimait que les États-Unis auraient bien besoin d’une « révolution » pour mettre fin au pouvoir trop important du « gouvernement ».

Il affirmait également que les États-Unis devraient absolument « retourner sur la Lune » : « Nous devrions aller sur la Lune et y installer une base, pour y lancer une fusée à destination de Mars, puis aller sur Mars et la coloniser. »

Presque paradoxalement, il se révélait aussi dans cet entretien peu féru de technologie : « Nous avons trop de téléphones portables, trop d’Internet. On devrait se débarrasser de ces machines, il y en a trop aujourd’hui », déclarait-il, se félicitant d’avoir refusé de faire publier ses livres sur des supports électroniques.

Auteur prolifique - 500 nouvelles, une trentaine de romans, des contes, des poèmes -, on lui doit aussi de nombreuses pièces de théâtre et des scénarios pour le cinéma et la télévision.

« La chose la plus amusante dans ma vie, c’était de me réveiller chaque matin et de courir jusqu’à la machine à écrire parce que j’avais eu une nouvelle idée », se félicitait-il en 2000. 

Rat de bibliothèque

Né le 22 août 1920 à Waukegan en Illinois, Raymond Douglas Bradbury découvre la littérature à l’âge de sept ans avec Edgar Poe. Fils d’un père technicien et d’une mère d’origine suédoise, il a 14 ans lorsque ses parents s’installent à Los Angeles. Il y devient un rat de bibliothèque et s’adonne à l’écriture. Il a 17 ans lorsque sa nouvelle Script est publiée dans une revue de science-fiction. 

Après un recueil de nouvelles de terreur Dark Carnival (1947), il devient célèbre avec Chroniques martiennes ou encore Fahrenheit 451, adapté au cinéma par François Truffaut en 1966.

C’est dans la bibliothèque de l’Université de Californie, racontait-il, qu’il a écrit Fahrenheit 451, sur une machine à écrire dans laquelle il fallait introduire une pièce de monnaie.

En 1963-1964, il écrit La foire des ténèbres, puis ses premières pièces, Café irlandais (1963), Théâtre pour demain… et après (1972), La colonne de feu (1975).

En 1986, après une interruption de 23 ans, Bradbury revient au roman avec La solitude est un cercueil de verre, suivi notamment de Fantôme d’Hollywood (1990) et La baleine de Dublin (1993).

Victime d’une attaque cérébrale en 1999, il est parvenu à reprendre son travail, dictant à sa fille De la poussière à la chair (2001). Plusieurs autres livres ont suivi, comme Les garçons de l’été (2002), Il faut tuer Constance (2003).

« Le plus important est de consacrer son temps à devenir soi-même », estimait Ray Bradbury, qui aimait à citer ses deux principes philosophiques de base : « To hell with it ! » (« La barbe ! ») et « Fais ce que tu as à faire ». 

Hommages

Son éditeur HarperCollins a confirmé que le prolifique auteur était décédé mardi dans sa maison de Los Angeles après une « longue maladie », alors que les hommages de sa famille et de ses admirateurs commençaient à affluer.

Le président Barack Obama a salué pour sa part un écrivain qui « continuera sans aucun doute à inspirer de nombreuses générations ». « Son talent de conteur a redessiné notre culture et élargi les frontières de notre monde, souligne M. Obama dans un communiqué. Mais Ray a aussi compris que notre imagination pouvait améliorer la compréhension entre les hommes, être un outil de changement et une expression de nos valeurs les plus précieuses. »

Des fleurs ont été déposées à la mi-journée sur son étoile, sur le Hollywood Walk of Fame, à Hollywood.


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Les commissions scolaires

se disent étranglées

Isabelle Porter, Le Devoir (02-06-12)

Les commissions scolaires risquent « d’imploser » en raison des compressions de plus de 300 millions de dollars que leur a prescrites le gouvernement Charest depuis deux ans, plaide la présidente de leur Fédération, Josée Bouchard.

« Les commissions scolaires en ont fait énormément, mais là, on est en train de les faire imploser », a-t-elle laissé tomber hier en marge de leur sommet sur l’éducation publique à Québec.

Le gouvernement Charest avait imposé une première tranche de compressions de 170 millions en 2011, à laquelle s’est ajouté un deuxième effort de 150 millions dans le dernier budget. « Ce n’est pas sur les 10 milliards de budget de l’éducation qu’on nous demande de faire des coupes, mais sur les 550 millions de l’enveloppe administrative, plaide Mme Bouchard. On a fait croire à la population que ces gens-là sont des brasseux de papier, alors que ce sont des gens qui s’occupent d’organiser le transport, qui gèrent des conventions collectives, qui font les paies de nos milliers d’employés, qui organisent les services éducatifs, gèrent l’inscription, l’informatique et réparent les écoles. »

Les commissions scolaires sont sur la défensive depuis que des partis politiques ont mis au programme leur abolition. Selon la présidente, le réseau est d’ailleurs inondé de demandes d’accès à l’information sur ses dépenses.

« On a des demandes d’accès pour savoir si on a demandé à quelqu’un d’aller nous représenter dans un salon funéraire, combien ça a coûté en kilométrage… Moi je suis tannée de ça, dit-elle. C’est incroyable, à la CSDM [Commission scolaire de Montréal], ils ont une personne à temps plein qui s’occupe de ça. Ça vous donne une idée ! »

La Fédération ne compte pas moins de 4000 employés répartis dans 60 commissions scolaires francophones. Plusieurs centaines de ses membres étaient réunis au Centre des congrès de Québec pour un sommet sur l’éducation publique.

Les organisateurs avaient invité des jeunes à commenter les échanges. Le père du système d’éducation, Paul Gérin-Lajoie, et la jeune Léa Clermont-Dion - qui milite pour une meilleure image des femmes dans les médias notamment - coprésidaient l’événement.

Des carrés rouges aux enfants ?

Tout avait été mis en oeuvre pour écarter les sujets désagréables des coupes et du projet qu’ont certains d’abolir les commissions scolaires, mais ces enjeux ont souvent été rappelés.

Lors d’une plénière, un participant s’est présenté au micro pour dire qu’au rythme où allaient les compressions, il ne faudrait pas se surprendre de voir « nos enfants avec un petit carré rouge à l’automne ».

D’autres sont venus dire qu’il vaudrait mieux couper dans les subventions aux écoles privées que dans le réseau public. « On est la seule province au monde qui subventionne autant son réseau privé ! » a lancé la directrice de la Fédération, Pâquerette Gagnon.

Ironiquement, l’un des défenseurs les plus acharnés du réseau public est venu mettre des bémols sur l’économie qui pourrait être réalisée en coupant là. En cessant de subventionner les écoles privées, on pousserait vers le public la moitié de leurs élèves, mais cela entraîne des coûts, observe Réjean Parent de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). « Ils vont coûter plus cher parce qu’on va les subventionner à 100 % plutôt qu’à 60 % », dit-il.

La CSQ dénonçait par ailleurs les compressions imposées aux commissions scolaires hier. Dans un communiqué, elle dit appréhender « l’impact évident qu’elles auront sur les services aux élèves » et donne des exemples comme celui de la Commission scolaire de Laval, où l’on prévoit l’abolition « d’au moins 50 postes, principalement des techniciens en éducation spécialisée ».

La CSQ cite aussi en exemple la disparition de 40 postes d’enseignants à la commission scolaire Marie-Victorin, les fermetures de classe pour les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à Jonquière et l’abolition de 13 postes d’enseignants au Lac-Saint-Jean.


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